Anonyme [1649], LE TABLEAV DES TYRANS FAVORIS, ET LA DESCRIPTION des maluersations qu’ils commettent dans les Estats qu’ils gouuernent. ENVOYÉ PAR L’ESPAGNE A LA FRANCE. , françaisRéférence RIM : M0_3746. Cote locale : A_7_54.
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Royaume, sans les auoir meritez. Quoy qu’il prenne les haches auec
le faisseau de verges pour ses armes, il ne faut pas que vous croyez que
ce soient celles qui seruoient de marques d’authorité à ces anciens
Senateurs de cette florissante Republique de Rome : mais bien les haches
dont son ayeul fendoit du bois, & les houssines dont son pere
foüettoit les cheuaux. On sçait que son ayeul estoit vn pauure Chappellier,
Sicilien de nation, qui eust la fortune si peu fauorable, qu’il fut
contraint de faire banqueroute, & de quitter son pays. Son pere estant
ieune, & dans cette indigence, commença à estre palfrenier, & peu
apres s’auançant, deuint Pouruoyeur, & Maistre d’Hostel de la maison
d’vne personne de condition, où faisant valoir auec industrie, les
petits profits, qu’on appelle en France les tours du baston ; il eut enfin
dequoy payer en partie le Maistre des Postes de Rome à Naples ; sa
fortune estant encore si foible, que deux enfans qu’il auoit, il fut contraint
d’en faire vn Iacobin, afin de soulager sa famille.

 

Cependant cét autre fils, qu’on appelloit Iules, qui est le mesme
qui a l’administration de vostre Estat, grande Reyne, estant encore
ieune, seruoit de laquais, ou d’estafier, dans les plus honteuses, & salles
voluptez que le diable ait pû inuenter pour perdre les hommes, par
la corruption & concupiscence de la chair. Tout Rome sçait ce qu’il
estoit, & le rang qu’il tenoit pour lors dãs les maisons des Cardinaux
Sachetti & Antonio. Chacun sçait aussi que son esprit formé sous l’Astre
de Mercure, & né au larcin, & à la fourberie, ne s’employoit qu’à
l’estude de son inclination. Il fit vn voyage à Venise, & à Naples, pour
apprendre les piperies qu’on pratique dans les ieux de hazard, dont il
deuint maistre si parfait en peu de temps, qu’on luy donna par excellence
le nom de pipeur. Vostre Royaume sçait cette verité, Madame,
& plusieurs en ont fait l’experience à leur tres-grand preiudice, &
de toute leur famille, de ce qu’il sçait faire en cét exercice. Du depuis
s’estant installé, par des voyes aussi honteuses que criminelles, en des
charges plus eminentes, il luy prist fantaisie de se faire instruire par
vne Megere, en l’art de posseder les esprits ; ainsi deuenu grand maistre
en Negromancie, il s’aquit vn bonnet dont vous sçauez qu’il s’est
rendu tres-indigne. Apres cela, de quelle sorte ne s’est-il pas conduit
aux affaires de vostre Monarchie ? toute la terre habitable est instruite
de ses filouteries, de ses peculats, & des trahisons qu’il a voulu exercer,
& contre l’Estat, & contre son Prince legitime. Ainsi puis que ces
sangsuës ne s’instalẽt aupres de nos Roys que pour les tenir dans la diuision,
afin d’assouuir leur prodigieuse auidité, & de s’enrichir pareillement
de nos dépoüilles ; trauaillons à leur perte, & faisons si bien,
que les siecles à venir ne s’entretiennent iamais que de nostre generosité,
& de leur insigne perfidie.

FIN.



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