M. L. [signé] [1650], LETTRE OV EXHORTATION d’vn Particulier A MONSIEVR LE MARESCHAL DE TVRENNE, Pour l’obliger à mettre bas les armes. , françaisRéférence RIM : M0_2249. Cote locale : D_2_38.
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le peuple irrité auoit donné ce nom plein d’infamie, ils n’auoient
pas oublié de nous dire la même chose que dit dedans
le Capitole cette corneille qui par la vn peu auant la mort de
Domitian, TOVT IRA BIEN. Et certes, de si bonnes
nouuelles n’auoient pas manqué de faire leurs douces impressions
dessus nos esprits, & comme il ne se trouue gueres
personne qui ne se porte à croire facilement ce qu’il souhaitte,
cette tranquilité estant generalement souhaittée les promesses
qu’on nous en faisoit estoient vniuersellement receuës.
Les apparences ne manquoient pas d’augmenter nostre
credulité, & outre que nous deferions beaucoup au
sentiment des entendus & des sages, nous-mesmes nous fortifions
cette croyance par les certitudes que nos pensées nous
en donnoient.

 

Nous disions que le Prince de Condé auoit formé vn party
contre l’Estat, ou ne l’auoit pas fait. Que s’il ne l’auoit pas formé,
nous n’auions doncques rien à craindre, que quand mesme
il l’auroit fait dans sa liberté, sa detention le dissipperoit ;
& qu’ainsi de tous les costez la tranquilité estoit apparente.
Que le vent estant abattu nous ne deuions plus paslir de la
tempeste, & que le bois de Vincennes estant comme la peau
de Bœuf dans lequel nostre Vlisse tenoit les aquilons renfermez,
nous allions dessous sa conduite voguer sans peril de
naufrage.

Mais quoy ! nous experimentons auiourd’huy qu’il ny a
rien dedans le monde de plus incertain que ce qui nous fait
voir le plus de certitude. Le iugement de l’homme ce trompe
quasi en toutes sortes de rencontres, & les plus subtiles
preuoyances de l’esprit ne sont que comme ces fausses imaginations
qui representent à nos yeux des phantosmes blancs
dedans l’horreur des tenebres. Ce que nous croyons auoir
vû dedans l’aduenir, est de la nature de que nos yeux y
croyent voir dedans le present, nous pensons que c’est quelque
chose & ce n’est rien ; & apres que nous nous persuadons
d’auoir bien vû, d’auoir bien raisonné, nous recognoissons
aussi-tost nostre obscurité & nostre ignorance. Car, enfin,



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