Monaco,? [signé] [1649], LETTRE CONTENANT DES AVIS DE POLITIQVE ET DE CONSCIENCE, enuoyée au Cardinal Mazarin à sainct Germain en Laye, par son Confesseur le Pere Monaco, Superieur des Theatins. Traduite fidellement d’Italien en François. , françaisRéférence RIM : M0_1831. Cote locale : C_3_45.
page précédent(e)

page suivant(e)

-- 5 --

auersions de son prochain, il doit confesser que sa haïne est vne marque
tres euidente de ses deffauts ; car s’il pouuoit auoir les differentes belles
qualitez des autres, il aimeroit en eux ce qu’il trouueroit en luy
mesme ; il ne sçauroit souffrir les aduantages, par ce qu’il ne les possede
pas : la haïne donc est vne foiblesse de nostre nature, & vne preuue
de nostre indigence.

 

Monseigneur, la Philapthie est la seconde cause des desordres que
la haïne nous apporte ; car si nos affections estoient plus reglées, nous
serions plus moderées en nos auersions ; & sans aller au conseil à nos
propres interests, nous ne conceurions de la haïne que pour ce qui est
veritablement odieux ; mais par vn mal-heur trop ordinaire, nous ne
iugeons des choses que par le raport qu’elles ont auec nous : nous les
censurons, quand elles nous déplaisent ; & parie ne sçay quel aueuglement,
elles ne sont bonnes, ou mauuaises, en nostre estime que par le
plaisir & le déplaisir qu’elles nous apportent.

Ce sont là les deux sources de tant de facheux accidents, qui trauersent
le repos de vostre vie : Ie conseillerois Vostre Eminence, pour esuiter
desormais vne recheute en ces desordres, de faire souuentefois
reflexion sur les choses qu’elle veut haïr, & de les prendre par lanse qui
les peut rendre aggreables : car comme elles sont bonnes en leur fonds,
elle y rencontrera tousiours quelques qualitez, qui par vne douce violence
la contraindra de les aimer, & peut-estre trouuera-t’elle dans ses
ennemis mesmes des aduantages qu’elle sera obligée d’estimer les iniures
qu’elle aura receuë, & sur lesquelles elle establira la iustice de ses
ressentimens, luy fourniront des raisons pour les excuser. Vostre ennemy
vous a offencé ! peut-estre l’y auez-vous obligé, & en ce rencontre,
la raison veut que vous souffriez à vostre tour. Vne Cour souueraine
vous entreprend, si elle vous punit, vous deuez honorer sa
Iustice.

C’est icy le premier aduis que ma fidelité & mon affection m’ont
obligez de vous donner, de ne respirer plus le sang & le carnage, & de
mettre fin à vostre passion. Faites vn meilleur vsage de vostre haïne
(que ie pense n’auoir iamais eu de place en vostre Ame, que par ce que
le peuple se l’est imaginé) le peché soit son vnique obiect, il faut que
vous la regliez sur celle de Dieu, & que vous declariez la guerre à ce
monstre qu’il a precipité du Ciel dans les enfers où il le punira eternelle
ment.

En mon second aduis, ie supplie Vostre Eminence de penser le plus
souuent qu’elle pourra à l’inconstance des faueurs de la fortune, & de
voir comme elle a traitté ceux qui s’y sont fiez. Ne pensez-vous pas que
Cesar deuoit remercier cette folle De esse, du dernier present qu’elle
luy fit dans le Senat de vingt & trois coups de poignard Hannibal du
poison qu’elle luy enuoya, & Heracle du licol Les histoires de ces
adorateurs de la fortune ne sont que de continuelles tragedies. L’vn
luy presente sa teste pour derniere offrande, comme Pompés ; l’autre



page précédent(e)

page suivant(e)