Rantzau, Josias de [signé] [1649], LETTRE DE MONSIEVR LE MARESCHAL DE RANZAV, GOVVERNEVR DE DVNQVERQVE, A MONSEIGNEVR LE DVC D’ORLEANS. , françaisRéférence RIM : M0_2024. Cote locale : A_5_6.
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à son Maistre, ny sans luy demander sa volonté ; que ce diuin homme
asseure les Rois que leurs Sceptres & leurs Couronnes n’ont
point de plus ferme appuy que celuy des Loix, & que ceux qui regnent
bien, regnent long-temps. Que les Perses faisoient mourir
ceux qui faisoient des loix nouuelles ; & que l’vsage des Locres, les
obligeoit de venir la corde au col, lors qu’ils en presentoient de pareilles,
afin qu’ils fussent estranglez dés l’heure qu’elles auroient esté
trouuées mauuaises.

 

Cependant, Monseigneur, toute la France ne manque pas de iuger,
si celuy qui a voulu passer pour le Conducteur ou le premier
Ministre de ce grand Estat, en a vsé de cette [1 mot ill.] & s’il a iamais
creu, que ceux qui recherchent auec ambition la puissance de regner
iniustement, ne voyent iamais que par vn faux [2 mots ill.] des
choses, sans regarder la peine des loix qu’ils violent, ny l’[1 mot ill.]
qu’ils encourent, & qui est le plus insupportable de tous les chastimens ;
elle voit maintenant si l’abstinence des Princes, de ceux qui
gouueruent & de ceux qui les enuironnent, nourrit l’affection des
peuples, & si les Estats peuuent auoir de meilleurs fondemens que
la concorde ; s’il vaut mieux conseruer sa reputation par l’amour de
la justice, que de la perdre, en mettãt au hazard la ruïne generale ; si la
plus dãgereuse peste & qui cause plus de mal en la vie humaine, n’est
pas de feindre la connoissance auec laquelle on veut executer quelque
dessein pernicieux ; elle connoit enfin si celuy qui ne sçait faire la
guerre non plus que la paix, est digne du secours, de la protection &
de la flaterie des Grands.

Comment est-ce, ie vous supplie, Monseigneur, que ce Ministre
peut respirer sans crainte, & viure sans douleur, s’il est vray que la
malice boit elle-mesme la plus grãde partie de son venin ? Car y a-t’il
vn homme au monde plus mal-heureux en sa reputation que celuy
cy ? Et si l’on dit que Cesar menaçoit autrefois Neptune de luy faire
abolir ses sacrifices, à cause qu’il se trouuoit mal-traitté sur mer par
les orages, ne semble-t’il pas que celuy dont le monde ne parle auiourd’huy
qu’auec horreur, ait mesme entrepris la ruïne des choses
saintes, & que la licence qu’il donne par tout, n’attaque pas moins
la diuinité que les biens & la liberté de tous les Ordres ? Ignore-t’il
que sa retraitte est necessaire, & qu’il peut encore la faire auec la
conseruation de sa vie & celle des biens qu’il emporte ? ou bien
veut-il enfin que cét aueuglement que luy cause le faste & l’orgueil,
nous fasse tomber d’vn mesme pas auec luy dans le precipice qu’il ne
pourra plus eschapper ?

Se doit-on estonner si celuy qui cherche sa perte, trauaille à celle
des autres ; si celuy qui est ennemy de son propre repos, n’a point
d’objet plus delicieux que les tourmens du genre humain ? Combien
cette humeur est-elle contraire à celle de ce sage Areopagite, lequel
ne respirant que la tranquillité publique, reprochoit tousiours au



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