Brousse, Jacques [?] [1649], LETTRE D’VN RELIGIEVX, ENVOYÉE A MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDÉ, à S. Germain en Laye. Contenant la verité de la vie & mœurs du Cardinal Mazarin: Auec exhortation audit Seigneur Prince d’abandonner son party. , françaisRéférence RIM : M0_1895. Cote locale : A_5_30.
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de tapisseries, de vaisselle, de pierreries, par l’entremise de l’vn de ses petits
emissaires, l’Abbé Mondin, qui de Lacquais Piedmontois est deuenu Prelat
de trente mil liures de rente ; & par cet auare, mais infame commerce, oste la
vie à cinquanre familles de Paris, qui la gaignoient legitimement sur les
choses qu’elles fournissoient à la Cour, chacune selon sa cõdition. O Dieu !
qui auroit creu en ce temps là qu’il fust iamais paruenu en l’estat auquel
nous le voyons au grand malheur de toute la France ? Qui se seroit persuadé,
mais qui le croira iamais dans les siecles futurs le lisant dans l’Histoire,
qu’en moins de six ou sept années, il se soit esleué sur le faiste de l’auctorité,
des richesses, de la grandeur & du luxe, au delà de ce que non les Histoires,
mais les Romans & les fables nous racontent de plus inconceuable
dans l’antiquité ? Qui croira iamais, qu’vn petit estranger, sorti de la derniere
lie du peuple, subiet né du Roy d’Espagne, soit monté dans six ans
iusques sur les espaules du Roy de France ? ait fait la loy à tous les Princes,
emprisonné les vns, chassé les autres, gourmandé les Cours Souueraines,
banny les plus zelez au bien de l’Estat, basty dans Paris vn Palais qui
fait honte à celuy du Roy, & où le luxe est au plus haut point iusques sur
les mangeoires des cheuaux, enuoyé en Italie & autres parts du monde la
plus grande partie des finances de l’Estat, achepté à Rome vn superbe Palais,
où il a fait conduire plus de trois cent ballots de meubles des plus precieux
de toute l’Europe, fait des profusions & des despenses incomparables
pour l’entretien de sa vanité & de son luxe, & tout cela au prix du sang
des pauures François ; Et que cette nation genereuse qui autrefois auoit
de la peine à supporter le ioug de ses Princes legitimes, se soit comme
vn mouton, laissé non pas tondre, mais escorcher, sans oser mesme
se plaindre ? Que ses Princes l’ont sçeu, l’ont tolleré & approuué : Et à
present que l’on s’efforce à secouer le ioug de ce Tyran, vous Monseigneur
luy vouliez seruir d’appuy & de soustien, pour le maintenir dans ses
voleries, auec la perte peut estre du Roy, d’vn million d’ames innocentes,
& le peril & la ruine de toute la France ? Car, Monseigneur, y a-t’il rien en
tout cela que vous ne sçachiez & que vous ne voyez ?

 

Ie laisse à part son impieté en la Religiõ que nous professons, dont il prostituë
l’innocence par le luxe de sa vie, & en prophane la candeur & la maiesté
par les fourbes & les malices de sa conduite. Iamais homme ne fut plus
attaché que luy aux obiets des sens, ny plus enseuely dans les plaisirs &
dans la volupté N’a-il pas employé la faineantise des Moines d’Italie trois
années entieres à composer des pomades pour blanchir les mains ? N’a-il
pas inuẽté vne nouuelle sorte de breuuage pour la satisfactiõ de la langue,
dont le prix excede toute pensée ? N’a on pas donné son nom au pain, aux
pastez, & aux ragousts, les amorces de la gourmandise ? Qui ne sçait ce que
coustent à la France les Comediens chanteurs, qu’il a fait venir d’Italie,
parmy lesquels estoit vne infame qu’il auoit desbauchée à Rome. & par
l’entremise de laquelle, il s’estoit insinué dans les bonnes graces du Cardinal
Antonio ? Tout cela durant la guerre, dans le temps qu’on mettoit le



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