M. L. [1650], DISCOVRS ET CONSIDERATIONS Politiques & Morales SVR LA PRISON DES PRINCES DE CONDÉ, CONTY, ET DVC DE LONGVEVILLE. , françaisRéférence RIM : M0_1120. Cote locale : D_2_36.
page précédent(e)

page suivant(e)

-- 8 --

de leurs estats. Canbyses Roy de Perse fit autrefois dans
son païs des seruantes des filles d’vn Roy d’Egypte : & l’on a
vû des Roys de Macedoine greffiers & menuisiers à Rome,
& des Tyrans de Sicile Pedants à Corinthe.

 

En cette conjoncture le Prince de Condé ne fait que suiure
vne infinité d’autres qui l’ont precedé. Il est à de plus
grands que luy, arriué de bien plus grandes disgraces. Les
cheutes sont ordinaires aux conditions eminentes, & plus
l’on se voit eleué & plus on se trouue en danger de tomber.

Mais les exemples toutefois ne nous consolent point de la
cheute d’vn si digne Prince. Les genereux sont facilement
touchez de compassion à des objets si tendres & si pitoyables.
Et quoy que les Stoïques deffendent à leurs Sages d’auoir pitié
des malheureux ; Pour des miserables de cette nature il
est bien mal-aisé de s’en deffendre. La puissance Souueraine
mesmes qui l’a renuersé, le plaint. C’est auec beaucoup de repugnance
qu’elle s’est portée à le perdre, & comme il estoit
sans difficulté l’vn de ses plus dignes ouuurages, elle ne l’a
destruit qu’auec desplaisir.

Pourquoy l’auez-vous donc destruit, ô puissance Royale !
n’estoit-il pas digne d’vn meilleur sort que celuy où vous l’auez
abysmé ? De la bonté de son esprit & de la grandeur de
son courage, il deuoit attendre vn meilleur destin. Les seruices
qu’il estoit capable de rendre à cet Estat le deuoient auoir
rendu pretieux. On ne trouue pas tous les iours des bras foudroyans
& des ames heroïques pour opposer aux ennemis de
ce Royaume. De tels deffenseurs se nommoient autrefois,
chez les Romains, des Boucliers & des Espées. On les nomme
encor par tout les appuis des Republiques & des Monarchies ;
si nous les renuersons nous mesmes ne faudra-t’il pas
que nous tombions auec eux ? Quelque grand que puisse estre
le Prince il est tousiours foible quand il manque de sujets de
cette force. Le nombre des autres est vn nombre inutile qui
ne peut pas grand chose de soy-mesme, & qui est beaucoup
moins capable de la victoire que de l’estonnement.

Voyez
la lettre
du Roy
au Parlement. page 3.

Est-ce donc que nous n’auons plus d’ennemis, que nous emprisonnons



page précédent(e)

page suivant(e)