Anonyme [1649], LE POLITIQVE DV TEMPS. Touchant ce qui s’est passé depuis le 26. Aoust 1648. jusques à l’heureux retour du Roy en sa Ville de Paris. DISCOVRS QVI PEVT seruir de memoire à l’Histoire. Dedié aux bons François. , françaisRéférence RIM : M1_186. Cote locale : A_7_5.
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LE
POLITIQVE
DV TEMPS.

Touchant ce qui s’est passé depuis le 26.
Aoust 1648. jusques à l’heureux
retour du Roy en sa Ville
de Paris.

DISCOVRS QVI PEVT
seruir de memoire à l’Histoire.

Dedié aux bons François.

A PARIS,
De l’Imprimerie d’Arnould Cotinet, ruë des
Carmes au petit IESVS.

M. DC. XLIX.

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LE POLITIQVE
DV TEMPS.

Discours qui peut seruir de memoire
à l’Histoire.

LE succes le plus auantageux des affaires ne
dépend pas tousiours de la bonne conduitte.
On doit bien souuent au bon heur plus qu’à
la prudence humaine. Et les choses d’elles-mesmes
se portent à vne fin, que tous les
soins d’vn sage Politique se sont efforcez en
vain de leur donner. Il faut quelquesfois attendre
dans leur confusion de quel costé elles viendront à
pancher, auant que de régler leur cours. On ne peut les conduire
que trop aueuglément, quand leurs voyes sont encor inconnuës :
& il est trop hazardeux de les enuisager, quand on
ne sçait pas quelle face elles doiuent prendre. Le souuerain
degré de prudence consiste à les mettre dans vn point, où elles
ne peuuent qu’heureusemẽt réüssir. Mais parce que le nombre
infiny des circonstances qui les accompagnent, nous oste
bien souuent la connoissance de ce but tant desiré, il arriue
que la plus sincere conduitte se rend suspecte, & que l’ordre le
plus parfait & le plus accomply treuue de l’opposition dans vne
circonstance contraire, qui a preuenu les esprits, & leur a fait
conceuoir de la difficulté dans la continuation d’vn gouuernement

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qui leur semble desauantageux : Cette opposition interrompt
le cours des affaires, & fait naistre aussi tost d’autres circonstances
contraires, qui semblent détruire les premieres : &
la crainte d’estre surpris, porte bien souuent les vns & les autres
à l’extremité. C’est pour lors que l’Estat en balance, cherche
sur qui se reposer, & demande vn homme qui soit égal à
l’vn & à l’autre poids, pour les soutenir tous deux également.
Outre la difficulté que l’on a d’en trouuer de pareille nature, il
est encore tres difficile d’estre tellement dans l’estime d’vn
chacun en particulier, que personne des partis diuisez ne tienne
sa procedure suspecte : & que tous deferent au sentiment
d’vn seul, pour en venir à vn accommodement. Ainsi bien
que l’éuenement des affaires dépende tousiours de quelques
occurrences tres-particulieres, il semble demander vne
approbation generale pour estre heureux. Et ce n’est pas
bien reüssir dans le maniment de l’Estat, de ne rien faire
qui soit agreable au public. Comme il ne s’agit que de son interest
en ce digne employ, on ne doit rien entreprendre que
pour son bien. Mais comme il n’est pas moins difficile d’estre
bon Politique, que d’estre aymé de tout le monde : il faut necessairement
trouuer en ceste conjoncture vne personne qui
puisse donner de l’affection aux bons, de la crainte aux meschants,
& de la confiance à tous les deux. Pour en auoir vn de
ceste sorte, il faut qu’vne longue experience l’ait exercé,
qu’vne prudence consommée l’ait estably, que la solidité de
son iugement l’ait affermy, qu’vne authorité souueraine l’ait
éleué au dessus de tous les autres, & qu’vn bon-heur extraordinaire
l’accompagne inseparablement iusqu’au plus haut degré
de sa puissance. Nous n’en voyons que trop, qui partagent
entr’eux ces conditions. C’est ce qui fait que nous en trouuons
bien peu qui les vnisseut toutes ensemble. Neantmoins
nous sommes dans vn siecle assez heureux pour trouuer
de ces Politiques : & parmy tant de sages testes qui
prennent auiourd’huy la conduitte de l’Estat de nostre France,
il n’en est point qui ne s’efforce de ioindre ses soins à ceux de

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ses Collegues pour établir & fonder vne Monarchie à nostre
e une Roy sur des colomnes inébranslables. Les desordres
qui s’estoient glissez insensiblement dans l’Estat depuis la
mort de Louis treiziéme porterent le Parlement à supplier
sa Majesté Regente d’y apporter quelque remede.

 

La compassion qu’ils auoient des miserables, &
le zele pour le seruice d’vn jeune Roy, leur fit faire quelques
propositions sur ce sujet. Mais comme les auis les plus
sinceres en matiere d’affaires d’Estat ne sont pas tousiours
les mieux receus, & qu’il leur suffit d’estre suspects pour n’estre
point écoutez ; La Reine Regente & son Conseil ne purent
leur accorder des demandes, qui apres auoir esté bien examinées,
leur sembloient traisner quelque consequence dangereuse
à l’Estat, & contraire à leur propre authorité : fondés sur
cette maxime, qu’il falloit reseruer le soin d’arrester ces desordres
à sa Maiesté Regente, pour ne rien diminuër de sa puissance.
Cette répõse à vn auis sincere, ne pouuoit estre que suspecte
au Parlement. Mais leur poursuitte apres cet Arrest, l’estoit
encor dauantage à la Reyne. Cette deffiance de part & d’autre
faisoit agir diuersement ceux qui n’auoient qu’vne mesme iutention.
Dans ces contrarietez apparentes on en vint bientost
à l’extremité. Les assemblées du Parlement contre les défenses
expresses qui leur en auoient esté faites, ne firent qu’aigrir
dauantage la perseuerance des vns, & l’opposition des autres.
Il n’y auoit plus à éuiter que l’excez, & l’on auoit iuste
sujet de craindre, que la haine particuliere ne se meslast auec
l’affection que l’on tesmoignoit pour le bien de l’Estat. Bien
que la violence ne fust pas vn moyen assez puissant pour empescher
ces dissensions publiques ; on arresta pourtant trois
Conseillers par l’ordre du Conseil d’en haut, & l’on en fit
des prisonniers d’Estat. Le sieur de Broussel estoit l’vn de ceux
que l’on arresta. Mais comme il auoit tousiours pris l’interest
du Peuple, le Peuple prit les armes pour sa liberté. Et s’imaginant
qu’on ne luy ostoit son appuy que pour l’abbatre, & l’accabler
encor par de nouuelles exactions, il obeït à cette chaleur

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effrenée, qui ne reconnoist point de loy dans les premiers
mouuemens. La demande qu’il fait de ce Conseiller, porte
auec soy la menace de tout perdre si on ne luy rend. Sa fureur
aueugle s’en prend desia à tout ce qu’il rencontre. Et sans épargner
mesme le Chancelier de France, il le poursuit iusques
dans l’Hostel de Luynes, où ce Seigneur est contraint de se cacher,
pour cuiter la rage d’vne Populace mutinée, que la Majesté
ne peut plus retenir en son deuoir. Le Bourgeois veut estre
de la partie. La crainte du pillage le fait armer, il ferme toutes
les auenuës, & s’oppose par des Barricades à la licence de
ce menu Peuple, que l’esperance du butin excite encor dauantage
au tumulte qu’il a commencé. La bonne conduite de la
Reyne appaisa son insolence. Elle crut qu’il valoit mieux relascher
vn peu de son authorité, que de la hazarder toute entiere.
Elle rendit ce prisonnier tant desiré du Peuple & des Bourgeois,
afin de contenter les vns & rasseurer les autres. Ce fut
pour lors, que par maxime d’Estat, la foiblesse triompha de la
puissance. Cependant Messieurs du Parlement, qui semblent
tirer quelque auantage de ce procedé, persistent dans leurs demandes,
ils s’assemblent en corps sur le sujet de leurs propositions ;
Son Altesse Royale employe toute la diligence & tous
les soins d’vn sage Ministre, pour les faire desister de leur entreprise.
Il les presse de ceder à la necessité presente de l’Estat,
& de ne point augmenter ses troubles. Il leur fait voir le danger
eminent où les affaires vont tomber par ces diuisions : &
leur remonstre, que pour leur propre seureté il est plus expedient
de se soumettre à la puissance Royale, que de s’y opposer.
Que la Reine Regente a d’autres moyens que les leurs, qu’elle
estime plus propres au Reglement des choses, & à l’establissement
de la Monarchie. Qu’au reste elle ne les consideroit pas
moins que de coustume, & que mesmes elle se sentoit bien
obligée à la vigilance & au zele qu’ils témoignoient pour le seruice
de son Fils & de leur Roy. Cette Remonstrance auroit
arresté leur intention, si elle eust esté vn peu plus interessée &
moins affectionnée au bien de tout le Royaume. Elle ne fut

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qu’vn obstacle à leur dessein, que la sincerité de leur procedure
surmonta trop aysément. Ils firent response à son Altesse
Royale, que la mesme necessité de l’Estat qu’il alleguoit, les
obligeoit à persister dans leur entreprise, que le Peuple demandoit
iustice, & que c’estoit à eux de la rendre. Que les
propositions qu’ils auoient auancées, estoient vn moyen tresfacile
pour arrester ces desordres qu’on leur opposoit : & qu’ils
n’auoient agy en cette conjoncture que pour le repos public &
pour le maintien de l’Authorité Royale. Qu’apres cela ils s’éstonnoient
raisonnablement de ce que sa Maiesté Regente reiettoit
si loin des auis si salutaires, qu’elle deuoit elle-mesme
auoir conceu la premiere, & les faire executer par ceux mesmes
qui s’estoient auancez de les donner. Qu’enfin ils ne pouuoient
croire, que la Reine eust de bons sentimens de leur procedé,
si elle n’en permettoit pas la continuation. Que ce seroit
pour lors qu’ils connoistroient que leurs bons seruices auroient
esté agreables à sa Maiesté, quand on souffriroit de les rendre
entiers, & de ne rien obmettre de ce que le zele & la justice
leur inspiroit pour le bien de tout vn Royaume, & pour la
gloire de sa Maiesté. Que le danger n’estoit point à craindre
par la diuision, quand ils ne cherchoient rien tant que d’vnir
leurs volontez à celle de sa Maiesté Regente, de ioindre
leurs veilles à ses soins & de soumettre leur pouuoir à son Authorite
pour le gouuernemẽt des affaires ausquelles ils estoient
appellez. Et que si sa Maiesté auoit d’autres moyens de gouuerner,
elle ne deuoit pas pourtant refuser ceux que la iustice
rend legitimes. Bien plus que c’estoient les seuls qu’elle deuoit
prendre, puisque cette seule Vertu les donne, & qu’on ne
peut regner dignement, sans suiure les voyes qu’elle nous enseigne.
Son Altesse Royale connoissant qu’il entreprenoit en
vain, d’esbranler leur constance, les pria du moins de suspendre
leur iugement & le poids de leurs raisons iusqu’au retour du
Prince de Condé, qui faisoit pour lors la guerre en Flandre ;
que ce genereux Prince leur pourroit seruir de Mediateur, &
accorder leurs pretentions à celles de la Reine. Qu’ils deuoient

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tous esperet de sa prudence vn heureux accommodement : &
que chacun pouuoit sans crainte, remettre ses interests propres,
& ceux mesmes de tout l’Estat au iugement d’vn Prince,
qui estoit tout ensemble sçauant Politique & vaillant Guerrier :
& de plus qui auoit tousiours tesmoigné par ses belles actions
vn zele extraordinaire à seruir le Roy & son Estat. Au seul nom
de ce Prince, on vit desia quelque ouuerture à cet accord, par
vn consentement que l’on tesmoigna vnanimement de part &
d’autre ; & desia la renommée de sa vertu compose des differentes
qui luy sont encore inconnus, tant les affections sinceres
ont de confiance à la vertu ! Le Peuple mesme, qui malgré
son ignorance reconnoist la grandeur de ce Prince, le souhaite
auec impatience. Cette incertitude d’affection qui le
rend si souuent dissemblable à soy mesme, s’attache pour ce
coup à ne regarder que luy seul. Cependant la Reyne, apres
auoir tesmoigné à Messieurs de Ville, l’inclination qu’elle
auoit pour Paris, & leur auoir recommandé la Police & le soin
de ses chers Citoyens, partit pour accompagner le Roy, qui
s’en alloit prendre l’air à Ruël, auec le diuertissement de la
campagne. Elle y manda le Parlement, & appella les principaux
à ses Conseils d’Estat. Ils y enuoyerent leurs Deputez
qu’on receut fort ciuilement. Et les autres assemblez en Corps
à Paris, trauailloient cependant, par la permission de la Reyne,
au soulagement du Peuple, pour la diminution des tailles, &
des autres imposts, lors qu’vn faux bruit semé insolemment
par la populace, apporta de nouueaux troubles dans les esprits
d’vn chacun. La credulité du vulgaire ignorant, donnoit quelque
subiet de crainte aux Bourgeois, quand il publioit imprudemment,
que la Reyne faisoit dessein d’affamer Paris. La
sortie des Princes & de la plus part des Grands pour suiure la
Cour à Ruël, sembloit fauoriser vne faulse opinion, qui n’auoit
point d’autre fondement que l’ignorance. Cette erreur
trop nuisible à la bonté naturelle de sa Maiesté Regente l’obligea
à leur faire voir qu’elle ne sçauoit point regner par la
cruauté. Elle enuoya vne expresse Declaration du Roy, par

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laquelle il ordonnoit à Messieurs de Ville, de tenir la main à
ce que les viures fussent en abondance à Paris, sans se iustifier
de ceste imposture : tesmoignant par là, que la vie de ses Suiets
luy estoit beaucoup plus chere, que sa propre reputation. Ce
trouble n’estoit pas encor bien calme, qu’vn plus grand suiet
de crainte ietta de l’horreur & de l’épouuante dans les cœurs
de tous les veritables François ; Les nouuelles qu’on apporta
de Flandre causerent cette emotion generale, quand elles publioient
tout haut, que le Prince de Condé, qu’on auoit veu
triomphant & glorieux quelques iours auparauant dans la iournée
memorable de Lens, auoit receu vn coup de mousquet à
Furne, en sortant de la tranchée. L’Estat qui se reposoit sur ce
Prince, se sentit ébranlé en ceste illustre teste, & l’on conneut
que pour son appuy, ses conseils & sa valeur estoient également
necessaires. Le Peuple mesme ne pouuant mesurer l’importance
de sa personne aux interests de l’Estat, declare son
affection par sa crainte, & ses tristes sentimens par son deuil
extraordinaire. Lors qu’on le rasseure de ces frayeurs, par l’esperance
qu’on luy donne de reuoir bien-tost ce Prince, malgré
cette blessure, aussi sain & plus glorieux qu’il n’estoit auparauant :
cette bonne nouuelle augmenta la ioye qu’on se promettoit
de gouster à son retour. Et ce coup qui pressa sa venuë,
leur donna plustost qu’ils n’esperoient, vn bien qu’ils auoient si
long temps & si souuent desiré. La resioüissance de son arriuée
fit bien-tost oublier la tristesse que ce mal-heur auoit
causée à tant de millions d’ames. On ne reconnoist plus que
par la cicatrice, qu’il a esté blessé, encor n’est-ce que pour
luy donner la gloire d’estre le plus Vaillant du monde.
Le bon-heur des Parisiens eust esté sans pareil, s’il eust
duré plus d’vn iour. Ce Prince ne pouuoit leur donner plus
long-temps le contentement de sa presence, sans en priuer
toute la Cour, où l’on attendoit auec impatience. La personne
du Roy appelloit la sienne à Ruel, & il estoit de son
deuoir de luy aller rendre conte du bon succés de ses Armes.
Tout le monde iugeoit assez, que sa presence estoit trop chere

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à ce Monarque, pour le laisser reuenir deuant luy à Paris. Le
Peuple diminua de sa ioye, sans s’affliger d’vn éloignement
qui ne dureroit pas plus que celuy de son Roy. Il sçait bien
qu’il est necessaire ailleurs, & que le soin de l’Estat le retenoit
aupres de leurs Maiestez. Cependant les Princes & les Ministres
tiennent Conseil entr’eux & proposent les moyens d’agir
conformément à la condition presente des affaires, & de composer
des differents, qu’vn zele trop ardent auoit fait naistre
entre les principaux Ministres de cét Estat.

 

Entre tant d’opinions diuerses, dont la plus grande partie
portoit l’esprit de sa Maiesté Regente à vne seuerité exemplaire :
la moderation du Prince de Condé est remarquable à
toute la posterité. Ce Prince qui semble n’estre né que pour
faire la guerre, ne parle en ce rencontre que de Paix Parmy
les desirs d’vne vengeance trop precipitée, il n’a que des sentimens
de douceur. Et son cœur se surmonte soy mesme, pour
éteindre cette auidité naturelle du carnage que les Armes luy
suggerent. Il fait agir sa prudence, où son courage ne peut
estre dignement employé, & mettant de la difference entre
des ennemis & des sujets, il iuge sagement, qu’il faut soumettre
les vns par la force, & les autres par la douceur. Il n’a pas la
moindre pensée de colere entre toutes ces animositez, il a l’esprit
tranquille au milieu de tant de troubles. Et comme il agit
sans passion, il est tout ensemble le soustien de son Roy, l’appuy
du Parlement, & l’asile du Peuple. Aussi tous d’vn commun
accord le choisissent volontiers pour estre l’Arbitre de leurs
pretentions. La conclusion de cette illustre assemblée fut, que
son Altesse Royale, & le Prince de Condé, écriroient au Parlement,
& les inuiteroient à vne conference, qui se deuoit tenir
à saint Germain, où l’on deuoit decider (par l’entremise de ces
deux Princes) les propositions qui estoient en controuerse. Ils
enuoyerent des Lettres si ciuiles & si obligeantes, que le Parlement
ne douta point qu’ils ne fussent des Mediateurs treséquitables,
qui les deuoient mettre d’accord auec sa Maiesté
Regente, qui de son costé approuuoit le procedé de ces deux

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Princes, & leur remettoit entre les mains l’entiere disposition
des interests de son Estat. Sa confiance n’estoit pas moins loüable
que leur intention estoit iuste. Aussi ne pouuoit-elle treuuer
personne, sur qui elle peust se reposer plus seurement, &
sur qui se décharger sans crainte du poids des affaires, que sur
ces deux Colomnes du Royaume, où le Parlement auoit étably
toutes ses esperances, & dont le Peuple faisoit son plus
grand refuge. Personne des Conuoquez ne manqua pas de se
treuuer en ce lieu d’assemblée, où il ne fut rien conclud pour
ce coup, dautant que l’importance des choses dont il s’agissoit,
sembla demander vn plus long interualle de temps, pour les
terminer & pour les porter à l’accommodement. Cette conference
fut suiuie de plusieurs autres, que la diuersité des opinions
rendoit comme inutiles. Mais enfin chacun de sa part
contribua si bien à cét accord, qu’on l’a veu heureusement
réüssir au grand contentement de toute la France. Toute la
Cour que Ruel n’auoit pû retenir, à cause de la trop grande affluence
de monde, estoit venuë à saint Germain pour en attendre
le succés. Pendant que l’on flattoit le Peuple d’vne Paix
auec l’Empire, lors qu’en vn instant on a veu sa Maiesté Regente
condescendre à toutes les propositions du Parlement, &
s’offrir encor à faire dauantage, si l’estat des affaires le demandoit
ainsi ; le Parlement obtenir ses iustes demandes, le Peuple
se réjouïr d’vn accommodement qui fauorisoit ses interests, &
nos Princes témoigner leur satisfaction, de ce que leurs soins
leur sembloient dignement recompensez par cét accord heureux,
qui les auoit fait si bien réüssir à l’auantage des vns & des
autres. Enfin le Roy de retour à Paris, receut par des feux de
ioye & par des acclamations tout l’honneur que de fideles suiets
doiuent rendre à sa Maiesté. Dans cét applaudissement general
le bruit confus des coups de Mousquets, n’estoit plus que
des signes tres-asseurez du calme & de la tranquillité, qu’on
commençoit desia à respirer : & le plaisir qu’elle faisoit gouster,
sembloit estre beaucoup plus doux & plus agréable, apres vn
peu de crainte & de terreur, qui menaçoit en apparence de

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quelque malheur prochain. Mais la bonne conduitte de tant
de Sages Politiques a fait naistre tout ce qu’on pouuoit esperer
d’heureux de tant de mauuais presages. Les desordres calmez
se doiuent à leurs soins. Mais la satisfaction de tous ne se doit
qu’à la Prudence consommée d’vn Heros, aussi sage qu’il est
courageux. Apres que sa Valeur a fait triompher les Armes du
Roy, sa Sagesse est encor le plus puissant appuy de son Authorité.
Quand la France est redeuable à sa Prudence & à son Courage
tout ensemble, elle ne peut iamais s’acquitter de deux
obligations, dont vne seule merite le prix qu’elle voudroit faire
à toutes deux. Et par là l’on peut voir, que dans vne pareille
necessité de l’Estat, il ne falloit pas moins que luy, pour accorder
de si importantes contrarietez, & pour en arrester les dangereuses
suittes, où la Politique de tant de Sages faisoit desia
naufrage, dans le desespoir d’éuiter ce qu’ils auoient préueu
si iudicieusement. Aussi ils ont tous concouru à ce grand effect,
& n’en ont point esté la cause. Ils en ont cedé toute la gloire à
son Autheur, pour mieux partager le bien qui en prouenoit. Et
pour lors les affaires ont esté en vn point, où elles ne pouuoient
qu’heureusement réüssir.

 

Mais comme il ne faut pas moins de conduitte pour gouuerner
le bon-heur, que de force pour s’opposer au desordre, afin
de faire naistre ce grand succez, on auoit besoin d’vn homme
de prudence & de courage. La France auoit assez de Politiques,
qui estoient pareils au poids des affaires, & n’en auoit
que bien peu qui fussent au dessus. Elle treuuoit dans plusieurs,
ce qu’elle ne cherchoit qu’en vn seul : & celuy-là luy a rendu le
calme, que tous les autres s’estoient efforcez inutilement de
luy donner. Ces diuisions particulieres semblent encore demander
vne fin beaucoup plus glorieuse, puisqu’elles ont ouuert
le chemin à la Paix generale, qui doit estre vn but à la Politique
des Grands, où les desirs de leurs Peuples doiuent estre
bornez, & où l’Estat doit chercher sa plus solide felicité.

FIN.

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