Anonyme [1649], LE POLITIQVE ESTRANGER, OV LES INTRIGVES DE IVLES MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2814. Cote locale : A_7_2.
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LE
POLITIQVE
ESTRANGER,
OV
LES INTRIGVES
DE
IVLES MAZARIN.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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LE POLITIQVE ESTRANCER, OV
les Intrigues de Iules Mazarin.

CETTE Lettre auec la Response qui suit a esté trouuée
par vn homme de condition, dans vne assemblée d’honnestes
gens, d’où le sieur de Lionne Secretaire de Iules
Mazarin & de la Reine, venoit de sortir apres auoir monstré
le tout au Maistre de la maison en particulier : c’est à dire les
originaux en Italien, & la version : il faut que par mesgarde il ayt
laissé tomber la version, car il l’a cherchée beaucoup de fois
chez cét homme là du depuis ; mais il ne l’a sceu trouuer qu’apres
que celuy qui l’auoit amassee, en eust fait vne coppie bien collationnée
à l’original.

Le sieur de Lyonne dit à celuy à qui il monstroit les lettres que
Iules Mazarin auoit fait la Response à son pere en Italien, & escrit
de sa main propre toute entiere, & que c’estoit là la version de
cette response mot pour mot, & qu’il estoit party vn Exprez pour
la porter à Rome, afin de satisfaire le pere de Iules, & luy fournir
dequoy conseruer sa reputation.

Lettre de Pierre Mazarini au Cardinal Mazarin son fils
vingt-cinquiesme Octobre.

Mon fils, depuis la mort du Cardinal d’Aix vostre frere, ie
n’ay quasi point receu de vos nouuelles, que par la participation
qui m’est commune auec tout le reste des hommes, c’est
à dire que par le moyen de la reputation de vostre nom qui vole
par toute l’Europe, à cause de vostre extraordinaire fortune, & de
la liaison que vous auez auec la plus puissante Monarchie du
monde : & comme ces nouuelles sont differentes, & qu’il y en a
de bonnes & de fascheuses ; Ie me sens obligé de vous dire que ie

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me resioüis des bonnes, qui m’apprennent la continuation de vostre
bonne fortune, & de vous donner aduis de celles qui sont
fascheuses, afin que vous y apportiez l’ordre necessaire pour le
bien de vostre reputation, & la gloire de nostre maison. Vous
deuriez vous souuenir de la reflexion que ie vous ay fait faire cent
fois, depuis que vous estes aux bonnes graces de la Reyne de
France, de la fin honteuse & tragique du Marquis d’Ancre. Et
que nous auons des qualitez naturelles qui sont incompatibles
auec les François, qui sont naturellement libres & francs. Vous
deuez tascher de corriger par la vertu les mauuaises inclinations
que nous sucçons auec le laict de nos nourrices, & vous abstenir
de tout ce qui vous peut faire croire fourbe & trompeur, auec
d’autant plus de soin que vous estes paruenu à vne fortune inesperée,
qui vous commet auec vne infinité de sortes de personnes qui
se souuiennent plus volontiers du mal que du bien. Souuenez-vous
(mon fils) que vous estes venu d’vn homme de neant, que
vous ne sçauriez trop vous humilier, & que vous auez commencé
par vn degré fort bas pour monter au haut-sommet de la fortune
où vous estes maintenant, & apprehendez que vostre bastiment
qui est si haut esleué sur vn si fragile fondement ne s’escoule, & ne
vous brise en mille pieces auec les restes de la famille en tombant
par terre.

 

Les principales & les plus importantes choses que i’entends dire
de vous sont, que toute la France se plaint que vous n’y auez pas
encor obligé vn homme de bonne grace & de bonne foy qu’vn
seul : encore dit-on que ce ne fut que par vne extréme necessité
pour le bien de vostre aduancement & de vostre conseruation,
que les bien-faicts qui dependent de la liberalité du Roy & de la
Reyne Regente (que vous auez l’honneur de seruir) dont vous
estes le dispensateur par vne pure vsurpation iniuste & violente,
ne se distribuent à personne gratuitement, que vous en faictes vn
infame commerce, principalement à l’esgard des Benefices que
vous ne les donnez point sans en trocquer quelque pension, ou
sans vous en seruir pour escroquer quelque benefice de ceux à qui
vous les donnez. S’il arriue qu’ils en ayent desia quelques-vns
dont vos fauoris soient amoureux que vous vous estes comporté,
& que vous vous comportez encor enuers le Parlement d’vne si
extrauagante maniere qu’elle me fait rire quand i’y pense.

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Souuenez-vous, ie vous prie (mon fils) que vous n’auez iamais
beaucoup estudié, & que vous n’estes pas paruenu à vne si haute
fortune par la capacité de vostre esprit, que ce n’a esté que par
l’heureuse rencontre du Cardinal de Richelieu, qui vous a esleué
& mis en sa place aussi-tost pour augmenter sa reputation que pour
vous faire plaisir, & que vous estes peu instruit dans les maximes &
dans les coustumes de l’Estat que vous gouuernez.

La faute que vous auez faite n’agueres en faisant mettre vn
Conseiller de la Cour en prison à contre-temps, qui mit toute la
France à la veille d’vn horrible renuersement, vous deuroit perfectionner
de quelque experience parmy les peuples, & l’aigreur
que cette illustre partie de l’Estat a tesmoigné contre vous, vous
deuroit apprendre selon les maximes de nostre nation, que vous
ne vous y deuez iamais fier : & à chercher les moyens de vous en
passer, si ce n’est que vous essayez de les acquerir par des bons succez
qu’ils connoistront prouenir de vostre bonne conduitte. Car
puisque le nombre de ceux que vous croyez auoir corrompus aux
despens de la France, ne surpasse pas celuy des incorruptibles. Vous
deuriez considerer que c’est inutilement que vous vous efforcez
de gaigner à vous cette saine partie de l’Estat, à qui vous n’auez peu
cacher que vous songiez plus à vostre seureté particuliere pendant
les troubles des barricades que vous auiez excitez, que la seureté
generale de l’Estat & du repos public.

Enfin vos meilleurs amis de pardeça, disent que tous les ordres
du Royaume ont suiet de se plaindre de vous, & i’ay oüy dire à vn
François qui a de grandes habitudes & de grandes intrigues à la
Cour de France, que tout ce qu’il y a d’honnestes gens dans le
Royaume vous voudroient auoir veu pendre, & que les peuples
sont sur les termes d’vn sousleuement general pour vostre seule
consideration.

Les partisans du fauory du Duc d’Orleans publient icy tout haut
que vous les fourbez, son maistre & luy par vn acte de la plus grande
ingratitude que vous soyez capable de commettre, & que luy
ayant promis de le faire Cardinal apres en auoir receu ses remerciemens
& sa gratitude, qui consistoit en vn effect d’vne puissante
protection de la part de son Maistre, dans le temps que toute la
France ne respiroit que vostre ruine auec le Parlement, & que la
Reyne mesme commençoit à se desgouster de vous, en sorte qu’elle

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s’en plaignit à son Secretaire pour vous le dire, que nonobstant
l’obligation que vous luy auez de vous auoir racommodé auec sa
Maiesté, & elude toutes les propositions qu’on luy faisoit qui tendoient
à se deffaire de vous, vous luy auez suscité vn Concurrent
inuincible pour vous deffaire de luy, & auquel vous sçauez
qu’il ne peut resister sans diuiser les Princes, & renuerser par ce
moyen l’Estat, & le mettre en proye aux ennemis de la France.

 

Veritablement (mon fils) vous auez grand tort, & ie ne peux
m’empescher de vous dire que ces nouuelles me font apprehender
vostre ruine & celle du Royaume que vous gouuernez, & que toute
la posterité qui sçaura les foiblesses que vous commettez dans
vostre ministere vous blasmera eternellement. Principalement
vous faites connoistre si euidemment que vous preferez vos interests
particuliers au bien d’vn Estat tout entier, au lieu que vous
deuriez vous sacrifier à la veuë de tout le monde pour le conseruer.

I’aymerois mille fois mieux que vous fussiez mort auec honneur,
lors que vous n’estiez que simple Capitaine de gẽs de pied de la milice
du Pape, que de sçauoir que vous regnez en France auec de si
mauuaises qualitez, & que tous les sujects du Roy crient que vous
les fourbez continuellement, que vous estes ingrat enuers le sieur
de Chauigny vostre bien-faicteur, que vous trompez la Riuiere, &
que vous vous mocquez euidemment du sieur d’Auaux & de tout
le reste des hommes, qui ont generalement affaire de vous.

Ie crains enfin que vous ne succombiez sous le faix des affaires
de France, dont vous paroissez manifestement estre incapable,
& de voir esteindre honteusement la gloire de ma famille, par
vne mort precipitée par la furie d’vn peuple animé contre vous.
Ie suis.

De Rome ce 25. Octobre 1648.

Vostre pere tres-affectionné
Pierre Mazarini.

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Response du Cardinal Mazarin à son pere, escrite de Paris le
huictiesme Decembre 1648.

Monsieur mon pere,

Vostre lettre du vingt-cinquiesme Octobre m’a esté renduë
par Gerbozini à qui vous l’auiez confiée. Ie n’ay point esté surpris
de vostre maniere d’escrire sur les bruits qui courent de moy à
Rome. Ie me suis tousiours bien attendu au discours qu’on en fait.
Vous estes le seul homme du monde deuant qui ie voulusse iustifier
mes actions en la maniere que ie vay faire en respondant à la
vostre.

Pour entrer en cette matiere, ie vous prie de considerer ma conduite
dans les circonstances qui enuironnent ma fortune (dont ie
desire vous entretenir) & ie m’asseure que vous iugerez que ie ne
suis pas mal habile homme de me maintenir comme ie fais parmy
tant de si puissans ennemis qui sont à la Cour & par tout le Royaume
de France, dans lequel ie gouuerne les affaires par l’Empire &
par les bonnes graces de ma Maistresse me donne sur tous ses sujets,
que ie puis dire estre monté à tel point, que ie ne crains pas qu’il
m’en arriue aucune diminution.

Ie vous eusse enuoyé plutost de mes nouuelles, s’il se fust presenté
vne voye seure & libre, lors que i’ay eu le loisir de le faire,
mais il m’a esté impossible de m’y occuper depuis la mort de mon
frere le Cardinal d’Aix, à cause de mes grandes affaires generales
& particulieres.

Ne croyez pas que les reflexions que vous m’auez fait faire sur
la fin honteuse & tragique du Marquis d’Ancre ne m’ayent point
penetré. Si certes elles ont entré si auant dans mon esprit & dans
mon imagination que lors des barricades ie fus deux iours entiers
que ie pensay mourir de peur que i’auois que le peuple de Paris ne
me prit dans sa furie pour me mettre en pieces, & cette horrible
image d’vne mort infame m’espouuentoit tellement que ie demeuray

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en estat de pouuoir monter à cheual plus de vingt-quatre
heures durant, & iusques à ce que ie fusse asseuré du calme que la
deliurance du sieur de Broussel Conseiller au Parlement auoit apporté
à cette furieuse tempeste & esmotion populaire.

 

Et tous les sujets que mes ennemis prennent à present de se
plaindre de moy, principalement quand ils disent que i’ay fourbé
les sieurs de la Riuiere & de Chauigny ; & que ie pense plus à la
conseruation de ma fortune qu’à celle de l’Estat, ne sont que des
suites des effets de la crainte que i’ay euë de perir par la trahison de
l’vn, & le ressentiment que l’autre a contre moy, qui m’a fait resoudre
à m’en deffaire à quelque prix que ce fust, parce qu’ils sont
les deux plus grands obstacles que ie puisse auoir pour me maintenir
paisible dans le gouuernement de l’Estat.

Celuy qui me trahit est le sieur de la Riuiere fauory du Duc
d’Orleans, qui est vn homme de neant, plus enuié & plus hay encore
que moy en France de tous les ordres du Royaume, qui a vne
enuie enragée de paruenir au Cardinalat, & au principal Ministere
de France.

L’autre est ledit sieur de Chauigny, qui se tient offense de ce qu’il
n’est pas premier Ministre d’Estat coniointement auec moy pour
disposer des choses à son gré, comme ie fais au mien. Si bien que
ces gens qui me calomnient, parce que ie ne me laisse pas terrasser
pour les mettre en ma place, & que ie ne leur donne pas le loisir
de me perdre.

Comme vostre lettre n’est qu’vne plainte quasi en termes generaux
de la part des mescontens, ie n’y sçaurois quasi respondre que
generallement, mais parce que cette sorte de maniere d’escrire, &
de s’esclaircir ne satisfont pas, parce qu’elles ne specifient rien pour
vous pouuoir seruir & me iustifier enuers nos amis, ie iuge à propos
de vous dire que vous deuez estre content de moy, quand ie
vous auray respondu sur trois choses qui sont toutes mes inquietudes,
& ausquelles ie suis obligé de pouruoir, desquelles vous me
parlez dans vostre lettre plus particulierement que du reste.

L’vne est touchant le sieur de la Riuiere fauory du Duc d’Orleans,
l’autre touchant le sieur de Chauigny, autrefois Secretaire
d’Estat, & la troisiesme sur ce que ie fais paroistre dans toute ma
conduite, que ie prefere mes interests particuliers à ceux de toute
la France.

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Representez-vous, ie vous prie, mon pere, que ie suis à la
Cour de France premier Ministre d’Estat, & qu’en cette qualité
ie suis enuié de tout ce qu’il y a d’hommes dans le Royaume
qui ont veu ma fortune naissante. Le sieur de Chauigny
qui estoit autrefois mon amy intime, est vn de ceux qui se
peuuent apparemment plaindre de moy, mais sans fondement.
Il prend pour pretexte que ie luy promis dans les premiers
commencemens de ma fortune, & lors que le feu Roy me
choisit pour le maniement des affaires de son Royaume, de
luy faire part de mon Ministere auec pareille authorité que
moy, en sorte qu’on pourroit dire que nous gouuernerions conjointement.
Cela est vne chimere qu’il s’estoit forgée à plaisir,
car le moyen que deux hommes esgaux en pouuoir & en authorité
puissent gouuerner vne Monarchie ensemble sans se diuiser
vn iour, & sans y former vn double party.

Il est absolument faux que ie luy aye iamais donné de parole
pour luy faire part de mon Ministere si aduantageusement, & il
a esté de ma prudence & de mon addresse de me deffaire de luy
insensiblement, comme i’ay fait ; luy faisant en premier lieu
vendre sa charge de Secretaire d’Estat à vn homme qui n’a
point d’esprit, laquelle luy donnoit entrée dans les affaires
malgré que i’en eusse, & qui luy pouuoit seruir vn iour d’occasion
pour renuerser ma fortune, quand il en eust trouué la conioncture
commode pour luy. Ie l’ay sevré peu à peu de la connoissence
secrette de mes affaires & de mes desseins, afin de
me rendre maistre absolu, & independant de luy & de ses
conseils.

Or comme il estoit impossible qu’estans tous deux amoureux
d’vne mesme maistresse, qui consistoit à gouuerner l’Estat
en France, nous peussions en posseder la iouïssance conioinctement
sans ialousie, & sans mettre la diuision entre nous deux,
qui eust fait perir l’vn & l’autre vn iour. I’ay esté obligé de rompre
enfin auec luy entierement, comme i’ay fait, parce qu’encore
que ie ne luy fisse que fort petite part de la connoissance des
affaires, ie voyois qu’il ne perdoit pas esperance d’y rentrer, &
qu’il se tenoit à vn poste qui me faisoit ombrage. Car demeurant
à la Cour auec toutes ses habitudes anciennes & toutes ses intrigues,

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i’auois sujet de craindre que dans les troubles passez il
ne reprit son aduantage, & qu’il n’aydast à me déthroner, comme
ie sçay qu’il y a trauaillé sous main autant qu’il a peu. Et ie
le deuois d’autant plus craindre, que pour s’esleuer pardessus
moy son ambition estoit secondée du ressentiment de l’iniure
qu’il croit que ie luy ay faite de ne le plus faire gouuerner l’Estat
auec moy. Et que ma ruine eust esté bien plus grande par vn tel
successeur (habile & hardy comme il est) qui eust fait partie de
son bon-heur de m’exterminer entierement, qu’elle ne le pouuoit
estre par aucun autre qui m’eust succedé ; si bien que desirant
me conseruer dans ma bonne fortune, ou faire naufrage
auec la moindre perte que ie pourrois, i’ay esté obligé de vaincre
mes ennemis, & n’en ayant point de plus vaillant, ny de
plus capable de me precipiter que ledit sieur de Chauigny, i’ay
fait vne action d’homme sage de le faire arrester dans son propre
Gouuernement.

 

Ie passe au sieur de la Riuiere fauory du Duc d’Orleans qui a
heureusement secondé le dessein que i’auois de me deffaire de
Chauigny, à cause de l’inimitié qu’il auoit contre luy, ce fauory
qui seroit aussi rauy de ma disgrace pour prendre ma place
sous l’authorité de son Maistre, ne voyant personne en son dessein
qui luy en peut empescher l’entrée dans vne déroute de ma
fortune que ledit sieur de Chauigny, qui estoit consideré dans
le Conseil comme vn homme capable de gouuerner l’Estat
auec succez, & s’imaginant qu’il me faudroit enfin quitter la
partie pour terminer & pour composer tous les differends, &
qu’infailliblement la Reine se seruiroit dudit sieur de Chauigny
plutost que de personne pour le maniement des affaires, &
qu’ainsi il seroit frusté de ses vaines esperances, & en danger
d’estre dominé par son ennemy qui pouuoit me succeder selon
toutes les apparences du monde, m’accorda la protection de
son Maistre le Duc d’Orleans, pourueu que ie luy donnasse
parole d’oster Chauigny de la posture de pouuoir entrer dans
les affaires, & d’y auoir par ci-apres, & que ie les ferois emprisonner.

Ie m’apperceus incontinent de la ruse & de là ie commençay
à prendre vne bonne & ferme esperance de me deffaire aisément

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de l’vn & de l’autre, & que commençant par Chauigni,
ie viendrois bien à bout de la Riuiere auec le temps par le moyen
d’vne Ligue que i’auois desia commencée auec le Prince de
Condé, qui a tousiours eu dessein d’empescher autant qu’il
pourroit la promotion de la Riuiere, parce que ce Prince apprehende
qu’il ne vueille gouuerner l’Estat pendant la Regence,
s’il deuenoit Cardinal, & croit qu’il lui seroit aisé de le faire en
se seruant de l’authorité de son Maistre, & qu’ainsi il seroit à la
merci de l’ambition de ce faquin, & sujet aux foiblesses & aux
laschetez du Duc d’Orleans.

 

Songez que celuy qui parle est vn insolent, qui a ioint la
perfidie à la qualité d’estranger, & detestez l’audace qu’il a de
parler auec tant de mespris d’vn Prince, non moins grand par
ses vertus que par sa naissance, & qu’il ne peut appeller lasche
qu’à cause peut-estre qu’il a assez de bonté pour le laisser
viure.

Me voila donc ligué auec la Riuiere pour faire chasser entierement
Chauigny, & en mesme temps ligué contre la Riuiere
auec le Prince de Condé, à qui i’auois promis d’empescher de
tout mon pouuoir, & à Rome & enuers la Reyne la promotion
de la Riuiere, pourueu qu’il voulust en temps & en lieu declarer
que le Prince de Conty son frere vouloit estre Cardinal.

Sur ces entrefaictes ie fais resoudre au Conseil l’emprisonnement
de Chauigny, & i’enuoye le sieur le Tellier de Ruëlle
où la Cour estoit à Paris, & luy donne ordre de le faire arrester
dans son Gouuernement du Bois de Vincennes. I’en fus
au mesme temps donner aduis à la Riuiere, qui en sauta de
ioye, & me promit derechef que Monsieur le Duc d’Orleans me
protegeroit hautement contre tous, & enuers tous.

Le ieu de la Riuiere faisoit des merueilles pour moy dans ce
moment, par la ioye qu’il auoit de voir son ennemy renuersé,
& l’esperance qu’il auoit que son chappeau de Cardinal arriueroit
apres Noël, & qu’il auroit entrée au Conseil, où estant il
faisoit son compte qu’il viendroit aisément à bout de moy par
l’authorité de son Maistre.

Toutes choses ainsi disposées i’auois autant besoin de la faueur

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du Prince de Condé, & plus que de celle du Duc d’Orleans,
pour me maintenir & m’appuyer contre les Parlementaires, parce
que c’est vn Prince courageux, hardy, habille, & capable de
former vn puissant party en France. Ie me liguay auec luy fortement,
& ie luy promis, comme i’ay desia dit, que s’il vouloit me
proteger i’empescherois bien que la Riuiere ne fut Cardinal, au
moins si tost comme il l’esperoit, quoy qu’on luy eust promis, &
qu’il n’y auroit qu’à luy opposer le Prince de Conty.

 

Me voila donc à la Cour parmy les desordres de Paris & du
Parlement protegée de ces deux Princes, qui dans leur ame me
voudroient peut-estre voir au gibet. Ie surmonte cependant
tous les efforts de mes ennemis, & par ma conduite ie les ay rendus
vains & inutils, mes affaires s’accommodante auec celle de
l’Estat moyennant vne declaration du Roy, & toutes choses
estantes paisibles la Riuiere n’attendant plus que l’heure qu’on
luy apporte les nouuelles de sa promotion afin de jouer son jeu,
& pour me dethroner, somme le Prince de Condé de se declarer
pour la pretention du Prince de Conty au Cardinalat.

Ce Prince se declare, la Riuiere s’en plaint, mais en vain, il
fait faire des incartades impertinentes à son Maistre sur ce sujet :
moy ie m’en laue les mains, comme on dit, & i’en rejette la faute
aux Princes : dis que ie ne puis que faire contre les desseins du
Prince de Conty, que sa pretention est iuste & raisonnable, &
que ie n’en suis pas l’autheur ny l’instigateur.

Apres tout qu’y a-t’il à dire, n’ay-je pas sait mes affaires en
habille Docteur & sage Politique, pour me conseruer dans ma
fortune. Que les Messieurs se plaignent tant qu’ils voudront :
fourbe à fourbe, il n’y a que la main : S’ils auoient pû me faire
quitter la place, ils l’auroient infailliblement fait : Ie suis si asseuré
de leur bonne volonté, que ie leur en ai autant d’obligation
que s’ils l’auoient fait.

Ie vous puis bien dire en confiance, que si Dieu me conserue
dans l’estat où ie suis iusques à la majorité du Roy de France, que
ie ferai bien voir du pais aux vns & aux autres, aux Princes & à
leur fauoris, & que ie leur monstrerai que i’ai esté esleué en bonne
escolle. Ie voids bien que les Princes peschent en eau trouble,
& qu’ils vsurpent impunément dans les Prouinces l’authorité

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du Roy pendant sa minorité : ils se trouuerront bien loin de leur
compte quand le Roy sortira de page, ie ne leur demande qu’vn
mois de ce temps-là pour leur faire voir que ma patience n’est
pas cajonnerie, comme ils se l’imaginent ; & ie vous donne le
plus huppé d’entr’eux dans la Bastille du moment que le Roy
pourra dire ie veux sans le consentement de la Reyne sa mere.

 

Iusques à ce temps-là ie vous confesse que mes interests me sont
mille fois plus chers que ceux de toute la France, & que i’aimerois
mieux que tout le Royaume fut sous la domination du Turc,
que de souffrir vne picqueure d’espinglé au bout du doigt ; Et ie
vous asseure que si dans vn certain temps les affaires generales &
particulieres ne changent, & que ie voye qu’il ne fasse pas bon à
Paris pour moy, & que le Parlement continuë à me pousser,
comme ie voids qu’il en prend le chemin, ie transporterai le siege
du Roy hors de Paris en quelque ville du Royaume, où ie serai
en seureté, & d’où ie me vangerai à loisir de la canaille aussi
bien que du Parlement, quand tout le Royaume deuroit perir ; si
c’est estre mal-habille homme que de penser genereusement à sa
seureté particuliere, i’aduoue que ie le suis extremement.

Messieurs du Parlement de Paris ont faict auec moy, & ie
m’en vangerai par l’authorité du Roy, lors qu’il sera maieur, si
ie ne le puis faire pendant le reste de sa minorité. Si i’en ay recherché
quelques-vns d’amitié, ce procedé ne peut pas estre appellé
ridicul ny extrauagant : Ie voids bien presentement qu’il
est impossible que iamais la confiance se restablisse de part &
d’autre.

Le sieur d’Auaux est encor vn de ceux de qui ie dois apprehender
la societé, parce qu’il est de race de gens qui ne pardonnent
point les offenses, & qu’il a sujet de se plaindre de la protection
que i’ay départie au sieur Seruient pendant la diuision qui
a esté entre eux deux estans à Munster. I’ay essayé de me bien
remettre auec luy en apparence pendant les troubles & les
assemblées du Parlement, à cause du President de Mesmes son
frere qui estoit capable de m’y seruir, & qui est homme qui ne
manque pas d’ambition ny de pretentions. Mais à present ie ne
me soucie ny de l’vn ny de l’autre, & i’espere leur faire voir à leur
tour que ie ne les crains gueres, & que ie m’en passerai fort bien.

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Ne vous mettez point en peine de moy : Conseruez-vous, &
croyez que le pis qui me puisse arriuer est de retourner à Rome
en estat de me passer de tous nos ennemis, & que toutes ces trauerses
ne font autre mal à nostre famille, que de retarder le mariage
de mes niepces. Ie suis,

 

Vostre tres-humble seruiteur &
tres-obeïssant fils I. Mazarin.

De Paris ce 8. Decembre 1648.

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