Anonyme [1649], LE PORTRAICT DE L’INCONSTANCE DES ARMES , françaisRéférence RIM : M0_2820. Cote locale : C_8_32.
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CE n’est pas trop grande merueille,
Lors que Bellone se réueille,
De voir des prodiges affreux,
Qui rendent souuent malheureux
Les personnes, dont le merite
Les met dans le rang de l’élite
Des hommes, dont la seule honneur,
Est la cause de leur bon-heur,
l’ose soustenir que Bellone,
Est volage comme la tone,
Et que l’inconstance luy plaist,
Quand ie vois son dernier effait :
Ie suis rauy & ne puis taire,
Que dans les armes vn mystere

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Se treuue tous les iours caché,
Ie ne seray pas empesché,
De vous preuuer que dans les armes
L’Inconstance y fait des allarmes
Capables d’admiration,
Considerez cette action,
Qui vient d’estre faite en la Flandre,
Ainsi que nous venons d’apprendre,
Et lors vous direz auec moy
Que le destin donne la loy
Aux Armes comme à d’autres choses,
Où les espines & les roses
Se treuuent meslées tousiours,
Et sans faire vn plus long discours,
Touchant leur legere inconstance,
Rarement nuisible à la France.
Ie vous diray comme à Cambray,
Nostre armée de son plein gré,
Ayant inuesty cette place,
Receut vn coup de la disgrace,
Veu que l’Archiduc Leopold,
Ayant fait vn grand carracol,

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Auec son armée puissante,
D’vne force tres-violente,
Fit leuer le siege planté ;
Le Comte d’Harcourt irrité
De cét éuenement funeste,
A ses braues Soldats proteste
Qu’il faut assieger derechef
Cambray, malgré ce grand meschef ;
Et pour leur donner plus de force,
Il vsa de la douce amorce
D’vne harangue qu’on escrit,
Qui ne fait pas moins voir l’esprit
Que le cœur de ce puissant Prince ;
Voicy comme en cette Prouince
Harcourt harangua ses Soldats :
Mes freres, les derniers combats
Sont témoins de vostre courage,
Si nous auons eu du dommage,
Le sort des Armes l’a voulu,
Quand à moy ie suis resolu
De perdre mille fois la vie,
Auant que de quitter l’enuie

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De prendre Cambray par assauts,
Cette prise rendra les maux
[1 mot ill.] de cette infortune,
Il faut prendre l’heure opportune,
Pour planter la seconde fois
Le Siege, pour mettre aux abois
Les Habitans de cette Ville,
Vn grand discours est inutile,
Il faut nous seruir de la main,
Sans dilayer iusques à demain,
le vois desia que la Victoire
Nous prepare le champ de gloire ;
Courage donc braues Guerriers,
Allons moissonner les Lauriers,
Dignes de nostre grand merite,
La fidelité nous excite
A faire bien nostre deuoir,
Ainsi que vous pouuez sçauoir.
L’Honneur qui gouuerne nos ames,
Nous brusle de ses viues flames,
A dessein de brauer la mort,
Et contraindre mesme le sort,

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A se rendre plus fauorable,
A nostre dessein profitable,
Aux interests de nostre honneur,
Faisons sommer le Gouuerneur,
S’il nous veut rendre cette place,
Que s’il monstre mauuaise grace,
Allons-y l’espée à la main,
Le desir que i’ay dans le sein,
Que nous emportions la victoire,
Afin d’effacer la memoire
Du meschef qui nous est venu,
Rend mon esprit entretenu
D’vne esperance legitime,
Qu’il faut qu’en peu de mots i’exprime,
Si nous pouuons prendre Cambray,
Nous serons au plus haut degré,
De la gloire & des bonnes graces,
Nous ferons craindre nos menaces
Aux quatre coins de l’Vniuers,
Nous acquerrons des lauriers vers,
Pour nous en faire vne Couronne,
Sous le bon plaisir de Bellonne,

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Le Ciel secondera nos vœux,
Et mesme il doit estre amoureux,
De cette action heroïque,
Tres-excellente & magnifique ;
Si nous quittions le Païs-Bas,
Sans donner de nouueaux combats,
Et sans planter vn second Siege,
Nous mesmes dresserions vn piege,
Ou l’on nous pourroit attraper,
Et nostre renom dissiper ;
On diroit par toute la France,
Que n’auons pas eu l’asseurance,
De resister à l’Espagnol,
On nous accuseroit de dol,
De trahison & perfidie,
Nostre valeur est trop hardie,
Et nostre reputation,
Nous doit donner l’ambition,
De veincre, ou bien d’aller par terre ;
Pour moy ie veux dans cette guerre,
Rendre immortel nostre renom,
Auec l’espée & le canon,

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En apres on verra l’histoire,
Qui celebrera nostre gloire,
Et partant de nostre valeur,
Fera voir que si le malheur,
Nous auoit mis dans des allarmes,
Que nous auons sçeu par les armes,
Tous les obstacles debifer,
Tant par le feu que par le fer ;
Harcourt par cette douce harangue,
Remit aux chaisnons de sa langue,
Les cœurs de ses braues soldats,
Lesquels le suiuant pas à pas,
Ils s’en vont la teste baissée,
Leur valeur estant offensée,
Allume tellement leurs sens,
Qu’ils en deuiennent plus puissans,
Et si i’ose dire inuincibles,
Ils sont dans la mort insensibles,
Leur desir de vaincre est si grand,
Qu’il force à boüillonner leur sang,
Dans leurs plus profondes artaires,
Le Ciel redouble leurs coleres,

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La terre tremble sous leurs pas,
Et sans redoubler le trespas,
Ny la gresle des canonades,
Ny la pluye des mousquetades,
Ont remis le siege en ce lieu,
Bien que l’Archiduc au milieu,
Voulut s’opposer à leur zelle,
Il n’eust pas dans cette querelle,
Du bon pour ses propres Soldats,
Parce qu’en ces rudes combats
L’on en a veu par la disgrace,
Plus de huict mille sur la place ;
Ce mesme Duc fut obligé,
De se retirer affligé
D’auoir perdu tout son bagage,
Son argent & son equipage :
Si bien que le braue d’Harcourt,
A fait aller vn homme en Cour,
Pour asseurer le Roy son Maistre,
Qu’il espere de luy remettre
Cambray, sur la fin de ce mois,
Il ne craint plus qu’vne autre fois

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L’Archiduc Leopold l’attaque,
Il y quitteroit la casaque.
Le Roy rauy d’vn tel bonheur,
Obligea son bon Gouuerneur,
De le conduire chez la Reyne,
Afin de la tirer de peine ;
Si bien que la Cour auiourd’huy,
Demeure calme & sans ennuy,
Le Roy, le Duc d’Anjou son frere,
Auecque Madame leur Mere,
Ont receu tel contentement,
Que vous auriez d’estonnement
A voir l’éclat de leur visage,
Et c’est vn asseuré presage,
Que Cambray sera tost à nous,
D’Harcourt auec des rudes coups
Du canon abbat ses murailles,
Et foüille iusques les entrailles
De la Terre, pour attraper
Les Espagnols, & dissiper
Leurs desseins, & mette en fumée
Leur manie en vain allumée.

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Ses Soldats aux retranchements,
Veulent faire leurs monuments,
Plustost que de quitter le Siege,
Ils croiroient faire vn sacrilege,
S’ils n’auoient point cette Cité
Remis dessous la volonté,
Et le bon plaisir de leur Prince ;
Le Gouuerneur de la Prouince,
Ne sçauroit Cambray secourir ;
Si bien que sans plus discourir,
Cambray sera contraint, sans doute,
A suiure la Françoise route ;
D’Harcourt en receura l’honneur,
Et la France aura le bonheur.

 

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