Anonyme [1649 [?]], LE PREDICATEVR DEGVISE , françaisRéférence RIM : M0_2838. Cote locale : C_6_63.
SubSect précédent(e)

LE PREDICATEVR
deguisé.

NOVS venons au monde auec le
desir de deuenir sçauans, & cette
genereuse inclination nous deuroit
en quelque façon consoler
de tant d’autres mauuaises, qui
sont les reliques du peché d’Adam, & les preuues
de la misere de nostre Nature, d’autant que
la science qui dans l’ordre des choses naturelles
tient le premier lieu, peut estre seule le veritable
plaisir, & la solide nourriture de nostre
esprit. Les Liures des Philosophes sont pleins
de ses loüanges, & de ses preceptes. Il n’y a
point de pays si esloignez où ceux qui l’aiment
ne l’aillent chercher ? de Mers si profondes
qui les espouuantent ? de perils si éuidens qui
refroidissent leurs desirs ? de trauaux si grands
qui ne leur semblent legers ? & de pertes importantes
que sa possession ne recompense
auec vsure : Neantmoins cette Science si ardamment
recherchée laisse beaucoup plus de
tenebres dans nostre esprit qu’elle n’en dissipe,

-- 4 --

& y excite plus de doutes qu’elle n’en resout.
Platon est diuin pour les vns, pour les autres
il n’est qu’vn réueur agreable ; Aristote à
ses ennemis aussi bien que ses adorateurs ; &
l’austerité des Stoïques trouue des esprits qui
l’approuuent & qui la condamnent. En effet,
dans les Sciences humaines, il y a plus de poudre
que d’ornement : plus d’obscuritez que de
lumieres ; plus d’apparence que de solidité.
Les Orateurs n’ont que du fard ; les Poëtes des
réveries ; les Historiens des mensonges ; les
Philosophes des doutes. Mais ce qui est plus
déplorable, particulierement dans le temps
où nous sommes, c’est que la plus-part des curieux,
mesme des plus sensez ne cherchent
que la connoissance des mauuaises choses, &
la lecture des libelles qui ne contiennent que
des faussetez, ou pour le moins des nouuelles
qui ne vallent rien. Comme c’est vne marque
de mort de n’aimer que des poisons, ou des
viandes tout à fait contraires à la santé. C’est
vne preuue éuidente de la corruption de nostre
esprit, de ne vouloir apprendre que les
choses qui sont capables de corrompre la conscience,
ou de luy donner de mauuaises impressions.
Oüy certes, depuis cette mal-heureuse
guerre la Samaritaine est deuenuë la Bibliotheque

-- 5 --

commune de tout Paris ; C’est l’Academie
où l’on dispute de toutes les affaires
du temps, la licée où toutes les difficultez du
monde se resoudent ; l’Escolle où l’on traite de
toutes sortes de matieres ; la Sorbonne vniuerselle
où l’on propose les cas de consciences ;
où l’on condamne le Pere Faure de flatterie
& d’interest, la Reyne de peu de retenuë,
le Cardinal de fourbe, d’imposture, de méchanceté,
le Prince d’impieté, la Meilleraye de
rage, de Grammont d’ignorance, le Chancelier
de malice, le President de foiblesse. C’est
là où se trouuent & se vendent tous les Liures
de l’Vniuersité, plus les meschans que les bons,
plus ceux qui calomnient, qui noircissent, qui
rauissent, qui déchirent la reputation, que les
autres qui la deffendent ou qui la protegent.
Les Liures de pieté en sont bannis, ceux de deuotion
y sont inconnus ; bref, tout y est si corrompu
qu’aucune piece n’y est estimée ny bonne,
ny iudicieuse, ny moins encor de mise si
elle n’est satyrique, iniurieuse, impudente, &
si elle n’est assez effrontée pour dire du mal,
mesme des personnes de qui la naissance & la
dignité doit tenir nos esprits, nos plumes, &
nos langues dans des respects continuels, &
des sousmissions tres-grandes. Et certes si vn

-- 6 --

homme manque de iugement qui se charge du
fardeau d’autruy, ne pouuant qu’à peine supporter
la pesanteur du sien ; si vn malade augmente
son mal par la communication qu’il a
auec d’autres malades ; si la violence du feu s’accroist
par la rencontre des matieres propres à
nourrir ses flammes, ou capables d’entretenir
son actiuité : n’est-il pas vray de mesme que
c’est de franc cœur s’exposer au peril, & rechercher
les moyens de se perdre, ou de deuenir
méchant que de lire tous ces petits Liures qui
se debitent sur le Pont-neuf, sçachant qu’ils ne
sont remplis que d’inuectiues, & que les meilleurs
ne publient que de mauuaises maximes,
Vn homme sera il plus sçauant ou plus vertueux
pour oüyr tous les iours en plusieurs
rencontres ce fameux Predicateur de la Samaritaine,
qui presche par la bouche des autres,
& qui fait autant de Predications qu’il y a de
Libelles differents, pour apprendre de cét Oracle
d’Enfer que les femmes passionnées ou
peu chastes ont esté la cause de l’entiere ruine
des Monarchies qu’elles ont gouuernées, &
que leurs desirs desreglez ont esté les funestes
degrez, par lesquels les plus puissans Royaumes
sont tombez auec impetuosité dans le
profond des precipices. Il apprendra seulement

-- 7 --

le mal, sans en connoistre les remedes,
ou du moins sans pouuoir y en apporter, & son
esprit embarrassé de mille accidens qui se presenteront
tantost à ses yeux, tantost à sa memoire,
& puis à sa pensée, se fera à luy mesme des
blessures que le temps ny sa prudence ne
pourroit iamais guerir ? quelle vertu aura acquis
vn homme d’honneur, pour sçauoir que
la plus-part des Ministres d’Estat n’en ont
point ; que leurs maximes sont directement opposées
à celles du Ciel ; qu’ils approuuent toutes
sortes de Religions, sans en auoir aucune ?
que leur conscience est renfermée dans leurs
coffres ; qu’ils ont moins de foy que les Payens,
& que c’est d’eux dont a parlé autrefois Aristote,
quand il a dit que de mauuuais Citoyens
on en pouuoit faire de bons Officiers. Quel
aduantage de doctrine possedera vn esprit accomply
& consommé dans les bonnes Lettres,
quand il lira que tous les Cardinaux de Rome
ne sont pas Saincts, & que ce n’est pas d’auiourd’huy
qu’il s’en est trouué qui se sont esleuez
à cette dignité glorieuse par les voyes de
la malice, & de la fourbe ? De mesme que cét
Empereur qui trouua de la nourriture dans le
poison qui donne la mort aux autres ; comme
se desesperé qui rencontra vn thresor dans le

-- 8 --

creux d’vne abysme, où il auoit resolu de se perdre ;
ou comme cette diuinité dont parle Pausanias,
qui fut adorée dans le mesme lieu, où
peu auparauant elle auoit esté mesprisée de ses
propres Citoyens. Vn Autheur Italien qui connoist
parfaitement les artifices de son pays, est
tesmoin irreprochable de cette verité, protestant
dans vn Liure qu’il a composé, & qui est
intitulé, Il Diuersio Celeste. qu’vn Cardinal à la
mort tesmoigna mille regrets, & beaucoup
d’apprehension des iugemens de Dieu, d’autant
qu’il estoit paruenu au Cardinalat par des
moyens illegitimes, & indignes d’vne si éminente
grandeur. Bref, quelle satisfaction peut
esperer nostre ame dans le recit odieux des
crimes des mechans ? comme la veuë des monstres
épouuante nos yeux, comme le mouuement
des eauës croupies & puantes pousse vne
odeure infectée qui monte iusques au cerueau ;
& qui offence sa netteté, comme le souuenir
d’vne sanglante bataille, ou d’vne tempeste furieuse,
nous fait encor geler le sang dedans les
veines toutes les fois que nous y pensons. Ainsi
nous pouuons croire que tous ces desordres,
ces impietez, ces blasphemes, ces dissolutions
que nous lisons ou remarquons dans la vie des
autres, ne sont capables que de nous troubler

-- 9 --

& nous causer mille inquietudes. Il y a des
personnes qui sont de si mauuaise humeur
qu’elles se figurent tousiours des defauts dans
les objets qu’elles ne veulent pas aimer ; d’autres
qui épousent sans cesse quelque party pour
auoir sujet de se mettre en colere ; d’autres
enfin qui sont si curieuses qu’elles vont foüiller
iusques dans les cendres des tombeaux &
la poussiere des sepulchres pour y trouuer des
charognes puantes de qui les deportemens
ont infecté toute la nature, & dont le vice est
encore en horreur. C’est se rendre mal-heureux
par la disgrace d’autruy, & se repaistre des
choses que les autres abhorrent & detestent ;
C’est prophaner l’excellence de l’imprimerie,
obscurcir la gloire des bons Autheurs, trahir sa
conscience, sa patrie, ses Concitoyens, que de
mettre en lumiere tant de petits Liurets qui ne
meritẽt que le feu, parce qu’ils découurentsme
me aux yeux des sots & des ignorans ce que la
raison, le respect & Dieu nous obligent de cacher.
Si c’est offencer vne personne particuliere
que d’outrager vn Tableau qui represente son
Image. Si Alexandre Prince assez de bonnaire,
fit mourir auec iustice vn homme qui
auoit effacé son pourtraict graué sur vne medaille
de cuiure : si ceux qui s’attaquent aux

-- 10 --

figures qui portent celles du Sauueur du monde
sont condamnez à mort comme criminels
de leze Majesté diuine, que dirons nous des
autres qui sont assez temeraires & hardis pour
noircir les actions, pour iuger sinistrement &
en mauuaise part des pensées ; pour interpreter
selon leur fantaisie ou la passion qui les
aueugle, les iustes intentions de leurs Souuerains.
S’il est vray, comme il l’est tres-asseurement,
que les Princes soient les viuantes Images
de Dieu, les parfaites idées de ses adorables
grandeurs, les rayons de sa bonté, aussi bien
que de sa puissance : que leurs cœurs soient entre
ses mains ; N’est ce pas s’attaquer directement
à luy, & blesser plus cruellemẽt ses belles
mains que n’ont iamais fait les bourreaux du
Caluaire, & par consequent se tendre dignes de
mort que de parler des deportemẽs de nos Princes.
Dauid fit tüer sur le chãp celuy qui luy apporta
la nouuelle des dernieres paroles que
Saül profera en l’agonie du trépas. Et quoy que
l’Oracle diuin loue hautement sa clemẽce & sa
douceur, il commanda neantmoins à Salomon
sur le point qu’il estoit de mourir & en estat de
mieux pardonner à ses ennemis, de chastier Semei
des médisances & des calomnies dont il
auoit noircy sa personne sacrée. Ceux qui volõtairement

-- 11 --

& par vne malice determinée se rendent
coupables de semblables crimes, doiuent
aussi attendre les mesmes punitions, & ils
ne peuuent esperer pour recompence de leurs
infames lâchetez, sinon que par vne permission
du Ciel leurs langues deuiendent muettes,
ou soient condamnez à vn silence perpetuel.
D’ailleurs, il est costant, outre que c’est mépriser
l’art de l’Imprimerie que de la traîner iusque
dans la poussiere du Pont neuf, ou dans les fanges
des ruës de Paris, & la mettre au rang des
choses les plus viles & les plus abjectes ; que ces
petits liurets pour la pluspart les productiõs des
ames passionnées sont capables de troubler
l’Estat, de mettre les Princes en colere, & de
causer beaucoup de desordres. Mais quand
tout cela n’arriueroit pas, quel aduantage pouuons-nous
tirer de la connoissance de tous les
plis & replis de la conscience de ceux qui se
joüent de nos biens, qui se moquent de nos
malheurs, qui se rient de nos infortunes, qui
mettent quand bon leur semblent nos libertez
à la gesne, & nos vies au hazard. Cette science
ne nous apporteroit que des déplaisirs, des
douleurs & des amertumes : Et en tout cas il
vaut mieux estre entieremẽt ignorant du mal,
que d’en sçauoir les particularitez & les circonstances.

-- 12 --

Ainsi comme le grand S. Hierosme, defendoit
aux ames qu’il auoit sous sa conduite
la lecture des Liures peu Chrestiens : comme
l’incomparable Apostre ne vouloit pas méme
que son Disciple l’eut les Fables, crainte que
les mensonges qui sont couchez dedans, ne
formassent dans son intellect quelque idée d’vne
verité imaginaire, comme ces sages Legislateurs
ne iugerent pas a propos d’ordonner
des supplices, & des chastimẽs contre certains
crimes enormes, de peur que la connoissance
des punitions qu’ils meritoiẽt, ne fit croire aux
meschans qu’ils n’estoient pas impossibles. De
mesme les Sages Magistrats doiuent empescher
la distribution de ces Libelles qui ne contiennent
que des inuectiues, ou des infamies,
crainte que ceux qui les lisent n’apprennent à
deuenir méchans, & ne commettent les mesmes
desordres qu’ils se persuadent estre dans
les autres.

 

FIN.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1649 [?]], LE PREDICATEVR DEGVISE , françaisRéférence RIM : M0_2838. Cote locale : C_6_63.