Anonyme [1649], DIALOGVE DE IODELET ET DE LORVIATAN Sur les affaires de ce temps. , françaisRéférence RIM : M0_1080. Cote locale : C_7_20.
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DIALOGVE
DE
IODELET
ET DE
LORVIATAN
Sur les affaires de ce temps.

M. DC. XLIX.

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DIALOGVE
DE
IODELET
ET DE
LORVIATAN.

IODELET.

I’EN diray ce qui m’en semble, il y va de mon interest, la
cause commune me regarde, puisque Iodelet faict membre
de l’Estat, le fonds de mes rentes est en mains estrangeres,
mes receueurs sont accablez de subsistances, les peages, les
imposts & les maltotes m’appauurissent, sot qui s’en taist, &
plus sot qui le souffre, & par qui, de par le diable, tout ce
mal, par vne femme, vn estranger, des enragez & des coquins.

l’Oruiatan.

Tout beau, ma bonté t’interrompt, & te pardonne, modereta
langue, & adore ceux qui te gouuernent.

Iodelet.

C’est bien harangué, Monsieur l’Oruiatan, qui changez
nos Louys en vos poudres, baste, vos sauonnettes sont assez
bonnes. & vostre theriaque n’est point mauuais, vous nous
faites rite pour nostre argent, mais de quel droit souffre-t’on
le seigneur. Iules posseder la Reine, facquiner nos Princes,
piller la France, menacer le Parlement, & empescher la paix
pour faire durer la guerre, à la mal-heure, ruiner le peuple,
laisser piller nos frontieres, & reprendre laschement ce qui
a tant coussé d’argent & de sang.

l’Oruiatan.

Ce n’est plus discours de bouffon, miserable demeure dans
la profession & ne temporte à ta ruine.

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Iodelet.

Moy que ie craigne, à moins que d’auoir peur, de facquin
à facquin n’y a que la main, le bouffon enfariné vaut bien du
Iani d’escarlatte, ne monta-t’il iamais sur le theatre l’Eminentissime
prelat. Il fit soubresauts en son temps & picqua
la malette ; Son pere vendit des drogues, sa mere caracteres
& pucelages contrefaits ; ses sœurs furent enfilées, & luy
prouitué ; Vn moulin de Sicile donna la vie a ce phœnix, la
France des pleumes, & par Iodelet nous le reduirons eu cendre.

l’Oruiatan.

Parlons sans transport, de qu’els biens faits ne luy est-on redeuable,
quand l’Estat ayant perdu son Roy, la France son
Cardinal, vn enfant estant sur le throsne, vne femme incapable
dans l’authorité, les Princes gouuernez par des coquins
ou des indifferens, les Grands dans la bassesse, les Nobles
dans la seruitude, le Clergé dans les vices & l’ignorance,
le Parlement dans le mespris, & le peuple dans la misere.
Il a fallu que ce falot Sicilien ait dissipé les tenebres de la
France, pris le timon de l’Estat, conduit la Regence de la
Reyne, soustenu le Sceptre, maintenu la tranquillité publique,
estendu nos frontieres par la prise de portolongone, &
le dessein sur Orbitelle, fait des paix aduantageuses, si par malheur
il n’eut esté duppé, & dependu le sien pour soustenir
vne gloire mourante ouuerte mal reconneu par vn peuple ingrat
& inconstant.

Iodelet.

Corps de loups i’enrage, si le bon heur de la France despend
de l’engin d’vn postillon, nos Roys meurent quand leur
heure vient, tour à tour ils se font place & pour regner il n’en
sont pas immortels. Le fils succede au pere, & quoy qu’enfaut
est nostre Roy beny, aymé & honoré : sa mere estoit
bonne pour le faire, & nullement pour gouuerner : Pourquoy
le souffre-t’on & autres choses : Le Duc d’Orleans deuroit y
remedier : mais son Pedant le iouë, le trahir & le descrie, d’Enguien
detestable sils d’vn meschant pere, gaignant des batailles
nous surprit, il changea des crimes, & sa rage succeda à sa
valeur. Les Grands seroient tels s’ils le vouloient estre, si
lascheté leur plaist à leur dam : Les Nobles sont deuenus
estafiers, esclaues, & sattelites. Le Parlement l’a fait ce

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qu’elle est, il la peu deffaire, si l’interest public l’eust plustost
animé que la Paulette Il n’auroit pas la peine d’enuoyer
maintenant au gibet ou à la rouë ceux qu’il a souffert dans
l’administration. Le peuple est aux extremes de la necessité
vient le desespoir, du desespoir la confusion, & mal-heur
aux Autheurs de ces maux. De grace Regente allez au Vade
Grace, prenez le Cilice, abaissez vostre courroux, le Cloistre
est vostre faict pour vostre salut, vostre bien & vostre reputation,
& si nopce Mazarine vous plaist ne nous faites pas
payer les violons ; Faites en seconde nopces des heritiers
pou Castille, vostre lignée nous suffit. Gaston chassez d’aupres
de vous ce perfide la Riuiere, songez à vous, pensez à
vous & faites mieux, le Bourreau a commencé dans vostre
Hostel, acheuez iusque’au plus coupable, vostre lasche Fauory
est pire que Campy grand Prince, destruisez vostre idole,
il est cogneu, le narquois e’est l’incague qui le reueroit.
Conchine dans le mesme iour fut adoré, pendu, desmembré
& bruslé : Seigneur Iules ayant volé nos Louis sauue tes Coüilles
Parlement t’examine & le peuple t’attend, maudit Particelle,
voleur & scelerat, accompagné de Partisans & d’Intendans,
que Mont faucon te reçoiue à la bonne heure, que
le chion, le loup & le corbeau rongeant t’s entrailles, ven
geant le peuple qui t’eust malheureureusement deschiré, &
vous Messieurs nos Droguistes abandonnez nos carrefours.

 

DIALOGVE DE IODELET ET DE L’ORVIATAN,
sur la Paix.

L’Oruiatan. Remettre d’vn depost, & mespriser la recompense,
c’est trop au temps ou nous sommes, entre François
corrompus de maximes estrangeres.

Iodelet, Mon humeur plus franche que ton metail te rend
sincerement ce qui t’appartient, exempt de mon enuie & de
la main du delateur, sans l’accident que ie craignois dans ce
rencontre, me sentant au dessus des laschetez generales, soufre
que ma satisfaction soit parfaite par le refus de tes presens.

L’Oru. Ie t’admire, que seul tu mesprise ce que le reste des
hommes poursuit auec tant d’ardeur, dispose à l’aduenir, dispose
de moy, de ma personne & de tous mes secrets.

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Iod, Repare seulement deux cartilages qu’vne maligne
verole a rongé au nez de Iodelet, si ton sçauoir le permet, sinon
viuons auec ioye, & allons à la mort auec vn nez pourry,
pourueu que la paix subsiste auec bonne intention de part &
d’autre.

L’Oru, C’est ce qu’on ne peut attendre les fondemens, les
moyens & la fin estans contraires au bien que tu desires, la
necessité forcée y a contraint les deux pattis interessez des
lasches & des ignorans, ont esté les entren etteurs, & le dessein
de surprendre pour se vanger cruel ement est le seul but de la
pacification presente.

Iodelet. Ma Politique ne desbroüille pas aysement ces beaux
raisonnemens : rend les moy plus intelligibles, & t’asseure du
secret, estant deffendu par arrest de dire verité.

L’Oruiatan, Ie le veux sans autre caution que ta preud’homie,
tu sçais combien les Barricades furent sensibles à l’esprit
de la Reyne, les craintes qu’en receut le Seigneur [1 lettre ill.]ules, la
rage des conseillers de nos maux, de voir leurs desseins trauersez
par la suppression des Intendans, & le refus des Edicts
que le petit nombre des gens de bien du Parlement dissipoit
les trahisons des pensionnaires, que le peuple se lassoit de la
tyrannie, & que les fourberies Italiennes estant cogneuës
cõmençoient d’estre detestées, tu sçais les propositions de Tellier,
de Bautru, de Iars & de Seneterre, & qui asseuroient
d’vne vengeance infaillible, & que la rage du Prince de
Condé promettoit dedans peu tous ces subjets, obligerent au
depart clandestin de la veille des Roys, & amenerent
toutes les violeries & pilleries pour destruire ou pour incommoder
Paris : Iusques-icy tout alloit bien, le premier
President & sa cabale destournoit les bonnes deliberations,
il trahissoit auec beaucoup d’adresse, & plus d’impunité, la
feneante ou stupide malice des Generaux luy donnant facile
moyen de ce faire, le bled deueit rare, le murmure frequent,
dans peu le peuple reduit aux abois eust imploré les
plus dures conditions : D’autre costé le Prince de Condé se
rendoit insupportable, traitans la Reyne auec mespris, le
Cardinal auec indignité. Il ordonnoit de tout, commandoit
à tout & prenoit tout, cela fit resoudre de conclurre la paix

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pour l’oster de credit & se deliurer d’vn appuy si dangereux
elle se traicte & s’acheue par des corrompus, & des lasches,
les Generaux y consentent, ne la pouuans empescher, chacun
d’eux l’ayant offerte en son particulier, si la recompense
eust accompagné la trahison : enfin on menace apres la campagne
de remettre les choses pires que deuant, de desquiller
le Prince, destruire le Parlement, & se vanger du peuple.

 

Iodelet.. Quoy dans Anne nous en garde de nouuelles, concertan
l’vn maudit dessein de si longue main : c’est pour cela
que Mazarin pretend s’allier des Vendosmes pour s’oppoier
a Bourbon, le pere est capable de pis, & Mercœur est assez
idiot pour le faire la n’aduienne que Beaufort signalement
estimé consente à cette lascheté.

L’Oru Tu es encore du vieux temps, les Grand Seigneurs
sõt fort capable de tout, tel auiourd’huy refuse qui den ain peut
prier. On ne le peut accuser iusques, mais parmy cette espece
de gens qu’on appelle Princes & grands Seigneurs, il n’y a
soy honneur ny probité° ; leur passion & leurs interests sont les
seules regles de leurs mouuemens. Il est aymé, s’il continuë
& honoré s’il resiste à l’ambition, à l’auarice & à la foiblesse,
par le mespris de l’admirauté, de l’abandon de sa vieille affection :
mais fourbe & sot qui se fiera en perfide ou meschant,
est pour se vanger de l’vn par l’autre & perdre tous les deux
on veut ruiner Condé par Beaufort que l’on traittera à la Batillone.

Iod. Que de ruse pour attraper le credule, iamais la Beaupré
n’en sçeust tant, ny à elle conferé, elle ma conferé, elle ma confessé que tout
le mal qui la perdit ne luy vint que de quelque grand Monsieur
que ie ne cognus oncques que par leurs iustes qu’elle me
communiqua basse vieillesse à ses incommoditez : mais que
fait le Parlement en tout cecy, le peuple l’honoroit & le garantissoit.

L’Oru. Il est descheu de creance, s’il se fust maintenu, vny
& incorruptible : Il restablissoit la France, regloit la Regence,
punissoit les criminels, protegeoit le peuple & le deliuroit
à iamais des fauoris : mais excepté trois douzaine de
fidels & de bonne gens, tout est corrompu, gaigné & malfaisant :
Molé a parole d’vn Chappeau de Cardinal, de Mesme

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de sa charge, de Maisons a pension, de Nemond est possedé,
Viole a fait le veau, le reste du fretin demande, espere,
& attend argent, benefices & Preuosté des Marchands, de
ces Charge on pretend en faire deux, chaque President voulant
produire vn Conseiller.

 

Iod. Quoy, iusques a la barbe du Cagot qui soit d’embuscade
à l’infidelité, estre hypocrite, ambitieux & scelerat,
le Chapeau luy appartient : nul Cardinal depuis long-temps
ne l’eust par d’autres qualitez, fasse mal qui voudra, le surplus
du corps que ne fait il son deuoir.

L’Oruiatan, Ce n’est plus que les restes des Figures de
cet Ancien Parlement, par la souffrance des canailles qui
en ternissent le lustre & en corrompent la pureté, la vente
des charges en recule l’homme d’honneur peu abondant, &
reçoit l’indigent, l’opulent, la vertu, la naissance, le sçauoir
& la probité ne sont plus considerées pour y paruenir, l’argent
seul y donne entrée, la moitié qui le compose n’est que
reiettons d’artisans, de criminels & de Partisans, qui comme
mulets n’engendrent point leurs semblables : iamais enfans
de Traictans ne deuiennent gens d’affaires, le fils portant
robe rouge dont le pere à bonnet vert par vne infame
banqueroute, encore pretendent-ils le respect que l’on deuroit
à ceux dont ils representent l’image des caualiers doctes
& qualifiés honoroient autrefois les charges qui les rendent
maintenant mesprisables : aussi fait-on difference d’vn
ignorant fils de maltote au meritant Officier, desquels on
attend apres Dieu le secours aux maux qui destruisent la
France. Cette trompeuse paix fait elle cesser les pilleries, &
arrester les meurtres, rechercher & poursuiure les autheurs de
ces crimes. Le peuple demande iustice, si vous ne la rendez
exemplaire il la fera violente, la patience est au bout, & l’Estat
a besoin de remede.

Iodelet, Tu parle bien pour vn Italien, ces malheurs m’affligent
ou ie ne peux remedier, tu en sçais trop pour vn Droguiste,
& moy trop peu pour vn bouffon, chacun reprenne
son mestier, prend tes poudres & moy ma farine.

FIN.

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