Anonyme [1652], LE PRINCE POPVLAIRE, ESCRIVANT AVX DEVX COVRONNES, DE FRANCE ET D’ESPAGNE. Leur faisant voir exactement tous les Motifs, & importantes qu’il y a de faire la Paix Generalle. Auec les moyens necessaires pour appaiser les troubles de ce Royaume. , français, latinRéférence RIM : M0_2868. Cote locale : B_16_14.
Section précédent(e)

LE
PRINCE
POPVLAIRE,
ESCRIVANT AVX DEVX COVRONNES,
DE FRANCE
ET
D’ESPAGNE.

Leur faisant voir exactement tous les
Motifs, & importantes qu’il y a de
faire la Paix Generalle. Auec les
moyens necessaires pour appaiser les
troubles de ce Royaume.

A. PARIS,

M. DC. LII.

-- 2 --

-- 3 --

LE PRINCE POPVLAIRE,
Escriuant aux deux Couronnes,
le Roy de France, & d’Espagne.

Leur faisant voir exactement tous les Motifs, &
importances qu’il y a de faire la paix Generalle.

Auec les moyens necessaires pour appaiser les troubles
de ce Royaume.

VOS MAIESTEZ TRES-CHRESTIENNES
ET CATOLIQVES,
Sont tres-humblement suppliées par tous les
Ordres de leurs Estats, de vouloir contribuer
concurremment à vne bonne Paix, pour le repos
de leurs Suiets, & pour le bien vniuersel de leurs
Royaumes. La premiere est vn tribut de soubmissions
le plus desiderable que puissent receuoir les
Princes : Il n’y a que cette sorte d’armes pour les combattre.
Permettez qu’on vous attaque, pour vous vaincre,
puisque Dieu mesme veut estre ainsi vaincu. Mais
comme il n’escoute point que les iustes prieres des supplians ;
aussi ne pouuez vous refuser vne chose, qui en sa
gloire & en son vtilité, porte sa persuasion : Toutes choses
vous y conuient, l’amour de vos peuples vous y porte,
la compassion vous y pousse, la necessité vous y presse,
le sentiment du mal present vous y dispose, & la iuste
crainte d’vn pire succez vous en doit faire apprehender
l’issuë. Les choses ne reüssissent pas toûiours selon nos
proiets, & bien souuent ne respondent point à nos desseins.
Vous pouuez auoir eu de bons mouuemens qui

-- 4 --

vous ont excité à la guerre ; mais ce n’est pas assez pour
rendre vne action bonne, de se proposer vne bonne fin,
le mal qui vient à bien, ne laissé d’estre mal, & ne faut
pas faire vn mal tant petit soit-il, pour l’esperance d’vn
grand bien, ny penser arriuer à la guerison, par les desordres
qui forment les maladies. Il n’apartient qu’à la
la puissance de Dieu de tirer le bien du mal, & de le changer
en vertu. Or la guerre est de tous les maux le plus deplorable,
c’est vne lerne de miseres qui desfigure toute
l’Europe, rend le Corps de la Chrestienté tout sanglant
deschirans les membres les plus nerueux des Estats, bouleuerse
les esprits sans dessus dessous, les meschans sont
tuez pesle mesle, tout ruisselle de sang : On ne voit que
carnage, l’âge ny le sexe n’entrent point en consideration ;
les innocens comme les coûpables sont égorgez, le
petit & l’inferieur fait du compagnon auec le grand, le
fer égale les foibles & les forts, & en quelque main qu’il
soit il peut trancher & blesser. Bref c’est vne confusion
lamentable, dont la seule imagination est horrible, ce
qui auroit fait dire à S. Augustin, que la plus iuste guerre
est à detester, pour auoir naturellement des priuileges
au preiudice de la raison. Quand l’iniustice, le désordre &
la crainte ne l’accompagneroient pas, elle auroit encore
assez d’horreur pour estonner tous les hommes, veu qu’il
y a certains droits de guerre par lesquels il faut passer en
souffrant aussi bien qu’en faisant souffrir. Comme la profanation
des Eglises, les choses saintes foulées aux pieds,
le saint Nom de Dieu blasphemé, les filles & les femmes
violées, la Iustice abastardie, le pillage permis, le degast
des bleds, le bruslement des maisons, les emprisonnemens,
les violences, les extorsions & mille autres indignitez,
qui sont autant dignes de pieté que de punition.
Cette licence militaire n’est pas moins pernicieuse aux
ennemis : tant il est mal-aisé de faire bien, quand chacun
fait gloire de faire mal, & que les crimes deuiennent
exemples & coustumes. Il ne se peut imaginer vn pire visage

-- 5 --

des choses que quand la necessité vient à estre legitimée.
C’est vne fureur qui fait vertu dans la licence des
armes, de tout ce que la raison fait conscience en vn autre
temps. Le siecle de Tybere n’estoit si corrompu ny si
corrompant, qu’encore il y auoit de la vertu à ne point
faire de mal, & de la pitié à ne rien faire d’impie. On rapporte
de Croesus, que lors qu’il fut fait prisonnier de Cyrus,
par cette seule raison, qu’au temps de paix, les enfans
entererẽt leurs peres ; & par vn funeste desordre, les
peres enterrent leurs enfans en la guerre. Il prefera celle-là
sur celle cy comme estant la plus vtile & la plus seure
pour ses affaires. VOS MAIESTEZ ont
assez de bonté pour enuisager telles calamitez publiques,
& se laisser attendrir à de si iustes ressentimens, afin
de verser sur leurs Estats les douces influences de leur benignité.
Il n’y a rien de si dangereux en vn bastiment
que le feu, en vn corps que la fiévre, en vn Estat qu’vne
guerre, qui se finit auec plus de difficulté, qu’elle ne s’entreprend ;
parce qu’il est aisé d’y entrer, mais on ne s’en
retire pas quand on veut : la fin & le commencement ne
sont pas tousiours en vne mesme puissance ; celuy qui
iette le feu sur vn toist, ne l’arreste pas quand bon luy
semble. Pour obuier à tous ces desordres, il faut estouffer
de bonne heure le feu qui brusle la maison, amortir
la fiévre continuë qui consomme le corps, & donner la
paix à l’Estat qui ne respire que pour l’auoir. Vous ne
trouuerez rien qui puisse mieux concilier les affections
de vos Sujets, que de traitter sous le bouclier les conditions
d’vn bon accord & finissant vos debats, demeurer
en vne ferme & perpetuelle amitié que vous pourrez
conter entre les plus doux fruicts de vos felicitez le sçay
bien que la consideration de vos alliances est inferieure
à vos Estats, & que tant elle vient en concurrence auec
vos interests, elle cede aux obligations que vous auez
de vous maintenir : mais ces choses cessantes qui ne doiuent

-- 6 --

pas long-temps durer, les liens de sang & d’affection
vous obligent à vous conioindre par ensemble inseparablement.
Cette vnion d’amour, & charitable association
de vos volontez, remettront vos Estats dans
vne douce & tranquille liberté, & vous feront iouyr
d’vn repos asseuré. Comme il ne faut iamais s’esloigner
du port, quand il est descouuert ; il ne faut pareillement
se reculer de la Paix, quand I’occasion s’en presente, &
qu’elle est autant profitable à l’vn, qu’elle peut estre vtile
à l’autre ; quoy que l’opinion de quelque fauorable euenement,
puisse fomenter nos esperances d’vn plus heureux
succez : La commune vtilité & necessité de la Paix,
se doit tousiours preferer à vne iuste guerre, à toute autre
prosperité qu’on en pourroit esperer. L’Empereur
Martian auoit accoustumé de dire que l’on ne deuoit iamais
entrer en guerre, quand l’on pouuoit demeurer en
repos, paroles certes dignes d’vn grand Monarque : les
conditions paisibles & sans effusion de sang preuaudront
tousiours les perilleuses, sans en experimenter le hazard,
ny les dangers de la fortune. Il n’y a victoire plus glorieuse
que celle qui s’acquiert en espargnant la vie
des siens, & conseruant l’honneur de la Iustice de sa
cause. Les Princes grands en vertu, aussi bien qu’en
puissance, ne recherchent autre recompense de leurs
trauaux, que la gloire d’vn repos asseuré dans les
accommodemens necessaires à leur party, & egalement
salutaires à leurs peuples, pour leur commune tranquillité :
Il vous doit suffire, ce semble, d’auoir fait
vn essay de vos forces, & mesuré vos courages par la
longueur de vos espées, sans vous interresser dauantage
à passer plus outre, & vous plonger dans des inimitiés
autant irreconciliables, qu’immortelles, & qui vous porteront
auec le feu & les flammes au beau milieu de vos
Estats, pour les embraser & consommer en cendre.
Voudriez-vous que la fureur de vos armes s’emparast

-- 7 --

tellement de vos courages que les haines & les vengeances
esteignissent l’embrasement de vos Prouinces, par la
ruine des hommes & la desolation de vos Villes, & que
vous demeurassiez en doute, duquel des deux vous auriez
plus de perte ? Destournez, s’il vous plaist, ces mauuaises
pensées de vos Conseils : ramenez vos esprits à la
concorde, & ioignez ensemble vos Armées, pour les employer
courageusement à la commune defense de la Foy
que vous professez, pour l’auancement de la gloire de
Dieu, pour l’honneur de son Eglise, & pour seruir les
Chrestiens affligez. Le sujet est pressant, le pretexte non
seulement specieux, mais, helas ! trop veritable, de voir
le Turc ennemy conjuré de nostre salut, auancer ses conquestes
parmy vos dissensions, & s’auantager en ses progrez
aux despens de toute la Chrestienté. Pourroit-il
souhaitter vn temps plus propre à ses desseins, que la
discorde d’entre vos deux Couronnes, & fomenter ses
ambitions, que dans la des vnion de vos volontez ? lesquelles
ralliées & raffermies, sont capables, non seulement
de l’obstacler ; mais de le poursuiure à toute outrance,
& remettre la Croix en ses pays, auec autant
d’honneur, qu’honteusement & auec ignominie, on en
auroit souffert l’enleuement ? Ne vous consommez point
vous-mesmes par vos contentions reciproques ; quittez
les entreprises que vous auez les vns sur les autres ; relaschez
quelque peu de vos droits & enuoyés coniointement
vos armées au deuant de cét Infidel, qui n’a point
d’autre espoir de son agrandissement, que dans vostre
mesintelligence & la dissolution de nos mœurs. Faites
que doresnanant ce soit le suiet de vos conquestes, l’exercice
de vos Armées, le relief de vos trophées, & l’apareil
de vos triomphes. Estouffez les transports, & premiers
mouuemens de vos coleres, qui font conuertir
vostre amour en haine, dont les commencemẽs ont esté
si terribles, la continuation si deplorable, qu’il est à craindre

-- 8 --

que la fin n’en soit encore plus desastreuse. Et comme
dans toutes sortes d’affaires, il suffit que les dernieres
actions qui les terminent soient bonnes ; pour faire oublier
celles qui dans le commencement de l’execution
paroissoient peut-estre iniustes : de mesme si vos Maiestez
terminoient leurs differents, & qu’il leur pleust finir
la guerre par vne bonne Paix, elles verroient, sans
doute, leurs Suiets gouster sauoureusement la douceur
de son fruict, par vne oubliance volontaire de tous les
maux qu’ils ont esté contraits de souffrir, pour respirer
vn air beaucoup plus doux & salutaire. La Panthere
apres les longues pluyes n’exhale pas vn parfum si odorant,
que la Paix semblera douce, apres les longues inondations
de sang & de larmes qu’vn torrent de miseres
nous aura laissé. Toutes les amertumes du passé se conuertiront
en miel, & les maux en douceurs. Qu’il plaise
donc à vos Maiestez d’en vouloir volontiers entendre
les propositions, & ne vous en point departir que vous
n’ayez entierement fait voir â vos sujets le soin que vous
auez de leur conseruation, comme aussi de les mettre à
leur aise & à l’abry des vexations qui les tourmentent
le plus. Ils vous prennent à garends de tous les maux
qui leur arriuent, & ne se contentent pas seulement de
tout ce que vous pouuez, mais ils desirent de vous, tout
ce qui leur est necessaire : & semble que vostre qualité
vous oblige à leur donner tout ce qui leur est besoin ; puis
que sçauoir regner est les tenir en repos, & comme suspendus
en l’admiration de vos effets, sans donner temps
à leurs pensées, de se remplir d’autres affections. Que si le
salut de vos peuples doit estre la fin de tous vos trauaux,
il faut que la iustice qui le produit & le conserue, soit la
fin de tous vos desirs, dans l’entretien d’vne profonde
tranquillité. Qui veut attirer le peuple à sa deuotion, &
faire fond de sa bienveillance, le doit soulager en ses oppressions :
Car il tient pour ennemy tout ce qui luy fait

-- 9 --

du mal, & ne iuge de la Iustice de la guerre, que par le
bien qu’il en reçoit. Il n’y a charme plus puissant à vous
rauir les cœurs, & qui puisse insinuer vostre authorité en
son plus haut degré que de faire reuerdir ce beau rameau
d’oliue, que les Pleiades de vos Estats tachent de cultiuer
dans vos affections, comme Cigales enuoyées du Ciel,
pour ranimer l’harmonie du doux & agreable accord de
volontés. Croyez asseurement qu’il poussera des fleurs
non moins agreables qu’odoriferantes, & capables d’embaumer
toutes vos Prouinces. Toutes choses se remettront
en leur ordre, & la Iustice sera épanchée & diffuse
tout, comme l’ame par tout le corps. Outre ce vos commandemens
ne seront pas plustot receus qu’executez,
dans l’applaudissement vniuersel de tous les Princes
Chrestiens, auec mille benedictions, & affluence de tous
biens ; Vous en verrez, Dieu aydant, les effets auec acclamations
& resiouïssances publiques, lors qu’on en
portera à tout le monde les heureuses nouuelles, qui ne
viendront iamais si tost qu’elles sont desirées : & ne
s’escouteront pas auec moindre plaisir & de volupté,
que celles que les Grecs receurent autresfois de leur
liberté, qui furent publiquement annoncées sur le theatre
de Nemée, auec vne si grande clameur, que les
Corbeaux qui volerent fortuitement au dessus, furent
tellement estonnez de la voix, qu’ils en tomberent au
milieu de la place. Les peuples de l’Europe aspirent &
conspirent à ce commun bien, les plus esloignez le trouuent
iuste, les voisins vtile, les interessez necessaire
& n’y a personne qui ne le souhaitte & ne s’en resouïsse.
Vous auez prez de vos Maiestez de puissans
& prudents Ministres qui peuuent par leur sage conduitte
ramener les affaires du trouble à la bonace, &
dans I’intrigue de la confusion, se démesler aisement des
difficultez, que l’on sait naistre bien souuent dans l’apprehension
de n’en pouuoir sortir à son honueur. Authorisez

-- 10 --

leurs conseils, & comme les bons Patrons de Nauires
font vne partie de la besongne eux mesmes, & se
dispensent de l’autre : appellans quelques vns à la poupe,
ausquels ils mettent le timon en la main : Vous pouuez
en la mesme façon, choisir des plus affidez de vos secrets,
& confier à leur prudence la direction de vos plus hauts
desseins : afin de les porter iusqu’au dernier point, & le
plus absolu de vos volontez, sans que pour cela vostre
authorité en soit aucunement diminuée, ny la force de
vostre Souueraineté en rien du monde amoindrie : Ne
plus ne moins que la diuision de la main en cinq doigts,
n’affoiblit pas la force de toute la main ; mais la rend plus
propre & plus commode à l’vsage de tout artifice. De
mesme aussi, Vostre Maiesté communiquant partie du
maniement de ses affaires à ses plus intimes & fauorits,
ausquels elle a fait part de ses trauaux & de ses peines, reposant
son soing sur leur diligence, fera que les choses
en iront beaucoup mieux, & se traitteront auec plus de
facilité dans l’ordre des suprémes commandements. On
garde tousiours l’anchre sacrée pour les grandes & orageuses
tempestes, le credit & l’authorité pour les grandes
occasions, que les petites ne doiuent pas espuiser afin
que les grandes la rencontrent entiere. Et comme les
deux Galeres, qu’on nommoit à Athenes la Saminienne
& la Parolos n’estoient équippées & mises en pleine
Mer pour toutes sortes sortes d’occurrence & d’affaires,
mais seulement pour les causes vrgentes & necessaires
qui concernoient les choses grandes & difficiles. Ainsi
pouuez vous employer les Plenipotentiaires de vos
Estats pour la conduite des affaires de vos Royaumes,
qui regarde entierement le bien de vos Prouinces, &
par leurs salutaires aduis, moyenner la reconciliation
de vos Couronnes, & donner la Paix à vos subiets. Il est
desormais temps de secouer cette poussiere Martilae,
pour jouir des douceurs d’vne vie plus tranquille, esloignée

-- 11 --

de tous bruits & sans apprehension des douteux
euenemens des combats. Vous auez assez éprouué
l’inconstance de la Fortune, & comme vous auez esté
heureux en quelques rencontres en d’autres aussi, vous
auez senty la fureur de ses orages :

 

 


Miscens aduersa secundis,
Seruauit fortuna pares.

 

Mettez vous à couuert de ses bourasques, sans vous ruiner
vous mesmes par vos diuisions : Il n’est pas iuste ny
raisonnable d’auoir tousiours les armes en la main, vous
aurez beaucoup plus de satisfaction à terminer vos differents
par la Iustice, & les Loix de vos prudences, que
par l’issuë d’vne bataille autant funeste que sanglante,
qui ne vous pourroit apporter que du trouble & des renouuellemens
de plaintes : Il ne faut iamais commettre
à la Fortune, ce qui se peut terminer & faire par conseil.
Tybere se glorifioit grandement de ce qu’ayant esté neuf
fois enuoyé en Alemagne par Auguste, il auoit plus
heureusement reüssi par prudence ; que par la force ;
il estoit plus content d’auoir affermy la Paix par son
Conseil, que par ses armes : Et pour monstrer qu’il en faisoit
grand estat, il escriuit au Senat le commencement
& l’issuë de la Guerre des Autunois qu’il eut contre
Sacrouir, où il leur mandoit que les Ambassadeurs s’y
estoient gouuernez dignement auec vertu & fidelité, &
qu’il n’y auoit pas moins trauaillé par son conseil. Aussi
n’est-ce pas moindre gloire à vn grand. Capitaine de se
monstrer sage en ses actions que courageux. Cela se remarque
chez les Grecs-en leurs sacrifices qu’ils faisoient
pour la Victoire, & particulierement en la Ville de Sparte ;
le Capitaine, qui par vne voye amiable estoit venu
à chef de son entreprise, sacrifiot vn bœuf à leur Dieux,
là où celuy qoi l’auoit fait par bataille, ne sacrifioit
qu’vn coq, pour donner à entendre que l’exploit conduit
par raison est p’us grand & plus conuenable à

-- 12 --

l’homme, que celuy qui est executé par hardiesse & la
force des armes. Ce qui auroit fait dire à ce graue Archidamus
comme on le loüoit extremement de ce qu’il
auoit dompté les Arcadiens ; il seroit encore meilleur,
dit-il, que nous les eussions vaincu auec prudence qu’auec
la force. Et le peuple Romain autres fois le dompteur
de toutes les nations, l’Empire duquel se trouue
maintenant comme partagé entre vos deux Puissances,
ne rendit-il pas plus de peuples & de Prouinces sujettes à
luy auec la clemence & la douceur, qu’auec tant de
combats & batailles rengées ? Les Princes doiuent tousiours
autant qu’ils peuuent, conseruer & garder ce que
leurs predecesseurs leur ont acquis ; & le defendre par
Iustice, plustost qu’auec le sang, par raison & bonne
cause que par les armes au poing. Tout le fruict de la
Guerre, est la Paix mais qui pourroit recuëillir ce doux
fruict, beni du Ciel & desiré de la Terre, sans arrouser
les Palmes de sang & les Oliuiers de larmes, ne seroit
ce pas le meilleur ? Qui doute que les halenes des Zephyrs
ne soient plus agreables que le soufle des Aquilons,
& les voyes de douceur ne soient tousiours les
meilleures, & les plus auantageuses pour les Monarques,
qui ne peuuent mieux que par la clemence, monstrer
qu’ils sont les viues images de Dieu ? La felicité
d’vn Estat se mesure par les années de la Paix : plus de
temps il demeure paisible, plus son establissement est
heureux.

 

Que pensez-vous tirer de la continuation de
la Guerre ? sinon le desplaisir & le regret de sa longueur,
qui minera vos forces, tarrira vos tresors,
& espuisera entierement le fond de vos Finances.
Quelle esperance d’vtilité, dans vn grand affoiblissement ?
Quelle image de gloire dans vne

-- 13 --

calamité publique, ou si l’on veut peser les
pertes auenuës à l’vn & à l’autre party, les victorieux
& les vaincus, auront presque mesme
partage de leurs souffrances : ceux là s’accompagnent
ordinairement de cruauté & d’impieté,
ceux-cy de miseres & d’infortunes, & vne ruine
vniuerselle les enuelope tous. L’on n’entend que
voix lugubres, & clameurs effroyables de vos peuples
effarez, le cliquetis des armes & le tintamare
des Trompettes les fait cacher dans les bois.
Ils n’ont plus d’autres retraites, que le repaire
des loups, & la taniere des renards. Ils sont tellement
affligez, & ruinez en leurs biens, que
battus & excedez à toute outrance, dechassez de
leurs foyers, mis hors de leurs maisons, priuez
de toute possession & demeure, rien ne leur reste
que la voix qu’ils font resonner à vos oreilles,
par le plaintif de leurs plus tristes accents. Les
cœurs les plus diamantins se fendent à leurs clameurs,
& les plus glacez s’y fondent, tant ils
sont saisis d’horreur & d’estonnement tout ensemble.
Prenez donc, de grace, puis que vous en
estes les distributeurs, compassion de leurs miseres,
& vous laisser toucher du moins à la pieté.
Les ames genereuses ne se rendent point insensibles
aux ruines & desolations qui naissent des
Guerres publiques. Charles Duc de Berry, frere
de Louys XI, apres la bataille de Montlhery, disoit,

-- 14 --

qu’il eust mieux aimé que les choses n’eussent
iamais esté commencées, que de voir tant de
maux arriuer à son occasion ; tant il se sentoit pressé
de compatir aux cruautez qui se commettoient
deuant ses yeux : le regret de la perte de tant de
braues courages, qui demeurent & meurent le plus
souuent aux perils, où ils courent des premiers, luy
faisoit deplorer les causes d’vne Guerre qui se pouuoit
conuertir en vne bonne & florissante Paix.
Les grands cœurs se serrent aux tragiques effets
de la Fortune, & souspirent auec les affligez,
soit que par vn secret consentement, ils participent
à leurs disgraces, ou qu’ils craignent en eux-mesmes
ce qu’ils voyent arriuer en autruy, apprehendant
de tomber au mesme malheur. Les vicissitudes
des choses humaines n’ont rien de plus
égal icy bas que leurs inconstances. Le bon-heur
ne frappe pas tousiours à vne mesme porte : l’esperance
& l’opinion sont les doux venins de la
Guerre, ceux qui les goustent par trop, y trouuent
leur desastre. Considerez, s’il vous plaist,
qu’vne bonne Paix est beaucoup meilleure & plus
seure qu’vne victoire esperée, celle là depend de
vos arbitrages & dispositions ; celle-cy de la main
du Tout-puissant. Sacrifiez vos vengeances sur
l’Autel de la Concorde, & faites vne victime
sans fiel, pour la revnion de vos cœurs diuisez

-- 15 --

vous vainquerez ainsi sans combattre, & les fruits
en seront dautant plus doux, qu’ils seront recuëillis
sans peril, N’ayez plus d’autres pensées
qu’à l’affermissement de vos affections, renoüez
vos anciennes alliances, & vous retranchez tant
soit peu de vos pretentions pour le repos de vos
pays, le soulagement de vos Estats, le rasseurement
de vos Couronnes ; & le grand Dieu des
armées benira vos Conseils, & vous comblera
de ses felicitez.

 

FIN.

-- 16 --

Section précédent(e)


Anonyme [1652], LE PRINCE POPVLAIRE, ESCRIVANT AVX DEVX COVRONNES, DE FRANCE ET D’ESPAGNE. Leur faisant voir exactement tous les Motifs, & importantes qu’il y a de faire la Paix Generalle. Auec les moyens necessaires pour appaiser les troubles de ce Royaume. , français, latinRéférence RIM : M0_2868. Cote locale : B_16_14.