Anonyme [1650], LE RETOVR DV PRINCE DE CONDÉ dans le ventre de sa mere. Vnde excunt flumina inde reuertuntur. "Ce fier Torrent dont la rage & l’enuie, / Rauagêt tout, sans ordre ny raison, / S’est englouty dans la mesme prison / Où il auoit receu l’air & la vie." , français, latinRéférence RIM : M0_3530. Cote locale : D_2_44.
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Le Retour du Prince de Condé
dans le ventre de sa mere.
STANCES.

 


Tout change & passe en l’Vniuers,
Le calme succede à l’orage,
Apres l’aspreté des Hyuers
Le Zephire reprend courage,
Le mal-heur talonne de prés
Le bien, le plaisir, les excez,
On pleure apres beaucoup de ioye,
Et la Parque trompeuse auecque son fuseau
File auiourd’huy nos iours de soye
Pour les changer demain peut-estre en vn cordeau.

 

 


L’horrible foudre des Canons
Est souùent de la paix suiuie,
Et l’on voit que les Alcions
Apres la tempeste finie
Font leur petit nid sur la mer
Où le Nocher n’osêt ramer,
Crainte qu’il auoit de la rage
Du flot imperieux, baueux & escumant,
Qui le menaçoit d’vn naufrage
Et d’vn triste debris en ce traistre Element.

 

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On verse abondance de pleurs
Apres estre yure d’allegresse,
L’Aquilon met toutes les fleurs,
Et la terre dans la tristesse,
Apres qu’il a regné content
On voit parêtre le printemps
Qui tant craignêt ce Floride,
Et dont le soin benin, aimable & gracieux,
Cachêt aux traits de cét auide
Le vif esclat des fleurs qui paroit à nos yeux.

 

 


Tel est grand auiourd’huy en Cour
A qui le sort possible appreste
Demain, ou bien quelqu’autre iour,
Vn bourreau pour coupper la teste,
Vn châcun courre dans l’Estat
Apres l’ombre & le vain esclat,
Tel est prisé plus qu’Alexandre
Qui n’est pas plus vaillãt qu’estét le Cadet gris,
Et celuy là nous pensêt prendre
Qui luy mesme en ses rets enfin se trouue pris.

 

 


Auiourd’huy le calme nous rit
Et nous fait voir son beau visage,
Nostre esperance refleurit,
Et le Bourgeois reprend courage,
Enfin nos desirs sont contens,
Et nous verrons dans peu de temps
Le retour de la belle Astrée,
Puisque le fier demon, qui l’a sceut diuertir,
Et mettre hors de nostre contrée
Est reclus en vn lieu, d’où il ne peut sortir.

 

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Condé, cela s’addresse à vous,
N’auez vous point la souuenance,
Que vostre bras plein de courroux
Fit l’an passé gemir la France,
Vous souuient il que le Bourgeois,
Le Roturier, le Villageois,
Le Noble, le pupil, la vefue,
Ressentit la rigueur des dures loix de Mars,
Sans qu’il y eut aucune trefue
Aux maux que vostre main faisêt de toutes parts.

 

 


On a veu porter les tisons,
Chose qui ne voit point d’exemples,
Sur nos Chasteaux, sur nos Maisons,
Et mettre le feu dans nos Temples,
Les Ciboires ont esté pris,
Les Prestres traictez de mespris,
L’Eglise seruy de tuerie,
Et ce que ie voudrés ne d’escrire en ce lieu
Du massacre humain ? ô furie,
On à osé passer au massacre de Dieu.

 

 


Ie le dis vn chacun le sçait
Comme on traicta l’Eucharistie,
Et que pour comble du m’effait
On balotoit la saincte Hostie,
Qu’en apres au sçeu des Chrestiens
On en à veu ietter aux chiens,
Traictant d’vne façon infame
Ceste manne & ce pain des Angẽs & des Saincts,
Qui sert de nourriture à l’ame,
Et seul peut purifier nos cœurs, & nos desseins.

 

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D’vn feu lascis & violent
Sans redouter de Dieu les verges
On voit le Soldat insolent
De fleurer la Nonne & la Vierge,
Et où ? aux pieds de nos Autels
Où nous offrons aux immortels
Ceste chaste & saincte victime
Le Corps de Iesus-Christ tout pur & innocent
Pour l’expiation des crimes
Et des forfaits passez, à venir, & recens.

 

 


Tant de meurtres, d’excez commis
De massacres, de violences,
D’hostilitez des ennemis,
De sang respandu dans la France,
De saccages, de boute-feux,
De Riches gens deuenus Gueux,
D’assassinats, & de furies,
Mille desbordemens, l’vn de l’autre suiuis,
Vn chacun le croit & le crie
Que vous seul les auez causez par vos aduis.

 

 


N’est ce pas vous pareillement
Qui nous rauistes ce bel astre
Dont le funeste enleuement
Fut suiuy de tant de desastres,
La nuict de la feste des Roys
Contre la raison & les Loix,
Paris se vit sans son Monarque
Et ce Ieune Soleil, qui nous donne le iour
Se trouua sans esclat pour nous & sans amour.

 

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Que de pleurs, de gemissemens,
Que de sanglots, de cris funebres,
Quand la Ville & le Parlement
Se trouuerent dans les tenebres,
En toute place & en tout lieu
Châcun faisêt priere à Dieu
De mettre fin à nos alarmes,
Et de deuotion le Bourgeois embrasé
En gemissant versêt des larmes
Pour esteindre le feu que vous auiez causé.

 

 


Enfin comme apres vn effort
De l’orage & de la tempeste
Qui menacêt le monde à mort
Et semblêt fondre sur nos testes,
On voit parêstre le Soleil
Plus clair, plus beau, & plus vermeil,
Nous darder des traits de lumiere,
Ainsi nostre Monarque apres tant de debris,
Par les bons aduis de sa Mere,
Auec que plus d’esclat est entré dans Paris.

 

 


Nous le tenons ce Potentat,
Ce tresor du siecle où nous sommes,
Qui doit enrichir cét Estat
Par la perte des mauuais hommes,
Prenez le vol meschans Corbeaux,
Loin de luy funestes oyseaux,
Oyseaux de proye & de carnage,
Autrement son Conseil afin de vous punir
Vous fera bien tost mettre en Cage,
Et c’est le plus doux mal qui vous puisse aduenir.

 

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De Condé i’entens tes souspirs,
Toutes tes trances, & tes peines
Que nous rapportent les Zephirs
Qui viennent du Bois Vincennes,
I’exprime en mon entendement
Tous les regrets & les tourmens
Dont ton ame se voit blessée,
Et tout cela me donne vn subiet de crier,
Dieux, qui l’eust eu dans la pensée
Qu’vn tel foudre de guerre eust esté prisonnier.

 

 


Mais quoy ? ton pere l’a esté
Au mesme lieu quatorze années
Henry fut ainsi arresté
Par l’equité des destinées,
Il faisêt tout ainsi que toy,
Troublêt l’estat, trompêt le Roy.
Beant apres toutes les charges,
Partant c’est sans raison que tu cris auiourd’huy
De despit, de fureur, de rage.
Si de mesme façon on te traite que luy.

 

 


Et puis n’est-ce pas la raison
Qu’vn bon enfant suiue son pere,
Es tu de plus grande maison
Pour t’exempter de sa misere,
Ta mere t’a donné le iour
Dans la prison non à la Cour,
Par ainsi tu dois sans Castille
Aimer plus ce sejour, où l’on t’a destiné,
Que les Louure, ou la Bastille,
Car vn chacun cherit le lieu où il est né.

 

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Là tu te peux entretenir
Auec les Liures & l’Histoire,
Pour diuertir ton souuenir
Des peines de ton Purgatoire ;
Boëce est vn fort bon Autheur
Qui peut bien charmer ta douleur
Si tu prens le soin de le lire,
Sa Consolation est vn digne entretien,
Son langage fait qu’on l’admire
Et pour d’vn mauuais homme en faire vn bon Chrestien.

 

 


Si tu te fusses maintenu
Dans l’esclat, l’honneur, & la gloire
Où tu te voyois paruenu
Par tes combats, & tes victoires,
Que ton orgueil n’eust point fané
Le renom que t’auoit donné
Vne odeur si belle & si bonne,
Tout Paris maintenant pour bien heurer ton sort
T’offrirêt la mesme couronne
Que t’arrache des mains le Grand Duc de Beaufort.

 

 


On sçait que l’inclination
Porte souuent à beaucoup faire,
Que la predestination
Est vn secret que tu veux crêre,
Quoy qu’il en soit n’accuse pas
Celuy qui mesurant tes pas
Borne ton humeur libertine,
Ouure plustost, Condé, la bonde de tes yeux
Pour flechir la bonté diuine,
Que ta bouche aux regrets dont tu remplis ces lieux.

 

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Medite apres sur tes forfaits,
Sur tes pechez & sur tes crimes,
Sur tous les maux que tu as faits
Par colere, ou bien par maxime,
Songes aux pauures Villageois,
Aux Artisans, & aux Bourgeois,
Aux Prestres, aux Lais, & aux Nonnes,
Que ton bras furieux a mis bas & destruis,
Apres tu diras, Ie m’estonnes
De ce qu’on ne me traite auec plus de mespris.

 

 


De fait, qu’est ce que la prison
A l’esgard de tant de rauages
Que la Seine en cette saison
Veit l’an passé sur ses riuages ?
Encore n’est ce pour cela
Que ce Prince a esté mis là,
On tient que c’est pour autre chose,
Ie le crois, & la lettre escrite au Parlement
(Pour en tenir la bouche close)
En descrit le sujet assez ouuertement.

 

 


Quoy qu’il en soit resiouïssez vous,
Ieunes & vieux, femmes & filles,
Et priez Dieu à deux genoux
Qu’il protege vostre grand’ville,
Faites le soir & le matin
Danses, nopces, banquets, festin,
Sautez d’allegresse & de ioye,
Vous le pouuez sans crainte en hyuer, en esté,
Puisque ce courage de proye,
Cet horrible demon est pris & arresté.

 

FIN.

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Le premier Apostre marchant
Sur l’eau à pied sec vers son Maistré ;
Lecteur, te fera mieux connéstre
Qu’auecques son glaiue trenchant,
Dont il couppa l’oreille au valet du grand Prestre,
Le nom de celuy-là dont le petit esprit
A donné iour à cét escrit.

 

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