Anonyme [1649], LE RETOVR ET RESTABLISSEMENT DES ARTS ET MESTIERS. VERS BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_3533. Cote locale : C_8_60.
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LE RETOVR
ET
RESTABLISSEMENT
DES ARTS
ET
MESTIERS.

VERS BVRLESQVES.

A PARIS

M. DC. XLIX.

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LE RETOVR
ET
RESTABLISSEMENT
DES ARTS
ET MESTIERS.

 


Enfin la guerre & ses supposts,
Ennemis de nostre repos,
Apres de si longs tintamarres,
De tumultes & de bagarres,
Chassé par Madame la Paix.
Laissent la France desormais,
Mars ce frippon chef de soudrilles,
Qui a retiré ses guenilles,
Il a maintenant du dessous ;
En effet nous estions bienfous,
De nous battre, & nous entremordre,
Et de fomenter le desordre,
Qui nous mettoit au breniquet ;
Au lieu de donner le paquet,
A ces destructeurs de campagne,
A ces goulfarins d’Allemagne,
A ces ladres de Polonois,
A ces puissants casseurs de noix,
A ces grands abbateurs de quilles,
Ces ribauts embrocheurs de filles,
Ces gloutons & ces saccauins,
Et c’estoit estre bien peu fins,
D’anneantir nostre cuisine,
D’obseruer la triste lesine,
Et de manger du pain de son ;
Cependant que maint polisson,
Gras comme vn pourceau dans son auge,
A nos despens viuoit abauge,
Mangeoit la caille & la perdrix,

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Beuuoit vin de Candeperdris,
Et paroissoit mordre à la grappe,
Lors qu’il faisoit dancer priape.

 

 


Mais que pensions nous attraper,
En nous laissant ainsi dupper,
Gardant soigneusement nos portes,
Auec de nombreuses cohortes,
Et nous tenans dans nos remparts,
Enfermez comme des renards,
Pourquoy sous ombre d’en descoudre,
Mettre tout nostre argent en poudre,
N’ayant pas pour auoir du pain ;
Endurer le froid & la faim,
Et pour l’interest d’vne ligue,
Souffrir cette rude fatigue ;
Pendre tous les mestiers au croc,
Respirer le sang & le choc,
Et dans le tumulte & le trouble,
Despenser iusqu’au dernier double.

 

 


Ho que le bon Dieu soit loüé,
On nous a trop long-temps ioüé,
Nous reconnoissons bien l’intrigue,
De cette dangereuse ligue,
Qui nous alloit mettre aquia,
Il faut chanter Alleluya,
Pour cette paix inesperée,
Sans qui, nostre perte asseurée,
Et la ruine de nos maisons,
Nous aurions esté comme oysons,
Pris par le bec ou par les aisles,
Les armes ny bonnes ny belles,
Au lieu d’apporter du profit,
Rendent vn peuple desconfit,
Et la Paix la plus delabrée,
Fust-elle double ou bien fourée,
Vaut mieux que l’appareil pompeux,
D’vne guerre ou mesme de deux,
Ma foy c’est vne sotte enuie,
De manquer à gagner sa vie,
Pour attraper quelque guignon,
Dans la fripe ou sur le tignon,
Ie n’estime point la conqueste,
Acquise au despens de la teste,
Et c’est le vray plaisir d’vn fou,
De se faire casser le cou.

 

 


Puisque la guerre est hors de France,

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Fils de putain qui recommance,
Que le diable luy crache au cu,
Et qu’il soit reputé cocu,
Chassons au grat cette canaille,
Ne songeons qu’à faire gogaille,
Mais remplissons auparauant,
Nos bources si pleines de vent,
Exerçons nos bras sans relasche,
Et prenons le trauail à tasche,
Pour r’attraper tous nos Louys,
Qui se sont comme esuanoüis,
Durant cette guerre ciuille.

 

 


Paris l’incomparable ville,
Va iouyr d’vn siecle doré,
Puisque l’accord est asseuré,
Ceux que le trouble, la famine,
Et la froideur de la cuisine,
Auoient chassé comme inconnus,
Reuiennent ou sont reuenus ?
Les Muses que le bruit des armes,
Durant ces brutalles allarmes,
Auoit contraint de se cacher,
De se tapir, & se nicher,
Trouuant nos terres trop ingrattes,
Dans les secrettes casemattes,
D’Helicoude qui les remparts,
Sont retranchez de toutes parts,
De quitter les Vers & la Prose,
Et là de ne faire autre chose,
Que croquer tousiours le marmot,
Sans oser dire vn petit mot :
N’ont plus des visages si mornes,
Commencent à monstrer les cornes,
Reprennent l’vsage des vers,
Sautent, dancent, chantent des Airs,
Donnent le bal, font Comedie ;
Et desia la belle Vranie,
Remonte & r’accorde son but,
Ce sol vt fa, Ge resolut,
Sout les clefs dont Clio se pique,
D’ouurit la porte à la Musique,
Et Melpomene fait les vers,
Qui vont seruir à nos concerts ;
Enfin chacune se prepare,
A quelque chose de bien rare,
Chacune reprend son caquet,

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Et songe à faire son paquet,
Pour venir au Mont sainct Hilaire,
Faire sa demeure ordinaire.

 

 


Tous les Docteurs & les Pedans,
En desmarche de Presidens,
Vont au deuant de ces neuf Muses,
Pour leur faire quelques excuses,
Et de beaux compliments Latins,
Sur nos desordres intestins,
Qui causant leur triste retraite,
Les fit déloger sans trompette.
On recommance les leçons,
Professeurs de toutes façons,
Affichent à tons coings de ruë,
Qui fait faire le cou de gruë,
Aux curieux, aux Escholiers,
Aux cuistres, & fesse cahiers.
Desia la noble Imprimerie,
Retourne à la Pedanterie,
Et quitte-là les rogatons,
Pour les Arrests & les Factums,
Courier François, pieces grotesques,
Pasquins, Triolets, vers Burlesques,
Si renommés par le passé,
Ont maintenant le nez cassé :
Col porteurs reduits aux Gazettes,
N’emplissent plus tant leurs pochettes,
N’ont plus la vogue qu’ils auoient,
Ne boiuent plus comme ils souloient ;
Et maints qui faisoient ce commerce,
Voyant leur balle à la renuerse,
Se torchans le cul des cahiers,
Reprennent leurs premiers mestiers,
Les Relieurs & les Libraires,
Remis à leurs trains ordinaires,
Battent Ciceron d’vn marteau,
Habillent vn Virgile en veau,
Et debitent dans leur boutique,
A la grimaille Scholastique,
Quelques donets demy pouris,
Pendant les troubles de Paris.
Procureurs & gens de chicane,
Reprennent bonnet & soutane,
Et vont ruiner tout de nouueau,
Du plaideur, & bource & cerneau.

 

 


Les Peintres acheptent des toiles,

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Et des couleurs toutes nouuelles,
Decrassent brosses & pinceaux,
Ostent la poudre des tableaux,
Escurent godets & palette,
Pierre à broyer, cousteau, molette,
Raffistollent tous leurs crayons,
Et leurs autres brinborions.

 

 


Les Graueurs pendant que les troubles,
Employoient tout le cuiure en doubles,
Estoient des plus humiliez,
Au rang des pechez oubliez ;
Taille-douce estoit abolie,
Et Madame melancholie,
Portoit les suppots de cét art,
A dire le diable y ait part.
Le pain estoit la seule Image,
Pour qui l’on mettoit tout en gage,
Bagues, ioyavx & demi-ceint ;
Sans reuerer saincte ny saint,
Sinon Madame saincte frippe,
Fauorable au mal de la tripe,
Maintenant petit à petit,
Ils se remettent en credit,
Affiche Confrairie, ou These,
S’en vont les remettre à leur aise,
Et l’eau forte auec les burins,
Leur seront venir des quouatrins.

 

 


L’Orlogeur d’eschoppe, & de lime,
Fort & ferme, agit & s’escrime,
Les mouuements & les ressorts,
Sont cause qu’il traite son corps,
Et qu’il s’en baille par les iouës,
Vinant sur la corde & les rouës,
Ou les autres trouuent la mort.
Ainsi que luy pas ne s’endort,
L’Orpheure, bat dessus l’enclume,
En pourpoint sans crainte du rume,
Cisele, repare, & brunit :
Le Bahutier fait plus de bruit,
Comme l’on dit que de besoigne.
Le Sculpteur d’vne guaye trogne,
Prend le maillet & le cyseau :
Le Serrurier lime & marteau :
Le Tisseran, Peigne & Nauette,
L’Organiste son Epinette,
Le Tourneur sa plane & son tour :

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Le Patissier remet au four,
Les Friandes patissieries
Que la faim en auoit bannies :
Le Chaudronnier fait poelle ou pot :
Menuisier reprend son rabot,
Charpentier madame coignée,
Et la Lingere embesognée,
De pointe d’Eguille & de cu,
Tasche de gaiguer sou escu.

 

 


Le Coutelier fait des lancettes,
Lunetier, lunette a facettes :
Le Guainier leur fait des estuis :
Le Peigner des peignes de buis
Ou de cornes à mettre à la teste,
L’Espronnier pour homme & pour beste,
Forge des esprons & des mors :
Les Brodeurs pour, les esprits forts,
Inuentent de nouuelles modes,
Les Tapissiers font des custodes,
Les Chappeliers des chappeaux sins :
Cordoniers bottes & patins :
Scribes des lettres elegantes,
Pour les amoureuses seruantes :
Doreurs sur tranche, fer, & cuir,
Commencent a se resioüir,
En Voyant qu’ils ont la poussée,
Et leur marmitte renuersée
Se remettre sur le bon bout.
Bref l’on se tremousse partout,
Curiosité ressuscite,
Et le desir du guain excite
A faire refleurir les Arts,
Cy deuant reputés bastards,
Pendant que madame la guerre,
Estourdissoit de son tonnerre,
Mais grace à Dieu tout est remis,
Nous allons viure bons amis,
Et le commerce dans la France,
Fera reuiure l’abondance,
Qui rendra le pays fertil
Que Dieu le veuille. Ainsi fioit-il.

 

FIN

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