Anonyme [1650], LE REVERS DV PRINCE DE CONDÉ EN VERS BVRLESQVES. Et le regret de quitter la Ville de Paris, pour aller loger au Chasteau de Vincennes. , françaisRéférence RIM : M0_3546. Cote locale : A_9_8.
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LE
REVERS
DV PRINCE
DE CONDÉ
EN VERS BVRLESQVES.

Et le regret de quitter la Ville de Paris, pour aller
loger au Chasteau de Vincennes.

A PARIS,
Chez la vefue d’ANTOINE COVLON, ruë d’Escosse,
aux trois Cramailleres,

M. DC. L.

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LE BOVT DE L’AN BVRLESQVE,
ou la France hors de deüil, par l’emprisonnement
du Prince de Condé.

 


TOVT ainsi qu’vn cloud chasse l’autre,
Le mal d’autruy finy le nostre ;
Et celuy qui le dernier an
Nous fit souffrir si grand ahan,
Confesse maintenant la debte,
Et void que trop faire la beste
Nous fait souuent manger aux loups,
Et crier haro dessus nous.
Mais comme l’on dit la Fortune
Ne se montre toûjours toute vne ;
Et comme sçait bien vn chacun
Tout an n’est pas toûjours tout vn :
Le passé qui fut si funeste,
Où tous les fleaux, hormis la peste,
Nous tomberent dessus les bras,
Qui fut sans Caresme & jours gras,
Est suiuy d’vn an plus tranquille,
Puis que chacun quittant la ville
Peut estre aux champs en seureté,
Le Brig... estant arresté.
Tel l’an passé vouloit tout battre,
Qui le present se void abattre :
Tel vouloit prendre & se void pris,
Fit pleurer, & cause des ris,
Fit faute, & plein de repentance
Se void en lieu de penitence,

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Courut les champs, chercha le choc,
Et void son coutelas au croc,
Et void son esprit tout habile
Souuent surmonté de la bile,
Qui vouloit tout executer,
Ne pouuoir aujourd’huy tenter
Autre entreprise plus hardie
Que d’vn bransle, dit de sortie,
Que de jurer, où tous les jours
En chambre faire quelques tours.
Voyez vn peu que c’est du monde,
Et combien est fou qui se fonde
Sur sa naissance & son pouuoir,
Lors qu’il oublie son deuoir,
Lors qu’il parle, se deuant taire,
Lors qu’il fait plus qu’il ne doit faire,
Et lors qu’il veut d’authorité
Auoir plus qu’il n’a merité :
Car ceux dont l’ame est pure & saine,
Comme par exemple la Reine,
Ie ne veux pas nommer le Roy,
Car il est, au moins je le croy,
Ie le crois, & la chose est seure,
Qu’il est François, a l’ame pure :
C’est à dire que pour sauuer
Ce qu’on luy vouloit enleuer
Il s’est fait de l’intelligence
De sa Mere, du Fils de France,
Et de mille du bon party
Pour donner vn beau démenty
A ces grands trancheurs de montaigne,
Qui plus honteux qu’vn chat qu’on baigne

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Treuuent leur dessein découuert,
Et se sont veus grippé sans vert,
Pour aller guigner la verdure
Que le fameux Vincenne emmure,
Et qui long-temps les murera,
Ou bien l’on les deliurera.
Le peuple voyant ces illustres
Logez plus à l’estroit que rustres,
D’aise ne se peut contenir,
Chacun s’en veut entretenir,
Chacun en dit sa ratelée,
Chacun leur donne sa goulée.
Et depuis dix ans dans Paris
Personne n’a veu tant de ris :
Quelques-vns pour montrer leur aise
Ont mis maintes buches en braise,
Ont mis en cendre maints fagos,
Ont beus à tire-larigos,
Et d’autres ne se pouuans taire,
Ont chanté lanlaire, lanlaire,
Et dit ce que ie ne dis pas ;
Car ces gens la parloient tous bas :
Mais suffit qu’ils faisoient des contes
Qui couurent ces Messieurs de hontes,
Tant on void qu’il est dangereux
D’estre meschant ou malheureux.
Paris que cette belle prise
Te cause vne agreable crise,
Et que pensant à l’an passé
Vn Requiescant in pacé,,
Vous est vne parole douce,
D’aize Charenton en tremousse,

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Et tous les François, ce dit-on,
Tremoussent comme Charenton.
On nous dit toutefois que Brie
(Mais je crois que c’est raillerie)
Desirant comme bon Chrestien
Faire à son ennemy du bien,
Depute vne troupe choisie
De sa plus riche Bourgeoisie,
Pour venir supplier le Roy,
Et luy remontrer que Rocroy
Fut vn coup de telle importance
Pour la gloire & bien de la France,
Que l’autheur de ce bel exploit,
Ou celuy que pour tel on croit,
Merite bien le priuilege
De trotter encor par la neige,
Comme il fit autour de Meudon
L’an precedant le grand pardon.
Si Brie fait cette requeste
Tout haut ie le nommeray beste,
De ne sçauoir pas qu’à Rocroy
Celuy qui seruit nostre Roy
Estoit exempt de toute tache,
Ne portoit barbe ny moustache
(Au moins plus longue que les dens)
Mais que celuy qu’on met dedans
Est homme de bien autre estofe
Que ce General Philosofe,
Qui jeune suiuit la vertu,
Mais qui prit le chemin tortu.
Lors qu’en vn degré plus sublime
Il pouuoit croistre son estime,

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Tesmoin ce que chacun sçait bien :
Car pour ne le flater en rien,
On tient que depuis Catalogne
Il n’a pas fait bonne besongne,
Et de mauuaise il ne fera
Tandis qu’au donjon il sera.
Il est dedans à la bonne heure,
Et Dieu vueille qu’il y demeure
Tant que pour le tirer dehors
Paris remuë son grand Corps,
Ou recommance le grabuge
Qu’il fit pour sauuer le bon Iuge :
Ce bon Iuge est le vieil Broussel,
Dont la ceruelle a tant de sel ;
Car lors il se pourroit attendre
A ne voir iamais tente tendre,
Et iamais de camp ordonner,
Si ce n’est pour enuironner
Ou bien Charenton ou Vincennes :
Car pour auoir trop fait des siennes
Il est dedans, & s’y verra
Plus long-temps qu’il ne luy plaira.
Ma foy lors que ie considere
L’autheur d’vne grande misere
Estre le sujet de nos ris,
I’auouë auecque tout Paris,
Que l’homme est vne beste estrange
Puis qu’en si peu de temps il change,
Et que tel loin de faire mal
Comme il fit l’autre Carnaual,
Il se laisse reclure, pleure,
Iure, deteste, maudit l’heure

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D’auoir eu de trop hauts desseins :
Mais quoy l’on n’est pas toûjours sains,
Et le fils, dit-on, degenere
Qui ne suit le vol de son pere,
Pour deuenir homme de bien,
Fust-ce en vn lieu qui ne vaut rien,
Celuy pourtant de qui je parle
N’est pas vn lieu plein de scandale,
Puis qu’en ce lieu Bons-hommes sont,
Bons-hommes mauuais lieu ne font.
Ie tiens toutefois que sans crime
On peut auoir mauuaise estime,
Et mesme nommer mauuais lieux
Ceux où l’on ne va que des yeux ;
Ou du moins si des pieds on marche,
C’est sans craindre cheuaux ny vache,
C’est sans craindre de se crotter,
Et de porte-chaises heurter ;
C’est en lieu de cette nature
Que loge la belle voiture,
Que depuis quatre jours en ça
Guitault beaucoup embarassa,
Quand assisté du beau Comminge,
Par vne souplesse de Singe
Au colet il leur mit la main,
Et leur fit prendre le chemin
Qui meine au coffre d’asseurance,
D’où pour le repos de la France
Le plus jeune sorte grison :
Car c’est vrayment bien la raison
Que le mal qu’ils ont voulu faire
Ait longue prison pour salaire.

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De parler icy d’échafaut
Ie ne l’oze faire tout haut ;
Mais bien ce que tout haut declare,
Le Roy qui conuainc cét auare
D’auoir pour but de son projet
D’estre Souuerain de sujet,
De partager auec son Prince
Et son Estat & sa Prouince,
Et de mettre au fond de son sac
La Bourgongne auecque Brissac.
En outre on a parlé du Havre ;
Mais on void par ce dessein havre
Qu’il fait mauuais de nous joüer
A qui nous peut faire roüer,
Roüer, ou du moins nous reduire
A ne pouuoir aux hommes nuire,
Et nous rongner les doigts si pres,
Que nous ne pourrons par apres
Faire de plus grand mal au monde
Qu’vn chien sans dents qui jappe ou gronde.
Or sus, Messieurs, jappez, grondez,
Tant que vous serez bien gardez
Nous dormirons en asseurance,
Et cependant toute la France
Fera sa farce ces gras jours,
D’Athé pigmé porte-tambours.

 

FIN.

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Anonyme [1650], LE REVERS DV PRINCE DE CONDÉ EN VERS BVRLESQVES. Et le regret de quitter la Ville de Paris, pour aller loger au Chasteau de Vincennes. , françaisRéférence RIM : M0_3546. Cote locale : A_9_8.