Anonyme [1649], LE ROMAN DES ESPRITS REVENVS A S. GERMAIN. Burlesque & serieux. Et le QV’AS-TV VEV DE LA COVR, Ou LES CONTRE-VERITEZ. Sur l’imprimé à PARIS. , françaisRéférence RIM : M0_3559. Cote locale : E_1_78.
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LE ROMAN DES
ESPRITS REVENVS
A S. GERMAIN.

VN de ces iours passez, que le Ciel estoit
beau & serain, le plaisir de la promenade,
& le desir de reuoir la Cour m’attirerent
insensiblement iusques à Sainct Germain ;
les chemins qui estoient libres depuis
peu, m’en auoient rendu l’entreprise facile,
& le temps le plus doux & le plus
agreable que l’on pust souhaiter, l’auoit fauorisée dans son
execution. Ie me trouuay dans Sainct Germain, comme
sans y penser, plus charmé des delices de la Campagne, que
fatigué de la longueur du chemin ; la curiosité qui réveille
les esprits, ne me laissa pas long-temps dans le contentement
que ie prenois au souuenir de ce voyage, elle m’en
presenta d’autres. Afin de me diuertir mieux par le changement,
elle me conduisit d’abord dans ce magnifique &
superbe Palais, qui estoit pour lors le sejour du plus grand
Roy du monde. Là parmy la consusion de gens de toutes
sortes, ie me desennuyois agreablement, & ie me consolois
des mauuais iours que i’auois passé dans Paris, loing
d’vne si charmante compagnie ; Dans la foule des Courtisans
ie ne manquois pas de rencontres heureuses, tousiours
quelques-vns de mes amis me venoit embrasser, & me faire
des caresses : l’vn me reconnoit le plus grand amy qu’il eust
dans Paris, l’autre m’appelloit son cher ennemy, & par
mille autres ciuilitez de Cour, nous renouuellions l’ancienne
connoissance. Enfin, ie commençay à trouuer ces faueurs
importunes, apres les auoir goustées vne bonne partie
de la journée : Ie quittay cet embaras de conuersation
sur le soir, pour gouster encore quelque plaisir nouueau

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dans la promenade. Et comme ie voulois estre seul pour
resuer à mon aise, ie me retiray par des chemins dérobez,
qui me menerent fort à propos, & comme ie le souhaittois,
dans vn jardin fort spatieux. Ie n’y fus pas plustost, que ie
choisis vn endroit vn peu écarté, où ie trouuay quelques sieges
qui seruirent d’abord à me reposer : mais voulant me
mettre encore plus à mon ayse, j’auisay dans vn taillis assez
espais, qui estoit derriere moy, vne petite place qui sembloit
auoir conserué sa verdure, malgré les rigueurs de l’hyuer,
I’allay me coucher mollement sur ce riche tapis, ou ie ne fus
pas long-temps sans m’endormir, soit que ie fusse fatigué du
chemin que i’auois fait, ou que ie fusse charmé du plaisir de
la solitude. Au milieu d’vn si doux sommeil, quelque bruit
importun de personnes qui parloient assez haut, m’éueilla
malgré moy, & rompit le charme de mes yeux qui ne vouloient
point s’ouurir. Ie ne fus pas plustost en liberté de
voir, que ie regarday du costé des sieges, où ie vis passer
vne troupe de Gardes & de Suisses, qui se disoient : il n’y a
personne, allons fermer les portes : Comme ie connoissois
la brutalité de ces gens-là, qui ne considerent personne, ie
ne branlay pas de ma place, de peur de receuoir quelque
coup, dont ces gens-là font bon marché ; & de plus, ie craignois
qu’ils ne me cherchassent pour me chastier, d’estre
entré si librement dans ce jardin sans leur permission : A
peine estoient-ils passez, qu’vne troupe magnifique de personnes
illustres parut au milieu de l’allée, qui venoit à petit
pas au lieu où ie m’estois reposé premierement. Ie ne fus
pas peu surpris à l’éclat de tant de majesté : & bien dauantage
quand ie reconnu le Roy, la Reyne, le Cardinal, & les
Princes. I’estois en doute, si ie voulois prendre la fuite
ou me tenir caché : mais considerant que si ie courois à
quelque porte, qui estoit asseurément bien gardée, ie
tomberois entre les mains de ces Satellites impitoyables,
& qu’ils me tuëroient au simple soupçon que ie leur donnerois
d’estre là pour quelque mauuais dessein ; dans cette
apprehension, ie me tiens sans faire de bruit, le mieux
couuert qu’il m’estoit possible, auec cette resolution,
que si quelqu’vn de cette belle Compagnie venoit à

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me découurir, ie demanderois à parler à la Reine ; & apres
luy auoir demandé pardon de ma temerité, ie luy conterois
naïfuement toute ma faute, & luy ferois sçauoir toutes les
miseres de Paris, pour la disposer à la compassion, & puis ie
luy demanderois la grace d’estre mis dehors auec quelque
seureté.

 

Sur cette confiance, ie leuay vn peu les yeux & ie les vis
qu’ils prenoient place sur les mesmes sieges où i’auois eu
l’honneur de m’asseoir auparauant. I’estois assez pres d’eux
pour ouyr leurs discours, & i’eusse voulu en estre bien loin.
Quelques-vns s’estoient desia auancez de parler des desordres
de l’Estat ; mais le Roy leur imposa silence, & leur dist,
qu’il n’estoit là venu pour se recreer, & non pas pour parler
d’affaires ; qu’il vouloit ioüer à quelque petit jeu, ou bien
que l’on racontast quelque bonne histoire. Toute la Cour
quitta le serieux à l’instant mesme, & chacun prit vn visage
riant pour luy complaire, la Reine mesme fit voir que cela
luy estoir fort agreable ; il n’y auoit que le Cardinal qui ne
pouuoit faire bonne mine ; à cause de son mauuais jeu. Le
Roy se tournant de son costé, luy dist, Monsieur le Cardinal
vous qui en sçauez tousiours de bonnes, ne nous en direz
vous point quelqu’vne qui soit belle ?

Sire, respondit-il froidement, ie vous en dirois bien vne,
mais ie crains qu’elle ne donne de la terreur à Vostre Majesté,
tant elle est effroyable. Il vaut mieux que vous commenciez
le premier, & puis que chacun à son rang en dise quelqu’vne
recreatiue, & la mienne sera la derniere, afin que nous
nous en allions souper là dessus auec plus d’apetit : Mon
Dieu, dit le Roy, que i’ay enuie de la sçauoir ; mais puisque
vous voulez que ie commence, ie m’en vay me depescher, &
que chacun le fasse court, à mon exemple, pour venir vistement
à la vostre : Cela dit, il raconta en peu de mots la generosité
du petit Alexandre, qui pleuroit quand son pere assiegeoit
quelque ville d’importãce ; & adjousta, qu’il auoit pleuré
quelques fois la nuict de ce que sa bonne Maman assiegeoit
sa bonne Ville de Paris. Le Duc d’Anjou, dist que son petit
Papa auoit dit la sienne, & qu’il n’en sçauoit point d’autre

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pour l’heure. La Reine raconta le 6. tome de Cleopatre, dõt
Calprenele luy auoit fait present depuis peu. Monsieur le
Duc d’Orleans pour la sienne, prit le trait du bon Galigula,
qui fit autrefois declarer son cheual Consul de Rome, & fit
abaisser les degrez du Capitole, afin de l’y faire monter, & de
donner place à ce braue cheual au plus pres de sa personne.
On fit vne pose en cet endroit, dautant que Monsieur le Prince
se prit à rire de cette plaisanterie, & tout le monde à son
imitation, excepté le Cardinal qui ne rioit que du bout des
dents.

 

Enfin, Monsieur le Prince reprit la suite, & raconta la bataille
de Pharsale deuant Rome, où Cesar fut victorieux, adjoutant
qu’il n’esperoit pas vn moindre succez que luy.

Madame la Duchesse d’Orleans alloit conter toute la Cour
Saincte ; mais la Reine la pria de finir, pour ne point rompre
l’ordre que le Roy auoit mis pour la briefueté. Madamoiselle
se souuint des genereuses amours de Statira, qui ay ma &
qui fut aymée d’Oroondate, l’ennemy de son pays.

Madame la Princesse la mere, raconta les afflictions de la
mal-heureuse Iocaste, quand elle vid ses deux enfans chefs
de deux partis diuisez, & resolus de faire vne guerre mortelle
à leur propre sang, adjoustant qu’elle se trouuoit auiourd’huy
dans la mesme peine.

Madame la Princesse la fille, remit en jeu l’infortunée
Psiché, qui eut tant de trauerses dans l’amour de son Cupidon.
Le sieur de la Melleraye raconta le trait de Neron, qui
fit mettre le feu aux quatre coins de Rome, & prenoit plaisir
de son Palais, de voir l’incendie à trauers d’vne Esmeraude.

Le Mareschal de Grandmont mit sur le tapis l’Histoire du
premier Roy des Parthes, qui apprit ces peuples à combattre
en fuyant : Monsieur le Prince luy repartit, que celuy-là
couroit à la Guiche, dont toute la compagnie fit vn éclat de
rire, & le Mareschal pour ne pas demeurer auec sa courte-honte,
luy repartit que son Cesar beuuoit à la lampon. Enfin,
le Cardinal Mazarin, apres que le Roy luy eut tesmoigné
son enuie, touchant l’Histoire qu’il auoit promise dés le
commencement : Il prit la parole en cette sorte.

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Sire, ie ne prendray point icy d’autre histoire que la mienne,
& ne vous diray rien qui ne me soit arriué, depuis que ie
suis dans le ministere : i’ay esté tousiours tourmenté d’esprits
ils n’ont pas manqué vn seul iour de m’apparoistre, ny vne
seule nuict de troubler mon repos ; mais ils ne m’ont iamais
faict tant de peine, ny traitté si rigoureusement, que depuis
la nuict des Roys que ie tiray vostre Majesté de Paris, pour
venir à sainct Germain. Il semble depuis ce temps là qu’ils
soient deuenus enragez, ils ne taschent qu’à me nuire, & à
m’inquieter, & ie n’en treuue pas vn bon qui me flatte de
quelque douce harmonie, comme auparauant, pour m’endormir,
& me donner quelque relasche. Encor il semble que
l’Enfer a fait ouuerture de toutes ses portes, & qu’il a deschaisné
les plus meschants contre moy. Il en vient des trouppes
innombrables m’attaquer par leurs menaces, & m’espouuenter
par leurs cris funestes, & quelquesfois m’habillent
de toutes les couleurs imaginables, comme si i’estois leur
fou de feste. I’ay beau renforcer mes gardes, cela ne les empesche
point de venir, & ces mal-heureux esprits ne treuuent
point d’obstacles, qui les arrestent : ils sont tousiours apres
ma queüe, & i’ay peur qu’il n’y en ayt icy quelqu’vn qui m’escoute,
& qui n’aille reporter aux autres tout ce que ie dis à
present. La Reyne l’interrompit à ces mots, & s’escria toute
craintiue : ha mon Dieu ! Monsieur le Cardinal, que vous me
faictes de peur, ie mourrois s’il en venoit quelqu’vn à ma
chambre, quand ie suis toute seule, ie feray coucher cette nuit
toutes mes filles à ma chambre : encor ne me croiray-ie pas
trop bien gardée. Toutes les autres femmes de la trouppe s’écrierent
à son imitation, & protesterent de faire le semblable,
horsmis Madame la Princesse la mere qui leur dist : Ne
voyez vous pas bien que Monsieur le Cardinal se moque, &
que ce n’est que pour vous espouuenter qu’il dit cela sans rire,
qu’il sçait bien nostre foible, & qu’il asseure cela serieusement,
afin d’auoir nostre creance. Madame, reprit le Cardinal,
il n’y a rien de plus veritable que ce que ie vous dis sur cela.
Mr le Prince, le voyant persuadé, se mit à gausser, luy & la
cõpagnie, & dire que c’estoit de beaux contes, dõt on l’auoit

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bercé en son enfance, & qu’il n’auoit iamais veu de ces esprits
qui reuiennent, que ce n’estoit que de belles imaginations de
quelque mélancholique, pour amuser les femmes ; mais trop
sottes pour entretenir les hõmes, & qu’au reste il ne prendroit
point la querelle de Monsieur le Cardinal, contre des ennemis
qui estoient inuisibles, que son espée n’estoit point à l’epreuue
des charmes, comme celle d’Amadis de Gaule, & que
ces esprits la changeroient bien-tost en vne dague de plomb
qui ployeroit iusqu’à la garde, au premier coup qu’il viendroit
à fraper : Le Roy qui estoit impatient d’entendre le reste
asseura qu’il n’auoit point peur, & pria sa bonne Maman,
& les autres de ne rien craindre, & de laisser dire Monsieur
le Cardinal. Tout le monde se mit aussi-tost en deuoir de l’escouter,
& il poursuiuit en cette sorte. C’est vne verité que
l’Escriture saincte confirme, qu’il y a de ses esprits, & plust à
Dieu qu’il n’y en eust pas tant, ie serois vn peu plus à mon
ayse : & pour conuaincre la Compagnie sur ce qui en est ; ie
m’en vay gager tout ce qu’on voudra, quoy que dise Monsieur
le Prince, que les armes dont il s’est seruy pour gaigner
ses victoires, & celles dont il s’est seruy tout nouuellement à
la bataille de Lens, qui estoient si claires & si luisantes, &
qui auoient esté fourbies & esclaircies par ces esprits dont ie
parle, sont à present deuenuës toutes noires par la malice
de ces mesmes esprits qui se sont piquez de les voir trop
esclatantes. Tout le monde jetta les yeux sur Monsieur le
Prince : ce qui l’obligea à dire qu’il auoit à son costé la mesme
espée dont il s’estoit seruy à la bataille de Lens, & que si
le Roy luy vouloit donner la permission de la tirer en sa presence,
on verroit la verité de ce mystere.

 

Le Roy, sans luy donner le loisir de la tirer, luy-mesme l’alla
prendre & la mit hors du fourreau, & on remarqua sur la
lame quelque petites taches noires, & les Dames dont l’imagination
estoit preuenuë, y en treuuoient beaucoup dauantage.
Luy sans s’estonner de cette belle preuue, leur dist que
ces taches n’estoient qu’vn peu de roüille qui s’estoit là engendrée,
à cause qu’il auoit esté vn peu long-temps sans la
tirer du fourreau. Toutes les femmes pour lors se treuuoient

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en beau camp de parler, & elles eussent dit vne quantité d’histoires
par ouy dire sur ce sujet, pour conuaincre Monsieur le
Prince ; mais le Roy apres auoir dit qu’il en auoit quelquefois
ouy quelques vnes en sa chambre, qui l’auoient bien réjouy,
sans iamais l’auoir espouuanté, il pressa le Cardinal
de continuer : ce qu’il fit en ces termes.

 

Encor qu’il n’y ayt personne de vous qui doute de l’existence
des esprits toutes fois ie pense estre le mieux instruit,
& le mieux persuadé de la compagnie, aussi ie croy qu’ils
m’ont joüé leurs plus vilains tours, & qu’ils m’ont pris pour
l’object de toutes leurs funestes recreations. Ils inuentent
tous les iours mille nouueautez, qu’ils apportent de la Cour
infernale, pour me faire enrager : ie croy qu’ils taschent à me
jetter dans le desespoir pour me faire rendre l’ame sans confession.
Les Dames me chantent vn Salue Regina, comme l’on
faict à ceux qui sont prés d’endurer le supplice ; autres vn
Libera comme si i’estois desia mort, quelques-vns me mettent
en poussiere : d’autres se contentent de me porter en terre,
en chantant des Pseaumes de Dauid. Il en vient qui m’honorent
pour se mocquer de moy, & qui me traitent d’Eminence,
& montrent vn precipice où ie suis tout prest de mettre
les pieds, d’autres en forme de Choüettes, & de Hibous, me
predisent plus de mal heurs qu’il n’en est arriué au monde
depuis qu’il subsiste, quelques-vns me déchirent à belles
dents comme des chiens affamés ; il y en a qui se contentent
de me chanter poüille, & de me dire plus d’injure qu’vn million
de harangeres n’en pourroient inuenter toutes ensemble :
D’autres, font des Remonstrances au Parlement, pour
l’animer encor dauantage contre-moy : Quelques-vns me
procurent charitablement la haine du peuple, comme si ie
n’en estois pas desia assez hay ; ceux là font vn bruit de tous
les Diables à mes oreilles, comme s’ils sonnoient le toxin,
pour esmouuoir la populace à se jetter sur moy.

Quelques amateurs de ragousts me mettent au court boüillon,
& puis me laissent là sans me manger, pour me faire plus
grand depit, disant, que ie ne vaut rien ny à rostir, ny à boüillir :
Il en est qui disent de moy toutes les méchancetez imaginables

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au Roy, à la Reine & à M. le Prince, qui ne sont pas
presens & qui ne les entendẽt pas, & toutesfois ils se promettent
qu’ils m’abandonneront, & me laisseront perir dans vne
guerre que i’ay allumée ; Et tous ont la forme de Religieux,
de Cheualiers, de Philosophes ou de Theologiens. Ce sont
la les plus malicieux, & ceux qui me tourmentent d’auantage :
Ie voy bien que ceux-là vous donnent trop d’effroy, il
en vient de plus gaillards qui se presentent deuant moy, &
qui font cent boufonneries, qui ne laissent pas de me fascher
encor qu’elles soient plaisantes.

 

Ceux-cy sont déguisez en Turlupins, en Pantalons & Goguelus,
qui me font cent niches & cent sornettes, tant ost ils
me mettent entre deux Diables, puis ils me rognent ma Soutane
& mon Chapeau pour me rendre semblable à eux, &
m’appellent le Cardinal burlesque, ils me font danser vne
balade en cet estat & me donnent tousiours quelque nazarde,
ou quelque sobriquet en passant qui ne me couste que le
prendre : L’vn m’appelle Nazin, l’autre Masquarin, & d’autres
Tabarin : Et comme il s’en trouue tousiours de plus malicieux
les vns que les autres, qui s’amusent à me rogner les ongles
iusqu’à la chair, pour me faire dire ouf en Italien ; les autres
me coupent les aisles comme si i’en auois, & d’autres auec
vn oignon m’en font sauter l’eau aux yeux pour me faire
pleurer : Ils me font voir mes ayeuls en Crieurs de mort au
rats, en Violons, en Preneurs de taulpes, en banqueroutiers,
en porte poulets, & en marchands d’allumettes, si bien que
ie ne puis pas quelquesfois au milieu de ces inquietudes,
m’empescher de rire d’vne si belle Genealogie : Que s’il leur
prend enuie de faire quelque musique enragée pour me déplaire
& m’inquieter d’auantage, ils me font comme le pilier
où ils attachent leurs parties, & ie me treuue en vn instant
si chargé de lambeaux de vieux papiers, qu’il s’en faut bien
peu que ie n’en sois accablé, & quelques-vns me montrant
au doigt, disent, voila le Cardinal en pieces. Puis quand ils
sõt souls de criailler, ils ramassent tous ses papiers en vn pacquet
qu’ils me mettent sur le corps, & disent voila Mazarin
pris au trébuchet dans l’vnion : en effet, il me seroit impossible

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de me remuer sous vn faix si pesant : Tout le monde se
prit à tire de ces plaisantes imaginations, & chacun luy fit
quelque question sur vn sujet si risible. Le Roy luy demanda
fi ces esprits estoient faicts comme des hommes, & il luy
respondit, qu’ils prenoient toutes sortes de formes, mesmes
des plus cruels animaux.

 

La Reine luy demanda, si c’estoit en dormant qu’il auoit
toutes ces belles visions, à quoy il respondit, qu’il n’en sçauoit
rien, & qu’il ne sçauoit plus en quel estat il estoit si tost
qu’ils venoient à paroistre. M. le Duc d’Anjou fut curieux
de sçauoir s’ils ne mangeoient point les hommes, il fit response,
qu’ils ne mangeoient que les petits enfans qui ne vouloient
pas obeyr : M. le Duc d’Orleans demanda ce que c’estoit
que ces esprits, & il luy asseura que c’estoit les ames des
hommes. M. le Prince voulut sçauoir de quelle couleur ils
estoient, & il luy dit qu’il ne les auoit iamais pû discerner,
dont il fut fort satisfait. Le Maresc. de Grandmont fut d’aduis
qu’on les fit fuyr auec la Croix & l’eau beniste : Et le
sieur de la Melleraye dit, qu’il ne falloit que mettre le feu à
la maison quand ils y seroient tous entrez, afin de les faire
perir dans cet embrasement, & de les remettre en enfer d’où
ils estoient sortis sans permission, Mais le Cardinal leur fit
response, que ces esprits ne s’enfuyoient point par des conjurations,
& que le feu n’auoit point de puissance sur eux :
Toutes les Dames commençoient desia à dire leur ratelée,
lors que me treuuant lassé d’estre couché sur vn bras, ie voulus
le retirer de dessous mon costé, mais par malheur, venant
à rencontrer quelques fueilles seiches où ie voulois le poser,
cela fit vn peu de bruit, qui leur donna tant d’épouuente
qu’elles se mirent à fuyr à trauers le Iardin comme des Bacchantes,
disant qu’ils auoient ouy vn esprit, la Reine tenoit
le Roy par la main, & M. le Duc d’Anjou la tenoit par la robe ;
il n’y eut que Madame la Duchesse d’Orleans qui eut de
la presence d’esprit assez pour faire vn grand signe de croix
en courant comme les autres : Le Mareschal de Grandmont
voyant qu’il n’estoit question que de fuyr, fit merueilles de
ses jambes en cette occasion, il fut le premier à la porte à

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attendre les autres, & Mademoiselle qui s’y presenta la premiere,
luy dit, qu’il courroit à la Guiche aussi bien que le Roy
des Parthes. Il n’y eut que M. le Prince qui demeura seul,
bien plus estonné de les voir fuir que du sujet de leur fuite ; il
commença à leur crier, qu’il ne falloit pas aller au bois qui
auoit peur des fueilles : & le sieur de la Melleraye qui l’entendit,
dit, qu’il les falloit brusler : il treuua le Duc d’Orleans
au bout de l’allée, qu’il pria de ne point aller si viste, & qu’ils
marcheroient ensemble, & il luy respondit vn peu effrayé,
qu’il feroit tout ce qu’il voudroit. Cependant ie demeuray
seul bien épouuanté d’auoir donné cette alarme, & i’attendois
à tout moment des Satellites plutost que des esprits
pour m’assommer ; mais graces à Dieu, tout se passa en risée :
quand toute la trouppe se fut r’assemblée à la porte, à qui
M. le Prince persuada en raillant, que des fueilles & vn peu
de vent auoient causé tout le desordre. Tout le monde se retira
du jardin, & l’on ferma la porte aussi tost apres, ie demeuray
là en repos le reste de la nuict, quoy que ie ne fusse
pas sans crainte que l’on enuoyast quelque determiné, comme
le sieur de Roquelaure, pour éprouuer l’auenture de l’esprit :
mais soit que cela fut estimé trop bas pour employer
son courage, ou que personne n’eut la pensée de l’engager à
faire ce coup, à la bonne heure pour moy, personne n’entra
dans le Iardin tout le reste de la nuict, & le lendemain si tost
que la porte fut ouuerte, & que quelques-vns y furent entrez,
pour se promener en attendant le leuer du Roy, ie me
retiray bien viste de ce lieu, & ie m’en vins à Paris sans dite
Adieu à personne.

 

FIN.

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LE QV’ASTV-VEV
DE LA COVR
Ou les contre veritez.

Lassé des fatigués d’vne ennuyeuse guerre, & d’vn long siege,
ie sortis l’autre iour hors de la ville pour m’aller promener iusques
aux Bons hommes, & là diuertir ma melancholie, & me resioüir
sur l’esperance du retour du beau temps. Comme les chemins
estoient en quelque façon libres, & qu’on laissoit sortir hors les
portes qui vouloit, & entrer de mesme, ie creus que peut estre en me
promenãt ie pourrois faire rencontre de quelqu’vn de mes amis qui
viendroit de S. Germain, comme la pluspart ont suiuy la Cour, y estans
obligez ou par leurs charges ou par inclination. Ie creus le lieu
de la promenade le plus propre à mon dessein, veu que si ie l’attendois
à la ville, ie ne pourrois pas apprendre si tost la venuë, & d’ailleurs
qu’il seroit obligé de rendre des visites, ou d’en receuoir au
mesme instant, ce qui m’empescheroit d’auoir la liberté de luy parler
franchement, & luy de me dire plus particulierement les nouuelles.
Ie ne me trompay point dans mon calcul & dans mon opinion,
& le choix que ie fis du Cours de la Reyne me fut tres fauorable ; car
apres y auoir fait vn tour ou deux, & m’estre diverty dans ma melancholie
par le chant gracieux de l’aloüette, par le gazoüillement
de plusieurs oysillons, & par leurs entrebaisers innocents & amoureux,
apres auoir attentiuemẽt admiré le doux murmure de la riuiere,
l’agreable serenité de l’ait, & la merueilleuse dispositiõ de la terre
à receuoir sa verdure & sa beauté accoustumee. Ie vis estant au
bout du Cours du costé de Chaillot reuenir vn de mes plus fideles &
intimes amis : Si tost qu’il m’apperceut il descẽdit de cheual ; Apres
luy auoir fait mon compliment, comme ayant sçeu qu’il deuoit venir,
i’estois allé au deuant de luy & autres choses, il me tesmoigna
estre obligé de mes courtoisies, quoy qu’il le deust plustost à ma satisfaction
& à ma courtoisie. Il dõna son cheual à son laquais, & luy
cõmanda de l’emmener à la ville, pendant que nous nous en reuiendrions
tous deux par le Cours. Ie ne fus pas marry de la resolution
qu’il prit, & apres l’auoir prié assez legerement de monter à cheual,
voyant son refus ie receus auec plaisir l’honneur qu’il me faisoit, &

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fus rauie d’auoir le bien de sa compagnie, pour apprendre auecque
plus de liberté toutes les nouuelles. Apres les informations de santé
de part & d’autre, ie luy demanday ce qu’il auoit appris à la Cour,
mais plutost ce qu’il y auoit veu ; marchons, dit il, i’ay bien assez dequoy
vous entretenir iusques à la ville. Nous nous mismes donc à
marcher tout doucement, lors il cõmença ce que ie vays vous dire.

 

Pour plaire à vostre curiosité, me dit-il, ie vous diray ce que i’en
sçais & ce que i’ay veu auec toute la fidelité possible. De vous dire ce
qui s’est passé depuis les Roys à S. Germain ; outre que ie serois trop
long, ie sçay bien que vous l’auez deu sçauoir, soit de la Conference
à Ruel, soit de l’emprisonnement de Monsieur de Rãtzau. Ie ne veux
vous dire seulement que ce que i’ay veu de fraische memoire, & que
i’ay remarqué de fraische datte. I’ay veu le Roy qui n’aimoit plus la
chasse, qui ne s’ennuyoit point d’estre à S. Germain, & qui auoit vne
affection des ordonnee pour Mr. le Cardinal ; Ie ne pûs point m’empescher
de l’interrõpre & de luy dire, ie crois que vous me faites vn
recit bien esloigné du vray semblable, encore moins de la verité.
Ce sut pour lors qu’il me dit que ie deuois prendre garde à ce qu’il
me diroit, veu qu’il n’obserueroit que la methode de la Cour, qui est
de flatter, & qu’ainsi ie deuois m’arrester au contre sens de tout ce
qu’il alloit me dite. Ie le remerciay, & luy dis que ie profiterois de
cét aduis, comme i’espere que d’autres qui liront cecy en profiterõt.
Il poursuiuit donc apres cette petite interruption, & me dit, i’ay
veu la Reyne qui hayssoit à mort Monsieur le Cardinal, qui aimoit
d’vn amour maternel les Parisiens, qui oublioit tout ce
qui s’estoit passé, qui vouloit retourner à Paris, pour y faire ses deuotions
à nostre Dame, & faire perdre tous les Partisants. I’ay veu le
petit Monsieur le Duc d’Anjou qui n’aimoit point Paris, & qui sollicitoit
le Roy à demeurer tousiours à S. Germain, qui caressoit Monsieur
le Cardinal, & qui n’estoit plus d’humeur iouiase cõme il auoit
accoustumé, pour le deplaisir qu’il auoit de voir qu’on vouloit retourner
bientost à Paris. I’ay veu Monsieur le Duc d’Orleans ferme
dans ses resolutions haïr Paris, mespriser l’Abbé de la Riuiere, pour
escouter fauorablement Madame sa femme, & Madamoiselle sa sille,
& vouloir aller terracer luy seul toute l’armee Parisienne. I’ay veu
Madame n’aymer plus à prier Dieu, aymer l’Abbé de la Riuiere, hayr
les Parisiens, & demander leur perte & la destruction de leur ville,
surtout du Palais d’Orleans. I’ay veu Mademoiselle sans ressentimẽt,
voir agir tout le monde sans rien dire, ne plus parler à personne, solliciter
Monsieur son pere à conseruer l’Abbé de la Riuiere qu’elle

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caressoit comme tres affectionné pour son seruice, & à ruyner entierement
tout Paris. I’ay veu Madame la Princesse doüairiere ne
vouloir plus prester d’argent à personne, & rẽdre celuy qu’elle auoit
receu pour le Roy, afin d’entretenir l’armee de Monsieur son fils, que
i’ay veu fort deuot se souuenir des bonnes leçons des Peres le suistes,
ne plus laisser agir sa colere, ne iurer plus Dieu, deuenir meur, oublier
tout ce qui s’est passé, auoir de l’affection pour les Parisiens,
r’emmener son armee en Flandres, & enuoyer à tous les Diables le
Cardinal & les partisants. I’ay veu Madame sa femme n’estre plus
ioyeuse d’estre mere, & n’auoir plus de complaisance pour la Reine.
I’ay veu Monsieur le Comte d’Harcourt fort aise d’aller combattre
les troupes de Monsieur de Longueuille & ne respirer hautement
que la ruïne de toute la Frãce. I’ay veu Mõsieur le Duc de Mercœur
impatient, extrémemẽt courageux, blasmer Monsieur son frere d’indiscretion
& de peu de courage, & vouloir aller combattre toute son
armee. I’ay veu Mõsieur de Mets n’aimer plus la peinture & la chasse,
se defaire de tous ses tableaux & de tous ses chiens, n’aimer plus à
faire la débauche, & vouloir mener vne vie tres retiree. I’ay veu le
vieux Mõsieur d’Angoulesme venu de Grosbois demander à genoux
vne charge dans l’armee sous Monsieur le Prince, & respirer la perte
de tout le Royaume. I’ay veu Madame de Guise employer tous les
moyens qu’elle iuge estre necessaire pour sortir de prison Monsieur
le Duc son fils, & pour le marier auec Madamoiselle de Põt. I’ay veu
Messieurs ses autres fils n’auoir aucun ressentiment de ce qu’on auoit
faict à Meudon, & louër toute l’entreprise de la guerre. I’ay veu Mõsieur
de Nemours en dessein de venir querir Madame sa femme durant
ces suspensions d’armes, & vouloir emmener le Roy à Lyon,
pour les bons offices que les Lyõnois rendirent à deffunct Monsieur
son pere. I’ay veu Madame de Senecey blasmer les Iesuites de flatterie,
ne les vouloir plus ouyr, & prendre contr’eux le party des Iansenistes.
I’ay veu Madame sa fille ne le porter plus haut, mespriser le
tabours que la Reine luy auoit donné, & faire oster de dessus son carrosse
la Couronne de Prince. I’ay veu Monsieur le Duc d’Vzés l’espee
au poing offrir ses seruices à Monsieur le Prince pour commander
dans son armee. I’ay veu Madame de la Roche Guyon, vouloir suiure
amiablement les auis de Monsieur son beau pere & de Madame sa
belle mere, & vouloir finir ses iours dans vn paisible veufuage.

 

I’ay veu Mr. le Cardinal oubliant la maxine de son pays oublier
tout, accuser Mr. le Prince de trop de violence, Mr. le Duc d’Orleãs de
trop de douceur, la Reine de trop de credulité, & vouloir venir resjoüir

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les Parisiens de sa veuë, & leur faire amande honorable de tout
le tort qu’il leur a fait. I’ay veu l’Abbé de la Riuiere changer de poil
& de façon, n’auoir plus dessein de vendre son Maistre, mespriser les
presens du Cardinal, n’auoir point d’ambition pour vn chapeau rouge,
& vouloir retourner dans Paris, pour recognoistre la bassesse de
sa naissance, & demeurer auec sa mere dans la rue S. Honoré. I’ay veu
l’Euesque d’Alby Abbé de Beaumont se vouloir défaire de tous ses
benefices pour conseruer Alby, & donner de tres bons preceptes au
Roy. Cõme le genereux Mareschal de Villeroy n’a autre dessein que
de remener le Roy à Paris, & de ne laisser plus passer à Lyon aucuns
iustes qui iroiẽt en Italie. I’ay veu le Mareschal de Schomberg iuret
hautement la ruine de tout le Royaume, & son desordre. I’ay veu le
Mareschal de l’Hospital persuader à la Reine qu’elle ne doit respirer
que la vengeãce. I’ay veu le Mareschal Ranzau se declarer coulpable
du crime qu’on luy impute, & en attẽdre la punitiõ auec impatiẽce.
I’ay veu le Marechal de la Mesleraye n’estre plus affligé de la goutte,
ne plus iurer Dieu, n’estre plus impatiẽt, demander pardõ à Dieu de
toutes ses offenses, & vouloir marier son fils auec vne des niepces du
Card. I’ay veu le Mareschal de Grandmõt temeraire au dernier point
se repẽtir d’auoir fait ouurir les passagespour laisser venir les viures
à Paris. I’ay veu Mr. le Chãcellier ne vouloir plus signer aucunes lettres
de Noblesse, renõcer à tous les partis, sur tout à celuy des bouës,
& conseiller à la Reine, le prompt retour de leurs Maiestés dãs Paris.
I’ay veu Messieurs de Guenegaud & le Tellier, ne vouloir plus riẽ signer,
ny pour le Conseil ny pour la guerre, & Mr. de Guenegaud se
ressouuenant de la naissance de son pere, faire casde tous les laquais.
I’ay veu le Commandeur de Iarre ne point desauoüer la familiarité
qu’il a euë auec Mr. d’Emery. I’ay veu Messieurs de Saineterre, Tubeus
& Beautru disgraciés, pour n’auoir pas asses protegé Mr. le Card. &
pour auoir conseillé l’extinction du Prest. Duquel i’ay veu les sieurs
Bonneau, la Railliere & Catelan ne se plus soucier en demandant
eux mesmes la suppression. Enfin i’ay veu les filles de la Reine, n’aimer
plus à parler à personne, bannir les mouches & les affiquets, &
les gens de guerre ne plus voler, brusler, ny violer, veu la deffence
qu’on leur en a faicte.

 

Il commença ces discours au commencement du Cours, & nous
estions à la porte de la Conference quand il l’acheua, & là ie le remerciay
de sa bonne compagnie, de ses bonnes nouuelles, & ie pris
congé de luy quãd il gagna la ruë S. Honoré, pardeuant les Thuilleries,
& moy ie gagnay la ruë S. Anthoine par la valee de misere.

FIN.

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Anonyme [1649], LE ROMAN DES ESPRITS REVENVS A S. GERMAIN. Burlesque & serieux. Et le QV’AS-TV VEV DE LA COVR, Ou LES CONTRE-VERITEZ. Sur l’imprimé à PARIS. , françaisRéférence RIM : M0_3559. Cote locale : E_1_78.