Anonyme [1649], LE ROY DES FRONDEVRS. ET COMME CETTE DIGNITE est la plus glorieuse de toutes les dignitez de la Terre. Contre le sentiment des esprits du Siecle. , françaisRéférence RIM : M0_3556. Cote locale : A_8_15.
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LE ROY
DES
FRONDEVRS,

Et comme cette dignité est la plus glorieuse
de toutes les dignitez de la Terre.

Contre le sentiment des Esprits du Siecle.

LA qualité est vn des accidens le plus
remarquable de tous par son tiltre ;
puisque c’est luy qui distribuë les Offices
& les fonctions, d’où procede l’vsage
introduit parmy les hommes. Ou pour le dire
plus succinctement, la qualité est ce parquoy les substances
sont qualifiées & renduës semblables ou dissemblables
entre elles. Car comme les choses sont
dites estre mesme choses, quand elles ont vne mesme
substance, & égales quand elles cõuiennent en quantité ;
aussi sont-elles appellées semblable quand elles
conuiẽnent en qualitez : De sorte que pour s’instruire
du pouuoir, de l’excellence, ou de la grandeur de
quelque personne, afin de le mieux connoistre, l’on
demande quelle est sa qualité. Les Logiciens aussi
bien que les Philosophes, tiennent qu’il y a quatre

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sortes de qualitez. Les premieres sont les qualitez
actiues es objets de nos sens exterieurs ou interieurs,
qui nous apportent quelque alteration ou quelque
changement en nos corps, ou en nos esprits : comme
est la froidure en la neige, la beauté en vn visage, &
la douceur au sucre. Les suiuantes sont des qualitez
naturelles, comme les vertus des herbes, les facultez
de l’ame, la chaleur du feu, la pesanteur de l’or, & la
froideur de l’eau. Les troisiesmes sont des qualitez
acquises, comme sont les Arts & les Sciences. Les
dernieres sont les formes ou les figures exterieures,
comme d’estre fond bossu, carré, pointu, & ainsi du
reste : Mais les plus nobles de toutes les qualitez sont
celles qui eleuent l’homme par dessus le reste des
creatures. Or celles de Prince, de Roy, de Monarque,
& de Souuerain, sont les plus excellentes de
toutes celles que les mortels sçachent iamais auoir
icy bas sur la terre. Et comme la Noblesse la plus ancienne,
est la plus illustre & la plus glorieuse, il en est
de mesme de la dignité Souueraine ; plus elle approche
du commẽcement des siecles, plus elle doit estre
venerable à ceux qui considerent les choses comme
elles doiuent estre considerées. Nous lisons dans la
Genese que Caïn, apres le parricide de son frere
Abel fist construire vne ville appellée Enoch, du
nom de son fils ; en laquelle il est vray-semblable,
qu’il institua vn Prince qui auoit l’administration de
ce Royaume. Or ce Roy là ne pouuoit estre appellé
que le Roy des Frondeurs ; parce que c’estoit les armes
dont on se seruoit en ce temps-là, & celles qui
furent bien long-temps en vsage. Apres le Deluge,
Belus premier Roy des Assyriens, commandoit à
toute la terre, qu’il n’auoit conquise qu’à coups de
Fronde, tant ces armes là estoient excellentes. Aussi
c’estoient celles qui atteignoient de plus loin, veu que
les fléches n’estoient pas encore en regne, quoy que

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la Fable en puisse dire, si ce n’est celles dont Amour
se seruoit pour percer le cœur de ces premiers habitans
du monde. Voyez, de grace, si c’estoit vn illustre
Roy des Frondeurs, puis qu’il estoit luy seul le Maistre
de tout l’Vniuers. Et voyez pareillement aussi
par là, si cette qualité doit estre de grãde importance.
Les Histoires sainctes & sacrées nous font mention
que Dauid, fils d’Isaï Bethlemite, fut eleu de Dieu
entre les Bergers, pour gouuerner le peuple d’Israël :
Car apres que ce Createur eut rejetté Saül, il fit oindre
ce diuin Psalmiste, par Samuel son Prophete. De
sorte qu’apres cela, allant au combat pour la deffense
du peuple Israëlite, il tua Goliath, Geant d’vne prodigieuse
grandeur, d’vn grãd coup de pierre qu’il luy
lança sur la teste auec sa frõde, parce qu’il auoit blasphemé
contre Dieu, & defié en combat singulier tous
les Israëlites. Cela fait bien voir que ces armes ont
duré long temps, & qu’elles estoient fort dangereuses,
quoy que les espées fussent en vsage depuis longues
années. N’est ce pas là vn digne Chef des Frondeurs,
& vn Prince, que nos nouueaux discoureurs
n’oseroient enuisager en façon quelconque. Ie leur
demanderois volontiers s’ils sont plus vaillans & de
meilleure maison que ceux que ie viẽs de dire. Ceux
qui mesprisent cette qualité font bien voir leur ignorance,
& leur malice tout ensemble. La qualité de
Roy des Frondeurs est mille fois plus agreable à Dieu
& aux hommes, que la qualité de Roy des ennemis du
Ciel & de la Patrie : cela marque la vertu des Peuples
qui les sçauent mettre en vsage. Du temps que les
hommes n’auoient point d’autres armes, leur Createur
conuersoit familierement auec eux, & luy mesme
en prenoit la conduite. Qu’auons nous veu du
depuis que tyrannies, sacrileges, voleries, extorsions,
& toutes sortes de miseres ? Qu’auons nous veu du
depuis, que des Diagoras & des Theodorus abominables ?

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Qu’auõs nous veu du depuis, que des Denys
& des Busires ? Ie m’étonne que la terre ne s’entr’ouure
pour nous engloutir, & que le Sauueur de nos
ames nous vueille souffrir dauantage dans vne vie si
detestable. Nostre illustre Frondeur sçait bien ce
qu’il faut rendre au Prince ; mais il n’ignore pas aussi
de quelle sorte il faut traiter ceux qui abusent de son
authorité, pour perdre l’Estat & le Peuple. Les Tyrãs
vexent le Peuple de Subsides & d’exactions immoderées,
& ce digne Frondeur les soulage dans leurs
necessitez plus pressantes. Le Tyran administre les
affaires de la Monarchie par fraude & par auarice, &
ce digne Frondeur les conduit auec vne parfaite integrité
de conscience. Le Tyran ne se gouuerne que
par des flateurs, des satrapes, & telles autres especes
de vermines, & ce Frondeur sans exemple, n’execute
iamais rien que par vne admirable prudence. Le Tyran
est tousiours en apprehension que le Peuple ne
conspire contre luy, & nostre illustre Frondeur ne
sçauroit estre iamais en plus grande seureté, qu’au
milieu de la capitale Ville de cet Empire. Le Tyran,
à ce que nous apprend le Prophete Ezechiel, est
vn loup rauissant, prest à respandre le sang de tout le
monde ; mais nostre adorable Frondeur traite les
sujets du Roy, comme vn bon Pere de famille traite
ses enfans, ou comme le bon Pasteur traite le troupeau
de sa Bergerie. Et sans considerer qu’il est issu
du plus noble Sang de la terre, & d’vn Prince qui faisoit
trembler tout le monde, sa bonté enuers le Peuple
est vne marque infaillible de son merite. Dauid
est loüé de Saül, & nostre grand Frondeur est benit
de tous les Habitans de France. Dauid estoit le plus
ieune de tous les siens. Dauid faisoit toutes choses,
afin que le Dieu d’Israël fut glorifié, & nostre Frondeur
fait tout ce qu’il peut pour la France, afin que le

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Dieu de l’Vniuers en soit benit iusques à la fin des
siecles. Dauid par le moyen de sa fronde deliure tout
Israël, & nostre genereux Frondeur deliure tout cét
Empire par le moyen de la sienne. Dauid frappa les
Philistins d’vn grand coup, & nostre Frõdeur a frappé
tous nos Tyrans d’vne grande playe. En fin Dauid
deliura la ville de Ceila par le conseil de Dieu, &
nostre Frondeur a deliuré Paris par vne inspiration
toute diuine. Alexandre se porta bien dans des perils
tres-grands sans aucune necessité ; mais nostre
Royal Frondeur ne considera que la necessité publique.
Alexandre vainquit des peuples qui auoient
esté vaincus ; mais nostre redoutable Frondeur a contraint
ceux qui faisoient trembler toute l’Europe à
nous donner vne Paix, que nous n’eussions iamais
euë, sans son assistance. Alexandre combatit contre
de plus grandes armées ; mais nostre Roy des Frondeurs
a combatu contre des Peuples plus vaillans &
plus adroits que les autres. Alexandre a fait la guerre
auec six vingts mille soldats ; & nostre Frondeur n’a
iamais eu qu’vne petite poignée de monde. Alexandre
a manqué quelque fois ; mais nostre Frondeur n’a
iamais manqué en façon quelconque. De sorte qu’on
peut dire de luy ce que Probe disoit d’sphycrates.
Nusquam culpa male rem gessit, semper consilio vicit. Nos
affaires ne se sont iamais portez si bien, que depuis
qu’il en a pris la conduite. Ce grand homme pouruoit
à tous les accidens qui nous pourroient arriuer,
auec vne merueilleuse prudence ; & ainsi par vne vigilance
qui n’en eut iamais de pareille, il nous met à
couuert de la tyrannie de nos ennemis, & de la race
estrangere. Si bien que ie suis en doute à qui donner
le premier rang, ou à sa prudence, ou à son courage.
Il est pourtant si aduisé en toutes ses actions, qu’on ne
sçauroit iamais dire de luy qu’il ait abandonné quelque
chose au hazard, ou à la discretion de son aduersaire.

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Ie croy que Plutarque entendoit parler de luy
quand il disoit, Fortuna id vnum hominibus non aufert,
quod bene fuerit consultum. La fortune n’a aucun pouuoir
sur les choses qui se font auec vne prudence bien
auisée. Car la resolution qui est bonne, doit estre mesurée
de la raison, qui nous incite à deliberer sur les
choses, & non pas par l’estenduë des succez qui en
peuuent arriuer, bien souuent contre tous les sentimens
des hommes. Or la prudence d’vn Chef bien
auisé doit considerer deux choses. La premiere, c’est
la cõseruation de ses forces, & la derniere c’est de trauailler
à la ruine de l’ennemy. C’est à quoy nostre digne
Frondeur a bien reüssi en ces derniers troubles.

 

Peut on souhaiter plus de conduite, plus de iugement,
plus d’amitié, & plus de courage d’vn Prince,
que du nostre ? Les exploits qu’il a faits à l’entour de
Paris, & par tout ailleurs, sont si considerables, qu’il
n’est que luy seul qui en puisse faire de semblables.
On ne sçauroit inuenter chose quelconque qui nous
puisse mieux instruire des grandes qualitez de nostre
illustre Roy des Frondeurs, que la comparaison que
ie fais de cét adorable Seigneur, auec des Princes que
le Ciel & la Terre reuerent ; & ie ne croy pas qu’il
se trouue vn Monarque plus considerable en toutes
choses. Quelques-vns s’estonneront de ce que ie
viens de dire : mais ceux qui ont leu les Histoires
auec vne grande attention, trouueront que l’honneur
d’vn grand Capitaine ne consiste pas tant à conquerir
quelque grande estenduë de pays, qu’à faire valoir
son courage & sa prudence, dans vne necessité bien
pressante. Enfin, si les Grecs estimerent Alexandre
fort glorieux, le voyant assis triomphant dans la chaire
Royale de Darius Roy de Perse ; quel honneur ne
deuõs nous pas attribuer à nostre Roy des Frondeurs,
de voir que toute la France ne cherche que l’occasion
de se sacrifier pour son seruice ? Se peut-il voir vn

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Trône plus glorieux ny plus magnifique, que de se
voir placé par vn peuple si belliqueux, dans le cœur
de l’vn & de l’autre sexe. Cent mille hommes furent
volontairement exposer leurs vies pour conseruer la
sienne, en vn aduis qui leur fut donné, que ce grand
Homme estoit inuesty des ennemis, au retour d’vn
conuoy qu’il venoit de faire pour les assister de viures.
Ie ne vis iamais tant de monde que ce iour là battre
la campagne, sans ordre & sans conduite. Cela fait
bien remarquer l’extreme passion qu’ils ont pour vn
Prince si considerable à l’Estat, & si necessaire à la patrie.
Et nous pouuons dire auec verité, que si Alexandre
receut de grands témoignages d’amitié des Capitaines
& des grands Seigneurs de Perse & de Macedoine,
lors qu’il les eust festinez pour les renuoyer
chez eux ; que nostre Roy des Frondeurs n’en receut
pas moins des Habitans de Paris, en la prodigieuse
sortie qu’ils firent pour son seruice. Que si tous les
Puissans de France s’employoient de la mesme sorte
que ce digne Roy des Frondeurs s’employe pour le
bien de la Patrie, ce Royaume & le Paradis terrestre
ne seroient qu’vne mesme chose. Il ne faut pas qu’vn
Prince qui souhaite d’estre des premiers du monde, se
contente de commander seulement par le droict de sa
puissance aux Peuples & aux armées ; mais il faut que
pour estre glorieux pardessus tous les autres, que sa
douceur, & que sa liberalité enuers tout le monde, le
rende vnique possesseur du cœur de tous les Peuples ;
parce qu’en cette digne possession, tous ses commandemens
seront suiuis d’vne extreme affection, & d’vne
parfaite obeïssance, & son honneur sera plus cher vr iuersellement
à tout le monde que leur propre vie.
C’est ce que nostre Roy des Frondeurs fait dans vne
perfection inimitable. Et si Montagne dit que les
Commentaires de Cesar sont le Breuiaire des gens
de guerre, nous pouuons bien dire sans faillir pareillement

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aussi que les effects de nostre Illustre Frondeur
sont le vray miroir de tous les Princes de Frãce.
C’est pourquoy ie tiens qu’vn homme se pourra dignement
vanter d’auoir attaint au plus grand honneur
qu’il puisse acquerir, s’il imite les actions de
nostre admirable Frondeur le plus qu’il luy sera possible :
Car d’esperer faire mieux, ce seroit tenter &
vouloir faire l’impossible, ou du moins pour y arriuer
il ne faudroit pas moins auoir qu’vne vie immortelle.
Et bien que ses victoires ne soient pas en aussi grand
nombre que celles d’Alexandre, de Pompée, de Constantin,
& de plusieurs autres, pour luy donner tous
les attributs que ie luy donne, ce qu’il a fait pour nous
en toutes sortes d’occasions, luy ont dignemẽt acquis
des tiltres plus specieux & plus honorables, que tous
ceux qu’on a donnez à tous ces grands Princes. Et veritablement
quand il n’auroit autre gloire que celle
d’auoir sauué l’Estat & la Patrie ; ie tiens qu’elle surpasse
toutes les autres, de quelque nature qu’elles
puissent estre. Que si Q. Fabius s’acquist le surnom
de Tres-Grand, pour auoir empesché le cours des victoires
d’Annibal ; à plus forte raison deuõs nous donner
ce nom là à nostre digne Frondeur, pour auoir
empesché le dessein des Tyrans, les entreprises des
seditieux & des factionnaires. Aristote nous asseure,
que se maintenir & se deffendre contre ses ennemis, est
vne action bien plus noble que celle de les assaillir ; &
c’est ce que nostre Roy des Frondeurs a fait par excellence,
se reseruant à faire l’autre lors que la necessité
des affaires le requerra, aussi bien que qui que ce
soit au monde. Sa prudence est vne habitude qui ne
s’occupe qu’à la pratique des expediens qu’elle iuge
estre les plus conuenables, pour arriuer à la fin qu’elle
s’est proposée. Et cette fin n’est autre chose que l’interest
du Souuerain, & le bien de la Patrie. C’est ce qui
donne le bransle & le mouuemẽt à toutes ses actions.

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C’est ce qui luy fist renuitailler plusieurs fois Paris,
malgré la resistance des ennemis qui le tenoient inuesty.
Et ce ieune Mars, resolu de mourir ou de vaincre,
ayant sceu que l’armée occupoit tous les passages,
s’en va teste baissée droict où elle estoit, les perce, les
bat, & leur fait faire retraite. Ce fust là, aussi bien qu’il
auoit fait au siege d’Arras, où il fit des exploits ou
toute la nature humaine ne sçauroit attaindre. Mais
ce ne fut pas tout, les ennemis se r’allient, tentent encor
vn nouuel effort, & vn secours qui leur suruint,
l’obligea de faire encore vne seconde tentatiue. Neãtmoins
comme ils virent à la contenance des nostres,
qu’ils courroient encore vne seconde risque, ils s’aduiserent
de faire par la finesse, ce qu’ils n’auoient pû
tenter par la force ouuerte. Ces troupes firent semblant
de se separer, & nostre illustre Roy des Frondeurs
croyant n’auoir plus des ennemis à combattre,
fait continuer la marche auec le plus bel ordre du
monde. Enfin estant vn peu auance, on luy vint dire
que les ennemis s’estoient saisis du passage, & qu’ils
témoignoient à ce coup là se vouloir seruir de leur
auantage ; mais cet illustre Roy des Frõdeurs ne voulant
pas perir au port, ny faire naufrage à l’endroit
où il venoit d’ancrer toutes ses esperances, trauaille
d’abord aux moyens de se garantir de l’entreprise de
ses ennemis, & de rendre sa victoire aussi fameuse par
vn effect de sa prudence, que par vne action de courage.
Ainsi voyant que ses forces estoient trop petites,
au respect de celles de ses ennemis, & ne voulant rien
hazarder qu’il ne fust égal aux autres, pour les combattre,
il depesche vn Courrier à Paris, afin d’auoir du
secours de la Ville. A mesme instant tout le monde
sort, pour aller où leur deuoir & leur courage les obligeoit
à se rendre. Au nom de ce Prince chacun faisoit
gloire d’exposer sa vie pour conseruer la sienne ;
& les ennemis voyans qu’il estoit en estat de les combattre

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& de les deffaire, furent tous heureux de lascher
le pied, & d’éuiter leur entiere ruine. Cette armée
s’estãt eclipsée, il arriue à Paris glorieux & triomphant,
où l’on ne vit iamais tant de ioye ; tout le
monde crioit, Viue le Roy, Viue le Roy, ie ne sçay pas si
l’on vouloit dire celuy des Frondeurs, ou celuy qui
n’est pas encore en âge de vanger la tyrannie que l’on
fait à son Peuple. Les Bourgeois témoignerent auoir
vne si grande satisfaction de ses trauaux & de ses peines,
que toutes les bouches ne furent ouuertes que
pour luy donner des loüanges, & pour luy rendre graces
de l’extreme soin qu’il prenoit de soulager nos miseres.
Mais ce n’est pas tout, il semble que nostre digne
Roy des Frondeurs veüille ternir toute la gloire
des Siecles passez, par ses actions presentes. Les Histoires
de l’Antiquité ne nous sçauroient vanter des
grands hommes, qu’ils ne le doiuent ceder à nostre
Pere de la Patrie. Il a plus fait en sa derniere action,
que tous les autres ensemble n’ont iamais sçeu faire
de leur vie.

 

Cet inuincible Mars ayant sçeu qu’vn Marquis tres-vaillant,
accompagné de plusieurs autres Seigneurs
fort signalez en courage, auoit dit quelques paroles
contre son honneur & sa gloire, le fut trouuer aux
Tuilleries, où ils estoient à faire collation, & apres
l’auoir mal traité de paroles, ce genereux Prince renuerse
la table sur ledit Marquis, & luy donne quelques
coups de cane : Vn Gentilhomme de leur party
voulant mettre l’espée à la main cõtre cet Inuincible,
ce Magnanime saute sur luy, la luy oste, & luy en donne
cent coups pour son partage. Iugez apres cela de
grace, si les Roys des Frondeurs sont genereux, &
s’ils sont à craindre. Où sont ces grands hommes des
Siecles passez, qui ont sçeu si bien faire le Soldat que
luy, apres auoir mieux fait le Capitaine que pas vn de
tous tant qu’ils sont ensemble ? Les Histoires nous en

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produisent vn nombre infiny ; mais il s’en faut beaucoup
que le plus illustre de tous, ait fait des actions si
glorieuses : & si ils n’ont iamais rien entrepris que
pour satisfaire à leur vanité, au contraire de nostre
Heros, qui n’a iamais rien fait que pour sa Patrie.
Aussi a-t’il mis sa reputation en vn estat sans exemple.
C’est pourquoy il a banny de toutes ses actions,
toutes celles qui estoient indignes d’vn affaire
de si haute importance. Enfin, c’est vn homme dont
la vertu ne sçauroit estre facilement comprise, mais
bien considerée. Et nous deuons dire de luy, mieux
de qui que ce puisse estre, Virum magnœ existimationis,
Parce que sa valeur a passé au delà de toutes les valeurs
humaines : elle a quelque ie ne sçay quoy de celeste
& de diuin, que nous ne sçautions comprendre.
C’est le fruict d’vne excellente vertu, & d’vne perfection
inimitable. Vne petite vertu peut estre facilement
entenduë ; mais la sienne est tellement sublime,
qu’elle le tire du rang des hommes, pour le mettre au
nombre des Diuinitez mortelles. Que peut-on faire
de plus grand & de plus illustre, que de sauuer vn si
florissant Empire que le nostre, de la tyrannie de nos
ennemis, & de le remettre dans la paix & dans l’abondance.
Par la Paix les Peuples sont dans leurs biens
& dans le repos, & par la fin de la guerre, le Roy void
son Estat bien asseuré, & ses Sujets hors de la volerie
de ceux qui gouuernent les affaires. Auguste Cesar
n’auoit point de plus haute vanité, que celle de conseruer
l’Estat, & de tenir ses Peuples dans la Paix &
dans la Iustice. Salomon s’est acquis la plus digne reputation
de toutes celles où les hommes puissent pretendre,
pour auoir tousiours donné la Paix à son Peuple.
Fabius Rullus s’acquit le surnom de Tres-grand
par sa ciuilité & par sa prudence. Et certes il est bien
plus difficile & plus important de trauailler à la conseruation
d’vn Empire, comme nous auons desia dit,

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que non pas de l’amplifier, & deffendre ses limites par
des fameuses conquestes. Quy, Monseigneur, vous
n’estes pas moins admirable de trauailler à nostre conseruation,
qu’Alexandre le fust à conquerir toute la
terre habitable. C’est dequoy Cesar l’a tousiours blasmé,
de voir qu’il ne faisoit pas plus de cas de conserner
ce qu’il s’estoit acquis, que de l’acquisition qu’il en
auoit faite. Le hazard & la mauuaise conduite nous
font quelquefois des acquisitions merueilleuses ; mais
il n’est que la seule prudẽce qui nous sçache bien faire
conseruer les choses que nous auons acquises. Plus
les vertus sont éleuées, & plus elles sont en plus grande
veneration aux Peuples. L’amour des Sujets est
d’vne si grande importance, qu’elle seule fait bien
souuent toute la gloire, & toute la fortune des Princes.
C’est vne passion qui n’a que trop de raisons, pour
se faire estimer la Princesse de toutes les autres. Elle
vnit de telle sorte l’amant à la personne aimée, qu’elle
n’en fait qu’vne mesme chose ; si bien que la volonté
de l’vn se trouue estre le desir de l’autre ; & l’authorité
ainsi establie n’est pas sujette aux inconstances de la
fortune : mais il faut aussi que le Prince sçache, que
l’effect ne peut pas estre de plus longue durée que sa
cause. L’amour du Prince cessant, l’amour du peuple
cesse en suite. Cela ne se void que trop en la personne
d’vne Auguste Princesse. Dieu vueille que cela ne soit
pas long temps, & qu’elle reuienne en son premier
lustre.

 

FIN.

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Anonyme [1649], LE ROY DES FRONDEVRS. ET COMME CETTE DIGNITE est la plus glorieuse de toutes les dignitez de la Terre. Contre le sentiment des esprits du Siecle. , françaisRéférence RIM : M0_3556. Cote locale : A_8_15.