Anonyme [1652 [?]], LE ROYAL AV MAZARIN Luy faisant voir par la raison & par l’histoire. I. Que l’authorité des Roys sur la vie & sur le bien des Subjets est fort limitée, à moins qu’elle ne soit tirannique. II. Que l’authorité des Princes du Sang est essentielle dans le gouuernement. III. Que l’authorité des autres Parlemens de France, pour les affaires d’Estat, est inferieure & subordonnée à celle du Parlement de Paris. IV. Que les Prelats n’ont point d’authorité dans le maniment des affaires d’Estat, & que leur deuoit les engage de n’auoir d’attachement que pour le sanctuaire. , françaisRéférence RIM : M0_3561. Cote locale : B_10_4.
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LE
ROYAL
AV
MAZARIN.

IL n’est point de possession esgale à celle de l’ambition,
lors qu’elle s’empare des esprits vains. Cette imperieuse
maistresse les captiue si seruilement, qu il est
besoin d’vn bras plus souuerain que celuy des puissances
du monde pour en brizer les fers ; iusque-là mesme
que Tertulian en fait l’escueil de l’authorité de Dieu, à
moins que se roidissant à la combattre, par vn dessein
fermement premedité d’en estre le vainqueur, il ne fasse
marcher des forces toutes extraordinaires, pour ne s’exposer
point à la honte de l’auoir attaquée sans l’auoir
peu reduire. Ce magnifique passage de l’Escriture, ou
Dieu se met sur la deffensiue contre les ambitieux & les
superbes Deus superbis resistit, oblige cet eloquent Docteur
à l’expression de cette hardie pensée, sur laquelle
encor son disciple S. Ciprian n’a pas douté d’encherir,
lorsque faisant reflection sur la déroute des Anges Apo
stats, il asseure que Dieu ne pouuoit pas donner vne
plus belle marque de cette authorité souueraine qu’il a

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fut toutes ses creatures, qu’en retraçant d’abord la superbe
des plus eminentes, & imposant, pour vn eternel
trophée de ce premier triomphe, l’auguste nom de Gabriel
ou de force de Dieu, à celuy qu’il auoit commis à
la gloire de cette belle expedition.

 

Ceux qui se mettent en peine de rechercher vn peu curieusement
la genealogie de l’ambition ; la font sortir
du desreglement de l’opinion qu’on a d vne authorité
qui n’est qu’imaginaire, laquelle se rendant maistresse
de la foiblesse du iugement, par le moyen de mille fausses
illusions dont elle l’esbloüit, la fait attenter à des entreprises
esgales à l’idée pretenduë de sa capacité ; sans
luy permettre de se regler à ce qu’elle peut, parce qu’elle
luy fait entendre, que son impuissance n’est qu’vn effet
de sa lacheté, & que son pouuoir n’eschouë qu’à ce
qu’elle n’oze point entreprendre auec assez de vigueur.

La chute d’Icare qui se fit des ailes de cire pour voler
iusqu’à la source de la lumiere, fait le tableau de l’ambition
dans la seconde partie des tableaux de Philostrate.
Trismegiste prenoit plaisir de reuestir cette dereglée, de
la pompe éclatante de l’Arc-en-Ciel, lequel ne reluisant
qu’à la faueur de mille couleurs trompeuses, que la philosophie
n’a iamais reconnu que dans l’extrauagance
de nos yeux ; nous fait conceuoir vne idée conforme à
celle que nous deuons auoir de l’ambition ; laquelle n’estant
releuée qu’à mesure qu’elle se rehausse elle mesme
par les fausses idées de nostre imagination, n’a par consequent
point d’autre subsistance que celle que nous
luy donnons en prenant plaisir de nous amuzer.

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Considerez Xerxes dans l’extrauagance de cette
presomption ambitieuse, qui luy faisoit croire que
l’Ellespont deuoit releuer de son pouuoir ; & qu’en
punition du rauage que ce destroit orageux auoit fait,
pour rompre ce superbe pont de bateaux, qui ioignoit
l’Europe auec l’Asie : c’est à dire, Sestos & Abidos ; il
pouuoit enchainer ses flots victorieux, & les obliger
par vne soumission forcée, à respectter inuiolablement
l’empire de ses Loix.

Si l’ambition ne se fust emparée des esprits foibles,
l’authorité des Souuerains n’eut iamais transgressé les
Loix, que la Iustice luy auoit prescripts : Et ce pouuoir
absolu, qu’ils ne tenoient que de la liberté toute
pure de leurs Subjets, maintenu dans cette belle innocence
de sa premiere origine ; n’eut iamais veu ces tragiques
reuolutions des Estats, que les Histoires nous
font considerer dans tous les âges, comme les triomphes
ordinaires de la fortune.

Tarquin ne perdit le Sceptre chez les Romains, que
pour auoir voulu faire passer vn coup de tyrannie, pour
vn coup d’vne authorité legitime. Appius ne termina
le Decemvirat chez les mesmes, que par vn attentat
de mesme nature ; Et pour n’amuser pas mes Lecteurs,
qui sont plus sçauans que moy dans les Histoires :
N’est il pas constant par l’experience de tout
ce que l’antiquité nous fait detester denuëment funeste,
que tous les changements des plus puissans Estats
n’ont iamais esté causez que par des vsurpations d’authorité ;

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& que les Peuples ne se sont lassez du gouuernement
de leurs Ancestres, que depuis que leurs
Souuerains ont commencé d’empieter vn Empire
plus absolu, que celuy de leurs predecesseurs.

 

L’authorité, quelque souueraine qu’elle soit, ne
peut iamais estre trop moderée dans son exercice : sa
decadence est moins dangereuse que son rehaussement :
Les Peuples qui la voyent déchoir ne s’opposent
point au dessein qu’on a de la releuer. Lors qu’ils
voyent qu’elle s’augmente, ils en craignent les accroissements ;
& l’apprehension de la voir enfin au
dessus de leurs Loix, sert de pretexte ordinaire à leur
armement, pour la retenir dans la soumission.

Puis qu’il est donc vray par ces présuppositions antecedentes,
que le bon, ou le mauuais vsage de l’authorité,
fait le bon, ou le mauuais gouuernement : le
pense qu’il est à propos, que nous examinions vn peu
le pouuoir de nos Roys, & que sans attenter à l’independance
de leur authorité, à laquelle nous ne voulons
point préscrire d’autres bornes, que ceux de la
Iustice, nous raisonnions vn peu sur la liberté qu’ils
ont de disposer souuerainement des vies & des biens
de leurs Subiets.

I. Les Roys sont absolus, il est vray, ils sont Souuerains,
ils sont independans : Il faut neantmoins que
leur authorité, quelque haute présomption qu’elle ait
de son pouuoir, reçoiue des bornes ; & que pour euiter

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le decry du debordement, elle compatisse auec
plaisir dans les limites d’vne iuste grandeur. Auoit
des bras aussi longs que la volonté : c’est puissance entre
les mains de Dieu, mais c’est foiblesse entre les
mains des hommes, du moins s’il en faut croire la
Theologie. Pouuoir tout ce qu’on veut, pourueu
qu’on ne puisse vouloir, que ce qu’il faut ; C’est estre
Dieu, pource qu’en effet Dieu peut bien tout ce qu’il
veut, mais ce pouuoir mesme infiny, ne consiste, qu’à
ne pouuoir que ce qu’il faut : Et voyla les bornes,
que ceux qui abusent de la signification des termes
donnent à son immensité.

 

Les Souuerains qui ne sont point tyrans, peuuent
tout : mais ce n’est pas sans condition, parce qu’ils
n’ont point cette impuissance de ne pouuoir vouloir
que ce qu’il faut ; ils peuuent donc tout, à condition
qu’ils ne voudront que ce que la Iustice leur permettra,
& qu’ils se borneront par vertu, aux termes, ausquels
Dieu n’est borné que par son essence : Lors que
Methodius apelle Nostre Dame [2 mots ill.] c’est
a dire, circumscriptio incircumscripti, ou le terme de celuy
qui est sans terme, parce que comme parlent quasi
tous les Peres de l’Eglise, l’immensité de Dieu se restressit
elle mesme, comme en se reduisant en abregé,
& s’aneantissant, comme parle Sainct Paul, pour
compatir dans les termes estroits de nostre nature ; Il
applique fort adroittement ces deux majestueuses paroles
à la Iustice, disant que c’est elle qui doit estre
[3 mots ill.] c’est à dire, le limite de la puissance

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de ces tout-puissans, & qui doit borner leur pouuoir,
non pas par vne necessité de leur nature, comme
en Dieu, mais par vn choix, & par vn acte de
vertu de leur liberté.

 

Ainsi les Roys, qui sont en terre les Images plus
viuants de la Diuinité, peuuent tout en effet, mais à
condition toutesfois, qu’ils ne le voudront que par
vne imitation du pouuoir de Dieu : c’est à dire, qu’ils
ne forceront pas la Iustice dans ses retranchements, &
qu’ils tireront la bride à leur authorité, lors que cette
regle de leur pouuoir ne leur permettra pas de la lacher
au gré de leurs passions.

Photin, cet insolent Ministre de la Cour de Ptolomée
Roy d’Egypte, raisonnant chez Lucain, touchant
la reception qu’il falloit faire à Pompée, apres
la honte du mal-heureux succez de Pharsalle ; dit par
ces mots, ius & summa potestas non coeunt, que le droit
ne peut point compatir auec l’authorité desreglement
absoluë : C’est ainsi pour le moins, que le mot de summa
est interpreté par Pharnabius, parce que comme
il remarque for bien, le pouuoir du Roy d’Egypte
n’estoit pas moins despotique sur ses subiets, que celuy
du grand Seigneur : Ainsi l’authorité de ce Monarque
n’estant point suiette des Loix de la Iustice, ce
Ministre luy faisoit comprendre, que s’il vouloit la
maintenir sans degenerer, il falloit bien plutost considerer
ce qui seroit de son interest, que ce qui seroit
de la Iustice.

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Ce n’est donc point la Royauté, mais la tyrannie
qui mesconnoit ces bornes, prescrites à l’authorité
Souueraine ; & qui ne veut point estre reduite
à ne pouuoir, que ce que la foiblesse de ses
bras ne luy permettera point d’entreprendre :
Mais ce n’est point estre Souuerain, que d’estre
tyran : le Trone de ces puissances Despotiques
ne subsiste qu’à force de bras : comme le ioug
qu’elles imposent à leurs subiets est intolerable,
la crainte de le voir secoüé par l’impatience, les
oblige à des soings qui sont les tyrans de leur liberté :
Ils ne sont obeis que parce qu’ils sont les
plus forts ; & les subiets ne leur sont soumis que
parce qu’ils ne peuuent point faire marche-pied
de leur authorité. S’il en faut croire les Philosophes,
le gouuernement n’est pas de longue durée,
parce qu’il est violent ; & qu’il n’est pas possible
de tenir tousiours vn Timon, sans qu’il eschape
des mains, lors qu’on n’espie que les occasions
de l’en arracher.

Vn Roy qui borne son Pouuoir à sa Iustice, ne
ne doit rien craindre, parce qu’il interesse tous ses
subiets à sa conseruation ; & qu’il leur est plus important
d’estre commandes, qu’à luy de commãder
de la sorte. Cette belle moderation de la Souueraineté
attire les respects de ceux qui sçauent
en reconnoistre le prix & la valeur ; & ces iustes
Monarques n’ont tien à craindre, que pendant
les siecles qui enfantent des monstres, c’est à dire
des Rauaillacs & des Brutes.

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Par les preuues de ce raisonnement precedent
la Royauté n’est pas sans Loix, comme
la mer n’est pas sans bornes, que les orages
les plus orageux ne vont iamais baiser qu’auec
respect. Dieu chez l’Apostre, se borne luy
mesme dans les termes de la Raison, & proteste
hautement qu’il n’entend point exiger de nos
obeissances, que de soumissions de Iustice, rationabile
obsequium vestrum. L’erreur de Caluin n’a
point eu d’autre source, que ce tyrannique pouuoir
qu’il a voulu donner à Dieu, de nous damner
ou de nous sauuer sans aucune consideration de
nos demerites, & cet insolent Heresiarque, n’a
esté fulminé par le Concile de Trente, que pour
auoir voulu oster toutes sorte de termes à l’authorité
de Dieu, afin de la rendre Despotique sur nostre
reprobation Il est cependant de foy, qu’il endurcit
celuy qui n’est pas à son gré : qu’il predestine Iacob,
& qu’il reprouue Esaü auant leur naissance, & qu’il dispose
de ses creatures comme vn Potier de ses pots de terre,
dont il destine, au gré de ses desirs, les vns à gloire,
& les autres à l’ignominie. Neanmoins, malgré
l’euidence mesme de ces paroles effroyables, l’Eglise
a creu qu’il leur faloit donner vne interpretation
plus raisonnable en faueur d’vne plus douce
authorité, & qu’il falloit nous rendre les ouuriers
absolus de nostre bonheur ou de nostre
malheur éternel.

Vn Roy ne meriteroit-il pas d’estre hõteusement
degradé, s’il venoit iusqu’a cette extremité d’insolence,

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que de pretendre que son pouuoir fut plus
souuerain sur ses sujets, que celuy de Dieu sur ses
creatures : puis que le pouuoir des Rois, n’est qu’vne
deference volontaire de la liberté des sujets, qui renoncẽt
au droict naturel qu’ils ont de ne dépendre
de qui que ce soit, pour receuoir le joug d’vn souuerain
qu’ils commettent vnanimement à la manutention
de leurs loix. Au lieu que les creatures sont
obligées à leur Createur par vn deuoir indispensable,
& que l’attachement qu’elles doiuent auoir
pour le respecter, n’est pas vn effect de leur liberté,
mais vne necessité toute pure de leur condition.

 

Les fauteurs de cette puissance despotique se
preualent puissamment de ces auantageuses paroles
que Samuel tint autrefois au peuple Iuif, lors
que pour estonner les importunitez de la demande
d’vn Roy, ce Prophete leur fit entendre que ce
Monarque disposeroit souuerainement de leurs
biens, de leurs vies, de leurs femmes, de leurs filles,
& de tout ce qui n’auoit pas esté dans cette prodigieuse
dependance pendant le gouuernement des
Iuges. Mais ils se retranchent dans vn poste, dont
il n’est pas trop difficile de les chasser. On ne nie
pas que la disposition de nos vies & de nos biens ne
soit entierement à la discretion de nos Souuerains :
Mais on voudroit bien en reuanche que nos opiniâtres
tombassent auec nous dans des sentimens
plus raisonnables, pour iuger sainement que le
pouuoir des Rois sur leurs sujets, est en quelque

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façon conforme a celuy de Dieu sur ses creatures,
& que, comme ce Tout puissant ne damne ses
creatures qu’en suitte de leurs déreglemens ou de
leurs transgressions des loix ; aussi les Roys ne peuuent
ils attenter qu’auec tyrannie, c’est à dire, en
outrepassant les bornes de leur authorité, à disposer
des vies & des biens de leurs sujets, qu’en punition
de leurs desobeïssances, ou pour des motifs
empruntez des necessitez de l’Estat.

 

Lors que Dieu parloit au peuple Iuif en ces termes
apparemment horribles par la bouche de
son Oracle ; s’il eust crû qu’il falloit les interpreter
dans le sens d’vne authorité despotique, n’est il pas
vray que c’est sans raison qu’il se fust interessé si
chaudement à la punition d’Achab & de Iesabel,
puis que ces deux Monarques, mary & femme,
n’estoient criminels que d’auoir attenté sur la vie
& sur le bien d’vn de leurs sujets, sur lesquels on
auroit raison de pretendre en suitte de cette interpretation
odieuse que leur pouuoir auroit esté
despotique. Falloit il faire retentir auec tant d’effroy
l’espouuentable punition de l’adultere & de
l’homicide de Dauid, puis que ce Monarque qui
estoit selon le cœur de Dieu, n’auoit fait mourir
Vrie par le ministere de Ioab, pour ioüir plus impunément
de Bersabée, qu’en suitte du pouuoir
souuerain & despotique que nos Interpretes pretendent
donner aux Monarques sur les vies & sur
les biens de leurs sujets.

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O Dieu ! que nos conditions seroient pitoyables,
si nos vies & nos biens estoient à la discretion
d’vn Monarque capricieux ; & que nous aurions
grand sujet de reprocher à nos ancestres la perte
de nostre liberté, dont ils ioüissoient encor à la
naissance de cette Monarchie, lors qu’auec tant
d imprudence, ils la soumirent à la captiuité pretenduë
d’vn si cruel esclauage. Quel plaisir devoit
des Nerons qui se font bastir des tours de verre
pour repaitre leur cruauté de l’incendie de leurs
villes ! De voir des Caligulas qui creuent les yeux
auec le bout du doigt, à ceux qui se presentent deuant
eux pour les feliciter dans leur auenement à
l’Empire, de voir des Messalines qui forcẽt les plus
honnestes filles de se venir prostituer dans les bordels
de leurs maisons Royalles.

Histoires de nos ayeux, sacrez Depots de l’Antiquité,
monumens venerables de tous les debris
des Estats, vous deuiez auoir espargné cette honte
à vos relations ; & n’auoir transmis iusques à
nos temps, que des exemples d’vn gouuernement
qui seruir d’alechement à nos Rois, pour aiuster
leur conduite au modelle de celle que vous leur
auriez fait admirer : Et ceux qui font passer les
exemples horribles que vous leurs donnez, pour
des preiugés de l’impunité qu’ils esperent dans
l’imitation d’vne semblable conduite, ne seroient
peut-estre pas si hardis que de suiure aueuglemẽt
les boutades d’vne ambition desreglée pour s’emporter

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des coups de tyrannie, qui ne leur rauissent
pas moins de cœurs qu’vne conduite contraire
leur en acqueroit, s’ils auoient soin de la compasser
à la regle de la Iustice.

 

Mais les conduites brutalles de ces tyrans n’ont
pas plustost retenty dans l’Histoire, que leurs punitions ;
Et des que nous auons entendu que Neron,
Caligula & Messaline s’emportoient à ces extrauagances
de cruauté, nous auons aussi veu que
les subiets oubliant le respect qu’ils auoient deuoüé
à leur conduite, supposé qu’elle fut raisonnable,
se sont promptement despechez de ces boureaux
d’Estat, non point par des Paricides execrables ;
comme des flateurs pourroient encor auancer,
mais par des coups de vengeance, que la Iustice
publicque mettoit à la discretion du plus
determiné.

Les Roys peuuent donc tout ce qu’ils voudront,
mais à condition que leur volonté ne se
reglera que par les loix de la Iustice, & que leurs
caprices particuliers, n’entreront point dans leur
Conseil, lors qu’il sera question de deliberer sur les
affaires de quelqu’vn de leurs subiets, ou sur ceux
de l’Estat. n’est ce pas pour maintenir ces Souuerains
dans la moderation de ce pouuoir, que ceux
de la Chine sont auertis tous les matins à leur reueil,
par vn Herault erigé en office d’Estat pour ce seul
sujet, de se souuenir tousiours, que l’obligation
qu’ils ont de rendre iustice à leurs sujets, est anterieure

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à celle qu’ils ont d’en exiger du respect, &
lors que S. Gregoire le Grand fut esleué à la Lieutenance
de Dieu sur la Chaire de S. Pierre, pour
estre le Monarque du Christianisme, & le Souuerain,
beaucoup plus absolu sur ses loix, que les
Roys de la Terre ne le sont sur celles de leurs Estats,
ne prit-il pas dans cette haute independance de
son Authorité, le titre aparemment indigne de
seruiteur des seruiteurs, dont ses successeuss se
sont du depuis incessamment qualifiés, pour faire
voir que dans cette intendance Monarchique de
la conduite du Christianisme, il portoit vn plus veritable
ioug de dependance que pendant la qualité
de particulier, puis qu’il n’estoit pas soumis à
moins de Maistres, qu’il estoit de Chrestiens, ausquels
il estoit obligé de consacrer ses veilles pour
leur rendre iustice. L’histoire de Louys XII. fait
trop d’esclat dans les annales de France, pour n’estre
point sçeüe de tout le monde. C’est aymable
Monarque cruellement trauersé par des ennemis
domestiques, pendant qu’il n’estoit encor que
Duc d’Orleans, ne fut pas plustost assis sur le Trône
par vne reuolution assés ordinaire dans les
Estats, que ceux qui se sentoient coupables de
l’auoir mal traité, se virent obligez d’auoir recours
à sa clemence Royalle & de le suplier tres humblement
de ne se souuenir point de tout le passé.
Alles allez dit-il, ne me venez point exposer des sentiments
si contraires à l’idée que vous deuez auoir de ma

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bonté, le Roy de France n’est point esleué sur le Trone
pour venger les interests du Duc d’Orleans que vous
auez offencé. Pour lors ie vous considerois en ennemis
& l’honneur m’obligeoit de me ressentir des affronts que
ie pretendois auoir receu. Mais à present ie vous regarde
en sujets, & la iustice desarme tous ces premiers sentiments,
pour ne me laisser agir que par des tendresses de
pere.

 

Ne faudroit il pas que ce fut l’vnique miroüer
qu’on mit tousiours deuant les yeux de nostre
ieune Monarque, & qu’on l’accoustumat de ne
considerer iamais d’autre action que celle de
ce pere de son peuple, pour l’obliger à ne gouuerner
iamais ses Estats que sur ces adorables principes.
La douceur en est trop paternelle, & la conduite
n’en est pas assez brutale pour assouuir la rage
de ce conseil Mazarin, qui ne repait iamais les
innocentes oreilles de ce pauure ieune Monarque
que du pouuoir pretendu, qu’il luy donne de disposer
souuerainnement, c’est à dire despotiquement
ou tyranniquement des vies & des biens de
ses sujets : Anatheme sur toy, conseil d’Antropophages
& de Cafres : c’est sur ces maximes qu’il
faudroit bastir l’éducation d’vn loup ou d’vn lionceau,
non pas celle d’vn Monarque, qui doit plustost
estre prodigue de son sang que de celuy de
ses peuples, & qui ne doit auoir de cœur que pour
en faire regner les tendresses auec plus de souueraineté.

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Nous voulons bien que nos vies & nos biens luy
apartiennent, mais dans le mesme sens qu’il le voudroit
luy mesme, s’il n’estoit conduit que par la seule
bonté de son naturel ; qu’il en dispose souuerainement,
mais non pas en Tiran ; qu’il expose nos vies
particulieres pour les interests de l’Estat, mais qu’il
ne nous les rauisse pas, pour les immoler par caprice
au Mazarin ; qu il rachepte le bel estat de nostre premiere
liberté auec nos biens, mais qu’il ne nous despoüille
pas pour reuestir vn Estranger, & qu’il ne
nous reduise pas à l’aumone pour ietter vne abondance
monstrueuse dans la maison du Mazarin.

C’est en ce sens que nous pretendons que nos vies &
nos biens sont à la disposition de nos Monarques ; &
que nos Souuerains peuuent les prodiguer au gré de
leurs volontez, supposé qu’ils s’y sentent obligez par
le iuste dessein de sauuer l’Estat : mais de croire que
nos Souuerains puissent nous rauir nos vies & nos
biens au gré de leurs caprices sans aucun motif emprunté
des interests de l’Estat ; c’est à dire que l’honneur
de nos vierges leur doiue estre prostitué en hommage,
comme iadis dans la tirannie des Payens, aux
Roys de l’Asie ; qu’ils puissent esleuer la superbe de
leurs Palais sur les debris de nos pauures maisons,
comme l’injuste Achab dans la Iudée, ou Charles le
mauuais dans le Royaume de Nauarre ; qu’ils ayent
vn droit despotique de faire vn carnage de petits enfans,
pour en faire des bains comme vn Constantin
auant le Christianisme, qu’ils puissent faire esgorger
au gré de leur cruauté, ceux que bon leur semblera,

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pour faire peindre des tableaux d’hommes mourans
dans le desespoir auec vne plus viue expression, comme
faisoit autrefois le cruel Sesostre Roy d’Egipte. Ie
pense qu’il n’est que Mazarin & les siens qui puissent
extrauaguer iusqu à ce point ; & que nostre ieune
Monarque n’en regarderoit les injustes sentiments
qu’auec horreur, si ses bontez toutes Royales n’estoit
insolemment violentées par des impressions estrangeres,
ou si son age estoit à l’espreuue des embuches
qu’on luy desguise malicieusement pour le surprendre.

 

Concluons donc mais concluons-le hardiment en
barbe mesme de la tirannie, que les Roys ont toute
sorte de pouuoir sur leurs sujets, pourueu que ce pouuoir
soit tousiours borné par celuy de la iustice ; que
dés que les Roys commencent à vouloir exiger ce qui
n’est pas de la iustice, ils commencent à dispenser
leurs sujets de l’obeissance qu’ils leur doiuent, parce
qu’ils n’ont accepté le serment qu’auec cette condition ;
que les Roys ne peuuent nullement disposer de
nos biens ou de nos vies que par des motifs empruntez
des interests de l’Estat, & que des que leurs caprices
particuliers se meslent dans cette disposition Souueraine,
comme nous voyons aujourd’huy dans le
restablissement du Mazarin ; les subjets sont des fols
s’ils permettent en aucune façon que leurs Souuerains
empietent cette tirannique authorité, parce que
ces commencemens heureux les obligerẽt puis apres
d’en pousser les progrez insolens auec esperance d’vne
semblable impunité.

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II. De l’authorité des Roys, ie passe à celle de leurs
Princes pour le gouuernement des affaires d’Estat, &
ie soustiens que l’authorité des Princes du sang estant
vne communication de l’authorité souueraine par
l’impuissance des Roys à la pouuoir faire agir dans
toute son estenduë. Il n’est pas iuste que les Souuerains
pretendent aucunement pouuoir gouuerner les
affaires de leurs Estats, sans la participation des Princes
de leur sang.

L’authorité souueraine n’est que l’effet absolu de la
deference des peuples, lesquels se sont vnanimement
reposez de la conduite de leurs Estats, sur la prudence
de celuy qu’ils ont voulu choisir preferablement à
tout autre pour l’asseoir sur le Trône : & comme l’intention
des peuples librement soumis à l’authorité
d’vn Monarque n’a iamais esté, de leur laisser vn pouuoir
despotique, c’est à dire vn pouuoir independant
de toute sorte de conseil, les plus proches & les plus
sages d’entr’eux ont esté destinez pour le remplir, &
pour y gouuerner conjointement quoy que dependamment
du souuerain le maniment des assaires d’Estat.

En effet nous voyons dans l’histoire, que Pharamond
ne fut pas plustost esleué sur le bouclier pour
presider souuerainement dans les assemblées des
Francs, que deux de ses plus proches Segeste & Andromir
furent choisis pour estre les Assesseurs de cette
nouuelle authorité, & comme les assistans ou les
intelligences du Conseil, de la probité duquel deuoit

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dependre toute la bonté du gouuernement, tellement
que cette eslection des plus proches pour estre
comme les Coadjuteurs de l’authorité souueraine,
commença de passer en coustume sous Clodion le.
Cheuelu, sous lequel â l’imitation des assemblées
faites sous Pharamond, la Lieutenance de l’authorité
fut commise à Ragaise Cousin germain de Clodion
dans la premiere assemblée qui fut faite au second
passage du Rhin, que les Francs auoient esté contraints
de repasser par vne imprudence commise pendant
leur interegne. Ainsi cette mesme coustume
s’authorisant tousiours par les semblables establissemens
qui se faisoient en toutes les assemblées à l’auenement
de quelque nouueau Monarque, la participation
des Princes du Sang pour le gouuernement de
l’Estat, est passée en loy fondamentalle que les Souuerains
ne sçauroient auiourd’huy esbranler sans
donner vn iuste fondement à toute sotte des troubles.

 

Aussi n’estoit-il rien, ce me semble de plus iuste,
& de plus conforme à la biensceance françoise, que
de tesmoigner le respect que nos ancestres auoit pour
leur souuerain, en rendant leurs premieres hommages
à cette nouuelle authorité, par les choix de ses
plus proches, pour gouuerner conjointement auec
luy, & pour contribuer de leur prudence & de leurs
conseils à la manutention des Loix de l’Estat dont ils
venoient recemment de se reposer entre les mains
d’vn Souuerain.

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Ce fameux Sigismond qui terrassa si souuent
les forces Othomannes ne fut pas plutost choisi par
les Etats de Pologne, pour le gouuernement electif
de cet Empire, qu’afin de faire paroistre le dessein
qu’il auoit de manier sans aucun interest les affaires
de cet Estat, il ne peut iamais consentir à mettre
aucun de ses proches dans les charges de la Couronne,
iusqu’à ce que s’y voyant obligé par les instantes
poursuittes des Estats generaux, qui furent
bien aises de les en pouruoir, il protesta hautement
au Chancelier Kilnozzi qui luy en auoit porté la
parole, que ses inclinations particulieres l’eussent
bien fait consentir à ce chois ; mais que neantmoins
il n’eut iamais donné aucun tesmoignage, pour ne
se montrer point passionné pour les interests de sa
Maison, qu’il estoit parfaitement en dessein de postposer
tousiours à ceux de l’Estat.

Cela veut dire, qu’il est de la bien-seance dans
tous les establissements des Monarchies, de faire
tousiours entrer les proches des Souuerains dans la
participation des affaires d’Estat ; & qu’il semble
qu’vn Roy seroit vn phantosme, & que son authorité
seroit en quelque façon imaginaire ou chimerique,
si ceux qui ont l’honneur d’estre de son Sang
n’entroient auec luy en communication de cette
mesme authorité, pour la faire subsister auec moins
de danger d’aucune decadence, & pour la maintenir
sans la laisser aucunement degenerer en tyrannie.

Ie parle des Monarchies quine sont point despotiques
comme la Françoise. Car ie sçay bien que

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parmy les Turcs, chez lesquels les grands Seigneurs
n’ont pas moins de pouuoir sur leurs Subiets, que les
anciens maistres en auoient sur les esclaues qu’ils
alloient acheter dans les places publiques ; Les freres
de ces Tyrans, massacrez, sont les premieres victimes
de leur tyrannie ; & que l’impatience de sçauoir,
vn frere, ou vn proche parent, qui puisse parla
proximité du sang faire aucune sorte d’ombrage à
leur authorité déreglée, les oblige par vne criminelle
raison d’Estat, de ne prendre iamais l’escarlatte
qu’apres l’auoir teinte dans le sang de ces innocens
criminels ; & de poser les fondements de leur tronc
sur le carnage de tous ceux qu’ils deuroient conseruer,
s’ils n’auoient de dessein de regner en Tyrans.
Il y a plaisir de voir les boutades de Calcondile lors
qu’il tombe sur cette matiere : Lecteur ie vous y renuoye
s’il vous plaist, pour suiure le train de mon raisonnement.

 

Tout cela fait voir qu’il est important aux peuples
de s’interesser viuement pour conseruer aux Princes
le droit qu’ils ont d’auoir la participation du gouuernement
de l’Estat : Puis que les grands Seigneurs
ne commencent l’administration de leurs Estats par
le fratricide, qu’afin de faire regner toutes leurs volontez
les plus capricieuses sans la dépendance du
conseil d’autruy, qui est le caractere du Tyran.
Il est sans contredit, que les peuples qui ne se
sont soubmis qu’à vn gouuernement raisonnable,
sont obligez par les motifs mesme de leurs interests,
de faire en sorte que leur authorité souueraine

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soit communiquee par conseil à la conduité
des Princes du Sang ; & que ces proches de
leurs Souuerains ne soient iamais esloignez de la
participation des assaires d’Estat, Parce qu’il est
à presumer que les Roys qui voudroient en venir
jusqu’à cette independance de leur Conseil, auroit
vn dessein apparent, par l’imitation apparente
de la conduite du Grand Seigneur, d’establir
vne authorité despotique sur ceux sur lesquels ils
ne peuuent regner qu’auec iustice. Mais lors que
les Roys se trouuent regardez par tant d’yeux ; &
peuuent raisonnablemẽt apprehender que quel
qu’vn de leurs proches ne se preualle de leur mauuais
gouuernement, pour s’attirer les affections
des peuples, ils ajustent si reglement leur authorité
aux loix de l’amour & de la Iustice, qu’ils ne
pechent jamais qu’auec leur conseil. Ainsi ie soustiens
que dans le gouuernement des Estats qui
sont Monarchiques sans tyrannie comme le
François, il est à propos que les Souuerains conçoiuent
de l’ombre que leurs proches font à leur
rang par la communication essentielle d’vne
mesme authorité, qu’à moins que de gouuerner,
ils sont en danger de décheoir auec iustice.

 

Au reste, peut il estre rien de plus raisonnable
que la participation ou la communication de
l’authorité Souueraine entre les mains de ceux
qui peuuent en étre les depositaires absolus ou les
Souuerains ! Est il bien juste de chasser du Conseil
de la Royauté ceux qui peuuent estre Roys, &

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d’establir des Ministres du gouuernement sans la
participation de ceux qui pourront peut-estre vn
iour les chasser auec authorité ? N’est-ce pas choquer
le sens commun ? N’est-ce pas attenter à la
raison ? Et n’est-ce pas ébranler les principes de la
Royauté, qui ne subsiste que par la force de ses
plus proches, & qui ne peut estre renuersée que
lorsque ceux qui sont interessez par leur naissance
à la proteger, sont en impuissance de la soustenir,
ou peut-estre reduits a la necessité de l’attaquer,
pour se mettre à couuert des insultes de la
Tyrannie.

 

Eust-on iamais dit que le Sceptre des trois derniers
Valois sils de Henry II. & de Catherine de
Medicis, deust estre transporté de leur maison par
faute d’enfans dans celle de Bourbon ; & que le
Roy de Nauarre qui n’auoit que la qualité de premier
Prince du Sang, seroit honore dans vne reuolution
d’Estat de l’Auguste titre de Roy de
France. Cependant nous voyons que cela est arriué ;
& si les trois Freres & Roys ses predecesseurs
eussent disposé du gouuernement de l’Estat
sans la participation de son Conseil, & sans la
communication de son authorité, n’est-il pas vray
qu’à son auenement à la Couronne, on eust veu
toute sorte de changemens dans la Monarchie Et
qu’il eut affecté de mettre des Ministres à sa deuotion,
au preiudice de ceux qui estoient establis
par les Roys ses predecesseurs. Cela se peut-il sans
donner pretexte aux guerres domestiques.

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Il faut donc pour obuier à toutes sortes de desordres,
que les Souuerains ne puissent regler leur Souueraineté
que par la participatiõ essentielle des Princes
du Sang ; & qu’ils ne puissent point former d’entreprise
qui soit importante à l’Estat que par la communication
du conseil de ceux, que la succession du
Thrône, peut faire entrer vn iour dans la possession
d’vne mesme Authorité.

III. Allons à l’authorité des Parlemens, & sans
nous arrester à celuy de Paris, duquel nous auons desia
fait voir la Puissance dans le Coup d’Estat du Parlement
des Pairs visitons les Prouinciaux, pour examiner vn
peu qu’elle est leur Authorité touchant les affaires
d’Estat.

Nous n’auons desia que trop longuement estalé
la naissance du Parlement de Paris, lequel n’estant
rien autre chose qu’vne continuation non iamais
interrompuë depuis vnze Siecles de cette ancienne
Assemblée, que les Francs faisoient dans le Champ
de Mars, pour y desliberer des affaires d’Estat ; & qui
fut appellée Parlement sous Philippe Auguste, qui
fut renduë sedentaire sous Philippe le Bel, & qui fut
Placée dans le Palais des Roys sous Louys le Hutin ;
est par consequent auiourd’huy dans la mesme authorité
qu’elle estoit pour lors, Et comme ses resolutions
estoient pour lors Souueraines sur les affaires
d’Estat, peut-on asseurer auec raison qu’elles soiẽt
aujourd’huy moins independantes, puis que ce Parlement
n’est rien autre chose, qu’vne continuation
de cette ancienne Assemblée des François qui n’a iamais

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esté interroompuë.

 

Ce Parlement ainsi destiné pour la resolution
des affaires d’Estat, ne prist connoissance des differents
des particuliers, que sous ce Louys, lequel voulant
se décharger du soin importun de nommer continuellement
des Arbitres, pour decider les querelles
des vns & des autres, s’en reposa sur la prudence
de son Parlement, auquel il en commit toute l’Authorité.
Ainsi le pouuoir de connoistre des affaires
publiques & des affaires particulieres, luy fut esgalement
donné : Mais auec cette diference neantmoins
que ce dernier luy est accidentel, & que ce premier
luy est essentiel, puis qu’il ne fut estably dans la premiere
intention, qüe pour deliberer sur des matieres
publiques.

Voila donc routes les causes des particuliers entre
les mains du Parlement. Mais pour sçauoir le
motif pour lequel les autres Parlemens de France
ont esté establis par nos Souuerains ; il faut considerer
que le Parlement de Paris, se voyant esgalement
distrait par les affaires particulieres & par les affaires
publiques ; Et ne pouuant pour cette raison fournir
à la decision des particuliers, en suite des grandes
conquestes que nos Roys faisoient tous les iours
pour l’Agrandissement de leur Monarchie, il fallut
necessairement se resoudre à establir d’autres Parlemens
en France à l’imitation de celuy de Paris ; &
leur communiquer vne semblable authorité pour la
manutention des Loix ; & pour la decision Souueraine
des affaires des particuliers, qui leur furent esgalement

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commises.

 

D’où il appert ce me semble, que les autres Parlements
doiuent borner leur authorité Souueraine,
dans la resolution des affaires des particulieres, puis
que c’est pour céte fin seulement qu’ils ont esté establis ;
& que le maniment des affaires d’Estat leur est
accidentel, comme le maniement des querelles particulieres
est accidentel à celuy de Paris.

Ainsi ce n’est pas par les Arrests des autres Parlemens,
que nos Alliances, nos Traitez auec les Estrangers,
peuuent estre cimentez ; Ce n’est pas
eux qui peuuent fulminer sur les testes des personnes
publiques, sur les Princes, sur les Connestables,
sur les Chancelliers, sur les Admiraux, sur les Ducs,
sur les Pairs, & sur les Mareschaux de France. Leur
authorité ne s’estend pas iusques-là, parce que leur
establissement n’a esté fait que par necessité ou par
l’impuissance que celuy de Paris auoit de fournir au
maniment des affaires publiques & à la decision des
particuliers.

De cette mesme verité presupposée, ie conclus que
lors qu’vn affaire d’Estat a passé par les mains du parlement
de paris, apellé du depuis parlement des pairs,
il est du deuoir des autres Parlemens, comme des escoulemens
de cette premiere source, de l’authoriser
encor par leur consentement, affin de la faire receuoir
par les peuples, qu’on a mis sous leur iuridiction
& cela ie le puis prouuer sans replique.

Puis que l’assemblée des françois continuée depuis

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onze cens ans sous le titre de Parlement de paris
a esté de tout temps l’Intendante souueraine de toutes
les affaires d’Estat ; & tellement souueraine qu’elle
les a tousiours maniées conjointement auec sas
Souuerains, & que son authorité n’a esté communiquée
aux autres Parlemens de la Monarchie que
comme à ses Coadjuteurs dans la decission des querelles
particuliers ; il s’ensuit manifestement que le
pouuoir de connoistre des affaires publiques est chez
luy comme dans sa source, & par consequent que
les autres Cours Souueraines ne peuuent point reculer
de les authoriser par leur suffrage, sans empieter
vne authorité qui n’est pas legitime, puis que ne tenant
leur authorité que par vne communication de
celle du parlement de Paris, il est fort raisonnable
qu’ils ne soient iamais en estat de le pouuoir contredire
sur tout dans ses resolutions touchant les affaires
d’Estat.

 

Il sçait bien que dans les verifications des Declarations
Royalles, qui auront quelquefois passé dans
le parlement de paris, les autres Parlemens de la Monarchie
pourroient trouuer quelque difficulté, qui
l’obligeroit à des Remonstrances. Mais quand quelque
affaire d’Estat & de plus haute importance que
la verification d’vne Declaration Royalle, a esté
concertée & concluë dans le parlement des pairs, ie
croy que les autres Parlemens, ne peuuent point reculer
de s’y rendre complaisans, sans vne espece d’atentat
à vne illigitime Authorité.

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N’en disons pas dauantage de peur d’irriter les
plus ambitieux, mais contentons nous seulement
d’esperer de leur passion pour les interest de l’Estat,
qu’ils porteront vn semblable Arrest que celuy du
Parlement des Pairs, en faueur de S. A. R. & qu’ils
osteront par ce seul moyen aux Mazarin, la liberté
qu’il a de pouuoir tousiours grossir son party, à
la faueur des belles & hautes recompenses dont
il repaist l’auidité des laches & des interessés.

IV. S’il faut croire S. Paul, nous ne donnerons
iamais aucune authorité aux gens d’Eglise, pour
le maniment des affaires d’Estat ; & le serment que
les Prelats font le iour de leur Sacre, qu’ils ne sortiront
iamais du Sanctuaire, pour se mesler de la
Politique du monde, nous fera regarder auec horreur
tous ceux que nous en verrons approcher
auec empressement.

Ie veux neanmoins, nonobstant cela, qu’ils
puissent impunement s’en mesler quelquefois, &
que sans danger de corrompre en aucune façon la
purete de leur Sacerdoce, qu’ils prostituent bien
souuent par le Ministere de leur ambition, il leur
soit permis mesme de s’empresser de temps en
temps pour y trouuer vne entrée. Mais ie ne pretends
pas qu’aucune vertu Politique leur en ouure
la porte, de peur qu elle ne fit broncher des
le premier pas ; & ie voudrois bien que l’accés de
la Cour ne fut iamais l’obiet de leur ambition, qu’il
ne fut à mesme temps celuy de leur auersion.

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Les Prelats qui regardent les affaires d’Estat
auec complaisance, ne tesmoignent que trop
qu’ils ne meritent point de s’en aprocher ; la Politique
prophane doit estre la matiere de leurs inuectiues,
& s’il arriue quelquesfois qu’ils soient
obliges de sortir du sanctuaire, pour entrer dans
le commerce profane de la vie ciuille, il est sans
doute qu’ils n’en sortiront qu’auec desespoir d’auoir
lié leur liberté auec vn engagement si indispensable
à la profession de la Sainteté, à moins
qu’ils ne soient accompagnés de toutes les vertus
qui doiuent estre les ornemens de leur Sacerdoce.

Iean Louis de Monluc, Eueque de Valence,
frere de Messire Blaise de Monluc, Mareschal de
France, ne se repentit iamais de s’estre attaché à la
Religion, qu’apres qu’il eut gousté les faux plaisirs
du commerce du monde, dans les Ambassades,
où son frere le Mareschal, confesse dans ses
Annalles, qu’il debaucha si prodigieusement la
moderation de sa premiere conduite, qu il estoit
vn des principaux factieux de la reuolte de Luther,
Aussi proteste il, qu’assistant vn iour à vne haute
Messe que cet Euesque, son frere, disoit solemnellement,
comme il eut entonné le Credo in Deum,
il se tourna vers les Gentils-hommes qui estoient
en sa compagnie, leur disant qu’il prenoit acte de
ce que son frere croyoit en Dieu, parce qu’il ne l’auoit
pas cru iusques à lors.

Les assaires d’Estat ne doiuent estre considerés

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des Prelats, que cõme les exercices de leur vertu ;
& les escueils de leur sainteté. Il faut qu’ils ne
s’en approchent iamais qu’en s’en esloignant ; &
que la resistance qu’ils oposeront à ce choix qu’on
fera de leurs personnes pour les y appeller, soit
l’infaillible marque par laquelle on puisse reconnoistre
qu’ils n’en sont point incapables. S. Ambroise
entroit dans le bordel pour tascher de desabuser
le peuple de la creance qu’il auoit qu’il
estoit vn saint ; & pour l’obliger par cette idée d vne
fausse desbauche, de porter son choix, sur quelque
personne qui meritât mieux que luy d’estre promeu
à l Archeuesché de Milan.

 

Ie voudrois maintenant que cet éloquent Prelateur
autant d’imitateurs qu’il a d’admirateurs de
sa vertu ; & que ceux qu’on voudroit peut estre
choisir pour les appeller au gouuernement de
l’Estat, tesmoignassent par vne insufisance affectée
& par vne ignorance saintement Politique,
qu’ils n’ont pas assez de merite pour estre mis aupres
du timon des Monarchies. Mais cette rare
vertu n’est pas de ce siecle. Nos Prelats n’ont pas
tant de sufisance qu’ils ont d’ambition, & lors mesme
qu’ils ne reconnoissent point en eux aucune
capacité pour le gouuernement, ils s’efforcent par
toutes sortes de voyes imaginables, d’en faire conceuoir
quelques fausses idée pour y estre esleuez.

Cependant les affaires d’Estat, ne sont pas de
leur gibier ; & l’autorité qu’ils ont dans le gouuernement

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public ne consiste qu’à tacher d’y reünir
les diuisions, & les mesmes intelligences que
les schismes d’Estat y ont fait par les intrigues des
Broüillons ; & dans ces conionctures pendant
lesquelles seules ie soustiens qu’ils peuuent hardiment
s’entremettre dans les affaires d’Estat, ce
n’est pas tant par vne authorité qu’ils ayent d’y
pouuoir entrer que par vne necessité toute pure
d’y soustenir les interests de la Religion, qui ne
manqueroit pas de soufrir de grands échets, pendant
la desvnion des intelligences de l’Estat.

 

Ainsi ce n’est pas mesme par le motif de l’Estat,
qu’ils doiuent mettre le nés dans le maniment des
affaires publiques, mais par celuy de la Religion ;
pour faire voir que leur authorité n’est absoluë ny
iuste que dans le Sanctuaire ; & que la raison qui
les appelle dans la Politique de l’Estat, ne les dispense
point du detachement qu’ils pourroient
pretendre de leur premiere profession, que pendant
vn temps. Ie ne me suis que trop estendu
sur cette question dans mon Excommunication Politique,
c’est pourquoy de peur de vous ennuyer mon
Lecteur, ie vous prie de vous souuenir de ce que
vous y auez leu.

FIN.

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Anonyme [1652 [?]], LE ROYAL AV MAZARIN Luy faisant voir par la raison & par l’histoire. I. Que l’authorité des Roys sur la vie & sur le bien des Subjets est fort limitée, à moins qu’elle ne soit tirannique. II. Que l’authorité des Princes du Sang est essentielle dans le gouuernement. III. Que l’authorité des autres Parlemens de France, pour les affaires d’Estat, est inferieure & subordonnée à celle du Parlement de Paris. IV. Que les Prelats n’ont point d’authorité dans le maniment des affaires d’Estat, & que leur deuoit les engage de n’auoir d’attachement que pour le sanctuaire. , françaisRéférence RIM : M0_3561. Cote locale : B_10_4.