Anonyme [1649], LE SECOND THEOLOGIEN D’ESTAT, A MESSIEVRS LES GENERAVX. , français, latinRéférence RIM : M0_3770. Cote locale : C_10_30.
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LE SECOND
THEOLOGIEN
D’ESTAT,
A MESSIEVRS
LES GENERAVX.

MESSIEVRS,

La bonté Diuine qui ne fait pas tout d’vn
coup sentir aux testes criminelles le poids de
sa main vengeresse, m’auoit donné des prieres
& des plaintes dans la consideration de nos mal-heurs, pour les
verser dans le cœur de celle qui n’estoit plus ny accessible, ny
exorable, pour prester l’oreille au recit de nos larmes & à la iustification
de nostre innocence. Les menaces du ciel & de la
terre n’ont pû rabattre ses funestes desseins, la raison ne l’a pas
gagnée, la douceur ne l’a pas ployée, les larmes ne l’ont pas
amollie ; aux iustes demandes elle est sourde, aux plaintes insensible,
aux offenses pretenduës implacable. Dieu s’estoit en quelque
façon surmonté soy-mesme dans vn si grand delay de sa vengeance ;
mais sa Iustice iustement irritée, resoluë qu’elle est de
faire éclater son foudre, ne treuue maintenant que vos bras, pour
luy seruir d’instrumens à lancer ses carreaux sur les Autheurs de
tant de cruautez & prophanations que ces Barbares ont commis,
mesme sur les Autels : & i’ay crû Messieurs, que vos oreilles me

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seroient plus fauorables pour écouter nos pleurs, & ensemble
les raisons qui vous y portent dans les Loix naturelles, ciuiles &
morales, la cause de Dieu, du public & la vostre.

 

Il n’y a rien dans la Nature qui ne tende à sa fin, & qui n’employe
toute l’estenduë de sa vertu pour pouuoir l’obtenir. Cet
appetit, Messieurs, est si auant graué dans tout ce qu’elle enserre,
qu’il semble qu’elle ait pris plaisir à y mettre vne inclination
commune, & faire que contre ses propres Loix, toutes ses productions
y fussent parfaitement & vnanimement sensibles. Cette
verité n’est que trop claire pour auoir besoin d’appuy. Toutes les
creatures publient hautement dans toutes leurs fonctions, que
leurs efforts ne se portent qu’au bien qui leur est propre ; que
leur bien n’estant autre que leur fin, elles doiuent consommer
toutes leurs puissances dans la recherche de sa possession. Mais
comme pour y arriuer il en faut prendre les moyens, dont les
plus courts sont tousiours les plus asseurez, aussi la fin est elle estimée
plus ou moins noble selon la grandeur du bien qui en resulte.
C’est pour quoy Dieu borne toutes nos fins subalternes, parce
que de sa possession nous n’en pouuons tirer que des biens infinis.
Tout le mal-heur des hommes ne prend sa source qu’en ce
poinct ; s’imaginants que les vrais moyens qui les peuuent conduire
à leur [1 mot ill.], se sont ceux qui estans plus accommodez & sortable,
à leur nature corrompuë, peuuent combler leur vie de plus
éminentes prosperitez. Et c’est en quoy nous reconnoissons leur
foiblesse s’attachans si passionnément aux choses mondaines, qui
ne peuuent en aucune façon établir leur bon-heur, épuisans
neantmoins toutes leurs forces pour tascher d’en venir à bout, &
par vne ambition inconceuable ; n’estimans iamais pouuoir iouïr
d’vn parfait repos, qu’estans éleuez à la faueur, d’où ils puissent
défier les traicts de la fortune, pensans estre à l’abry de toutes
ses atteintes dans ce lieu de delices, qui les liure le plus souuent
au cours ordinaire de son inconstance & les immole à sa fureur.
N’est-ce point par cette raison que les plus grands Fauoris auancent
leur perte en auançant leur fortune ? N’est ce point pour ce
suiet, que s’estans faits toutes sortes de violences pour s’insinuer
dans les bonnes graces du Prince dont ils recherchent si
auidement & la connoissance & l’appuy, experimentent peu

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apres, qu’il y a des degrez pour monter aux grandes felicitez,
mais qu’il n’y en a point pour en descendre ? & que leur ambition
n’ayant tousiours esté que dans l’excez, leur cheute aussi ne peut
estre accompagnée que d’vn mal-heur sans resource. Toutes
les Histoires ne sont remplies que de telles decadences. Vn Sejan
dans l’Empire Romain nous peut bien faire apprendre sa puissance
absoluë ; mais il ne nous fera iamais comprendre la hauteur
de sa cheute. Vn Hybraim Arbitre de toute la Turquie,
nous donnera sujet de l’admirer dans son énorme bon-heur.
Mais sa fin mal-heureuse ne nous remplira que d’extraordinaire
estonnement. Pour monstrer que si cette aueugle en éleue quelquefois
de la cendre à la gloire, cette infidele, constante dans
l’inconstance, les precipite peu apres, de la gloire à la cendre, &
ne leur fait sçauoir que trop tost, par leurs propres experiences,
que si les pompes de ce monde reluisent comme de l’or, elles se
cassent comme du verre, qui est la montée aux sublimes prosperitez,
dont la cime n’est que tremblement, la descente que precipice.
Tous les desordres des Estats prennent ordinairement leur
naissance de ces fatales ambitions : & heureuses sont les Prouinces
qui n’en souffrent point les excés ny les tyrannies ; Heureuses,
dis-ie, puis que leur liberté les affranchit de tant de miseres
& de peines, qui suiuent inseparablement ceux qui en recherchent
par toutes sortes d’industrie le remede. Celle de ce malheureux
qui fait auiourd’huy ruisseler nos Fleuues de tant de
sang innocent, & qui luy fait souhaitter auec plus de fureur que
ne faisoit autrefois Neron l’embrazement de Rome, l’incendie
de cette belle Ville ; n’a-t’elle point seule causé tous les troubles
de ce temps, qui font gemir tant de pauures miserables sous le
faix de sa tyrannie & de son inouye cruauté ?

 

Quid est
bonum
vniuersale
S. Thomas
1 a. i æ. p
2. a. art. 80
Desidera bonum
simplex
quod
est omne bonum
& satis
est. S. Anselmus
c 25.
Prosologij
S. Bernard.
Ep 103.
[1 mot ill.] qui
post ea non
[2 mots ill.]
[2 mots ill.]
[1 mot ill.]
inquinant,
amissa
cruciant.
S. Amb Relinquamus
vmbram
qui solem
quærimus,
deseramus
fumum qui
lucum sequimur.
Lib. de fuga
seculi c. 5
Numerosa
parabat excelsæ
turrie
tabulata,
vude altior
esset casus,
& excelsæ
præceps immane
ruinæ.
Inuen. in
Satyr.

Cornel.
Tacit. in
Neron.

Qui a épuisé nos tresors, si ce n’est son extréme ambition, si
ce n’est son infame auarice ? qui a démoly toutes nos fortunes, si
ce n’est le cours ordinaire de ses déreglemens ? qui a violé les Autels,
si ce n’est l’essay de sa vengeance, qu’il iette comme vn autre
Iulian ou Antiochus, contre le Ciel, ne la pouuant faire exercer
par ses barbares cruautez dessus l’innocence de ses Iuges ? La
faim est le plus cruel bourreau de la vie ; combien y a-t’il qu’il
nous la fait souffrir ? La mort est le plus grand de tous les maux ;
combien d’ames innocentes en ont-elles ressenty la rigueur ?

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C’est vn grand vice de forcer femmes & filles, mesme les Religieuses.
Si ces inhumanitez tant de fois mises en vsage, s’estoient
arrestées en ce poinct, ce seroit peu, nos miseres seroient bien
douces à supporter, & nos plaintes ne paroistroient que criminelles.

 

Tursel. in
hist.

C’est vn crime horrible & qui crie vengeance au Ciel & à la
Terre, que de les éuentrer apres les auoir forcées. Ce seroit
encore peu de chose, si leur rage n’estoit passée au delà, nous
n’en eussions versé aucune larme dãs vos cœurs. Ie ne parle point
de tant d’innocens tuez en presence de leurs parens. Ie passe
aussi sous silence tant d’infortunées Religieuses qui ont suby
les mesmes cruautez. Ie ne dis rien de tant de biens iettez dans
les grands chemins par l’excez de leur manie. C’est vn sacrilege
insupportable de commettre de si noirs attentats sur les Autels
d’vn Dieu viuant & juste ; mais d’auoir arraché entre les mains
Sacerdotales le precieux Corps de Dieu tout-puissant, mais de
l’auoir prophane par des outrages & blasphemes inexplicables.
Ce funeste & veritable recit, ne fait-il point, Messieurs, fremir
toutes les parties de vos corps ? Ne vous fait-il point voir & toucher
au doigt l’interest d’vn Dieu si cruellement attaqué ? Celuy
du public & le vostre, à combatre ces Monstres de la Nature ;
n’est-il pas capable de vous animer à poursuiure sans reconciliation
aucune, cét ennemy de l’Estat & de la Vertu ? Croyez-vous
faire contre la Loy de la Nature, puis que vous en auez aussi bien
que nous tant souffert, & qu’elle permet de repousser la violence
par la violence mesme ? Pensez-vous enfraindre la Ciuile, puis
qu’il en est le destructeur ; ou la Morale, puis que le premier de
tous nos biens c’est de ne pas pecher, & le second c’est de corriger
& exterminer les pecheurs ? Mais les arbres qui sont au
sommet des plus hautes Montagnes, sont les plus batus des vents,
& nous voyons que Dieu confond tousiours l’orgueil & la vanité
de ces ames temeraires, qui foulant aux pieds toutes les Loix diuines
& humaines, n’ont pour objet que leurs interests & execrables
passions. L’exemple present nous le fait assez reconnoistre,
en nous forçant tout ensemble d’admirer sa diuine conduite,
pour faire ressentir à tous ses semblables le poids de sa main
vengeresse, qui se sert quelquefois mesme des plus foibles instrumens
pour en confondre l’orgueilleuse authorité, leur faisant regretter

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& craindre tout ensemble leur déplorable estat, dont la
baze n’est que le penchant de leur ruine : & dans la pure nature
le plus fort des Metaux, n’est-il pas consommé par la roüille ?
Quelquefois aussi il y employe vne vertu égale, quelquefois plus
grande, comme il est aisé de voir dans toutes les Histoires, qui ne
nous representent autres éuenemens des affaires, que la ruine de
ces superbes Colosses de fortune, precipitez en vn instant dans
vn desastre, qui leur ostant tout moyen de pretendre iamais au
poinct d’où ils sont décheus, leur permet seulement d’admirer
& reconnoistre sa diuine prouidence dans les voyes dont elle
s’est seruie pour les perdre. Mais Dieu n’y met pas tousiours les
trois pointes de son tonnerre pour r’animer & releuer les cœurs
des peuples iniustement oppressez ; tantost il prend l’vne, tantost
il se sert de l’autre. Et il faut auouër que dans ce rencontre, sa
puissance & sa bonté y sont interessées également, puis que la
premiere y employe les trois Estats pour defendre l’innocence
persecutée ; la seconde fait voir, qu’estant tousiours égale
à soy-mesme, & ne pouuant estre ny alterée ny corrompuë par
la longueur des siecles, nous la ressentons de plus en plus infinie
dans la protection qu’elle nous donne, & que nous trouuons
dans vostre generosité. N’est ce pas, Messieurs, pour ce sujet que
Dieu arme vos bras pour proteger l’innocence de la cause publique ;
faire éclater par tout la candeur de toutes vos actions presentes
qui respondent ouuertement aux passées, & éterniser vostre
renommée en seruant de necessaire & notable exẽple à la posterité ?
N’est-ce point la cause qui vous fait contreminer les desseins
de ce perfide & de cét insolent ambitieux, qui n’ayant iamais
estudié que vostre propre ruine (preparée à chacun de vous
en particulier par de particulieres & execrables pratiques) vous
en fait maintenant embrasser la justice dans la punition proportionnée
à ses demerites ? Vostre vertu ayant esté iusqu’à present
obscurcie par la quantité des tenebres qu’y apportoit le noir
esprit du Cardinal Mazarin, & n’y ayant eu que vostre sang qui
se soit rendu digne & suffisante caution de toutes vos procedures,
vous eussiez sans doute esté exposez au cours de sa tyrannie,
si le Ciel ne s’en fust visiblement monstré le protecteur, &
n’eust fait naistre cette occasion, dans laquelle vous ne ressemblez
qu’au Palmier, d’autant plus puissant qu’il est abaissé, & dont

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la vertu n’est iamais plus forte, que quand elle est plus viuement
combatuë. Vos actions n’estoient auparauant semblables qu’aux
plus viues couleurs, qui durant la nuict n’ont qu’vne lumiere
émoussée & enseuelie dans la matiere : mais deslors que le Soleil
épand ses rayons sur ces beautez languissantes, il les fait paroistre
dans leur lustre. Et comme les contraires éclatent plus
viuement par leurs contraires, ainsi l’épaisseur de la nuict qui
taschoit en vain de ternir vostre gloire s’estant dissipée par cette
fauorable occasion, sa lumiere imite celle du Soleil, dont la beauté
est sans proportion plus charmante apres son eclipse, qu’elle
n’estoit pas auparauant.

 

Vilia elegit
Deus vt
confundat
fortia.

C’est donc maintenant, Messieurs, qu’il faut combatre &
estouffer ce Monstre, puisque vous auez du iour pour le reconnoistre.
C’est maintenant qu’il faut repousser toutes ses violences,
& faire que son propre venin retourne contre luy-mesme.
L’on ne sçauroit assembler trop de supplices ny trop de bourreaux
pour punir de si horribles attentats ; il faut que la peine que
vous luy imposerez, soit telle qu’en accablant ce coupable par
le coup, elle humilie ses complices par la crainte & par l’estonnement.
Aux playes dangereuses on y applique au plustost le
remede, & mespriser ou differer la punition des grands crimes,
c’est en permettre de plus grands, c’est authoriser le vice que
d’en retarder la justice & la vengeance. Et quiconque authorise
le mal, est aussi coupable que celuy qui est conuaincu. Il n’y a
point de charmes plus puissans pour vous conseruer dans la bienveillance
du peuple, que de luy procurer la paix, en vous opposant
à tout ce qui la trouble. Vous vous y estes genereusement
opposez dans tous ces commencemens heroïques, qui ont bien
fait voir aux plus farouches, que les interests publics vous touchoiẽt
bien plus que les vostres. Ce peuple prosterné à vos pieds,
vous coniure de luy donner son repos & sa fin. Vous en auez
les moyens, vous y estes obligez par toutes les obligations possibles.
Vous l’auez recherché dans tant de fauorables euenemens,
d’où il a iugé des offres & des effets de vostre seruice, comme Protogenes
de la ligne d’Apelles, qu’ils ne pouuoient sortir que des
Princes les plus courageux de toute la France, des plus zelez pour
les interests publics, des plus passionnez pour le salut de tous les
peuples. Poussez, Messieurs, poussez de si genereux desseins, poursuiuez

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de si loüables entreprises, qui vous doiuent d’autant plus
inciter, qu’elles sont fondées & soustenuës de la Iustice, du bien
public, de vostre propre gloire, qui sont les colomnes & fondemens,
sur lesquels doiuent tousiours bastir les plus grands
Princes. C’est l’vnique remede pour appaiser toutes nos infortunes ;
c’est le philtre le plus violent pour attirer à vostre
amour tout le peuple & toute la posterité. Il est maintenant dedans
sa Canicule, toutes ses parties trauaillent, toute la nature
se ressent de son feu, toutes les prouinces mesmes veulent
partager sa chaleur, & luy viennent apporter les offres aussi-tost
que l’Vnion de leurs seruices auec les vostres : & les ennemis iurez
de ce Royaume y contribuent de toute l’estenduë de leur
pouuoir. Vous voyez comme son repos n’est alteré que par le voisinage
qu’a le Conseil d’en haut auec ceste maligne & fatale estoille,
qui détourne toutes ses douces inclinations, & influences, qui
fait que contre sa propre nature, il ne luy est plus ny benin ny fauorable.
Si auec vn rayon de miel l’on peut aisément purifier les
fontaines d’eau trouble, vn raion de vostre iustice, purifiera bientost
tous les desordres du temps, desquels comme votre vertu tire
la grandeur de sa force, aussi fera-t’elle, qu’en imitant le Poisson
sacré, qui naist vigoureux dans les tempestes que sa presence calme
peu apres, ainsi calmera t’elle ces troubles par la continuation
de sa presence & de son secours. Les tonnerres qui naissent à l’aube
du iour, sont tousiours les plus dangereux. De mesme cette
guerre ciuile, au commencement de ce Regne, est de tres-dangereuse
consequence, & demande vn prompt & souuerain remede,
qui ne peut s’appliquer que par la Iustice. Cette base inébranlable
de nos felicitez, qui est au monde ce que la prunelle est à
l’œil, l’ame au corps, & l’Autel au Temple : sans elle la violence
exerce & nourrit facilement toutes sortes de desordres ; elle est à
vn Royaume ce que sont les fondemens à vne maison. Les Princes,
dont le principal soin est de la rendre aux hommes, la doiuent
cherir, comme celle qui peut tout adiouster à leur grandeur.
Vous ne sçauez que trop que son cours a esté interrompu par le
mauuais Ministre de celuy qui en deuoit estre l’incorruptible distributeur,
que tout son lustre n’a esté caché que par ses vices ; &
qu’il n’a maintenant dans la vie que les deux mécontentemens
d’Euxenides Fauory de Ptolomée & son égal dans ses excés, de ne

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pouuoir plus croistre, tant il est insolent dans sa fortune, & que le
reuenu de la maison Royale est trop petit pour pouuoir l’enrichir
dauantage. Les deux Poles, sur lesquels roulent les plus puissantes
deïtez de l’Estat, sont la recompense & la peine, dont la Iustice
en est la dispensatrice ; elle implore vostre assistance, empeschée
qu’elle est par le glaiue & par le fer qui assiegent le lieu où elle
auoit iusqu’à present étably son Throsne. Ses fonctions ordinaires
sont toutes cessees, & si vous ne les venez r’animer par vostre
secours, on les verra bien tost esteintes dans l’impuissance de se remettre
iamais Prestez, Messieurs, prestez de si charitables offices
à cette infortunée dans vne si pressante & vrgente necessité.
Prestez vos bras pour le seruice de celle qui vous en coniure auec
tant d’equité. Elle est menacée du foudre, qui ne se peut détourner
que par ces quatre choses, le vent, la pluye, le bruit, la lumiere
du Soleil. Et vous ne pourrez aucunement reussir dans le dessein
que vous auez pris de les destourner, si la splendeur ordinaire
de vos illustres actions ne commande de sonner la trompette
pour aller contre cet ennemy de l’Estat, & perturbateur
du repos public, luy faisant ressentir & à ses adherans
par vne gresle inopinée de coups, la force de vos armes & la
pesanteur de vos bras. Que s’il n’a plus rien à desirer, il doit
auoir tout à craindre, puis qu’elles ne resonnent que pour
mieux conspirer sa ruine. Que vos courages ne s’estendent plus
qu’à son extermination, puis que sa presence est la seule cause de
tant de sacrileges. Que vos pensées ne se bornent qu’en son éloignement,
puis que tant d’Eglises ont esté profanées pour son seul
suiet, & que tant de sainctes ames ont esté immolées pour satisfaire
à sa cruelle vengeance. Tout ce peuple n’attend que vostre
resolution, pour imiter plustost ceux d’Araspe, que de luy permettre
dauantage la continuation de tant d’inhumanitez. Sa vie
luy seroit doresnauant indifferente, s’il la voyoit encore y estre
exposée, & il la mettroit plustot parmy les plus eminens dangers,
que d’estre plus suiet à celuy de perdre sa liberté. Tant plus les
corps ont de lumiere, tant plus aussi doiuent-ils auoir de fauorables
influences pour les obiets qui en sont capables : & ce peuple
qui n’est à present qu’entre l’esclauage & la liberté, attend la derniere
de vostre illustre naissance, secondée de vostre generosité.
Toutes les actions de son ennemy ont esté semblables à ces estoilles

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malheureuses, qui ne peuuent exercer aucune vertu, parce
que leur nature les a mises sur la Sphere du feu ; de mesme quand
elles auroient pû auoir quelque apparence de bonne intention,
elles auroient tousiours bouluersé cet Estat, les lumieres des conseils
n’ayant ny force ny vigueur, dans les flammes des interests
& des brutales passions, ausquelles il est attaché par ses habitudes
acquises ou plustost naturelles. Accordez-luy cette faueur, grands
Princes, sa perte & son salut sont entre vos mains. Il fera infailliblement
vn triste naufrage parmy tant d’escueils & de vagues,
qui le menacẽt d’vne mort certaine & lamentable, si vos courages
ne luy font l’office d’vn fanal pour luy faire recouurer sa pointe.
C’est par là seulement que vous pouuez monter au plus haut point
de la perfection, puisque vos vertus ne seront plus qu’exemplaires.
C’est par là que vous pouuez acquerir la felicité humaine dans
la defense publique ; & l’eternelle, en ayant pris la cause de Dieu
mesme, & l’ayant secondé de toute l’estenduë de vos forces. Il
vous le promet luy-mesme, il y a engagé sa foy & sa parole, que
toutes vos actions seront autant de victoires. Les affaires d’importance,
& qui ont du danger dans le retardement, doiuent estre
plustot faites que consultées. Il n’y faut rien faire à demy. Mais
aux pressantes, la deliberation est bien souuent inutile. Tibere ne
pouuoit souffrir qu’on choquast l’authorité Royale, qui pour doucement
qu’on la touche, on la blesse. Ce Ministre infidele ne l’a-t’il
pas toute ruinée, & mise à deux doigts de sa ruine ? Ce peuple qui
ne cesse de porter sa main sur sa blesseure, & implorant vostre aide
par le rapport qu’il vous fait de ses plaintes ; commence desia à respirer,
voyant vos cœurs vnis & zelez pour son salut. Vostre vertu
n’est semblable qu’à celle de la pierre Ceraunia, qui est ferme dans
les lieux où le Ciel a lasché ses maistresses pieces de batterie & son
foudre. Vous ne le pouuez redouter, puis que vos armes sont celles
de Maximilian, i’entends vn Aigle à deux testes, qui d’vn bec
tient vn Foudre, de l’autre vne Palme, sous laquelle autrefois la
Reine Debora rendoit iustice.

 

Principijs
obsta. Ouid

Effundite
iram vestrã
in gentes
quæ Dominum
non
nouerunt,
& comederunt
Iacob,
locum eius
desolauerunt,
& polluerunt
templum
fanctum
eius.
Psalm. 78.

Quoniam
qui malignantur exterminabũtur :
sustinentes
autem
Dominum,
ipsi
hereditabũt
terram.
Psalm. 36.

Redoublez-donc, redoublez vostre vertu, genereux Princes,
puisque sans elle toute la France se porteroit dans des extremitez
dangereuses. Tout Paris en estant frustré, & par consequent ne
se souciant plus de viure, entreprendra de mourir & de tuer, pour
pouuoir conseruer si peu qu’il luy reste. Si le desespoir maistrise

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tellement vne ame, qu’il la fait quelquesfois reussir dans des entre
prises qui paroissent impossibles dans leur effet, craignez que
tout vn peuple ne s’en arme, n’espargnant pas mesmes ceux qui
l’auront assisté, ne se precipite dans de plus malheureuses issuës.
Arrestez, arrestez le mal, tandis que le remede est en vostre puissance.
Tant plus vous le negligerez, tant plus haut iettera-t’il ses
racines. C’est ainsi que vous prendrez le party de Dieu, qui vous
prend pour les instrumens de la vengeance de tant de cruautez
& de violences qu’ont exercé iusques auiourd’huy ces Barbares,
mesmes sur les Autels. C’est ainsi que vous chasserez les ennemis,
ceux du public & les vostres. Le Ciel ne manquera pas de fauoriser
vos vœux & vos entreprises ; le public ne deura iamais son repos
& sa vie qu’à la valeur de vos bras. Et vostre gloire fondée sur
la seule iustice, sera dans vn poinct, que n’estant plus sujette aux
atteintes de l’ambition & de l’enuie, elle vous comblera enfin de
toutes sortes de felicitez.

 

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Anonyme [1649], LE SECOND THEOLOGIEN D’ESTAT, A MESSIEVRS LES GENERAVX. , français, latinRéférence RIM : M0_3770. Cote locale : C_10_30.