Anonyme [1649], LE SECRET A L’OREILLE D’VN DOMESTIQVE DE MAZARIN, A MAZARIN , françaisRéférence RIM : M0_3623. Cote locale : A_7_34.
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LE
SECRET
A L’OREILLE
D’VN DOMESTIQVE
DE MAZARIN,
A MAZARIN

A PARIS,
Chez la vefue A. MVSNIER, au mont sainct
Hilaire, en la Court d’Albret.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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LE SECRET A L’OREILLE
d’vn Domestique de Mazarin à Mazarin.

IL y a long temps que ie cherche l’occasion
de fendre cette foule de flatteurs qui
vous obsedent, pour décharger mon
cœur des choses qui l’opressent, & qui vous
seront beaucoup plus vtiles à sçauoir, que
celles dont l’on tâche de contenter vos oreilles.
Prenés garde que ces complaitans n’ont
que des yeux pour l’éclat de vostre fortune,
& qu’il en est deux comme de ces oisseaux
depassage qui suiuent les chaleur qui leur est
necessaire sans auoir de l’amour pour aucun
climat. Prenés garde, dis-je, qu ils imitent
ceux qui coupent en l’Hyuer les branches de
l’arbre qui leur ont seruy d’ombrage contre
l’excessiue châleur des Estes Ce n’est pas que
ie pretende faire valoir mes seruices, au dés
auantage de mes compagnõs, mais au moins
ie puis dire que ie n’ay point la lâcheté de

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ceux qui vous corrompent l’esprit, & qui
vous déguisent des choses que vous ne deués
point ignorer, si vous ne voulés vous perdre.
Ne doutés pas que ie ne puisse vous rendre
quelque seruice, & souuenez vous que le
Lion de la fable tombé dans les filets des chaseurs
eût besoin des dents du rat qui rongant
les nœuds du cordage luy rẽdit la liberté qu’il
auoit perduë. Il est vray pour ne vous rien déguiser
que vous étes en fort mauuaise posture,
quelques apuis qu’vn Ministre d’Estat puisse
auoir quand il est hay par les peuples qui
croyent étre outragez il est bien difficile de
se tenir debout au bord d’vn tel precipice
Vous sçaués ce que dit l’embléme, furor est patienualæsa,
il en est deux comme de ceux qui,
se noyent, & leur rage fait des armes de tout
ce qui se presente. Ie ne voy point de Citadelles,
ny de places fortes où vn Ministre
d’Estat puisse étre en seureté, quand il n’est
pas logé dans le cœur des peuples, & pour
moy ie pense que c’est là qu’on se doit loger
premierement pour n’auoir rien à craindre.
Prenez garde que ceux qui semblent s’attacher
à vos volontées, dont vous faites vostre

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bouclier, & vostre épée, n’y sont attachés
que par les richesses que vous leur promettés
& qu’aussi tost qu’ils n’auront pas tous ce
qu’ils en esperent, ils cesseront de vous proteger.
Et puis ne sçaués vous pas qu’il faut toûjours
retourner à son neant, & que les exhalaisons
que le Soleil attire en haut, retombẽt
à la fin aux lieux qui-les luy ont enuoyés.
Vne fortune trop haute est toûjours à craindre,
& pour moy si elle m’auoit éleué plus
que ie ne pretend, j’aurois peur que comme
la Tortuë portée en haut par vne Aigle, elle
ne me laissast choir pour me briser. Ie suis
d’humeur aujourd’huy à prouuer les verités
que j’auance par des emblémes, & celuy que
j’offre icy à vos yeux fait voir des champignons,
qui semblent vous dire que les choses
qui viennent tost, sont de peu de durée.
Vous n’aués peut étre iamais fait de reflexions
sur ces choses, vous ne jettés les yeux
que sur ce qui a de l’éclat : vous imités ces malades
qui mangent des viandes qui leur sont
contraires, & qui ayment mieux satisfaire à
leur goust, qu’à leur santé. Et certes j’ay bien
raison, si ie ne me trompe, d’vser de cette

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comparaison, car ie m’imagine que vostre
bonne fortune est a l’agonie & qu’elle a besoin
de l’Extreme-Onction. Toutefois le
bruit court, ce que j’ay beaucoup de peine
à croire, que vous aués encore de grand desseins,
& que vous pretendés à des qualités
Eminentes, si cela est il faut bien dire que ce
sont des effets de vostre maladie, & que vous
resués. Vous disray-je tout ce que j’en pẽse,
si vous en estés reduit à ce point, on doit
si j’en suis crû, loger vne telle frenesie ou
dans vn lict aux Incurables, ou dans vne loge
des petites Maisons. Ie ne croy pas que
toutes les facultez de Medecine sçachent inuenter
vn remede propre pour vous guerir,
je n’en excepte pas mesme tous les Charlatans
ny tous les chimistes de l’Italie. Salomon
qui connoissoit les Vertus de tous les
simples, qui nous sont cachées n’auroit sçeu
guerir vne pareille maladie. Ie voy bien qu’on
à raison de dire que l’esprit d’vn ambitieux est
toûjours étoufé de fumées, & que ses desirs
sont des maladies enuelopées, & les écueils
des Empiriques. Ie croy que du Laurẽs auroit
esté bien en peine s’il se fût presenté vn tel hypocondriaque,

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& que toute sa science eust
esté confonduë en cette rencontre. Souuenés
vous qu’en bouchant les passages des viures
necessaires à Paris, vous suiués vn conseil
tres pernicieux, & qu’il est dangereux de
tomber entre les griffes des bestes affamées.
Ie ne me figure pas qu’il vous faille vn interprete
pour cette enigme, ceux qui n’õt point
d’autres pensées que pour joüir des délices
d’y cy bas, mettent tous leurs soins à la conseruation
de leur vie, quoy qu’il y en ayt vne
autre plus importante que celle-cy. Ie ne
veux point croire que vostre esprit se porte à
la vangeance, l’Eglise où vous tenés vn rang
considerable vous doit inspirer des pensées
bien contraires, & qui mesme sont defenduës
par les Sages d’entre les Payens. Ie ne
veux pas que vous écoutiés en cette rẽcontre
la voix des Apostres, c’est assés que vous consultiés
les maistres du Lycée, ou de l’Academie.
Que si c’est l’enuie & l’imposture qui
vous persecutent, si elles s’efforcent de vous
mettre au rang de leurs Martyrs, la verité
dissipera tous les nuages, & vostre conscience
vous touche de plus pres que le bruit

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commun. Ie viens d’apprendre que celuy la
n’est pas homme de bien, de qui la vie est des
agreable aux vertueux. Ie ne veux pas asseurer
que cette pensée vous regarde, c’est vostre
conscience qu’il faut consulter en cette
occasion, mais ie sçay bien que si on le demande
& aux peuples & aux Sages qu’ils
diront que vous n’estes pas tout à fait innocent
On dit que souuent la colere vous
transporte, mais souuenés vous que c’est vne
enflure d’esprit, & qu’il en est d’elle cõme de
l’hydropisie qui ne rend pas le corps mieux
proportionné, encore qu’elle le rende plus
gros, & que ce n’est seulement qu’une abondance
ou superfluité mortelle : Cependant
ie reconnois à vostre mine que tout ce discours
vous offence, & que ma fidelité vous
tient lieu d’iniure, quoy que j’aye bien d’autres
choses à vous dire, ie me sens force de
vous laisser aller où vostre mauuais genie
vous conduit.

 

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