Anonyme [1652 [?]], LE SECRET DE LA COVR , françaisRéférence RIM : M0_3624. Cote locale : B_14_4.
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LE
SECRET
DE LA
COVR

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LE SECRET
DE LA
COVR.

IE me garderois bien de mettre le nez dans
les secrets de la Cour, si ceux, qui en deuroient
estre les principalles intelligences,
n’en estoient exclus ; & ie croirois que ma
curiosité ne se pourroit point porter iusqu’au
desir de sçauoir ce qui se passe dans ces retraites
Royalles, sans attenter criminellement au
respect qui leur est deub ; si l’iniuste restablissement
de celuy que la iustice en auoit chassé,
ne me dispensent de m’en aprocher auec tant
de circonspection, pour y contempler la posture
auec laquelle l’vsurpateur desire s’y
maintenir, malgré toutes les resistances de
cét Estat.

Si nous le voyons remonter sur nos espaules
auec sa pesanteur ordinaire, ce n’est que pour
nous estre sousmis trop aueuglement aux serments
qu’on nous faisoit du contraire, &
qu’on s’efforçoit presque tous les iours de
nous authoriser par des protestations Royalles,

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pour nous en faire receuoir la croyance
auec moins de soupçon d’infidelité : & c’est
en abusant criminellement de nostre soumission
à escouter les parolles apparemment
Royalles sans les examiner, qu’on a disposé
les affaires à son restablissement, iusque-là
que nous ne sommes presque plus en estat de
former des obstacles à son ambition, sans
troubler le repos, que nous ne sçaurions iamais
plus fortement établir que sur les débris
de sa fortune.

 

Cette reflection, nous obligeant à nous
precautionner contre les apprehensions raisonnables
de quelque semblable intrigue,
nous fait rechercher quelque accez, pour
nous insinuer dans les secrets de la Cour, &
pour y descouurir les routes que nos ennemis
ont tenu & qu’ils pretendent dezormais tenir,
afin de rasseurer vne iniuste grandeur que
toutes les forces de l’Estat auoit si victorieusement
esbranslée, lors que conspirant
vnanimement pour brizer les fers qui captiuoient
la liberté de ceux qui auoient affranchy
celles des peuples ; elles arracherent enfin
le gouuernail de cét Estat d’entre les mains
de ce perturbateur du repos bublic.

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Ses partizans firent semblant d’en receuoir la
disgrace par vne complaisance politique, dont ils
tâcherent de déguiser le veritable dépit qu’ils en
auoient conceu. Mais ils ne quitterent pas le
dessein, ou de faire ioüer quelque intrigue pour
disposer les affaires à son restablissement ; ou de
rasseurer pour le moins leur fortune, parle concours
qu’ils presteroient à la passion de la Reyne,
laquelle se croyant la plus offencée dans l’esloignement
du Cardinal Mazarin, s’interessoit aussi
plus que tout autre, pour en pratiquer le retour.

Les intrigues neantmoins en eussent esté fort
impuissantes, si le desespoir du mariage, auquel
vne necessité politique auoit fait consentir le
Prince de Condé, n’eut fait esperer à tout le party,
qu’en ioignant celuy de Madame de Chevreuse,
qui se sentoit offencée de la rupture de ce
mariage ; il pourroit peut-estre triompher dans
le dessein de faire reüssir celuy qu’il meditoit
pour le restablissement du C. Mazarin. C’est cette
ouuerture qui fit trouuer la porte du Palais
Royal à M. le Coadiuteur, non point à dessein de
contribuer par ses intrigues à ce restablissement
qu’il a tousiours eu raison de redouter plus que
tout autre ; mais de se frayer vn chemin au Ministere
ou au Chapeau rouge, par la complaisance
qu’il y témoigneroit, quoy qu’en intention de

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ne le seconder que pour en faire auorrer le succez
par la sagesse estudiée d’vne imprudente
conduite.

 

La passion du Comte de Seruient ne se produisoit
pas auec plus de sincerité, quoy que
neantmoins il y semblast engagé par la reconoissance
des faueurs qu’il auoit receu du Mazarin ;
son veritable dessein, en faisant l’empressé pour
disposer les affaires à ce retour, n’estoit autre que
de s’ancrer par cette chaleur qu’il témoignoit,
dans les affections de la Reyne ; & d’obliger le
Cardinal Mazarin de luy en faire comettre tout
le secret, afin d’en pouuoir plus heureusement
empescher l’execution ; & c’est par ce moyen
qu’il esperoit que la Reyne mesme fauoriseroit
son ambition, lors qu’apres plusieurs inutils efforts
elle ne verroit plus de iour à ce restablissement.

Enfin la Reyne reconnoissant bien apres toutes
les tentatiues qu’elle auoit fait faire sur l’esprit
inesbranlable de M. le Prince, que toutes ses
intrigues estoient impuissantes ; se laissa persuader
par son Conseil qu’il falloit en venir à vne
force ouuerte ; & qu’vn second attentat à la liberté
de ce Prince, seroit peut-estre pour reüssir plus
heureusement que le premier à la faueur de la
Maiorité.

La fin de ce dessein n’estoit autre que de l’executer,

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si toutefois il n’estoit point découuert ; ou
d’obliger M. le Prince d’en faire éclater quelque
mécontentement qui le fit haïr par l’apprehension
de quelque nouueau trouble, s’il arriuoit
qu’il en fut auerty. Et cette seconde intention
ayant reüssi, on ne manqua pas de charger son
innocence de mille supositions, en luy imputant
mille mauuais desseins, ausquels on pretendoit
faussement qu’il pretextoit celuy de maintenir la
liberté ; parce que les attentats n’en estoient
point visibles à tout le monde.

 

La poursuitte que M. le Prince fit pour s’asseurer
contre tant de menaces, fut cause de l’éloignement
politique, qui fut aparamment pour
iamais, mais en effet pour quelque temps seulement,
des trois personnes qui sembloient estre
les plus attachées au restablissement du Mazarin :
Et l’establissement du Conseil qui fut en suite
fait sans la participation de Son Altesse Royale
& de Messieurs les Princes : mais il marqua que
trop visiblement la passion que la Cour auoit
d’obliger Monsieur le Prince d’en faire éclater
le mécontentement par quelque coup hardy,
qui peut estre capable de donner vn peu plus de
couleur au desir qu’on auoit de le pousser à bout,
pour frayer vn plus heureux chemin au restablissement
de ce meschant Ministre.

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Ie ne doute pas que les sieurs de Chasteauneuf
& de Molé, dont le premier fut esleué à la
charge de Ministre d’Estat, & le second à celle de
garde des Sceaux, ne se soumissent pour lors à ce
choix qu’on faisoit de leurs personnes, auec intention
de donner des preuues d’vne generosité,
telles que leurs seruices passez nous la faisoient
attendre des deux plus anciens officiers
de la Couronne ; & de ne seconder les passions
de la Reyne pour le restablissement du Cardinal
Mazarin, qu’autant qu’ils pourroient connoistre
que leur complaisance seroit inutile à la conduite
qui le pourrroit fauoriser.

C’est du moins la reflection de ceux qui ont
estudié vn peu plus attentiuement la Politique
de Madame de Cheureuse, laquelle n’ayant iamais
eu de dessein de proteger le Cardinal Mazarin,
que pour le faire perir plus infailliblement ;
suggera le dessein de poursuiure M. le
Prince ; moins en intention de se pousser à bout
quoy que neanmoins elle en eut d’en estre rauie ;
que de rendre le retour du Mazarin impossible,
par la necessité qu’elle sembloit imposer à son
party, de ne le rapeller point en Cour, pendant
qu’il seroit necessaire de faire croire aux peuples
que le dessein de son restablissement, seroit vne
fausse aparence que Monsieur le Prince pretexteroit
à ses veritables desseins.

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De cette pierre elle pretẽdoit faire deux coups ;
premierement elle donnoit assez de loisir à M.
de Chasteauneuf de s’ancrer dans le Ministere,
& de se rendre necessaire dans cet illustre employ,
pendant que la Cour seroit aux prises auec
M. le Prince, dont elle iugeoit bien que la puissance
ne laisseroit iamais voir aucun iour au restablissement
du C. Mazarin, puisque la necessité
de traiter cette raison de pretexte deuoit toûiours
estre indispensable. Secondement elle iugeoit
bien que si la passion de la Cour n’estoit
point assez patiente, pour attendre l’occasion
fauorable à ce restablissement, il luy seroit tres
facille par l’entremise de M. de Chasteauneuf
de le presser auec vne aparence de zelle pour son
succez, mais en effet pour le faire auorter en le
precipitant auant le temps.

Le premier de ces deux coups eût porté, si
la passion n’eust predomine dans le Conseil ; &
si l’impatience de reuoir le Cardinal Mazarin,
n’eust obligé la Cour d’en haster le restablissement
malgré les grandes incommoditez qu’elle
y peut preuoir, par les grands auantages qu’elle
donne à M. le Prince de faire hautement retentir
la iustice des raisons de son armement, qu’on
ne sçauroit desormais plus traiter de pretextes,
puis qu’elle sont visibles à tout le monde.

Ainsi les plus aduisez se doutent bien ; que

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Madame de Cheureuse & son party, n’ayant
point reüssi dans le dessein de maintenir M. de
Chasteauneuf dans le Ministere, sur la raison
qu’ils ont eû de faire voir du danger dans le retour
du Mazarin, par lequel Monsieur le Prince
deuoit estre iustifié : Ils ont crû qu’apres les efforts
inutiles qu’ils ont fait pour, s’y oposer, il falloit
tenter de faire triompher leurs intentions en
le precipitant par leurs Conseils.

 

En effet à bien considerer les affaires, il semble
qu’il n’a iamais esté moins à propos de rapeller
le Cardinal Mazarin, qu’il l’est auiourd’huy ;
puis que pour faire condamner Monsieur
le Prince dans la creance des peuples, c’est à dire
pour ietter la sollitude dans son party, il estoit
necessaire que toute la France ne doutast point
de la sincerité du bannissement de Mazarin,
dont on sçauoit que l’aprehension feroient
grossir le party de ceux qui se metroient en posture
de luy vouloir oposer des obstacles.

Voila le dessein de Madame de Cheureuse,
de M. de Chasteauneuf & de tout son parti. Mais
celuy de la Reyne qui se conduit par des intrigues
toutes particulieres a esté de conclure au
restablissement par d’autres raisons, premierement
elle a veu qu’elle auroit beau attendre, si
elle esperoit que la raison dont Monsieur le Prince
pretend iustifier son armement puisse passer

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pour pretexte, tandis qu’on aura subiet de soubsçonner
qu’estant le Chef & maistresse de tout
le Conseil, elle conseruera tousiours le dessein
de restablir celuy qu’elle ne croit estre chassé
que par attentat : Secondement elle a iugé que
deux ou trois petits auantages dont le bon-heur
venoit recemment de fauoriser ses armes, rendoit
la precipitation de ce restablissement moins
imprudente, par la reflection qu’elle a fait que
la ionction des troupes de Mazarin auec les siennes,
luy pourroient faire esperer quelque plus
notable succez. Troisiemement elle a veu qu’il
estoit fort à craindre que si ce retour estoit plus
long-temps differé, Monsieur le Prince ne se
rendit enfin assez fort pour y former des obstacles
inuincibles, par la grande aparence qu’il y
auoit que S. A. R. deuoit pancher de ce costé
là, & parle bruit qui couroit assez probablement
que les Ducs de Guise & de Nemours venoient
pour grossir l’armée de Monsieur le Prince, le
premier de six mille Espagnols, & le second de
quatre mille Lorrains. Quatriesmemẽt, les Partizans
du Mazarin luy ont fait entendre que ce
Ministre ne pouuoit rentrer dans l’Estat que par
la mesme porte par laquelle il en est sorty, & que
s’il y reuenoit à la faueur des troubles il ne se
pouuoit à tout rompre qu’il ny demeurast enfin
à la faueur d’vn accommodement.

 

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M. de Chasteau-neuf qui ne desire rien moins
que ce retour, n’a pas manqué d’attaquer fortement
toutes ces raisons, mais l’opiniastreté des
Mazarins pour les faire valoir, en a empesché le
triomphe. Tellement que ne voyant plus de
iour à les pouuoir combatre, il s’est auisé de les
renforcer en apparence pour les affoiblir en effet
auec plus de succez. Il a donc consenti malgré
ses veritables sentimens, au dessein de haster
le retour du Mazarin, non pas comme on dit,
parce que le Mazarin s’est engagé par serment
de renoncer pour iamais en sa faueur à la charge
de premier Ministre d’Estat, car on sçait qu’il a
pour premiere maxime, de n’estre point esclaue
de ses paroles : Mais parce qu’il a iugé que la presence
de ce proscrit fauoriseroit le dessein qu’il a
de le faire perir, en procurant l’vnion de ceux
qui le perdront infailliblement, à moins qu’ils
ne le regardent auec indifference.

Pour faire reüssir cette politique, il a fait le
passioné pour les interests de la Reyne, en luy
faisant entendre qu’estant du moins moralement
impossible d’arracher le Cardinal Mazarin
d’entre les mains de tant d’ennemis qui sembloient
estre sur le point de se liguer, il estoit à
propos de leur lier les bras par les auances de
quelque composition auantageuse.

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Ce conseil n’a pas esté desaprouué, quoy
qu’en effet il soit tres d’angereux pour le C.
Mazarin, auec lequel tour le monde sçait
qu’il n’est pas asseuré de traiter, & pour l’executer
promptement la carte blanche a esté
presentée à S. A. R. & à M. le Prince, à celuy
la pour le traité du mariage de Madmoiselle
d’Orleans sa fille auec sa Majesté, & à
l’autre pour l’enterinement de toutes les propositions
qu’il pourra faire, & tout cela à
condition qu’ils cesseront tous deux de s’opposer
au retour du Mazarin, auec protestation
qu’il ne sera iamais parlé de luy redonner
le gouuernement de l’Estat,

Qui ne iugeroit que cét aduis part d’vne
passion sincere pour le restablissement du Mazarin :
mais si l’on veut prendre la peine d’en
considerer l’intrigue auec plus de reflection,
ne iugera-t’on pas que M. de Chasteauneuf
pretend faire connoistre la foiblesse & le desespoir
du Mazarin, par les propositions
aduantageuses qu’il luy fait auancer d’vn accommodement,
lors mesme qu’il sembleroit
deuoir estre en estat de se remettre malgré les
resistances de tous ses ennemys, pour les obliger
par cette connoissance qu’il leur donne

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de la foiblesse de Mazarin à conspirer d’autant
plus fortement contre luy, que plus ils
ont sujet d’en esperer vne glorieuse defaite.

 

La raison que M. de Chasteau neuf à desperer
que ces propositions de la Cour quelques
auantageuses qu’elles semblent estre,
seront neantmoins rebutées de S. A. R. &
de M. le Prince, c’est qu’il a remarqué dans
la conduite du C. Mazarin, que les belles promesses
seruent de bonne aparence à ses fourberies
ordinaires lors que sa fortune est reduite
au desespoir, & que cette mesme connoissance
que S. A. R. & M le Prince en ont ne
manquera pas de les leur faire renuoyer,
auec dessein cependant d’en tirer auantage,
par vne plus forte & plus parfaite intelligence.

Ce n’est neantmoins plus le seul motif de
cette belle intrigue. Ce grand personnage a
iugé que pour liguer plus intimement S. A. R
& M. le Prince, c’est à dire pour perdre le
C. Mazarin, il falloit tacher de leur faire
porter des propositions, qui leur fissent connoistre,
qu’ils n’agissoient en cette conioncture
que par le seul motif de leurs interests
particuliers ; afin que leur generosité se trouuant
rebutée de cette creance, se roidit dautant

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plus fortement contre toute sorte de
composition, que plus elle auroit raison de
craindre que le décry de son estime ne s’en ensuiuit.

 

Quoy qu’il en soit de tous ses motifs, la
proposition du mariage de Mademoiselle
d’Orleans auec le Roy, n’a esté reçeuë de son
Altesse Royalle que comme vne vieille intrigue,
qui ne pouuoit desormais plus seruir,
qu’à effarer son imagination & qu’il n’estoit
en estat de regarder, que comme le masque
de toutes les fourberies du Mazarin. Et M. le
Prince, n’a non seulement pas voulu escouter
les auantages qu’on luy faisoit offrir, mais
mesme il a témoigné que la seule proposition
luy en estoit honteuse ; puis que n’ayant iamais
eu autre dessein dans son armement que
celuy de restablir l’authorité Royalle & de
procurer le repos à l’Estat par la ruine de son
perturbateur ; l’honneur ne luy permet pas
fans démantir les auances de ses premiers intentions,
d’entendre iamais à aucune sorte de
traité à moins que le premier article ne concluë
d’abord à la proscription du Cardinal
Mazarin.

Depuis cét intrigue les affaires n’ont point

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changé de posture : quoy que les Mazarins
bien surpris de cette fermeté de son Altesse
Royalle & de Messieurs les Princes, n’ont
pas manqué d’en rechercher de nouuelles
pour rasseurer la fortune de leur maistre Mais
l’impuissance d’en pouuoir rencontrer qui
soient assez efficaces, les oblige de consulter
le desespoir & de hazarder quoy que dangereusement
la voye des armes, pour le restablissement
de leur Mazarin.

 

FIN.

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