Anonyme [1652 [?]], LE SECRET DE LA RETRAITE DE MONSEIGNEVR LE PRINCE. Contenant vne fidelle & courte deduction de toutes les intrigues qu’on a joué dans l’Estat depuis son eslargissement; iusqu’à l’arrest de proscription donné contre le Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_3628. Cote locale : B_7_4.
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LE
SECRET
DE LA RETRAITE
DE MONSEIGNEVR
LE PRINCE

Depuis que les Princes furent sortis de prison,
& que le C. M. se fut retiré de la
Cour, les affaires eurent quelque changement
en apparence, bien qu’en effet elles eussent leur
mouuement ordinaire, qui faisoit assez prejuger
aux plus esclairez, les suittes qu’on en apprehendoit ;
on vit bien renaistre quelque calme dans
l’Estat qui ne pouuoit estre de longue durée,
n’estant fondé que sur la dissimulation qui tenoit
le feu caché sous la cendre mais qui ne l’esteignoit
pas : si bien que les esprits estoient demeurez
comme en suspends dans l’attente de
nouuelles choses.

Monsieur le Prince voyoit la Reyne, & paroissoit

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sans ressentiment du passé, bien qu’il en fut
accueilly auec assez de froideur, & qu’il eust
assez de sujet de se deffier, apres auoir esté desia
surpris ; l’esloignement du C le rasseuroit vn peu,
& luy faisoit croire qu’il n’auoit rien à craindre
ayant la parolle de leurs Maiestez & celle de
S. A. R. & ny ayant plus de Ministre pour en abuser.

 

L’arrest auoit esté confirmé contre cét estranger
& l’on auoit declaré les trois Princes innocens ;
de maniere que toutes choses estoient assez
bien pacifiées si elles eussent peu demeurer longtemps
en cét estat : mais bien-tost les intrigues
recommencerent, qui cherchent tousiours quelques
nouueaux sujets de trouble.

Monsieur de Chasteau-neuf fut destiné à la
dignité de chef du Conseil par les menées des
frondeurs, qui auoient gagné son Astesse Royalle
& chacun d’eux creut en luy seruant d’appuy
s’establir encor plus puissamment, & se donner
plus de credit. Madame de Chevreuse qui donnoit
le bransle à cette affaire n’auoit pas manqué
d’instruire Monsieur le Coadjuteur des moyens
qu’il deuoit tenir pour emporter cela sur l’esprit
de Monseigneur le Duc d’Orleans, pendant que
de son costé elle agissoit fortement aupres de la
Reyne, elle se figuroit par là qu’elle auroit toute
la disposition des affaires & que c’estoit le meilleur
moyen de conclure tout de bon le mariage

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de M. le Prince de Conty auec Mademoiselle de
Chevreuse sa fille.

 

En effet, M. le Prince ne pouuoit plus se dédire
de cette condition onereuse à laquelle il s’estoit
engagé aussi bien que plusieurs autres pour
le recouurement de sa liberté : il estoit donc
comme necessité à les subir toutes, ou bien il
luy falloit rompre ce coup d’authorité qui
mettoit les Frondeurs en pouuoir de tout exiger
de luy.

Il fut donc obligé d’estre contraire à leurs procedures,
& de solliciter son Altesse Royalle à
prendre ses interests, luy faisant connoistre de
quelle importance estoit l’establissement de ce
nouueau Ministre.

La Cour, & les Ministres du Cardinal ne
manquerent pas aussi-tost de prendre tous leurs
auantage en cette occasion, relaschant volontiers
en faueur des poursuittes de M. le Prince,
ce qu’ils firent à trois fins ; pour moderer le pouuoir
des Frondeurs qui leur a esté tousiours suspect ;
pour faire voir à M. le Prince qu’ils luy
vouloient donner toute sorte de satisfaction ; &
pour se plaindre en suitte à tout le monde de ce
qu’il luy falloit tout accorder, afin de décrier
la conduite de ce Prince, pretendans par là retenir
toute la force de l’authorité en rabaissant

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tantost le pouuoir de l’vn & tantost celuy de
l’autre.

 

Ainsi Monseigneur le Prince n’eut pas beaucoup
de peine d’obtenir l’esloignement de Monsieur
de Chasteau-neuf, la Cour y estant pas tout
à fait, & M. le Duc d’Orleans y aquiesçant volontiers
par cette bonté naturelle qu’il a tousiours
témoignée en faueur de la paix & de l’vnion de la
maison Royalle.

Ainsi Monsieur de Chasteau neuf se retira à
Mont-Rouge, & Monseigneur le Prince n’en
voulant pas demeurer là, fit d’abord declarer
nulle, la promesse de mariage entre Monseigneur
le Prince de Conty son frere & Mademoiselle de
Chevreuse, attendu qu’on les y auoit engagez
comme par force, ayant esté faite en vn temps
auquel il ne leur estoit pas loisible de rien refuser
non plus que d’accorder rien qui fut à leur
prejudice.

Madame de Chevreuse ne pût faire autre
chose en ce rencontre que d’esclater par des reproches,
que Monsieur le Prince n’auoit point de
foy, que Monsieur le Prince de Conty estoit
sans courage, que sa fille meritoit bien vn Prince,
mais qu’elle vouloit que la recherche en fut tres
libre, & que pour ce sujet elle mesme rompoit ce

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mariage, & ne pretendoit pas d’engager personne
contre son gré à prendre sa fille, que sa vertu
seulement deuoit marier selon sa condition.
Dés lors elle conçeut vne haine irreconciliable
contre M. le Prince qu’elle a fait depuis assez paroistre
en toutes les occasions qu’elle en a trouué
comme nous verrons par la suitte

 

Cependant Monsieur le Coadjuteur voyant
échoüer ses esperances par l’esloignement de
Monsieur de Chasteau-neuf & par la nullité de
ce mariage, dissimule ses ressentimens, & ne
laisse pas de faire ses poursuittes accoustumées
pour le Chapeau de Cardinal auec assez peu de
reussi, estant amusé d’vn costé par la Cour, &
combattu de l’autre par Monsieur le Prince ; il
s’efforça par tous moyens possibles de gagner
Monsieur le Duc d’Orleans, en luy donnant de
l’aduersion du procedé de la Cour & de la deffiance
de Monsieur le Prince, il eut d’abord assez
de succez, & trouua quelque part dans les bonnes
graces de ce Prince tandis qu’il luy parla du repos
& de la tranquillité de l’Estat à quoy il donne
tous ses soins ; si bien que ce Prelat sembloit assez
bien ménager l’esprit de son Altesse Royalle,
mais c’estoit pour l’engager insensiblement au
party de Madame de Chevreuse. Sur ces entreprises
on donne les Sceaux à Monsieur le premier

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President, ce que M. le Duc d’Orleans n’ayant pas
trouué bon, en communique auec M. le Prince,
qu’on croyoit estre le meilleur amy de ce nouueau
Garde des Sceaux, mais M. le Prince s’vnissant
de volonté à son Altesse Royalle, & ayant
proposé de remettre les Sceaux entre les mains de
Monsieur le Chancellier à qui on les auoit ostez à
son occasion, on trouua iuste de les luy rendre,
tant pour contenter M. le Prince que pour le
des-vnir d’auec Monsieur le premier President
auec qui on la veu tousiours mal depuis Neantmoins
comme la Reyne ne declaroit pas encor sa
volonté la dessus, Monsieur le Coadjuteur alla
trouuer M. le Prince & luy proposa vn moyen
qu’il croyoit fort conforme à la violence de son
humeur, que ce Prince pourtant rebuta auec
beaucoup de prudence. C’estoit de faire prendre
les armes aux Bourgeois, d’aller enleuer les
Sceaux des mains du premier President, & marcher
en suitte au Palais Royal, ce dessein, sur le
reffus que Monsieur le Prince en fit, ne fut pas
expliqué dauantage, mais enfin cette proposition
fut faite, soit que Monsieur le Coadjuteur
creust par là, gagner la faueur de Monseigneur le
Prince comme necessaire à ses desseins, soit que
ce fust vn artifice de Madame de Chevreuse pour
remuer & pousser Monsieur le Prince dans vn

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danger si euident.

 

Pendant que l’on se broüilloit par ces intrigues,
les creatures du Cardinal se fortifioient
dans le Conseil, & retenoient tousiours toute la
force de l’authorité en faueur de leur maistre dont
l’esprit regnoit aussi absolument que iamais dans
l’Estat, bien qu’il en eust esté esloigné par arrest
du parlement.

Le prodigieux aduancement des sieurs le
Tellier & Seruient, la violence de leurs Conseils
qui portoient tout à l’extremité leur hardiesse
à tous entreprendre, apporterent de
nouueaux troubles dans les esprits d’vn chacun.
Madame de Chevreuse apprehendoit qu’ils ne se
rendissent trop puissants aupres de la Reyne, ce
qui ne pouuoit apporter que de la diminution
au pouuoir qu’elle pretendoit donner à son party,
d’ailleurs l’authorité que le Cardinal se conseruoit
encor dans le Conseil luy estoit insupportable,
outre qu’elle estoit contraire à l’establissement
de Monsieur de Chasteauneuf, &
renuersoit l’esperance que M. le Coadjuteur auoit
d’est te bien tost Cardinal. Enfin le retour de ce
Ministre qu’ils auoient chassé leur sembloit fatal,
en sorte qu’ils n’eussent rien obmis pour l’empescher.

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Monsieur le Prince apprehenda plus que personne
ce trop puissant establissement des creatures
du Mazarin ne sçachant que trop pour
l’auoir epreuué qu’ils estoient capables de tout
ozer contre sa personne, & ne d’outant point
que sa liberté donnoit a tous également de l’ombrage,
& estoit vn Obstacle insurmontable au
retablissement du Cardinal leur maistre. La
deffiance suiuit bien tost ses soubçons si bien
qu’il n’alloit plus que tres rarement au palais
Royal, & s’exemptoit de voir le Roy le plus qu’il
luy estoit possible sçachant bien, que sous pretexte
de la Majesté, on exerçoit souuent des violences
trop fatales aux Princes du Sang, quand
les Ministrer n’estoient pas aussi absolus qu’ils
pouuoient le desirer, dans ces apprehensions qui
semblent assez iustes il s’attacha entierement à
Monseigneur le Duc d’Orleans qui estoit le
meilleur moyen de parer à quelque future disgrace.

Il n’eut pas de peine à gagner son Altesse
Royalle, apres qu’il luy eut fait voir la sincerité
de son procedé pour le passé, & celle de
ses intentions pour l’aduenir, les artifices des
Frondeurs & le plein pouuoir de ses ennemys
irreconciliables dans la personne de leur maistre

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exilé. Monseigneur le Duc d’Orleans prit
auec empressement ses interests, le resmoigna
plusieurs fois à la Reyne, qui sollicitée par
Madame de Chevreuse & Madame d’Aiguillon,
qu’elle auoit depuis peu appellée à sa confidence,
ne voulut point escouter les propositions
de son Altesse Royalle qui ont tousiours
esté pour le repos de I’Estat, & pour l’vnion
entre les Princes ; si bien que se voyant rebuté
il ne pût empescher de se plaindre tout haut &
en la presence de leurs Majestez, que le conseil
des femmes preualoit par dessus celuy des
Princes, & qu’ils n’auoient plus à present d’authorité
de donner leurs conseils pour le bien
de l’Estat, à la conseruation duquel ils estoient
interessés plus que personne : depuis que Mesdames
de Chevreuses & d’Aiguillon conseillant
sa Majesté ne la faisoient agir que par les
principes de leurs ressentiments & de leur
hayne.

 

Le constant refus que fit la Reyne de l’escouter
ne seruit qu’a le rendre encor plus fauorable
à Monsieur le Prince, iugeant par là
qu’il auoit bien suiet d’apprehender tout de la
Cour, de laquelle il ne pouuoit luy mesme
rien obtenir : Il ne douta plus que sa deffiance

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ne fust iuste, & se resolut des lors de l’appuyer
de toute sa puissance. En suite on proposa
l’alliance de ces deux illustres familles,
par le mariage de Monsieur le Duc d’Anguin
auec Madmoiselle de Valois, à laquelle
ayant tout deux volontiers consenty la Cour
manqua de pretexte pour si opposer.

 

Cette indissoluble vnion ayant mis Monsieur
le Prince à couuert de toutes les poursuites
de ses ennemys. Ils changerent de batterie ;
& formerent de differends desseins
contre luy bien qu’ils fussent tous disposez à
vne mesme fin.

Le party de Madame de Chevreuse ne
butta plus qu’à le rendre suspect en Cour, &
se portoit assez ouuertement dans cette
intrigue : tout leur dessein estoit d’esloigner
Monsieur le Prince de Paris & de luy faire
prendre la resolution de se retirer en Guyenne
dont il auoit depuis peu eschangé le Gouuernement
à celuy de Bourgogne auec Monsieur
d’Espernon selon les volontez de la
Reyne, ce Prince ne s’esloignoit pas de ce
voyage, le croyant accunement necessaire,
tant pour en aller prendre possession, qu’a fin
de se retirer pour quelque temps de tant d’embarras

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ou il voyoit toute la Cour comme
abismée, c’est ce qui leur faisoit esperer tout
le reussi qu’ils en pouuoient desirer, connoissant
qu’apres son départ ils auroient
tout moyen de le decrediter tout à fait, &
de s’assurer leur pouuoir de ce costè la.

 

Monsieur le Prince les preuint en demandant
la permission de s’en aller en Guyenne,
auec protestation de se treuuer à
la Majorité du Roy, ce qui luy fut tres facilement
accordé, tant pour la satisfaction
propre que la Reyne en receuoit que pour
celle de ses ennemys qui n’estoient pas sans
apprehension de le voir icy si bien aupres de
son A. R.

Ce fut pour lors que le sieur Seruient
homme capable & hardy crut le temps propre,
pour faire seussir vn dessein qu’ils estoit
forme pour luy seul & qu’il se prometroit de
porter a bout pendant la confusion de toutes
ces intrigues, c’estoit de s’eslablir en la
place de celuy pour lequel il agissoit, & de
conseruer le Ministere dont il estoit en quelque
façon depositaire par l’amitié que le C.
luy portoit & la confiance qu’il auoit tousiours
euë en luy. Ce qu’il esperoit de faire

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par trois voyes qui luy estoient toute êgalement
necessaires ; la premiere estoit de tromper
longuement la Reyne par l’esperance de
menager le retour du Cardinal Mazarin, &
cependant se seruir de la confidence que son
maistre luy donnoit aupres de sa Ma esté
pour gouuerner les affaires selon ses volontez.
La deuxiesme estoit d’abuser le Cardinal
par vne vaine esperance de retour auquel
il pretendoit faire naistre tousiours de puissans
empeschemens. Et enfin la troisiesme
estoit de gagner Monsieur le Prince afin de
n’estre point trauersé dans vne si haute entreprise ;
cette consideration l’obligea d’aller
trouuer Monsieur le Prince sur le point
de son départ, de luy asseurer qu’ils opposeroit
tousiours au retour du Cardinal en
France pour l’amour de luy, & luy destourneroit
autant qu’il luy seroit possible la connoissance
des affaires, mais qu’il falloit
donner quelque chose au temps & ne rien
precipiter en cette affaire, que la Reyne
l’appuyoit encor, & qu’on ne pouuoit empescher
qu’elle luy communiquast le secret,
mais qu’enfin on l’engageroit à s’en deffaire
par les impossibilitez qu’on luy proposeroit

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de son retour, que cependant Monsieur le
Prince se pouuoit mettre en repos de ce
costé là, & pouuoit sur cette proposition
faire son voyage sans inquietude de la part
de la Cour se deuant asseurer sur sa parolle.

 

Il crut auoir heureusement reussi, & en
effet Monsieur le Prince eut donné quelque
croyance à ces propositions, si la negociation
de Sedan, sans la participation de son
Altesse Royalle ny de luy, la surprise inopinée
de Brissac qu’il croyoit luy estre cachée,
la sortie de Monsieur de Mercœur hors le
Royaume sans aucune permission declarée,
ne luy eussent fait apprehender quelque
fourbe dont il ne se pouuoit douter.

Le peu de connoissance que son Altesse
Royalle auoit de toutes ces choses, luy donnoit
encor dauantage à penser, mais la trop
grande chaleur de ses ennemys animez à sa
perte le mit bien dans vne autre peine.

Leur dessein alloit iusqu’à le pousser pour
le rendre en quelque façon criminel par
vne fuite & luy oster la volonté de retourner
à la Cour par le mauuais traitement dont
ils le vouloient menacer, ne se contentant
pas de l’auoir veu se disposer luy mesme à ce

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voiage qu’ils auoient si ardamment souhaité

 

Ils donnerent donc le conseil de faire tenir
secrettement des gens armez sur son chemin
dans le Palais Royal & aupres de la maison
de M. le Prince la nuict qui deuoit preceder
son départ, dequoy M. le Prince ne
manqua pas d’estre aduerty mesme qu’on
donnoit des ordres dans le Palais Royal qui
n’estoient connus de personne, & que tout
cela tendoit à faire armer secrettement des
cheuaux legers & quelques compagnies des
Gardes qui deuoient sur la minuict le venir
surprendre dans sa maison.

Ces auis qui venoient de bonne part, &
en quantité le firent resoudre à ce qu’on vouloit
de luy, il sort par vne porte secrete auec
Monsieur le Prince de Conty, & tous deux
se mettent au chemin de Mouron, mais
ayant aperçeu quelque Cauallerie entre mont-Rouge
& le bourg la Reyne ils rebrousserent
chemin, & allerent chercher leur sureté au
Chasteau de saint Maur ou leurs ennemys
eurent bien du depit de les voir arrestez.

Tout le monde fut bien surpris de cette
nouuelle broüillerie que l’on attribuoit diuersement
à plusieurs sans en decouurir la
veritable cause.

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neantmoins on en pouuoit assez connoistre
la verité par les suites qui furent si apparentes,
& les autheurs se découurirent assez
d’eux mesmes par les oppositions qu’ils formerent
au retour de ces Princes.

 

Le Parlement voulut connoistre de cette
affaire, & s’estant assemblé en corps il fut
conclud qu’on députeroit à Messieurs les
Princes pour sçauoir les causes de leur éloignement,
& pour les prier de retourner à
Paris, auec la seureté que leur prometoient
leurs Maiestez, & sur la parolle de Son Altesse
Royale.

Monsieur le Prince de Conty vint au Parlement
pour instruire cette Compagnie des
motifs que M. son frere & luy auoient eu
d’vne retraite si precipitée : là il exposa les
desseins qu’on auoit sur leurs personnes, les
ordres qui auoient esté secretement donnez
dont ils auoient eu des auis tres certains,
que cela ne pouuoit venir que de la part des
creatures du Cardinal, dont l’esprit regnoit
encor en Cour aussi puissament que iamais,
par les intrigues continuelles de ses emissaires,
dont il nomma trois de ses principaux,
à sçauoir Seruient, le Tellier & Lyonne, il

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demanda qu’ils fussent compris dans la Declaration
qui se deuoit donner contre le
Cardinal leur Maistre, & qu’ils fusssent éloignez
pour tousiours des Conseils de leurs
Maiestez. L’assemblée conclud à faire des
Remonstrances à la Reyne sur la mauuaise
conduitte de ces Ministres, quelque effort
que fist le President de Bocquemar,
pour iustifier les façons de proceder du
sieur Seruient son beau-frere : On preuint
ces poursuites en Cour par l’éloignement de
ces trois personnes sans aucune forme, la
Reyne estant pressée encor d’autre part de
les eloigner, à la solicitation de Madame
de Chevreuse, à qui le pouuoir de ces trois
donnoit de l’ombrage, & qui découurit la
pretension trop releuée du sieur Seruient,
dont l’ambition n’estoit que trop connuë.
Elle pretendoit par là le retour de Monsieur
de Chasteau-neuf, ou du moins vn ferme
establissement de Monsieur le Coadiuteur
dans le Conseil, & si la fortune luy en disoit
dans le Ministere. Le retour du premier fut
tanté, mais en vain, y ayant trop peu de
temps qu’il auoit esté éloigné : l’establissement
du second fut poussé auec quelque

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apparence d’y pouuoir reüssir, la Cour
n’ayant trouué personne plus propre pour
oposer à Monsieur le Prince, mais ce n’estoit
que pour s’en seruir dans le besoin, & non
pas pour luy donner tant d’auantage.

 

Voila donc Monsieur le Coadjuteur qui
marche au Palais accompagné de quantité
de Gentils-hommes suiuy d’vne trouppe de
Gardes qui l’escortent en public : ce ne sont
que cabales chez Madame de Chevreuse,
où tous les soirs ce Prelat se rend incognito,
la on delibere de plusieurs entreprises dont
le Marquis de Legues doit estre l’executeur.

Monsieur le Prince sous la protection de
Son Altesse Royale retourne à Paris, & vient
rendre compte au Parlement de son procedé,
apres auoir nommé les trois chefs de ses
ennemis qui luy auoient dressé des embusches
dont il auoit esté assez bien informé,
disoit il, pour s’en donner de garde : Il demanda
qu’ils fussent compris dans la Declaration
qu’on deuoit donner contre le Cardinal,
à quoy Monsieur le Premier President
repartit qu’il ne faisoit que de nouuelles
propositions, & qu’il ne venoit au Palais que
pour demander tousiours quelque chose,

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que toutes ses defiances estoient inutiles,
apres qu’on auoit éloigné les trois personnes
qu’il venoit de nommer ; qu’au reste il falloit
contribuer tout de bon à la reünion de la
Maison Royale, & qu’il estoit à souhaitter
qu’il eust l’affection au bien de l’Estat aussi
bien dans le cœur comme dans la bouche ;
que la Reyne ne souhaitoit rien dauantage,
que S. A. R. y employoit tous ses soins, qu’il
deuoit aller voir leurs Maiestez auant que
de venir au Palais, & que c’estoit vn mauuais
exemple de luy chez les Etrangers, ausquels
on publioit que le Prince de Condé demeuroit
à Paris dans son Palais, & ne passoit point
le Pont neuf pour aller au Palais Royal ; A ce
mot Monsieur le Prince l’interrompant luy
dit que c’estoit bien son intention d’aller
rendre ses deuoirs accoustumez à leurs Maiestez,
mais qu’il ne faisoit rien que par la
volonté de Monsieur le Duc d’Orleans,
chez lequel il s’en alloit au sortir du Palais,
pour en consulter auec luy, & prendre ensemble
cette resolution ; que pour Seruient,
le Tellier & Lyonne, si l’on donnoit vne
Declaration contre leur Maistre, à plus forte
raison la deuoit on donner contre ses domestiques
qui auoient en partie contribué à ses

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pernicieux Conseils. Quand à ce qui regardoit le
repos de l’Estat il ne souhaittoit rien tant & qu’il
le feroit tousiours assez cõnoistre par ses deportemẽs
& par l’vnion de ses volõtez à celle de S. A. R.
qui n’auoit riẽ tãt à cœur que la Paix & la trãquilité
publicque. Quelque instãce qui fust faite de la
part de M. le Prince il n’obtint rien dauantage,
le premier President ayant éludé toutes ses pretentions.
Ce pendant la cabale continuoit chez
Madame de Cheureuse en faueur de Monsieur le
Coadjuteur, où il fut resolu de solliciter puissamment
la Reyne pour luy faire donner vne Declaration
du Roy contre Monsieur le Prince, ce
qu’elle fit dans la creance, l’esperance qu’on luy
donna que c’estoit abatre son parti, qu’il seroit
incontinent abandonné de tout le monde, &
que chacun prenant l’espouuante se viendroit
ranger sous son Authorité. Toute leur pretention
estoit de mettre les choses en vn point que
la Cour eust par apres besoin de leur part pour
appuyer ce qu’elle venoit de faire & pour donner
ouuerture dans le Ministere à Monsieur le
Coadjuteur. Cela fit bien quelque chose de semblable
mais non pas de la façon qu’ils se l’estoient
figuré.

 

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Cet écrit qui portoit le nom du Roy sans
aucune forme de Declaration fut donné, dont
tous les grands du Royaume furent scandalisez :
S. A. R. fut bien surpris d’apprendre ce
procedé, il declara qu’il ny auoit point consenty
& que tout cela se faisoit sans sa participation.

Monsieur le Prince que cela touchoit plus que
personne poursuiuit aussi tost sa iustification
au Parlement & deuint le solliciteur de son innocence.

On ne manqua pas de luy opposer Monsieur
le Coadjuteur de la part de la Cour ainsi
qu’il auoit esté concerté & beaucoup s’estant
ioints à l’vn & à l’autre party, on les vit
marcher en public tous deux bien accompagnez,
& partager les affections de tout le peuple
de Paris. Des soldats choisis du Regiment
des gardes furent enuoyez au Palais, commandez
par le Marquis de Legues pour garder
Monsieur le Coadjuteur, pandant que Monsieur
le Prince se contentoit de quelques vns
de ses domestiques. Ces assemblées durerent
vn assez long-temps sans aucun effect quoy
que chacun auoüast que la demande de Monsieur

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le Prince estoit tres iuste, aussi auoit il
fait voir son innocence dans tous les poincts
dont cet escrit l’auoit accusé : mais il ne put
souffrir auec moderation l’intelligence qu’on
luy supposoit auec les Espagnols.

 

Toutes ces assemblées concluoient tousiours
à des remonstrances & cependant on donnoit
de continuelles allarmes à Monsieur le Prince
pour l’obliger à sortir de Paris. Enfin l’on
traisna iusqu à la Maiorité du Roy, la Declaration
contre le Cardinal Mazarin, & celle
de l’innocence de Monsieur le Prince, qui
ne pouuant accompagner son Roy en cet Estat
partit la veille de ce iour celebre & se retira
à Mont-ron où la Cour bien-tost apres prit
occasion de le suiure.

Le Roy fut au Parlement le sixiesme Septembre
ou selon la constitution de Charles V.
il fut reconnu Majeur & capable de prendre
luy mesme le Gouuernement de son Estat, la
Pompe auec laquelle il marcha fut semblable
à celles qu’on à coustume de voir en de pareilles
ceremonies, deslors la Reyne sa mere luy
choisit vn Conseil, dont Monsieur de Chasteau-neuf

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fut le Chef, selon les vœux de Madame de
Cheureuse.

 

Les sceaux furent donnez à Monsieur le
Premier President sans empeschement de personne,
& Monsieur de la Vieuille fut fait surintendant
quelques plaintes que fit son Altesse
Royale, à qui toutes ces choses faites
sans sa participation n’estoient guere agreables.

Aussi toutes choses depuis se sont resolues
sans luy, & il n’a esté appellé à aucune deliberation
quelque importante qu’elle ait esté
bien qu’il y puisse pretendre tres iustement
vne des premieres places, comme sa performe
Royale, & la fidelité auec laquelle il a serui le
Roy dans sa Minorité, ne semblent que trop
le demander.

Ce n’estoit pas assez que Monsieur le Prince
fust parti de Paris, se fust retiré à Mont-ron sans
donner seulement le moindre indice de vouloir
rien entreprendre, ses ennemis n’estoient pas
content de cela, il falloit l’apprehender le
pousser & l’obliger à prendre les armes
afin de rendre tous ces nouueaux Ministres
necessaires aux premieres entreprises d’vn Roy

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Maieur, les instaler auec plus de vigueur,
& les établir en sorte qu’ils ne pûssent plus
estre ébranles par la crainte du retour du
Cardinal à qui l’on a presque fermé toutes
les voyes de rentrer dans le ministere ; si
bien qu’il ne passe plus que pour vn fantosme
dont on amuse la haine du peuple &
qui seruoit de risée à la Cour. Quoy que l’on
ne trouuoit pas inutile que la Reyne pretendit
encore de le rappeller, à fin d’engager
Monsieur le Prince à combatre aueuglement
cette chimere : mais il en iugeoit
mieux que personne en preuoyant son retour
malgré toutes ces artifices.

 

Il falut donc poursuiure ce Prince, parce
qu’on l’apprehendoit & la resolution en
estoit prise, suiuant les Conseils que ces venerables
Ministres en auoient donné à sa
Maiesté, & c’estoit bien la pretension de
Madame de Chevreuse qui prenant auantage
de cet engagement où la Cour s’estoit
portée, prit son temps de l’engager
encor en faueur de Monsieur le Coadiuteur
à qui il falloit donner contentement pour

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l’attacher aussi à cette puissante entreprise,
ou du moins pour le retenir dans la mesme
intention, à quoy la Cour ne pouuoit plus
estre contraire, si elle vouloit prendre seureté
de tous costez, bien qu’on balançast vn
peu sur les instances qu’en faisoit Madame
de Chevreuse : Neanmoins en consequence
de l’expedition qu’on se proposoit, il falloit
necessairement relascher de cette opposition
qu’on y auoit tousiours apportée, si bien
que le soir du depart pour aller à Bourges, le
Chppeau de Cardinal luy fut accordé, parce
qu’on ne luy pouuoit refuser plus longtemps,
il ne faut plus que l’obtenir de Rome,
où l’on depescha à l’instant, & d’où l’on attend
auec impatience, & l’on croit que le
Pape le doit octroyer, si ce n’est que quelques
empeschemens qu’on y veut faire naistre
se treuuent à la fin veritables.

 

Le Roy partit pour aller à Bourges, & s’y
rendit en peu de temps pour en faire sortir
Monsieur le Prince de Conty & Madame de
Longueuille ; des lors Monsieur le Prince
ne connut que trop qu’il auoit bien d’autres

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ennemis que le Cardinal, & d’autant plus à
craindre qu’ils estoient plus en possession de
luy nuire que luy, bien qu’ils se seruent également
des conseils qu’il donne encor à la
Cour, & des artifices qu’ils forment chaque
iour pour ruiner les affaires de ce Prince.

 

C’est à quoy la valeur de Monsieur le Comte
d’Harcour a esté employée sous l’honneur
de General des armées du Roy, qui est vne
dignité assez conuenable à son merite.

Le Roy s’estant auance iusqu’à Poitiers,
& ayant fait marcher ce General auec toutes
ses trouppes, qu’il renforça mesme de ses
gardes, donna assez dequoy penser à Monsieur
le Prince, qui s’attendoit peu à de si
pressantes poursuites : il se vit obligé à mettre
des obstacles à vne armée qui le poursuiuoit
de si pres, & à luy fermer les passages de la
Prouince où il s’estoit refugié, il fit reparer
quelques places de leurs fortifications & y
mit de suffisantes garnisons pour soustenir
vn siege en cas quelles en fussent incommodées.

Pendant de si ardentes poursuittes, vne

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lettre du Cardinal arriuée à la Cour y apporta
le ttouble auec elle : elle contenoit les
plaintes, que faisoit ce Ministre exilé, de ce
qu’on differoit tant à le rappeller, quoy
qu’on luy eust promis de le faire dés le lendemain
de la Maiorité, qu’il supplioit la Reyne
de se ressouuenir de sa parole, qu’il
croyoit maintenant sa presence necessaire à
la Cour pour le seruice du Roy, & pour
l’accommodement des affaires, & que si on
luy enuoyer des passeports & du monde
pour l’escorter il se rendroit au plutost aupres
de sa Maiesté pour la seruir de ses conseils
dans de si importantes affaires.

 

Monsieur de Chasteau neuf rendit cette
pretention nulle, à laquelle la Reyne eust
volõtiers entendu : mais luy ayant remontré
que c’estoit exposer toutes choses, reculer les
auantages du Roy & auancer les affaires de
Monsieur le Prince, elle ceda à toutes ces
considerations qui estoient veritables, outre
que c’estoit encor diminuer de beaucoup
le pouuoir du party de Madame de
Chevreuse.

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La creance qu’on donna aussi tost à la
Reyne que cette nouuelle pourroit allarmer
Paris, fit qu’il fallut enuoyer à Monsieur
le Coadiuteur qui tiendroit la main à ce
que tout y fust paisible.

Bien tost apres Monsieur le Garde des
Sceaux y fut enuoyé chargé d’vne Declaration
du Roy contre Monsieur le Prince & ses
adherans : sur quoy le Parlement apres plusieurs
contestations de part & d’autre a donné
vn Arrest en cas que Monsieur le Prince
ne se rendit pas à la Cour dans vn mois :
mais l’entrée du C. Mazarin dans le Royaume,
contre l’attente de chacun, a obligé ce
Parlement de surseoir à cét Arrest, la presence
de ce Prince estant incompatible en Cour
auec celle de cét ennemy de l’Estat & de
sa personne : Il seroit bien plus vtile au
bien de l’Estat & au repos des pauures peuples,
de trauailler à vne heureuse reünion ;
& bannir de la Cour toutes ces mal-heureuses
intrigues si fatales à la gloire & à l’authorité
du Roy, aux auantages que la naissance
donne aux Princes du sang, & à la tranquilité
de tout le Royaume.

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Il faut pourtant esperer cette bien-heureuse
paix de l’authorité du Roy, de la bonté
de la Reyne, de l’entremise & des soins continuels
de S. A. R. & de la genereuse obeyssance
de M. le Prince, quoy que cela ne puisse
arriuer, si le Mazarin n’en est tout à fait
osté comme le seul sujet de toutes ces fatales
diuisions.

FIN.

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Anonyme [1652 [?]], LE SECRET DE LA RETRAITE DE MONSEIGNEVR LE PRINCE. Contenant vne fidelle & courte deduction de toutes les intrigues qu’on a joué dans l’Estat depuis son eslargissement; iusqu’à l’arrest de proscription donné contre le Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_3628. Cote locale : B_7_4.