Anonyme [1649], LE SECRET DECOVVERT, DV TEMPS PRESENT, OV L’INTRIGVE MANIFESTÉE. , françaisRéférence RIM : M0_3629. Cote locale : A_7_20.
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LE SECRET
DECOVVERT,
DV
TEMPS PRESENT,
OV
L’INTRIGVE MANIFESTÉE.

A PARIS,
Chez NICOLAS DE LA VIGNE,
prés Sainct Hilaire.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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LE SECRET
DESCOVVERT, DV
Temps present, ou l’intrigue
manifestée.

POVR satisfaire tout à la fois à ce qu’exige le
deuoir de nostre commune amitié, & vostre
curiosité particuliere sur le suiet des Barberins,
ie vous diray que les sentimens de cette Cour,
sont là dessus dans vn estourdissement general,
pour ce qu’on les a fait passer sans milieu d’vne extremité
à l’autre. On void auiourd’huy esleuer les armes de
France au mesme lieu d’où la France les auoit abbatus, &
ceux qui auoyent traicté ces Messieurs de preuaricateurs
enuers le Roy tres-Chrestien se declarent maintenant
leurs protecteurs. Enfin Monsieur Gueffier, bien qu’il n’ait
nulle charge asseurée, semble faire croire, que Monsieur
de Sainct Chamont n’a iamais eu celle d’Ambassadeur, &
comme ce pays est encores en possession de iuger des
actions de tout le monde, pour maintenir en quelque façon
l’ombre du droict qu’il a eu autrefois de luy commander :
On se persuade à Rome que l’inconstance qu’on attribue
ordinairement à nostre nation, luy est commune
auec le Conseil du Roy, & que ceux qui ne deuoient agir
que par des maximes d’vne Politique reguliere n’agissent
que par des maximes des interests desordonnés. Cest

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ce qui m’oblige à vous escrire qu’autant que la premiere
declaration de la France auoit paru esclatante pour ce
qu’elle estoit legitime & bien concertée : la seconde paroist
autant indigne de la Couronne, pour ce qu’elle semble
tenir esgalement de l’imprudence & de l’iniustice.

 

Nos Ministres auoient raison de proceder contre vn
Cardinal qui auoit fait vn Pape contre nostre volonté, apres
nous auoir engagez à vne exclusion qui pouuoit le
rendre nostre ennemy, & qui se disant Chef de nostre factiõ,
s’estoit entendu manifestemẽt auec celle d’Espagne.
Ce n’est pas que nous deussions luy vouloir mal pour l’election
d’vn Pape qui gouuerne si bien le monde Chrestiẽ,
ny que nous eussions deub resister à vne promotion que
Dieu mesmes auoit entreprise : Mais le Cardinal Anthoine
pouuoit luy donner de nostre part, les suffrages auantageux
qu’il n’a creu tenir que de nostre party, & ne pas
permettre qu’vn successeur de S. Pierre, qui ne pouuoit
estre fait sans luy, fust fait sans nous : Mais d’auoir dõné des
paroles à la France pour les violer solemnellement, & d’auoir
offẽcé d’abord vn Chef de l’Eglise qui nous pouuoit
obliger, & qui feroit veritablement contre nous, s’il
n’estoit Pere commun de tous les fideles. C’est ce qui meriteroit
vne punition exemplaire, bien loin d’vne protection
si peu raisonnable. Aussi certes quand on veid que la
France tesmoigna de vifs ressentimens pour les fourberies
d’Anthoine, & que pour conseruer l’honneur de son
Prince, elle fit passer son Protecteur pour infame, chacun
auoüa que nostre Conseil ne triomphoit pas moins par
l’equité que par les armes, & que nous ne sçauions point
espargner le crime, quoy qu’il fust couuert & pourpré :
mais à present les affaires aians changé de nature, tout chãge
aussi d’opinions, & les Italiẽs qui subtilisent sur tout, & à
qui bon l’enuie de nos prosperitez ne permet pas de nous
rien pardonner, croyent que la bijarerie nous rendant si
tost amis des Barberins, la mesme nous auoit fait porter
pour leurs ennemis, en vn mot, il n’attribuent pas cés effets
à la raison : mais a l’impetuosité Françoise qu’ils appellent

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vn Ocean, qui se iette en vn temps tout d’vn costé,
& puis se pousse tout vers l’autre.

 

Pour moy qui ay vn amour sincere pour ma Patrie,
quand ie me deurois rendre odieux à tout le monde, il
faut que ie vous declare franchement que tous les Sages
croyent icy que la seconde procedure de nostre Conseil,
de quelque couleur, de puissance & auantage qu’on la
couure, ne peut estre que preiudiciable & ignominieuse à
la France.

En Effet, quel auantage pouuons nous tirer des Barberins,
apres la mort du feu Pape, veu que nous en auons si
peu tiré durãt sa vie ? Leur credit n’a-il pas finy auec luy ? &
ses creatures qui ont regné si long-temps, ne se voyent-elles
pas abãdõnées tous les iours de leurs creatures ? Si nous
songeons aux interests de la guerre, ayant dans la force
de leur pouuoir monstré tant de foiblesse contre le Duc
de Parme, que peuuent-ils faire à cette heure qu’ils n’ont
qu’vne puissance qui s’esnerue.

Vous me direz qu’ils promettent d’entretenir quelque
Regiment à la France ; que ceux qui sont bien fournis
d’argent sont tousiours les bien venus dans vn Estat que la
guerre espuise, & qu’ayant des nepueux & des niepces, ils
peuuent obliger la France, en recompensant les seruices
de Monsieur le Cardinal Mazarin par vne riche alliance.
Mais à cela ie respondray, que sous pretexte d’obtenir la
leuée d’vn peu de troupes en France, nous ne deuons pas
attirer sur nos bras les armes de tous les Princes d’Italie
qui auront suiect de se declarer contre nous, s’ils nous
voyent proteger ceux qui les ont persecutez auec autant
de violence que d’iniustice ; & que voyant les armes à la
main aux Barberins, leurs communs ennemis les prendront
pour se deffendre, & empescheront par la nos progrez
dans le Milanez.

Pour ce qui touche l’argent, il est vray que c’est le nerf
de la guerre : mais si des particuliers n’en doiuent pas acquerir
par des voyes honteuses. Faut-il qu’vn Estat si
puissant, comme est la France, mette en oubly les offences

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faites à son honneur, pour se laisser emporter à ces
bas interests ? Faut-il que toute l’Europe croye qu’vne
Couronne si riche a besoin pour subsister d’vne maison
qui s’en va par pieces.

 

Faut-il que les Roys tres Chrestiens qui ont donné à
l’Eglise le Patrimoine de Sainct Pierre, le reprenent
maintenant des mains de ceux qu’on accuse d’auoir pillé
la Chambre Apostolique, & d’auoir touché sans necessité
au tresor de Sixte ?

Apres tout, faut-il que nos Princes touchans auec scrupule
aux biens des Benefices Ecclesiastiques de leur Royaumes
veuillent s’enrichir des despoüilles des Eglises de
tout le monde.

Quant à ce qui regarde l’interests de Monsieur le Cardinal
Mazarin, qui veritablement merite d’estre consideré,
les Romains qui l’ont veu naistre auec assez d’incommodité,
croyent facilement qu’il cherche à s’accommoder
de quelque façon que ce soit, & qu’apres auoir fait
venir beaucoup d’argent de la France en Italie, il veut faire
vne espece de restitution, en faisant porter de l’argent
d’autruy de l’Italie dans la France. Il ne doute point encores,
que voyant que sa maison ne sçauroit s’appuier hautement
sur de si bas fondemens comme les siens, il ne tasche
de se fortifier par des appuis estrangers, qui estans tous
dorez ne sçauroient manquer d’estre illustres.

Mais à le bien prendre, estant rafiné politique, comme
ie l’ay tousiours cogneu dans les affaires que i’ay eu à traicter
auec luy, tant dehors que dans le Royaume, il ne doit
pas faire penser aux François que l’interest de sa maison
emporte par son poids celuy de la couronne ; Mais qu’il
ayme si fort ses auantages, que pour les pousser iusques au
bout, il ne se soucie pas de se declarer protecteur de
ceux qu’on a declarés ennemis de l’Estat.

Enfin la vraye vtilité de la France est, que le Roy se
porte tousiours pour fils aisné de l’Eglise, & non pas
qu’vne Niece du Cardinal Mazarin espouse le fils de Don
Tadée, ou que la fille de Don Tadée soit mariée à vn Neueu

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du Cardinal Mazarin.

 

Quant à la recõpence des seruices de ce Ministre, les Bãquiers
disent icy qu’il s’est assez payé par ses mains, & le
chapeau qu’il tient de la France, estant le plus haut point
d’honneur qu’il eust iamais peu pretendre en ce pays. On
void d’ailleurs des Palais & des ameublemens qu’on dit
n’estre pas achetés de l’argẽt que son pere a gaigné en seruice
dãs quelques maisõs assez mediocres, ny des appointemens
que le fils a eu chez le Cardinal Sacheti le premier
Maistre qui cõmença de le produire. Maintenant les habiles
(qui par le present iugent de l’auenir) disent à son occasion,
que par fois on n’a rien, pour ce qu’on veut tout auoir.
Pour moy qui ne luy veut point de mal, ie luy souhaitte
tous les biens qu’il peut desirer luy-mesme : mais ie voudrois
bien qu’en France on songeast autant à la grandeur
de mon Prince qu’à l’agrandissement d’vn Ministre.

En faisant voir que la pretention des Barberins ne
peut estre vtile à la France, il me semble auoir pareillement
monstré qu’elle ne luy peust estre honorable. Premierement
est il de la bienseance, que des gens qui ont
fait si peu de comte de la protection la plus auguste de la
Chrestienté, qui est celle de ce Royaume soit protegée
auec tant d’esclat. Francisco ne nous a il pas fait
passer à Rome pour Lutheriens en suite de sa legation.
Anthoine pour infidelles apres vne trahison si manieste
en vne affaire où nous auions engagé tant de personnes ?
Maintiendrons nous l’honneur de ceux qui ont fait de si
hauts afrõts à nos Ambassadeurs ? & le sang de Rouuré qui
crie encores vengeance, nous laissera il de la cordialité
pour ceux qui l’ont respandu, & qui pour rompre auec
nous auec plus d’indignité, ont fait gloire d’auoir
correspondance auec les Bandis les plus scelerats ? Dauantage
pouuons nous deffendre la cause d’vn fourbe & d’vn
infame ; car c’est ainsi que nous deuons appeller Anthonio,
sans passer nous mesmes pour fourbes & pour infames,
il faut condemner la premiere Declaration auant que

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d’authoriser la seconde, & nous aurions tort de donner
à penser aux estrangers, pour ce que le Roy est encores
enfant, que son Conseil peust vouloir presque en vn mesme
tẽps deux choses contraires, puisqu’ils ne trouuẽt desia
que trop à mordre sur nos actiõs, ne leur persuaderõt nous
pas que la precipitation reigne où la muturité doit auoir
son Empire, & que l’indiscretion regle des resultastts que
la prudence seule doit faire. Il est necessaire de donner
vn peu de flegme François au feu de Sicile, & de croire
que ceux qui nous voyent changer si facillement d’inclination,
changeront aisement celle qu’ils pourroient auoir
pour nous.

 

Outre qu’a parler veritablement, il y a de l’honneur
pour vn grand Roys de proteger des innocens opprimez,
ou des Princes qui estans obligez peuuent recognoistre
ses graces par leurs seruices. Mais quelle gloire peut il
y auoir, à proteger des Prouinces qui sont d’autant plus
coupables qu’estans plus proches de l’Autel il d’euroient
estre plus vertueus ?

Quand la Reyne, dont la pieté ayme si fort les Monasteres,
se souuiendra des Religieuses de Boulogne enseuelies.
Dirai-ie dans leur peché ? où dãs celuy des rauisseurs,
donnera elles son azile à ceux qu’on charge d’auoir pour
le moins souffert que leurs domestiques ioignissent vn
meurtre si énorme au sacrilege ?

Voudra elle introduire cette maxime dans la Frãce, que
les crimes de ceux qui sont riches sont impunis ? elle
dis-ie qui à l’imitation de la Reyne Blanche d’Espagne
mere de Saint Louys fait tous les iours entendre au Roy
qu’elle aymeroit mieux le voir mort que taché d’vn peché
mortel ? Dailleurs quand elle considerera que l’argent
qu’on luy offre, est le sang de Nostre Seigneur, ne tiendra
elle pas à opprobre de l’employer à des vsages profanes ?
Quoy que des Cardinaux interessez l’importunent sur ce
suject.

Disons encores que nous auons assez d’affaires dans les

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conionctures presentes, de proteger beaucoup de Princes
qui sont nos anciens alliez, sans nous engager à de nouuelles
protections, qui pourroient empescher ou affoiblir les
premiers. Il n’est pas iuste de donner à des personnes priuées
des secours qui ne sont deus qu’à des personnes souueraines,
ny de frustrer nos vieilles obligations pour en contracter
de modernes, indignes de la grandeur de la Couronne.

 

La republique de Venise, qui est sur le point de perdre
vn Royaume a bien plus besoin d’apuy qu’vne maison paticuliere :
l’interest de la soy nous doit toucher plus sensiblement
que celuy d’vn Cardinal in fidelle.

Rendõs donc à ce sage Senat les bons offices qu’il nous a
prestez autrefois cõtre les Huguenots & les Politiques ennemis
de la Monarchie, en la deffendant auiourd’huy contre
les Ottomans ennemis de tous les Estats des Chrestiens.

Nous deuons encores considerer, que protegeant le Duc
de Parme (ce Prince qui a porté si genereusement nos interests)
nous ne pouuons en mesme temps proteger ses capitaux
ennemis sans marque de duplicité. Et pour dire encores
ce mot necessaire à ce propos, cette Altesse n’estãt pas protegée
contre les Barberins, quoy que la France fust si solemnellement
obligée à la deffendre, y auroit il de l’honneur
pour elle, de proteger sans aucune obligation les Barberins
contre le Saint Siege. Ce seroit choquer gratuitement le
Pape, que les Princes les plus irritez n’ont iamais osé offencer
qu’en trẽblant, quelque raison legitime qu’ils en eussent.

S’il ne falloit deffendre les Barberins que comme vne
puissance temporelle, l’on pouuoit y proceder auec moins
de circonspection, pour ce que les guerres d’Estat trouuent
tousiours des apparences pernicieuses, quoy qu’vne guerre
pour bon succez qu’elle puisse auoir est tousiours malheureuse,
quand elle n’est pas raisonnable.

Mais d’ataquer le Pere commun des Chrestiens, pour sauuer
vn auorton de l’Eglise, & d’auoir moins de respect
pour vn Pape Innocent en sa vie comme en son nom, que
pour vn Cardinal coupable, c’est ce que l’on pourroit craindre
des Tyrans, & non pas des Roys tres-Chrestiens.

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Nos Monarques ne sont icy appellez Roys sans queüe, que
pour ce que leur Estat a beaucoup merité de l’Eglise, & qu’ils
ont mis les Papes dans leur siege quand d’autres Princes les
en ont depossedez.

Nous les auons eu autrefois contre les Visigots, nous n’auons
chassé les Lombars de l’Italie que pour ce qu’ils en auoient
chassé ces souuerains Pontifes, & nos Ambassadeurs
n’ont le premier rang à Rome, que pour ce que les Saints Peres
n’ont rien de considerable comme les Fils aisnez de l’Eglise.
Nous aurions donc deffendu les Papes contre les Barberins
pour les persecuter à present en faueur des Barberins,
& pour ce que sa Sainteté veut estre souuerainement iuste
nous serions iniustes au dernier point.

Nous aurions empesché les guerres estrangeres sous leuées
contre le Saint Siege, pour fomenter les ciuilles ; c’est ce
qu’on ne croira iamais d’vn successeur d’vn Pepin, d’vn
Charlemagne, d’vn S. Louys, & d’vne Reyne qui estant fille
& Sœur d’vn Roy Catholique, a esté ensuite espouse de
Louys le Iuste, & mere d’vn Roy tres-Chrestien.

Vne Regente si sage, se representent qu’il ne faut pas dans
vn minorité entreprendre contre l’Eglise, veu que nos Roys
maieurs ne l’ont iamais fait qu’à leur preiudice, & que les
plus dangereuses secousses qu’ayt receu cét Estat, sont venuës
des impressions qu’on auoit données au peuple, mal informé
que nos Princes pour s’establir vouloient renuerser
ou du moins esbranler l’Eglise.

L’exemple de Henry le Grand fait assez voir que la pierre
angulaire de la foy est encores plus venerable aux François
que le trosne de leur Monarchie qu’ils ont pris de tout tẽps
pour des diuinitez visibles.

Outre que les seditieux qui couuoient de mauuais desseins
dans les Prouinces, ne scauroient trouuer vne plus belle couleur
à leurs attentats que celle de la Religion, qui leur promettroit
de choquer l’Estat.

Enfin la Reyne considerera s’il luy plaist, qu’au lieu de
songer à deffendre l’Italie contre le Turc, il ne la faut pas
affoiblir y fomentant des diuisions, si nous ne la fortifions
pas ; ny attaquer le Saint Siege en vne saison où les Infidelles

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nous obligent aussi bien comme nostre foy de l’appuyer
efficacement.

 

Pour Monsieur le Cardinal Mazarin, ie ne doute point
qu’ayant receu sa naissance & sa dignité de Rome, il ne
voudra pas employer son credit à destruire sa Patrie, ny
faire vn Chisme dans vn Corps, dont il est vn des principaux
membres. Le brillant de la pourpre des Cardinaux
n’estant qu’vn rayon qui reiallit du Chef de l’Eglise, il
faut qu’ils perdent tout leur esclat, ou qu’ils ne s’efforcent
pas d’estouffer la source de leur lumiere. Et puis faut-il
que l’Espouse du Fils de Dieu se puisse plaindre que les
Enfans ont combattu contre leur Mere il n’est pas necessaire
de dire icy (la chose parlant assez d’elle-mesme)
que ces malheurs dont la Chrestienté est menacée, touchent
assez le cœur d’vn Prince de l’Eglise, pour ne pas
laisser dire, que pour faire beau-jeu au Turc, pour perdre
la Religion, il veut employer contre elle les forces qui se
deuroient employer contre luy, & diuiser les Cardinaux ;
mesmes pour apprendre à tous les fideles à ne point seruir
contre leur commun ennemy, autrement ce seroit persuader
absolument ce qu’on soubçonne à Venise, comme on
l’a mandé icy que nos Roys sont tres-Chrestiens : mais que
nos Ministres sont vn peu Mahometans.

Mais pour nous arrester aux considerations Politiques
& naturelles, si Monsieur le Cardinal Mazarin veut tousiours
subsister en France, doit-il faire penser aux François
qu’il veut toucher à la Religion, qui est vn des premiers
fondements de la Monarchie ? S’il veut retourner à Rome,
il y doit estre pour se faire regarder à l’aduenir comme vn
Antipape ; & doit-il par ses actions confirmer la croyance
que la pluspart du monde a icy, que si son Eminence entreprend
la protection des Barbarins, ce n’est que pour
faire voir par vne pompeuse ostentation, qu’elle peut en
mesme temps tout faire & defaire en France, & pour auoir
cette vaine gloire d’auoir esté à la fin Createur de ceux
dont il n’estoit que Creature. Ainsi vne ambition ruineuse
prostituoit la Maiesté de la Couronne. On pourroit dire
encores icy, que le double mariage qu’on a proposé est vne

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chose auancée, ccontre l’honneur de Monsieur le Cardinal
Mazarin : Comme s’il n’auoit pas de vision pour la
grandeur de l’Estat : mais pour celle de sa Maison, qui n’a
rien de commun auec l’autre, & qui luy peut faire des ennemis
dangereux, ne luy donnant que des amis inutils.
i’adiouste sur la fin ce mot, suiuant le zele que i’ay
pour l’interest de ce Ministre, qu’il ne peut honorablement
employer son credit (estant Cardinal) pour deffendre
vn fugitif, qui employa si viuement le sien aupres du
feu Pape, pour trauerser le Cardinalat de Monsieur Mazarin,
& qui ayant si long-temps mesprisé son pouuoir &
son authorité, n’en fait maintenant estat que pour ce que
la necessité l’y oblige, & non pas l’inclination, & qu’il espere
qu’auec le temps on croira par tout le monde, que celuy
qui aura protegé ses crimes, aura esté presque aussi criminel
que luy.

 

Voila ce que ie vous puis mander dans les sentiments
d’autruy, plutost que dans les miens, qui m’estant depuis
long-temps esloigné de l’embaras de toutes les Cours,
n’ay gardé de passion que celle que i’ay pour l’honneur &
l’auantage de la France où ie suis né, quoy que i’y ay peu
vescule suis bien-ayse aussi qu’on voye que nous nous riõs
des broüilleries du monde qui nous faisoient pleurer autrefois,
pour ce que nous n’y sommes plus engagez, &
que vous sçachiez en particulier que ie suis inuariablement,
quelque changement qui arriue dans les affaires.

Vostre tres-humble, & tres-obeyssant
seruiteur.

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