Anonyme [1651], LE SECRET DV VOYAGE DV ROY, ET DE LA ROVTE que doit tenir Sa Majesté. , françaisRéférence RIM : M0_3630. Cote locale : B_1_19.
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LE
SECRET
DV VOYAGE
DV ROY,
ET DE LA ROVTE
que doit tenir Sa Majesté.

A PARIS,

M. DC. LI.

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LE SECRET DV VOYAGE
du Roy, & la route que doit tenir
Sa Majesté,

COMME il y a peu de personnes qui sçachent
les veritables raisons, qui ont obligé le Roy
d’entreprendre ce voyage, dont la resolution a si
long-temps esté balancée, je ne puis douter que
son depart, apres tant de remises, ne mette l’estonnement
& la perplexité dans la pluspart des Esprits ;
car les hommes ayant accoustumé de juger des choses
par les apparences, ou par la passion, qui est la
plus puissante en eux, & n’y en ayant que trop d’enclins
à prendre mauuaise impression de tout, il ne se
peut que beaucoup n’interprettent sınistrement ce
voyage, qui n’est pas seulement vtile, mais absolument
necessaire pour le bien de l’Estat; Ceux qui ne
regardent nos ennemis que du costé de la Flandre,
ne pourront gouter comme quoy l’on semble abandonner
cette frontiere à la mercy de l’estranger dans
vn temps auquel il se semble deuoir promettre de
grands progrez par les sieges qu’il rient en mesme
temps deuant deux villes considerables ; ils demanderont

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pourquoy l’on n’employe pas toutes nos forces,
& le grand nombre de noblesse que la Cour
emmeine quant & soy, si non pour signaler la fın de
cette campagne par quelque succez digne des armes
du Roy, au moins pour faire teste aux ennemis, &
conseruer des conquestes qui ont tant cousté à la
France.

 

D’autres, dont les pensées ne vont pas si loin, &
qui ne considerent les affaires publiques, que par les
leurs particulieres, & dans l’enclos de la ville de Paris,
se plaindront que la Cour s’en esloigne, que le
Roy qui en est comme l'ame, la laisse languissante
en s’en retirant, & que le trafic diminuë pendant
son absence.

Et enfın la populace qui se fıgure toujours que
les choses qu’elle apprehende le plus, luy doiuent
arriuer, murmurera sous cette folle croyance, que
le Roy ne part de cette ville que dans le dessein d’aller
accueillir le Cardinal Mazarin, pour luy donner
la mesme puissance, & le mesme degré qu’il auoit
cy-deuant en France, & pour appuyer de son nom &
de son authorité ce à quoy le pourroit porter les
mouuemens de sa passion.

Pour répondre à ces trois sortes de mécontens, je
commenceray par les derniers, comme les moins raisonnables,
& ainsi les plus difficiles à contenter, &
leur opposeray en premier lieu la Declaration du
Roy, publiée & registrée en la Cour de Parlement

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pour le bannissement dudit Cardinal Mazarin, laquelle
Declaration est tellement authentique, que
l’infraction pourroit rendre cy-apres la parole
Royale en quelque façon méprisable : En second
lieu, la fausseté des bruits que l’on a fait courir,
que ledit Cardinal estoit tantost à Mets, tantost à
Sedan, à la teste de l’armée, & tantost à Peronne ;
& enfin le danger qu’il y auroit de r’appeller
vn homme que l’on vient d’exiler, hay & mal
voulu de tous les peuples, & qui fourniroit vn
beau pretexte à ceux qui ne cherchent autre chose,
pour remuër & faire voir les effets de leurs mauuaises
intentions.

 

Pour les seconds, leur mécontentement est encor
moins considerable ; car bien qu’aucune raison d’Estat
n’obligeast le Roy d’entreprendre ce voyage,
voulans faire de Paris le sejour perpetuel de la Cour,
ils rendroient en quelque façon la condition du Souuerain,
pire que celle de ses Subjets, qui leur permet
d’aller & sejourner où bon leur semble, & ces
gens-là ne se montrent pas moins ridicules, que celuy
qui voudroit reformer la course du Soleil, &
contraindre cet Astre de demeurer toujours en vn
mesme signe, qui seroit éclairer & rendre feconde
vne petite partie de la terre, & laisser toutes les autres
dans les tenebres & la sterilité.

Quant aux autres, ie m’estonne qu’ayant quelques
connoissances des affaires d’Estas, ils ignorent

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cette belle maxime, qui veut que le Prince pouruoye
à la guarison du corps politique, ainsi que le
Medecin à celle du naturel, qui bien souuent laisse
prendre cours aux maladies exterieures, pour trauailler
à déraciner les humeurs corrompuës qui sont
au dedans : I'auoüe que la presence du Roy en Picardie
romproit non seulement les desseins des ennemis,
mais encore auanceroit de beaucoup l'ouurage
de la Paix, par de signalez auantages que nous remporterions
sur eux, mais qui ne voit aussi que cette
presence est bien plus necessaire pour dissiper l’orage
qu’on voit se preparer dans le milieu de la France,
& qui ne pourroit cy-apres éclatter que pour la
destruction & la ruïne, non pas de quelques villes,
mais de Prouinces entieres. Ce n’est pas d’aujourdhuy
que nous deuons auoir appris à nos dépens
cõbien il est important d’arrester de bonne heure nos
dissentions ciuiles, & qu’il nous seruiroit peu d’aller
combattre les Espagnols dans la Flandre, tandis
qu’il se forme vn party dans ce Royaume, qui nous
r’appelleroit pour nous vaincre nous mesmes : il est
certain tant par le secours de deux mil hommes que
l'on a jetté dans Dunkerque, & par l’estat du siege
de Bergue, que par les troupes considerables qui
sont & demeureront en ces quartiers, que les ennemis
auront fort à faire à se defendre, sans mediter aucune
entreprise sur nous, mais quant ce seroit vne
necessité de leur abandonner nos conquestes, tout

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homme de bon sens ne doit-il pas auoüer que nous
le deurions faire pour arrester vn desordre qui leur
donneroit cy-apres tout le Royaume en proye.

 

Ce n’est donc pas pour suiure les mouuemens d’vn
conseil violent, ainsi que quelques-vns ont eu déja
l'audace de publier que sa Majsté entreprend ce voyage,
dont les veritables motifs ne sont autres, que
ceux-cy, d’exempter en premier lieu les peuples des
troubles qu’ils apprehendent, & dont ils sont menassez,
de faire reconnoistre son authorité dans les
lieux soubçonnez de fauoriser le party de ceux dont
personne n’ignore les intentions, & enfin de faire
payer à l’Espagne l’vsure du temps qu’il sera besoin
d’employer à l’execution d’vn dessein si necessaire,
pour la tranquilité publique.

La route que Sa Majesté doit tenir de Fontainebleau,
est celle de Bourgongne, où ses troupes la doiuent
venir joindre en bref, pour de cette Prouince
passer dans le Berry.

FIN.

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