Anonyme [[s. d.]], LE SECRET Necessaire de sçauoir. Enuoyé à MONSEIGNEVR LE PRINCE. , françaisRéférence RIM : M0_3633. Cote locale : B_7_24.
Section précédent(e)

LE
SECRET
Necessaire de sçauoir.

Enuoyé à MONSEIGNEVR LE PRINCE.

COMME entre toutes les affections
il n’y en a point de plus
legitime que celle que nous
auons pour nostre Patrie ; Il n’y
a point aussi de haine plus juste,
que celle que nous portons à
ceux qui troublent son repos, &
qui causent sa ruine. On ne peut douter maintenant
que le Cardinal Mazarin ne soit l’Autheur
des guerres qui affligent cet Estat ; on peut dire de
luy ce que l’on a dit autrefois du fils de Priam, Qu’il
fut le funeste flambeau qui causa l’embrazement
de sa Patrie. Qu’on ne s’estonne donc pas si tant
de Satyres se sont faites contre luy, si l’on prend les
armes pour se deffendre de ses violences, & si les
Princes du Sang, à qui appartient le soin du Royaume,
s’opposent & à son Ministere, qui est tout plein
de fourberies & d’ignorance, & aux malheureux

-- 2 --

desseins qu’il a de perdre tous les Peuples. Il faut
aduoüer qu’en cette occasion le silence seroit vn
crime, & qu’il faut que la langue, & que la plûme
agissent au deffaut du fer, en ceux qui par leur profession
sont obligez de mener vne vie tranquille &
sedentaire. On ne peut exciter trop d’animosité
dans les cœurs des Peuples, contre le plus perfide
de tous les hommes, qui par ses artifices & par ses
crimes à fait plus de maux en la France que les Gots
& les Wandales n’en ont fait dans les lieux où la
rage les a portez. Et cependant nostre destinée
est telle qu’il se treuue des Ames assez lasches qui
se rendent partisanes de ses volontez & de ses actions.
On luy a dedié des Liures, on a fait son
portrait sur la toille & sur le cuivre ; quelques-vns
en font l’ornement de leurs Cabinets, on a
composé des Apologies en sa faueur ; en fin on peut
dire de luy qu’il a des Sacrificateurs comme le dieu
de la Chaire persée en eut jadis chez les Anciens.

 

Mais quoy que l’on rencontre parmy les François
des Ames basses, qui donnent au vice ce qui
n’est deu qu’à la Vertu, qui logent les infames dedans
le Ciel, comme on y place les Heros, il est
tres-certain qu’il y en a encore parmy nous qui
n’ont garde d’adorer l’Idole, quoy qu’elle soit toute
d’or. Il n’y a jamais eu de Siecle où la Vertu ait
eu moins de suiuans que le nostre, & c’est chez
nous que la Fortune a fait voir les marques de son

-- 3 --

aueuglement. Combien de Financiers, qui autrefois
ont porté les liurées, sont maintenant logez
comme des Roys, & seruis comme des Dieux ?
C’est vne verité qui est assez connuë, & qui doit
faire rougir de honte la pluspart des François Ne
sont-ce pas aussi tous ces Laquais déguisez qui
font la Cour au Mazarin leur Maistre, & qui luy
donnent des Eloges concertez, & qui gagent des
Poëtes & des Orateurs à la fourche, afin qu’on escriue
ses loüanges ? Malheureuse Cabale, qui se
dissipera, & qui sera confonduë par les soins & par
la generosité des veritables François. Cette troupe
de Lasches, a esté secondée par des Moines qui
aspiroient à la Mître, & qui ont esté recompensez
pour auoir presché à la mode de la Cour. Voila
jusques où la corruption de cét âge a passé, les
Cloistres en ont este infectez, & le plus coulpable
de tous les hommes a treuué des protecteurs de
ses crimes aux pieds des Autels, & parmy les Sacrificateurs
du Dieu viuant. Il ne faut pas qu’vn si
pernicieux exemple nous entraine, il se faut munir
du preseruatif en ce rencontre. Il faut se souuenir
que l’Idole tombera quelque jour, & que ses Adorateurs
fouleront ce qu’ils ont si religieusement reueré.

 

La Verité sera reconnuë, l’Idole tombera le Colosse
dont la grandeur enorme a donné tant d’admiration,
sera le joüet des enfans, & se verra couuert

-- 4 --

de fange & d’opprobres. Le Souuerain de qui
les Monarques sont les Subjets & les Creatures, armera,
s’il en est besoin, les Elemens & toute la Nature,
pour destruire le Mazarin Les vœux que tous
les Peuples font pour la perte de ce Perturbateur,
seront exaucez, puis qu’il y va de la justice, & que
Themis a prononcé ses Arrests contre le plus
cruel & le plus ignorant de tous ceux qui viuent.
Puis que les Princes du Sang arment contre ce Ministre
insolent qui pretend par la malice de ses conseils
opprimer & les plus grands & les plus petits
de ce Royaume, par son retour plein d’audace, &
qui traisne à sa suite vne multitude effroyable de
Voleurs. Il faut confesser ingenuëment que cét
insigne fourbe, qui se regle sur les dangereuses maximes
de Machiauel, est peu instruit en celles qui
sont du Christianisme, puis qu’il ne respire que
des desseins de vengeance, & qu’il croit que le
Trône est plus fortement appuyé par la cruauté
que par la clemence. Il croit, (aussi bien que ce
méchant Politique) qu’il est plus avantageux au
Prince d’estre craint, que d’estre aymé. C’est chez
les Turcs & auec les Barbares, & non pas chez les
François, que ces malheureuses maximes doiuent
estre admises : on ne sçait que trop quel est l’amour
que nous auons pour nos Roys, & que nous
mettons toute nostre gloire en l’obeyssance, & en
la soûmission. Il est bien vray que depuis quelques

-- 5 --

années les Peuples se sont armez ; mais il faut
examiner, & quelle est la cause de leur armement,
& qui est celuy contre qui ils arment. C’est vn Estranger
qui abusant du nom du Prince, ruïne l’Estat
par son ignorance, par sa malice, & par le commerce
infame qu’il a auec les Financiers. Pour en
accommoder vne douzaine, il en a despoüillé des
millions. Si ce Ministre de bâle, que les Naudés &
les Silhons ont voulu deffendre, eust eu vn grain
de sens commun, auroit-il pas consideré que la
France est vn Corps tout couuert de playes, & partant
qu’il le faut manier delicatement ? Ne pouuoit-il
pas bien croire que sa seule qualité d’Estranger
le rendroit odieux à tout ce qu’il y a d’honnestes
Gens en ce Royaume, n’ayant rien en sa personne
d’assez considerable pour reparer ce deffaut ?
Il pensoit peut-estre, par sa bonne mine donner
dans les yeux de tout le monde, où ses fourberies
passeroient pour des vertus en l’esprit de tous
les Sages de ce Royaume. Que l’on me dise où
sont les marques de sa pietê, où sont les marques de
son esprit en l’administration ? Que l’on me dise où
sont les marques de sa magnificence enuers les
Doctes ? on n’en voit point ; Mais nous n’en auons
que trop de ses impietez, de ses artifices honteux &
de son ignorance. Nous n’en auons dy-je que trop
de ses auarices & de ses commerces infames. Pleust
à Dieu que nous fussions en peine de produire les

-- 6 --

témoignages de ses crimes, & que nos plaintes
fussent injustes & desraisonnables. Mais nos maux
sont trop visibles & les Peuples qui habitent les
Terres les plus esloignées de ce climat, sont instruites
de ce que nous souffrons sous le Ministere de ce
Coquin.

 

On sçait par tout où le Soleil porte sa lumiere,
que le Mazarin est le seul objet de nostre haine &
de nos armes, comme il est le seul Auteur de nos
douleurs & de nos larmes. On sçait par tout qu’elle
est la veneration que nous auons pour nos Roys,
& particulierement pour celuy qui regne à present,
puis que nous reuerons en luy vn don que le
Ciel nous a fait par vne espece de miracle. Nous
esperons que le Ciel nous conseruera long-temps
le present qu’il nous a fait, & que le cours de nos
maux doit finir bien-tost ; puis que les vœux que
nous faisons sont pleins de respect & de justice.
Mais apres tout, quelles Eloges donnerons-nous
à l’Illustre & genereuse Princesse, qui fait reviure
en elle seule toute la gloire des Amazones,
en prodigant auec zele tout ce qu’elle a de tresors
pour chasser le Perturbateur du Repos public, si
ce n’est que nostre Siecle fasse son Panegyrique
plus élegamment que toutes nos paroles ? Ie me
prepare pour rendre dans vn autre Ouurage l’honneur
que l’on doit à Mademoiselle.

Souuenons-nous que le C. Mazarin est le plus

-- 7 --

Criminel de tous les hommes, & qu’il ne medite
rien moins que la totale perte de ce Royaume,
quelques raisons que l’on allegue, au contraire. Ie
treuue des ames faciles à surprendre, à qui l’éclat de
la Pourpre donne dans les yeux, aussi bien que celuy
de la grande fortune. Cependant il faut que
l’on se persuade qu’il n’y a point de verité plus authentique
que celles-cy dont nous sommes redeuables
au grand Seneque, Que les choses qui sont
belles par le dehors, sont difforme au dedans, &
qu’il faut chercher ce qui est le plus beau, en la
partie la plus secrette. Pour donner quelque couleur
au retour du Mazarin, On obiette des raisons
qui n’ont rien de solide, & qui sont aussi grossieres,
que l’esprit de ce Ministre de bâle, mon dessein est
de les refuter quelque iour. Et cependant i’exhorte
les veritables François à tesmoigner leur zele
pour le bien de la Patrie, puis que c’est à present,
plus que iamais, qu’il s’agit de son salut. Ne souffrons
point qu’vn Estranger se seruant du nom du
Prince, abuse de sa bonté, & de son authorité pour
opprimer les Princes du Sang, & pour fouler les
Peuples qui languissent sous la cruauté de son administration.
Ne souffrons pas qu’on nous reproche
vn iour, d’auoir abandonné Monsieur le Prince,
puis que ce genereux Conquerant n’a pris les
armes que pour nous vanger de la tyrannie du Mazarin ;
& pour renuoyer ce perfide aux lieux d’où il

-- 8 --

est venu. Portons-nous auec ardeur au secours de
la France. Nos Lys vont perdre leur fraicheur, &
leur éclat, si nous n’auons soin de les cultiuer, & si
nostre d’estinée permet, qu’il se rencontre parmy
nous des personnes, qui abusées par les artifices du
Mazarin, il faut que l’amour de la Patrie les détrompe,
& dissipe les ruses du Pertur bateur de nostre
repos. Il s’agit auioud’huy du salut de tout le monde,
de sorte que tout le monde doit trauailler au
bon-heur de la France, qui souffre depuis si long
temps la mauuaise conduite d’vn meschant, d’vn
auare, & d’vn ignorant.

 

Quoy que le Ciel ait tousiours eu soin du Trône
des François, Nous deuons cependant employer
toutes nos forces pour l’affermir contre les iniustices
du Mazarin, & continuer l’amour que nous
auons pour nostre Souuerain. Croyons que son
innocence nous seruira de bouclier en cette rencontre,
où nous sommes obligez de paroistre veritables
François, en redoublant nostre tendresse
pour la Patrie qui nous tend les bras, & qui nous
appelle à son secours.

FIN.

Section précédent(e)


Anonyme [[s. d.]], LE SECRET Necessaire de sçauoir. Enuoyé à MONSEIGNEVR LE PRINCE. , françaisRéférence RIM : M0_3633. Cote locale : B_7_24.