Anonyme [1650], LE SIEGE MIS DEVANT LE Catelet par le Comte Sfondrato: Avec l’estat présent des armées Françoise & Espagnole. Et l’exécution à mort du Marquis de Montrose à Edimbourg. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : A_9_19.
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LE SIEGE
MIS DEVANT LE
Catelet par le Comte Sfondrato :
Avec l’estat présent
des armées Françoise & Espagnole.

Et l’exécution à mort du Marquis de Montrose
à Edimbourg.

Extraict de la Lettre escrite à vne Princesse par vn Seigneur
de l’armée du Roy, contenant entr’autres choses le siége
du Catelet & plusieurs particularitez touchant l’estat des
deux armées Françoise & Espagnole.

Mais afin de vous montrer,
Madame, que je ne suis
pas assez injuste pour employer
l’attention dont
vous m’honorez au seul
entretien de mes intérests
particuliers, & que je la
veux payer de la monnoye qui est aujourd’huy
de plus de débit dans les meilleures compagnies,

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j’entens des nouvelles de la Cour & de
nos armées :

 

Les ennemis profitans de nos divisions & les
fomentans de tout leur pouvoir, ont bien
changé la note qu’ils nous avoyent si long
temps chantée dans leurs escrits modernes,
que leurs actions démentent ouvertement.
Ils blasmoyent les François d’avoir entretenu
leurs guerres civiles dans la Flandre, la Catalogne,
& les Royaumes de Portugal & de Naples :
au lieu, ce disoyent-ils, qu’ils ne s’estoyent
point voulu mesler de nostre derniére guerre
de la Rochelle, non plus que du soulevement
des Crocans & autres mouvemens arrivez pendant
le régne du Roy défunt : bien loin dequoi
ils nous rafraischissent aujourd’hui la mémoire
des assistances qu’ils ont données à la
Ligue sous nos deux derniers Henris, & en suite
de leur traité de cette année avec les mécontans
du Royaume, y sont entrez à main armée :
& si les embrazemens ne marquoyent leur retraite
comme les degasts leur servent de fouriers,
je m’arresterois à vous en donner ici le
detail.

Mais leur premiére impétuosité n’ayant pas
produit grand effet avant que les forces du
Roy fussent assamblées, on n’estime pas qu’ils
en facent plus à présent qu’ils trouveront à
qui parler. La prise d’Irson les a si peu avantagez,

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qu’ils ont fait huit fourneaux sous son
chasteau, qu’ils tiennent tous prests pour les
faire sauter si-tost qu’ils en auront pû retirer
leur garnison.

 

L’Archiduc Léopold s’est retiré malade à
Valancienne il y a quatre ou cinq jours, ayant
laissé son armée à commander en son absence
au Mareschal de Turenne. Ils la font monter
à plus de seize mille hommes, & en attendent
quatre mille sous la charge du Duc Charles de
Loraine, & des troupes de Flandres tirées de
leurs vieilles garnisons, qui se trouvent, à leur
dire, au nõbre de quatre mille, y compris leur
milice qui en fait plus de la moitié. Ils la grossissent
encor de tous les villageois qu’ils peuvent
emmener de gré ou de force. Aussi plusieurs
de leurs soldats se retirent par Compiegne,
où la Reyne leur fait donner passe-port
& argent pour se rendre en leur païs. Ce débandement
est encor plus grand au régiment
François du Mareschal de Turenne, dont on
void tous les jours plusieurs se retirer mandians
leur vie. Le pain est fort cher dans leur armée,
qui seroit réduite à la famine, sans vn petit
convoy qui leur est n’aguéres arrivé, & l’espérance
d’vn plus grand qu’ils attendent de
Cambray & de Valencienne.

Le Comte Sfondrato commandant vn Corps

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séparé de l’armée des ennemis, investit le Catelet
le 10 de ce mois, & y mena du canon,
dont il battit la place des le lendemain.

 

Cette place, qui est à quatre lieuës de Cambray,
trois de S. Quentin & cinq de Péronne,
est sitüée sur la riviére de l’Escaut, qui ne porte
point là de bateaux à cause de la proximité de
sa source, qui n’en est qu’à mille pas & pres de
l’Abbaye du mont S. Martin.

Elle est composée de quatre bastions réguliers
& quatre courtines revestuës de brique.
Sa forme est quarrée : Le tour de sa contr’escarpe
palissadée ne contient que douze cent toises :
a bien vn fossé, mais il est sec & nullement
revestu : n’a qu’vn fauxbourg, qui est du costé
de Cambray.

Ce fut à la teste de ce fauxbourg que ledit
Comte Sfondrato commança son ataque
contre vn ouvrage à corne, assez foible : ce
qui n’empescha pas que le sieur de Vandy,
ci-devant Gouverneur de Iametz en Loraine
& à présent de ladite place de Catelet, les
ayant fort bien receus, ne les repoussast vertement
avec sa garnison, composée de six compagnies
d’infanterie du régiment du Comte
de Quincé, de cent hommes aussi d’infanterie
du régiment du sieur de Ligniéres Gouverneur
de S. Quentin, sous deux Capitaines &

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autant de Lieutenans, & assistée des habitans
du bourg & de la milice du Gouvernemẽt, tous
gens aguerris & bien résolus à leur défense :
lesquels Officiers & soldats défendirent aussi
fort courageusement ce fauxbourg, animez
par l’exemple dudit sieur de Vandy.

 

Mais les ennemis ont depuis emporté ledit
faux-bourg avec perte notable des leurs, &
continüent de presser vigoureusement la place
qui n’est pas moins courageusement soustenuë
par les nostres : de sorte qu’elle arrestera
vray-semblablement l’armée ennemie plus
long-temps qu’elle ne s’y attendoit. Cependant
que le Mareschal du Plessy-Praslin Lieutenant
général de l’armée du Roy, cherche
l’occasion de les combattre.

D’ailleurs, le 13 de ce mois, Son Eminence
partit de Compiegne, accompagnée du Mareschal
de Villeroy Gouverneur de Sa Majesté, du
Comte de Lilebõne fils du Duc d’Elbeuf & de
plusieurs autres Seigneurs, pour aller à la Fére
joindre cette armée du Roy, laquelle nonobstant
tous les empeschemens que vouloyẽt
apporter les Espagnols à cette jonction,
avoit esté grossie trois jours auparavant par
l’armée du Marquis de la Ferté-Senetére Gouverneur
de Nancy & du païs de Loraine,
Lieutenant Général de l'armée du Roy dans ce

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païs-là, composée d’environ cinq mille hommes ;
par celle du Général Rose commandant
les troupes d’Alemagne qui estoyent ci-devãt
sous la conduite du feu Lieutenant Général
d’Erlach, qui se monte à pres de sept mille
hommes : & par les Corps de Villequier &
d’Ocquincour, aussi fort considérables :

 

De sorte que l’armée du Roy passe vingt mille
hommes effectifs : à sçavoir huit à neuf mille
Chevaux, & douze à treize mille hommes
de pied : pour le payement desquels, & notamment
pour celui des pensions des Officiers de
l’armée qui se trouveront dans le service, Son
Eminence a fait porter vne notable somme
d’argent ; & tous ceux qui en viennent raportẽt
que nos gens de guerre n’ont point esté il y a
long-temps en meilleur estat, plus lestes &
plus résolus de combattre les ennemis qu’ils
sont à présent.

Aussi voyent-ils, que, comme c’est aux jours
qui devancent les crises que les meilleurs Médecins
apportent plus de considération à la
conduite des maladies, ainsi cette année, qui
précéde immédiatement celle de la majorité
du Roy, laquelle doit terminer le mal & les
symptomes de cet Estat, rendra plus considérables
que toutes les précédentes les services
faits à Sa Majesté, qui en conservera d’autant

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mieux la mémoire qu’elle lui fera plus récente.

 

L’exécution à mort du Marquis de Montrose.

Ceux qui ont voulu juger de la vie des
hommes par le genre de leur mort, se sont
grandement trompez. Il est impossible de faire
de hautes entreprises sans que le succez de
quelques-vnes couste la vie, la liberté, la rûine,
ou tout ensemble à leur maistre. C’est
pourquoi peu d’hommes illustres meurent en
leur lit & d’vne mort naturelle, mais elle se
trouve tousjours assez glorieuse, quand elle a
pour but le service du Roy & de la Patrie.
Ainsi le decez du Grand Alexandre, de Iules
Cesar, de tant d’Empéreurs, & mesmes en nos
iours celui de Henry le Grand, furent avancez
par les fraudes & conspirations des leurs ; Ainsi
le dernier Roy de Süéde mourut en combatant :
Ainsi tant d’autres ayans expérimenté le
sort variable des armes, & esté faits prisoniers,
par l’envie qu’ils ont excitée en leurs ennemis
vainqueurs, ont receu des traitemens indignes
de leur condition, & qui auroyent esté en opprobre
aux généreuses actions de leur vie passée,
si ce que la vertu persécutée endure par
la violance d’vne force majeure, lui pouvoit

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estre imputé & tourné à blasme : dont voici
vn exemple assez estrange au Marquis de
Montrose, nommé lacques Graham : Lequel
apres avoir fait les proüesses que vous avez
sceuës en abrégé, & beaucoup plus succinctement
que leur grandeur ne le méritoit, mais
que vous vertez, Dieu aydant, plus estenduës
dans nostre Mercure François, finit ses jours
par vne mort que ceux qui ont connu sa vertu
trouvent plus honteuse à ses ennemis qu’à
lui-mesme.

 

Ayant esté blessé en cette rencontre inopinée,
en laquelle il consulta plus son courage
que sa prudence, & pris à vne journée du lieu
où s’estoit donné le combat, le bruit d’vne si
grande prise attira de ce costé là la plus part de
ses ennemis, qui se pressérent tant à prendre
part en l’honneur de sa conduite, que David
Lesley qui les commandoit n’eut pas peu de
peine à réduire au nombre de 500 ceux qui le
conduisirent de là jusques à Edimbourg capitale
d’Escosse : où il arriva le 27 de May dernier.

Sa réception fut bien différente de celles
qui lui avoyent esté faites par les Magistrats
des places qu’il avoit conquises : car les Baillifs
qui l’attendoyent à l’entrée de cette ville
d’Edimbourg avec l’exécuteur de la haute

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Iustice, le firent, à son arrivée, placer dans
vne haute charette, & cet exécuteur lui ayant
osté son chapeau de dessus sa teste, lui attacha
de cordes ses bras & ses jambes à cette charette :
cet infame Officier estant monté à cheval
& marchant au devant de lui son bonnet en
teste & vn baston à la main, le promenant ainsi
tout le long de la ville, dont les habitans
de tous âges & sexes accourus en foule le recevoyent
avec les hüées & les brocards dont
l’indiscréte populace a coustume d’insulter
sur la mauvaise fortune des captifs : cette lie
du peuple n’estant pas moins incapable de
gouster les succez de ses avantages, que de suporter
les disgraces. Ce qui n’empescha pas
toutefois que plusieurs personnes d’honneur
l’accompagnans, il ne discourust avec eux d’vn
sens rassis & qui ne tesmoignoit aucun estonnement,
montrant par là qu’il estoit véritablement
maistre de lui-mesme, & au dessus des accidens
de la fortune, confessant à ceux qui le
convioyent à descharger sa conscience de ses
fautes passées, qu’il avoit pû donner sujet à
plusieurs particuliers de lui vouloir du mal
pour les offenses que la guerre l’avoit obligé
de leur faire, mais que cette guerre
estoit juste & par lui entreprise pour la cause
commune & le service de son Roy & de sa

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Patrie. Et sur ce que le Chancelier lui avoit
fait vn ample discours, par lequel il lui remontroit
sa faute de s’estre ci-devant porté pour
le Convenant qu’il avoit depuis enfreint : sa
grande réputation aux armes ne le dispensant
point du respect & de l’obéïssance qu’il reconnoissoit
devoir au Magistrat, & sur tout
au Chef de la Iustice, bien qu’offensé par
ce discours, il n’entreprit point de lui respondre
qu’apres lui en avoir demandé congé : lequel
ayant obtenu, il dit que les actions dont
il estoit accusé estoyent tres-justes & fondées
sur les ordres particuliers qu’il avoit eus de Sa
Majesté Britannique : du service de laquelle il
ne se pouvoit jamais éloigner : joint que les
Estats d’Escosse mesmes avoyent protesté de
s’accommoder avec elle, mais qu’en quelque
maniere qu’ils procédassent contre lui ;
il ne laissoit pas de les révérer & reconnoistre
pour Estats : que s’ils avoyent arresté de
lui oster la vie, tout le monde avoit bien veu
par ses exploits militaires qu’il n’en faisoit pas
grand cas, veu que c’estoit vn tribut qu’vn chacun
estoit contraint de payer à la nature, &
qu’il se réjoüissoit de tout son cœur de marcher
le chemin qu’avoit fait son maistre le
Roy défunt, pour lequel il estoit ravi non seulement
d’agir, mais de pâtir : & ayant prononcé

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toutes ces paroles d’vn ton de voix aussi
hardi que s’il eust encor harangué ses soldats
en quelque occasion, sa sentence fut leuë,
portant qu’il seroit pendu à vn gibet de trente
pieds de haut, au lieu nomme la Croix d’Edimbourg :
puis, que sa teste seroit séparée de son
corps & exposée à la place d’Edimbourg Tovlebooth ;
que ses bras & jambes seroyent encor
coupez & pendus séparément dans les villes
de Glasco, Sterlin, Perthe & Aberdéene, &
le reste de son corps enterré dans le cimetiére
public, en cas que l’excommunication qu’il
avoit encouruë en l’Eglise de ce païs là fust levée :
sinon jetté au lieu où l’on enterre tous
les autres suppliciez.

 

Pendant que se prononçoit cette crüelle
sentence, laquelle seule eust esté capable de
faire mourir plusieurs autres d’apréhension, il
ne montra aucun changement en son visage,
& moins en son esprit. Il dit seulement, que
bien qu’on le qualifiast du titre de crüel &
de sanguinaire, il n’avoit jamais commis aucun
acte de crüauté, ni osté la vie à personne
que par la voye des armes : ce qu’il
prononça encor sans tesmoigner aucune colére
ni abaissement de courage, mais en
Stoïque, sans passion & avec vn geste aussi
posé que s’il eust esté en conférence particuliére

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avec ses plus familiers amis : constance
qui estonnoit tous les spectateurs & jusques
à ses plus grands ennemis, qui disoyent
qu’il ne se faloit pas ébahir dequoi vn si grand
courage avoit ci-devant produit de si grands
effets.

 

Puis estant monte sur l’eschafaut élevé, pour
le faire de là monter à ce haut gibet, il dit à
quelqu’vn qui estoit fort proche de lui : Vous
voyez de quels complimens l’on me traite,
croyez que je n’ay jamais pris tant de plaisir
dans les promenades que j’ay faites en carosse,
qu’en celle que je viens de faire par les rues de
cette ville, accompagné comme vous avez veu :
& lui ayant esté commandé en suite de se mettre
à genoux, il le fit, disant ne desirer rien
tant que de manifester par ses gestes l’obéïssance
qu’il prestoit à ceux qui tesmoignoyent
tant d’affection de se joindre à Sa Majesté Britannique :
& lors qu’il fut pendu, l’on attacha
à son dos sa derniére déclaration, avec
l’histoire des actions dont il avoir esté accusé,
ayant par la voix publique gangné en sa mort
plus de cœurs au Roy de la Grand’Bretagne,
qu’il n’en avoit assujetti pendant sa vie par tous
ses avantages.

A paris, du Bureau d’Adresse, aux Galleries du Louvre,
devant S. Thomas, le 17 Iuin 1650.

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