Anonyme [1649 [?]], LE SILENCE AV BOVT DV DOIGT. , françaisRéférence RIM : M0_3674. Cote locale : A_7_41.
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LE
SILENCE
AV BOVT
DV DOIGT.

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LE
SILENCE
AV BOVT
DV DOIGT.

SAINT Augustin fait recit dans sa Cité de Dieu,
d’vne certaine Idole nommée Harpocrate, laquelle
etoit si vniversellement respectée de tous les
Peuples, que de tous costez on venoit au Temple dedié
en son honneur, pour luy offrir des sacrifices, luy
rendre des respects, & luy presenter des offrandes.
Mais ce qui est plus à remarquer, c’est qu’aupres de l’autel,
où reposoit cette mesme Idole, il y avoit la figure
d’vne nommé Hermocrate, qui etoit representé mettant
le doigt dessus sa bouche, pour dire qu’il ne faloit
pas declarer à personne, que Harpocrate estimé
de tout le monde comme vn Dieu, n’avoit esté autrefois
qu’vn homme mortel, suiet aux mesmes foiblesses
& aux mesmes infirmitez que les autres. En effet,
cela sans doute auroit beaucoup diminué de la creance
que cette fausse Divinité s’etoit acquise dans l’esprit
des peuples supersticieux, s’ils eussent eu la pensée,
qu’elle tirat son origine de la terre, & qu’elle n’avoit

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aucun merite, pour estre adorée comme elle estoit. S’il
nous est permis de passer des histoires profanes aux
Saintes, & demesler le mensonge parmy la verité, ne
remarquons-nous pas que l’Apostre S. Paul assure,
que le grand Prestre Melchisedech etoit sans pere, sans
mere, sans genealogie ? non pas qu’il n’eut des parens
& vne naissance comme les autres hommes, mais à
cause que les rares qualitez qu’il possedoit, sembloient
qu’il fut quelque chose de divin, ou qu’au moins il faloit
le dire ainsi. Nous devrions faire de mesme dans
le temps où nous sommes, & en toutes les rencontres
où nous pouvons apprendre ou sçavoir quelques
mauvaises actions de nos Princes, n’en rien dire, ou
au moins le dissimuler, ce sont les Dieux de la terre,
les divinitez que les Peuples adorent, ne parlons en
quelque façon que ce soit de leurs personnes, il nous
est defendu : & pour se conserver, disons toujours, Pais,

 

Ouy, l’on sçait, que les Reynes ne sont pas moins
sujettes à leurs passions, que les autres femmes, qu’elles
prefereroient l’accomplissement de leurs desirs dereglez,
à la ruïne de leur Estat : que pour porter vn
Sceptre, elles ne laissent pas d’estre tyrannisées par
leurs propres sentimens : que la pompe de leurs habits,
les festins continuels, les plaisirs, les delices, le pouvoir
qu’elles ont, la foiblesse de leur sexe, qui naturellement
aime la volupté : les parfums, les senteurs,
les concers de musique, les voix qui les charment, les
emportent avec violence aux douceurs de l’amour,
qu’elles estiment le plus parfait plaisir du monde.
Mais il faut mettre le doigt sur la bouche, & dire, Pais.

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I’ay ouy dire, que lorsque Bouquinghan, grand
Admiral d’Angleterre, vint en France, la Reyne en
devint passionément amoureuse, & le Roy entierement
jaloux ; qu’il luy rendoit visite jusques dans son
lict, contre les maximes ordinaires des Princesses, qui
ne reçoivent point de visites des hommes, en cet état :
Et que même par vne grande familiarité il luy tira son
gand des mains, qu’il montra par vanité à plusieurs
de la Cour : dont le Roy s’offensa beaucoup. N’en
dites rien,Pais.

Vous sçavez, que l’on trouva dans les Memoires
du feu Cardinal de Richelieu, que lorsque le Marquis
de Leganés Ambassadeur en France pour le Roy Catholique,
fut arrivé â Paris, la Reyne en devint aussi
amoureuse, & que pour mieux traitter des desseins
qu’elle avoit pour lors, d’obliger l’Espagne au prejudice
de la France, comme de leurs amourettes, leurs
rendez-vous ordinaires etoient au Val de-grace, lieu
dautant moins suspect, qu’il etoit estimé Saint : &
qu’ils n’en sortoient iamais qu’à heures induës, sans
flambeau, sans compagnie, sans suite : Que le Roy
par apres venant à sçavoir tout cela, dit à ceux qui luy
parloient de la Reyne :c’est vne meschante femme, vous
ne la connoissez pas. Depuis ce temps elle en a aimé
beaucoup d’autres, c’est son inclination, c’est son divertissement,
vous ne pouvez l’empescher. N’en dites
mot, Pais.

Il y a quatre-vingt-ans entiers que la maison de
Condé trouble la France & l’Estat, le pere de celuy-cy
estoit le plus lâche Prince du monde : son fils est le

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plus impie, & le plus méchant, vn esprit ambicieux,
remuant, vindicatif, débordé en ses débauches, enragé
en ses desseins, injurieux en ses blasphemes, sans
foy, sans Dieu, sans religion. Il n’en faut rien dire,
Pais.

 

Les Princes ne sont pas seulement débauchez, ils
sont entierement dissolus : les Peuples n’ont point de
plus grands Tyrans, ny les Rois, de plus puissans ennemis,
ils ressemblent à cette Divinité, dont parle
Pausanias, qui demandoit touiours des offrandes : ils
crient sans cesse apres de l’argent, le Souverain en est
souvent incommodé, & les Suiets ruinez : s’ils ne sont
contens, ils forment des partis, empietent sur l’autorité
du Roy, heurtent son Sceptre & sa Couronne,
n’ont plus pour luy ny respect, ny consideration, ny
bien veillance : d’ailleurs, ils sont pour l’ordinaire
sans conduite, sans iugement, sans courage, sans vertu.
N’en disons mot, Pais.

Personne n’ignore, que durant la Guerre de Paris,
le Prince de Condé avoit intelligence avec celuy de
Conti, qu’ils se donnoient tous deux beau ieu en vne
affaire, où il n’y avoit que les pauvres Bourgeois interessez,
ou chacun de ces Princes se formoient des
pretentions qui choquoient la minorité du Roy, & le
repos des Provinces aussi bien que celuy des Peuples :
repos des Provinces, aussi bien que celuy des Peuples :
que leur querelle en apparence n’estoit qu’vn dessein
proietté, & que les autres qui estoient ioints avec eux
de la mesme partie, avoient aussi de grandes pretentions
au detriment du Royaume, & des François.
Neantmoins il n’en faut rien dire, Pais.

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Pour le Duc d’Orleans, il voit tout, & ne voit rien,
il sçait tout, & ne sçait rien, il joüe tout, & pourtant
est toujours joüé luy-mesme : il entre dans le Conseil,
& ne penetre rien : la Riviere se mocque de luy, & n’y
connoit rien : il est borné, il le veut bien, Pais.

Si la Reyne n’avoit des intelligences particulieres
avec Mazarin, qui n’est qu’vn coquin de naissance, &
vn vicieux, sans merite, & sans vertu, & s’il n’y avoit
des mysteres cachez en ce rencontre de fortune, comment
les Princes pourroient-ils supporter vn infame
Etranger, qui leur fiat la loy, qui a les Finances, qu’ils
devroient posseder, qui retient la personne du Roy,
où il veut, pour la conservation de la sienne, qui manie
les deniers, qui dispose des charges du Royaume ;
en vn mot, qui fait tout, & qui gouverne tout ? Ou
ils sont laches, ou ils sont gagnez : nous . Nous n’en sçavons
rien, Pais.

Nous sçavons mieux que le Chancelier ne fut jamais
qu’vn méchant, qu’il ne valut iamais vn bon carolus,
que c’est luy qui donne ou qui reçoit tous les
advis, pour la ruïne des Peuples : que le Cardinal de
Richelieu luy avoit fait faire mille faussetez pour vn
teston : qu’il est le pere de la fourbe & de la bigoterie :
qu’il couvre sous le masque de l’interest du Roy toutes
les malices imaginables : qu’il commet toutes les iniustices
du mõde : qu’il ne resiste à rien de tout ce qu’on
luy commande : qu’il passe tout, qu’il fait tout, qu’il
execute tout sans contredit. Que la Chanceliere sa
femme n’a aucune devotion que dans les livres qui luy
sont dediés : qu’elle a plus de galands que de chappelets,

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bien qu’elle en ait vne infinité, & que tous les
Religieux soient ses favoris. Mais soyons discrets à
n’en point parler, Pais.

 

Le premier President a-t’il plus de sincerité, ou
moins d’artifice ? est-il moins fourbe, ou moins bigot ?
Non : mais il est plus traitre, plus perfide, plus feint,
plus dissimulé, & avec plus d’adresse, car il fait le feint
avec tous les Religieux, le devot, le zelé, le charitable,
& pour tout potage, ce n’est qu’vn vendeur de Mithridat :
on s’en est bien apperceu dans les Conferences
qu’il a eu avec les Deputez de la part du Roy : car quelques
vns qui etoient parens & amis intimes à ces Messieurs
du Parlement, de ceux, qui affectionnoient le
repos du Peuple, leur mandérent à l’instant mesme,
que les affaires iroient mal, puisque ce diable s’en méloit,
& etoit etably le Chef de la Deputation. Mais
silence, Pais.

Sçavez-vous bien, que le Lieutenant Criminel n’a
point de Dieu ; que le Lieutenant Civil a la conscience
plus large que la manche d’vn Cordelier : que l’argent
& les femmes les corrõpent à toutes rencontres, Pais.

Mais revenons a la Cour, sçavez-vous que tout y
est en desordre, que le grand Prevost de l’Hostel a commission
d’arreter quelques Seigneurs qui ont blasmé
les deportemens de la Reyne avec Mazarin qu’elle est
resoluë de tout perdre pour le conserver : que Madamoiselle
s’ennuye d’estre touiours fille : Que Monsieur
de Beaufort se laissera enfin gagner comme les
autres. N’en disons mot, pensons seulement à nos
affaires, & sachons que le vray moyen d’avoir la Paix,
& de la conserver, est de dire touiours, Pais, Pais.

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