Anonyme [1652], LE SYNDIC DV PEVPLE FRANÇOIS, ESLEV PAR MESSIEVRS LES BOVRGEOIS DE PARIS AV ROY. Luy representant les Intrigués, Fourberies, Carracteres & Magies, que le Cardinal Mazarin s’est seruy pour troubler l’Estat de tout son Royaume; Et comme il est indigne d’estre Ministre d’Estat, ny Cardinal. Auec vne representation de l’Estat François sous les Fauoris, à accomparer, tant du commancement du Reigne de Louys 13. que Dieu absolue, que du Reigne d’apresent. , françaisRéférence RIM : M0_3742. Cote locale : B_11_36.
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LE
SYNDIC
DV PEVPLE
FRANÇOIS,
ESLEV PAR MESSIEVRS
LES BOVRGEOIS DE PARIS
AV ROY.

Luy representant les Intrigués, Fourberies,
Carracteres & Magies, que
le Cardinal Mazarin s’est seruy pour
troubler l’Estat de tout son Royaume ;
Et comme il est indigne d’estre
Ministre d’Estat, ny Cardinal.

Auec vne representation de l’Estat François
sous les Fauoris, à accomparer, tant du
commancement du Reigne de Louys 13.
que Dieu absolue, que du Reigne
d’apresent.

A PARIS,

M. DC. LII.

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LE
SYNDIC
DV PEVPLE
AV ROY

SIRE.

Ce me seroit vn extréme
contentement si ie portois nouuelle à vostre
Majesté de quelque signalée victoire acquise
sur vos ennemis : Mais à mon regret le contraire
se presente, estant chargé de vostre pauure
Peuple, de vous remonstrer tres humblement
la misere qui le talonne, & l’estat auquel il se
voit presque reduit, pour le pernicieux conseil
qui vous assiste, qui mesme ébranle tellement
vostre Couronne, que l’Estranger n’attend
autre chose que la demolition de son fondement

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pour prendre sa proye sur le debris de
vostre puissance.

 

Si le maintien de l’Estat consiste en l’obeyssance
& la fidelité que les Subjets doiuent à
leurs Princes, quelles forces pourront faire
teste à vostre authorité estant appuyée de ces
deux Arcs-bouttans ? I’aduouë que les armes
font craindre & redoubter vn Prince : mais la
conseruation de sa Monarchie gist en l’vnion de
son peuple : nos corps subsistent par le temperament
des quatre qualitez : les Empires par la
concorde de leurs Citoyens. Vn Ancien disoit,
que les Royaumes estoient heureux qui estoient
commandez par des Philosophes, c’est à dire,
desquels les Roys s’exerçoient à la vertu. Le
peuple est Singes des actions de son Roy : ce seroit
vne chose honteuse de blasmer celuy qui
doit seruir d’exemple.

La principale chose que vostre Majesté doit
faire pour se maintenir en paix, & se conseruer
en la bonne opinion que son peuple à conceuë
d’elle, est de preter l’oreille à ceux qui luy donneront
des aduis salutaires concernants le bien
du Public, & qui par Conseil s’efforceront de
corriger les deffauts qui se rencontrent au gouuernement
general de vostre Estat : si le malade
refuse l’ordonnance de son Medecin on desespere
de sa santé. Si le Prince reiette le Conseil
des gens de bien, qui poussez d’vn zele &
d’vne affection particuliere s’offrent pour estayer
l’Estat qui panche à sa ruyne, il ne doit rien
moins esperer que sa perte : Il n’est pas toutesfois
necessaire que vostre Maiesté croye à vn

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chacun : l’Abeille n’extrait son miel que des
fleurs les plus suaues & odorantes, le trop de
croyance & le peu de foy preiudicient grande
ment à vn homme d’authorité, & mesme le rerdent
mesprisable.

 

Il est vray que le pretexte que prenent les
perturbateurs de vostre repos, est foible : I’açoit
qu’il porte quelque apparence de bien &
d’vtilité : ce n’est pas de ce temps que ces reuoltes
ont accoustumé de ce faire, & que les mutins
soubs ombre du bien public & de la Reformation
de l’Estat, ont esmeu des Seditions,
qui ont causé beaucoup de dommage.

Il est besoin quelquefois d’apporter vn remede
violent à vne maladie perilleuse : vostre
Maieste n’en sçauroit donner vn plus prompt &
vn meilleur au mal present, que de contenter
son Peuple ; c’est vne Mer qui s’excite par peu
de vent, vostre presence ruynera les desseins de
ces factieux, comme le Soleil dissipe les nuages.
Le passage du Rubicon effroya tellement les
ennemis de Cesar, qu’ils ne cherchoient leur
salut, qu’en vne honteuse fuitte.

Ce n’est pas que ie veüille porter vostre Maiesté
à la vengeance qui d’ordinaire a la cruauté
pour compagne, ce seroit donner à vos subiects
plus de crainte que d’amour, qui est vne chose
tres dangereuse pour regner librement & paisiblement,
il suffit à vn Prince d’auoir pû se
vẽger. Vn Philosophe interrogé par quel moyen
on se pourroit venger de ses ennemis, respondit :
en se monstrant homme de bien. La vengeance,
Sire, que vous deuez prendre de ces

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Libertins, c’est de vous monstrer Roy, & que
vostre pouuoir est esgal à vostre volonté. En
cecy vos actions & deportemens, qui n’ont iamais
eu pour obiet que ce qui est iuste & equitable,
auront plus de force que vos armes :
c’est le plus seur moyen que vostre Maiesté
sçauoit tenir pour ramener ces ames esgarées à
leur deuoir.

 

Ce seroit prendre les choses trop à la rigueur,
que la coulpe fust suiuie de la peine, ainsi que
le bien fait doit estre de la recompense, encore
que ce soit deux expediens propres pour maintenir
vne Monarchie en sa splendeur & en son
lustre : Le bon Medecin desire plustost apporter
guerison au patient par remedes doux &
lenitifs, que par medecines corrosiues : souuentesfois
par moyens contraires on arriue à vne
pareille fin. Ce peintre, qui pour n’auoir pû
viuement representer l’escume d’vn Cheual,
vouloit effacer son ouurage, le hazard luy donna
ce que son art & son industrie luy auoient
desnié.

Sire, prenez vne autre voye que celle des Armes,
qui ne peut estre qu’à la foule de vostre
peuple. Ceux qui y portent vostre Maiesté, ce
sont gens qui ne considerent que l’estat present
de vos affaires. Il faut en ceste occasion se
seruir du double visage de Ianus, préuoir le futur,
& prendre garde sur ce qui peut aduenir
de nos entreprises. Nous voyons par experience
que l’eau en allument la chaux, elle l’esteind ;
vostre Maiesté feroit le contraire, car
pensant appaiser ces seditions, elle embrazeroit

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dauantage le feu, qui en sa naissance se
peut étouffer sans beaucoup de peine. Comme
l’Eclypse du Soleil attire apres soy vn malheur
ou vne contagion mortelle, de mesme la faute
que commer vn Roy bien que petite, engendre
de grands troubles parmy ses subiects. Les choses
passées peuuent estre reprises, mais non pas
corrigées, il ne se faut point haster quand il est
question de prendre Conseil d’affaires importantes :
la promptitude est ennemie de la raison,
& nous aueugle le iugement. Tout ce qui
se faict par precipitation ne peut auoir bonne
yssuë.

 

Vous estes plus à vostre Peuple, Sire, que le
peuple n’est à vous : c’est pourquoy vostre Maiesté
doit veiller pour lui comme pour vn corps
dont elle despend entierement. La plus belle
Couronne dont vous sçauriez estoffer vostre
gloire, c’est celle que vous aurez meritée pour
la conseruation des Citoyens de vostre Monarchie.
Si ceux qui conseillent à vostre Maiesté
de prendre les armes, vous remonstroient premierement
les dangers où elle se plonge, & les
accidens qui en peuuent arriuer, ie croy qu’elle
se retireroit du precipice où elle s’achemine :
mais ce sont broüillons qui ne vous monstrent
qu’vn costé de la Medaille, ils vous cachent celuy
auquel vous reconnoistriez leurs desseins
pernicieux, qui ne tendent qu’à se maintenir
aux despens de la ruyne totale de vostre Royaume.

Caton disoit qu’vn Empereur estoit digne
de louange, qui commandoit à ses passions,

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Certes il sied bien à vn Prince qui gouuerne vn
puissant peuple, de ne se laisser point emprunter
à ses volontez, mais de ce ranger au train de
la raison.

 

Vostre Maiesté considerera, s’il luy plaist,
comme elle s’est laissée gagner insensiblement
à l’affection de certaines personnes de peu, &
de nul merite, qui vrayes sangsuës attirent la
substance de vostre Peuple, vous despoüillent
de toutes commoditez, & comme vermines
qui rongent le bled iusqu’à l’escorce, espuiseront
vos Thresors, vuideront vos coffres, &
vous abandonneront. Vn certain personnage
desiroit que les Roys eussent esté personnes
priuées, mesme pauures, afin qu’ils peussent
micux reconnoistre la misere de ceux ausquels
ils commãdent. Si vostre Maiesté auoit quelque
connoissance de la miserable condition de son
peuple, combien il patist & endure, sans doute
elle apporteroit quelque soulagement à tant
de pauures creatures, dont le trauail & le labeur
peut à peine suffire, pour payer les subsides
& imposts dont elles sont chargées. Sire, vostre
Conseil ressemble à ces faux Mirouërs qui
nous desguisent, & nous font ressembler autres
que nous ne sommes : Ceux qui vous assistent
vous flattent les oreilles, & vous celent la verité
de vos affaires, & soubs ombre de quelque
profit, ou peur d’encourir la disgrace de trois
Loups affamez qui enuironnent vostre Maiesté,
ne vous declarent les deffauts qui ruyneront en
fin vostre Monarchie.

Iamais la France n’a esté si chargée de Tailles

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qu’elle est, Iamais on n’a veu introduire les
monopoles que ces pestes inuentent pour rassasier
leur auarice : le bois augmente le feu, mais
il s’y consomme, les biens qu’ils semblent s’acquerir
pour leur seruir de maintien, ce sont
plustost cordes qu’ils filent pour dernier recours
de leur necessité.

 

C’est vne chose perilleuse que de bastir sa
fortune sur la ruyne d’vn miserable, vn abysme
meine en vn autre : le mal-heur d’autruy nous
doit rendre sages ; V sons des biens de fortune,
& ne nous y fions point. Les Naturalistes disent
que les arbres meurent incontinent, quand ils
rapportent plus de fruict qu’ils n’ont accoustume ;
telle est la fortune, lors qu’elle nous rit
dauantage & qu’elle se monstre fauorable outre
l’ordinaire, c’est lors qu’elle nous conduit
le plus souuent à nostre perte.

 


Qui de bas lieu miracle de fortune
En vn matin t’és hausse si auant,
Ne croy-tu point que ce n’est que du vent
Qui calmera peut-estre sur la brune ?

 

Vn Prince de Perse comparoit promprement
les mignons des Roys aux, jettons que l’on fait
valoir en nombre, tantost mille, & tantost vn
& deux. SOCRATES interrogé que c’estoit que
Felicité, respondit, vne volupté qui n’est suiuie
d’aucune repentence. SIRE, vostre Maiesté
a esleué des gens qui receuront en fin, mais
trop tard encore, le loyer de leur insolence.

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Nos Historiens nous fournissent assez d’exemples
de ceux qui, ou pour leurs fascheux &
insolens déportemens, ou pour leurs richesses
trop promptement acquises, ont fait vne fin
mal-heureuse. Soubs le regne de Philippes fils
de Sainct Louys, Pierre de la Brosse grand
Chambellan, & le plus Fauory des Courtisans,
mourut ignominieusement. Enguerrand de
Marigny soubs Louys Hutin courut la mesme
fortune : & quantité d’autres, qui ayant vogué
quelque temps le vent en poupe, ont fait naufrage,
& sont peris en ceste mer inconstante
de Faueur.

La liberalité en vn Prince est vn tesmoignage
de bonté, mais il doit prendre garde comment,
& à qui il faict du bien : car s’il donne à vne personne
indigne, il pert le bien-fait, il se rend
odieux aux gens de bien, & fortifie le meschant
en son vice. Cette question a esté agitée de plusieurs
Politiques, lequel est le plus necessaire,
Que le Prince soit Liberal ou Chiche, & disent
Qu’il est bon se faire estimer Liberal, mais qu’il
s’y faut gouuerner auec prudence, en telle sorte,
que sa liberalité n’apparoisse que bien peu, &
par ce moyen il peut s’exempter de l’infamie de
son contraire :

Exemple de Salomon.

Salomon sert aux plus sages d’exemple, qui
du commencement ayant rendu l’argent aussi
commun que les pierres dans Ierusalem, enfin

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fut contraint faire de grandes impositions sur
son Peuple, qui causa leur reuolte contre son
fils Roboam, comme il se lit dans la Bible
& dans Iosephe.

 

Et si vn Prince desire paroistre & se maintenir
le nom de liberal, il faut qu’il se porte à
toutes sortes de sumptuositez, qui est vn chemin
pour se rendre necessiteux : & puis estant
au bout de ses finances, il est contraint, s’il veut
s’entretenir au mesme estat, de fouler son Peuple,
& pratiquer toutes sortes de moyens pour
leuer des deniers : ce qui luy acquiert enfin
la mal veillance de ses Subjets.

Les largesses immoderées sont ordinairement
suiuies de rapines, & l’affection de ceux ausquels
vous donnez, ne peut étre si grande, que
la haine est immortelle de ceux à qui vous ostez.
Il est bien seant donner, pourueu que ce
ne soit au détriment de personne. Vn Grand
a plus d’honneur d’enrichir ses Subjets que soy-mesme.
Il n’y a rien qui nous fasse plus approcher
de la Diuinté que faire beaucoup de bien.
ALEXANDRE LE GRAND se glorifioit
de ce que personne ne l’auoit iamais vaincu
par bien faicts. Ce Prince, estoit grandement
liberal : pour tout bien il ne se reserueroit que
l’esperance, mais la pluspart de ses liberalitez étoient
des despouїlles de ses ennemis. Le Laboureur
qui veut recuellir quantité de fruit, doit
semer de la main, & non pas verser du sac, il
faut espandre le grain & non le respandre. Il

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vaut mieux qu’vn Prince soit auare, que liberal
sans discretion & sans mesure ; l’excessiue largesse
est vn foible moyen pour s’acquerir de la
bien-vueillance, elle mescontente plus de Seruiteurs
qu’elle n’en pratique. Conbien de Grands
Personnages ont esté sacrifiez à la haine & à
la fureur du Peuple, par ceux mesmes qu’ils auoient
auancez, estimants asseurer la possession
des biens injustement acquis, s’ils monstroient
auoir en haine & en mespris ceux dont ils les
auoient receus ? Vn Roy excessif en dons, rend
ses Sujets excessifs en demandes. On n’aime
que la liberalité future, pour ce que l’on espere,
& non pource que l’on possede desia : car qui a
la pensée à prendre, il oublie facilement ce qu’il
a receu. Plus vn Prince s’apauurist, & plus il se
rend foible d’amis. Le fils de MARC ANTOINE
dit à vn pauure, qui refusoit des Vases d’or
dont il luy faisoit present : MON AMY, ne sçais-tu
pas que c’est le fils de MARC ANTOINE qui
te donne cela. SIRE, ie sçay bien que vostre
Majesté est grande & puissante, autant & plus
qu’aucun Prince de l’Vniuers, mais ayant à
donner à plusieurs vous deuez estre sage & loyal
dispensateur de vos richesses. Donner à ceux
qui sont indignes de receuoir, & ne faire aucun
bien à ceux qui le meritent, est vn vice également
blasmable. Vous deuez en cesté action considerer
particulierement les mœurs & la dignité de
ceux ausquels vous voulez faire du bien, autrement
ce que vous croiriez estre loüable en
vous, vous retourneroit à blasme & mespris.

 

Vostre Majesté a esleu des personnes en des

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Dignitez supresmes, mais elle les a ruynez
d honneur, pour ce que châcun curieux de rechercher
la cause d’vne faueur si extraordinaire,
s’enquiert diligemment, qui, & d’où ils sont
venus : enfin l’on trouue que ce sont gens dont la
Noblesse est de paille, elle n’est propre qu’a faire
du fumier. De mesme qu’vn Sculpteur fait
paroistre vne petite statuë, encore plus petite,
s’il la pose sur vne haute colomne, ainsi vostre
Majesté ayant constitué ces personnes au plus
haut degré de fortune, vous les donnez à connoistre
dauantage à tout le monde.

 

On dit que Demetrius se faisoit admirer en
toutes ses actions, & que tous ses ouurages ressentoient
sa Royauté.

SIRE, vostre Majesté qui a tant donné
d’arrhes & de preuues de sa vertu, ne sçauroit
se porter à vne plus belle action qu’à donner la
paix à son peuple : c’est là où vostre Sagesse se
rendra admirable en l’extinction de ses seditieuses
flammes, qui s’augmentent de iour en iour
à vostre perte, c’est où vostre courage se fera
paroistre en pardonnant à ceux que vous aurez
peu punir. Il fait dangereux de contraindre ses
ennemis de trop prez, & de leur oster toute
esperance de ne se sauuer que par les armes. Le
desespoir est vne porte de derriere grandement
à craindre : Il nous donne assez souuent
ce que nous n’auions peu gagner par prudence,
& frustre de la victoire ceux qui on
de l’aduantage sur nous : vostre Maiesté doit
prendre garde de ne se porter point à ceste extremité.

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Le Marinier descharge son vaisseau de la marchandise
qui luy pese le plus, lors que la mer
est courroucée. Si vostre Maiesté desire sauuer
son Estat de l’orage qui le menace, il est necessaire
qu’elle bannisse d’elle ces boute-feux, qui
comme Viperes feront perir ceux dont ils tirent
les biens de la vie. SIRE, vous estes comme
malade, qui au fort de son accez ne peut resentir
sa douleur, vous reconnoistrez vn iour le
dommage que vous ont apporté ces Scorpions,
dont la seule ruine y peut remedier.

L’Empereur Marcian disoit que les armes
n’estoient point necessaires à vn Prince quand
il luy estoit loisible d’auoir la paix Ceux que
vous croyez s’estre esleuez contre le seruice deu
à vostre Maiesté n’enuient point la iuste & tranquille
possession de vostre Royaume, ils n’ont
les armes à la main que pour obeyr, & non pour
vous commander ; ce sont ames noircies d’vne
infinité de vices, qui vous remonstrent le contraire,
& qui coulpables de milles meschancetez
vous destournent d’apporter vn reglement
à leur detestable vie, & empeschent vostre
Maiesté d’octroyer à vos suiects ce à quoy
vous estes obligé par les loix diuines & humaines,
& dont vostre mere vous supplie.

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LES INTRIGVES, FOVRBERIES,
Carracteres, & Magies,
du Cardinal Mazarin, dont il
s’est seruy pour troubler l’Estat de
toute la France.

CHARACTERE, c’est à dire marque,
ou impression. Ce mot a plusieurs
significations differentes & metaphoriques,
tantost il est employe aux
choses sacrées, comme quand l’on dit le
Caractere de Prestrise, d’Euesque, ou de
Cardinal, pour signifier la façon par laquelle
ils sont ordonnez en ces dignitez,
Ca puissance qu’ils y reçoiuent, & l’authorite
spirituelle qui leur y est donnée. On le
transporte aussi aux choses prophanes,
comme quand on veut parler auantageusement
d’vne impression, ou d’vne escriture,
on dit, Voila vn beau caractere.
L’impression d’vn cachet, ou de quelque
moule que ce soit en relief, ou en fond se

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nomme pareillement charactere. Mais sa
derniere signification, qui est odieuse &
detestable pour ses fonctions, est de certains
billets enchantez que le diable donne
à des personnes perduës & miserables
qui font des pactions auec luy pour arriuer
à quelques desseins, les vns afin d’estre
bien-heureux dans les armes, pour n’en
estre point blessez, ou y remporter tousiours
l’aduantage contre ceux auec qui ils ont
quelque different. Les autres s’en seruent
pour estre bien aimez des Dames, & violer
leur pudicité ; pour posseder des richesses
ou des honneurs en ce monde, selon que
leur conuoitise leur en fait desirer, ou que
l’occasion s’en pût offrir d’elle-mesme.
Toutes ces sortes de billets s’appellent charactere,
tant parce qu’ils font escrits de la
main des hommes, qu’à cause des Demons,
apres les execrables ceremonies qui
y sont requises, leur donnent ces proprietez
& ces vertus, pourattirer à foy les ames,
& les faire trebucher auec eux au fond des
Enfers. Ce n’est pas icy mon intention de
prouuer, si ces sortes de magie ont quelque
effet veritable en elles-mesmes, ou si leur

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pouuoir n’est qu’imaginaire, ny de faire
voir si ceux qui reüssissent en ces actions
malheureuses en doiuent le remerciment à
ces charmes : D’autres en ont écrit assez
doctement pour ne laisser point de doute
que les Demons n’ont rien perdu du pouuoir
qu’ils auoient auparauant leur peché,
& qu’ils n’ont changé d’estat qu’au regard
de leurs peines & de leurs supplices, &
qu’au reste ils sont demeurez si puissants,
que le moindre pourroit conuerser tout le
monde en vn seul clain d’œil, s’il n’en
estoit empéché par la main toute-puissante
de Dieu. L’Escriture saincte le fait voir
assez clairement en la personne de Iob, lors
que Dieu prescrit au Demon les bornes
qu’il ne vouloit pas qu’il passast en touchant
la personne de ce sainct ; car il est à
croire que le diable par la ialousie qu’il
auoit sur luy, l’eut exterminé tout à fait, si
Dieu ne luy eut point deffendu. Cela se
pourroit encore prouuer par plusieurs Histoires
escrites par des hommes dignes de
foy, & qu’on ne sçauroit recuser, puis qu’ils
en ont veu : Tel est le grand Chancelier de
Marseille. Monsieur du Vair, qui rapporte

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des choses prodigieuses d’vn Prestre
de cette ville-là, nommé Gofredy. Ie me
contenteray de ce témoignage, pour ne
me pas esloigner dauantage de ce me suis
proposé dans cét esprit, qui est de faire
voir deux sortes de Characteres estrangement
differents, qui se rencontrent en la
personne du Mazarin, & de prouuer par
de veritables raisons qu’il est indigne du
premier, & qu’il est sans doute coupable
de l’autre par la suite de ses actions, & par
ses damnables procedez pour monter aux
honneurs & à la puissance, où il est obliquement
arriué.

 

Le Cardinalat est la dignité la plus sublime
& la plus releuée de toute l’Eglise
Romaine, aussi pour se rendre capable d’vn
si grand honneur doiuent-ils estre aussi
sçauans que le Cardinal Dossal, & aussi purs
& aussi nets de peché que sainct Charles de
Borromée, ils sont proprement dans le
spirituel, ce que les Cheualiers de Malte
sont dans le temporel, & dans le mestier de
la Guerre ; car ils sont establis pour soustenir
courageusement la Foy : Que si hors
des persecutions des Tyrans, ils seruent

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d’ornement & de courtisans spiritúels à la
Cour du Pape, au temps de douleur & de
passion, lors qu’il arriue que la Foy est persecutée,
ce sont eux qui doiuent les premiers
confondre & par leur doctrine, &
par l’effusion de leur sang, ceux qui les
viendroient attaquer, ce que veut leur signifier
cette pourpre eclatante, dont on
les a reuestus, qui ne leur doit pas dauantage
seruir d’ornement, que d’instruction
pour se preparer eu combat. Ils sont
à l’esgard du Pape, ce que les Princes & les
Nobles sont auprés des Roys, & dautant
que la maison du Pape ne se peut entretenir,
ny reparer par la generation des en fans,
puis qu’on y garde vn celibat eternel, & que
la continence doit estre parmy eux comme
parmy les Anges purs & nets de toute sorte
de crime ; il est necessaire que les fils aisnez
de l’Eglise s’engendrent spirituellement,
& d’vne façon qui approche de la Diuinité
mesme, & qui ne s’en esloigne que le molns
qu’il luy est possible, & en tant que l’humaine
fragilité le permette. Ioint que puis
qu’il est vray que c’est de leur saincte compagnie
& de leur sacré College d’où les

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Papes sont choisis & tirez par l’inspiration
de Dieu mesme, & qu’il n’y en a pas vn
parmy eux qui ne puisse estre esleu pour
estre le Vicaire de Dieu sur la terre : ils doiuent
aussi s’efforcer de s’en rendre dignes,
& leur plus gaand soin doit estre qu’ils
soient dans l’Eglise comme des flambeaux
allumez pour l’esclairer, & pour seruir aux
fideles d’exemple d’vne bonne vie & de
sainctes actions. Mais, ô ! prodige, ô
monstre horrible ! que peut-on reconnoistre
en la personne de Mazarin, qui fasse
voir vne seule marque de toutes ces choses ?
Quelle aparence de saincteté ou de deuotiõ
a-t’il iamais fait paroistre aux yeux de la
France ? C’a esté presque son premier grade
& sa premiere dignité, lors qu’il fut fait
Cardinal, en quoy son auarice & son ambition
ont paru en mesme temps, & aussi-tost
l’vn que l’autre, car lors qu’il a mis le
pied dans la France, il n’auoit pas encore
beaucoup de fond ny de reuenu, il a esclatté
tout d’vn coup si fort, qu’il a fait voir aisément
que son ambition ne tendoit
qu’aux biens & aux dignitez, puis qu’il
auoit eu si peu de temps pour s’en acquerir

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de si grandes, & de si excessiues, comme il
est requis à vn Cardinal d’en auoir, pour
se maintenir dans vne si esclattante fortune.
O ! grand Prince, qui estes maintenant
dans le Ciel, & qui voyez icy bas ce
qui s’y passe au desauantage de vos enfans
& de vostre France, si vous auiez sceu ce qui
deuoit arriuer, vous vous fussiez bien gardé
sans doute, de causer tant de felicités &
tant de biens à vn homme qui s’en est rendu
si indigne apres vostre mort ; & c’est
vn loup que vous aués nourry, pour estrangler,
s’il faut ainsi dire, toute vostre posterité,
si elle n’en estoit conseruée par vne
grace speciale de Dieu Tout-puissant, qui
maintient les Roys, & qui les deffend contre
les outrages de leurs ennemis. Encore
trouuay ie que les Loups sont plus humains
mille fois que ce meschant, puis qu’on a
veu vne Louue donner du lait à Remus &
à Romulus, & les auoir esleués quelque
temps, & iusques à ce qu’ils luy fussent arrachez
de force. Mais, grand Roy, pardonnez-moy
s’il vous plaist, ie sçay que
vostre bonté naturelle vous a porte à luy
vouloir tant de bien, & que vous n’eussiés

-- 22 --

iamais pensé qu’vne personne qui vous
auoit tant d’oblations, & qui deuoit reconnoistre
vos bien-faits par des seruices
sans nombre, que vous luy donniés moyen
de vous rendre, se soit comporté si laschement
à la reconnoissance, & au soin particulier
qu’il deuoit auoir des vostres que
vous luy aués laissé en mourant pour les
proteger, & pour les deffendre contre toutes
sortes d’iniures. N’est-ce pas là, ie vous
prie, vn commencement de bonne fortune ?
Ne sont-ce pas là des marques & des
caracteres d’vn Cardinal deuotieux &
sainct tout ensemble ? mais venons au
reste.

 

L’ingratitude & la méconnoissance
sont vn vice véritablement à blasmer, c’est
pourtant le moindre que ie remarque
dans le Mazarin, son auarice passe infiniment
plus auant, car lors qu’il s’est veu
dans le pouuoir de prendre impunément à
toutes mains, il ne s’est pas seulement
ietté sur l’Estat, mais il a vollé effrontément
le bien de l’Eglise, il n’a pas espargné
les lieux Saincts, il a pillé les Autels. La
collation des Benefices de France luy auoit

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esté donnée par le feu Roy, apres le trespas
du Cardinal de Richelieu, il a si bien imité
celuy à qui il auoit succedé, que contre
tout droit diuin & humain, il s’est attribué
tout ceux qu’il a reconnus estre du plus
grand reuenu ; de sorte qu’il possede plus
tout seul en biens de l’Eglise, que tout le
reste des autres beneficiers. Il a mesme esté
si plein d’audace & de temerité, qu’il auoit
pretention sur l’Abbaye de sainct Denis,
qui appartient à Monsieur le Prince de
Conty ; & si ce n’eust esté la consideration
de la race Royale dont il est sorty, sans
doute qu’il luy auroit vsurpé ? N’est ce pas
là vne auarice insatiable & la plus dangereuse
à l’Eglise, qui ait iamais esté remarquée.
Est ce le deuoir de l’executeur d’vn
testament, de s’attribuer le plus beau & le
meilleur du bien qu’on luy a mis dans les
mains. Le bien de l’Eglise est vn testament
des bonnes ames, qui luy ont departy de
leurs biens pour entretenir les Ministres
qui la seruiront, & ce bien doit estre si religieusement
dispensé, qu’on ne se departe
point de l’intention des testateurs, qui n’a
iamais esté autre que de donner aux Ecclesiastiques

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le moyen de seruir Dieu & l’Eglise,
en leur fournissant raisonnablement
ce qui est necessaire à leur entretien,
& selon leur condition. D’où il s’ensuit
que la pluralité des benefices est vn grand
peché contre Dieu & contre ceux qui les
ont dottez : car le moyen qu’vn homme
seul puisse s’acquitter de plusieurs deuoirs
ausquels il se verra obligé. De plus c’est
vne chose asseurée par les Statuts mesme
de l’Eglise, & il est sans doute aussi tres-conforme
à la raison, que ce qu’vn beneficier
a de trop apres vne despense raisonnable
& conforme à sa condition, qu’il
en doit donner le reste aux indigens, puis
que le bien de l’Eglise c’est le bien des pauures.
Voicy vne pierre d’achoppement
bien grande pour le Cardinal Mazarin : Il
s’est tousiours fait voir si peu charitable,
tant pour les pauures, que pour les personnes
de merite & de lettres, qu’il n’a
iamais fait de bien, au contraire, il leur a
fait retrancher les liberalitez du feu Cardinal
Duc de Richelieu, qui faisoit bien paroistre
en ses actions vne autre manificence
que luy. A quoy donc pouuez-vous

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croire qu’il ait employé peut-estre plus de
deux ou trois cens mille liures qu’il retire
de ses benefices, si ce n’est vne partie en des
despenses excessiues, vne partie à amasser
des thresors, & à mettre de l’argent aux
banques, tant en France que dans les paїs
estrangers. Dauantage il s’est rendu cõme
maquignon. Vray Dieu, de quel mot
faut il me seruir ! Oüy, il s’est rendu comme
maquignon des benefices qu’il ne s’est
pû reseruer, il y a mis dessus des pensions
& des rentes, qu’il a retirées tous les ans,
comme d’vn heritage qui luy eust esté laissé
de son pere. Il en a conferé quelques-autres,
& ceux-là sont dans vn grand
nombre, aux fils de ses confidens, & des
Monopoleurs qui se sont entendus auec
luy, de sorte qu’vn Maltotier, qu’vn donneur
d’aduis, vn aposté de Mazarin a d’ordinaire,
vn enfant Abbe dans le ventre de
sa mere, & en sort tout mytré & tout reuestu
des Ornemens de l’Eglise. I’ay veu
mesme des ignorans, & beaucoup de vicieux
en estre pourueus. Est-ce pas là administrer
comme il faut le bien de sainct
Pierre, que luy & tant d’autres Saincts

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qui luy ont succedé en sa charge, ont acquis
auecque leur sang, & que Iesus-Christ
mesme s’estoit acquis auparauant auec le
prix de sa mort. O le digne Cardinal ! ô le
iuste œconome, de ce qu’il a seulement
dans les mains, & qui est moins à luy qu’à
tout autre.

 

Pour faire paroistre qu’il n’est pas meilleur
mesnager, des autres biens que des Ecclesiastiques
& sacrés, considerez ie vous
prie de quelle façõ il a gouuerné l’Estat de
la France, depuis qu’il en a esté fait le Ministre.
Ie n’aurois que faire d’en parler, si
mon suiet ne le demandoit, & ne m’en
fournissoit l’occasion. Ce que i’en diray
donc ne sera rien qu’en passant, puis que
chacun voit assez par experience les malheurs
& les extremitez qui nous accablent
auiourd’huy sous le faix de sa tyrannie &
de son mauuais deportement. La France
estoit vne des plus riches contrées de toute
l’Europe, comme l’Europe l’est de tout le
reste du monde, lors que ce Ministre admirable,
& que l’on nous a esté chercher
dans vn pays estranger comme vne chose
rare & precieuse a pris le timon de tout le

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Royaume, & bien que le Cardinal de Richelieu
l’eut desia beaucoup espuisé de richesses,
il auoit si bien fait neantmoins
que rien n’en estoit sorty, & que l’argent
n’auoit point changé de terre, ny de
paїs. Au contraire depuis l’administration
du Mazarin, nostre monnoye qui n’estoit
point encore presque sortie dans les paїs
estrangers, s’est mise à voyager dans l’Italie
& ailleurs, par le moyen du Mazarin
qui lui a fourni de passe-ports asseurez pour
lui en faire entreprendre le voyage, & ne
luy en enuoyera iamais pour en reuenir.
Aussi void on que le Roy mesme, & tous
les particuliers, excepté les Partisans & les
Maltotiers, en ont auiourd’huy si peu, que
chacun est contraint de s’en plaindre, depuis
le plus petit iusques au plus grand.
Le reste de l’administration du Royaume,
n’est pas en meilleur estat que celuy de l’argent
& des finances, il n’y a plus d’ordre,
& la belle Astrée a esté contrainte de ce
retirer, voyant qu’elle ne trouuoit plus
d’appuy parmy nous, car on y punit, comme
ont dit, les petits volleurs, mais on y
recompense les gros, celuy qui sçauot

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dõner de meilleurs aduis pour l’opression
du peuple, pourueu qu’il remplit sa bource
& celle du Mazarin, estoit bien venu dans
la Cour, d’vn Laquais, ou d’vn petit Clerc,
il estoit fait tout aussi tost honneste homme,
& dans vn bien peu de temps les Baronies
& les Comtez luy estoient acquises
à beau prix d’argent. La Noblesse suiuoit
bien-tost apres, & il s’entretenoit de tiltres
plus anciens que la Lune, & plus clairs
mille fois que le Soleil. Ce sont là les belles
administrations d’vn Ministre, dont l’esprit
est iudicieux, les pensées releuées dessus
les Estoiles & les paroles dignes d’estre
remarquées, témoin la comparaison des
Gans, aussi que s’ensuit-il de toutes ces
rares perfections, que des sottises manifestes,
& les actions aussi peu conformes
à la raison, qu’elles nous sont profitables.
Qu’en est il autre chose que des enleueméns
tyranniques, des guerres parmy les
Princes du sang, & parmy le peuple des
dissensions, des meurtres & des carnagés,
qui saigneront aussi long-temps, qu’il
pourra se trouuer des hommes qui se ressouuiendront
de ces choses. Dieu face par

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sa bonté & par sa misericorde, que nous
n’ayons plus de nouueaux Suiets de plainte,
& ce soit auiourd’huy l’acheuement de
nos maux, comme la fin de celuy qui les a
causez.

 

Entrons dans vne autre consideration,
& disons, que comme toutes les actions
parlent plustost de l’ignorance de l’homme
que de sa malice ; Mazarin n’en doit pas
estre si coupable que de ce que nous allons
prouuer contre luy. Il y a des choses qui
semblent ne se pouuoir faire naturellement,
& bien que par vn hazard qui ne se
void point d’ordinaire, il arriue qu’il s’en
fait de prodigieuses, il faut auoüer toutefois
que la meschanceté de quelques vns
en a fait vn art & des regles. Ce n’est pas
d’auiourd’huy que les incantations sont
en regne, comme nous le lisons dans les
plus anciens Poetes,

Nescio quis teneros oculus mihi fascinat
agnos, dit Virgile & Ouide, par tout dans ses
vers, & principalement dans ses Amours,
en parle comme de chose ordinaire en son
temps, & mesme l’Escriture Saincte en

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parle en quelques lieux. Mais ce n’est pas
de nostre suiet, nostre intention est de iuger,
si ce que Mazarin à fait n’a point passé
les regles ordinaires de la nature, ou s’il
a employé quelque art diabolique, pour
venir à bout de ses entreprises. Il y en a
eu d’autres deuant luy qui en ont esté soupçonnez,
desquels il le peut auoir appris,
ioint qu’il est certain qu’il a enuoyé expres
en Allemagne pour consulter les
meilleurs Maistres en ce mestier-là,
car il s’y en trouue dauantage, & de
plus subtils que non pas en France, où
les sortes d’exercice, Dieu mercy, ne
sont pas en regne. Il s’en est trouué qui
ont voulu dire que la mort du Roy deffunct
estoit prouenuë par sort, aussi il
n’y a point d’apparence qu’vn si grand
Monarque eut vn corps si infect & si
sale, que de produire des vers aussi gros
& aussi longs deux fois que les doigts,
& prodigieusement velus, auecque des
testes qui leuoient plustost du monstre,
que d’aucune autre figure qui eust iamais
esté veuë. Ce que les Medecins ont iugé
eux mesmes, comme ie l’ay ouy dire à vn

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des plus fameux de ceux qui furent appellez
à vne consultation que l’on fit sur cette
maladie inouye & espouuantable. Disons
donc que le Mazarin sans doute s’est
seruy de quelqu’vne de ces sortes de magies,
pour arrester l’esprit des plus grands
à le vouloir soustenir, qui sans cela n’ont
aucune raison apparente de le supporter
à la perte de tant de milliers de personnes,
& de tous les biens de la terre, qui
nous donnent vn extreme regret de les
voir perir, estant si beaux par tout le
Royaume, & en si grande abondance.
Qui a iamais veu qu’vn miserable suiet
ait eu la puissance d’enleuer vn Roy de
son Louure, & le promener par tout son
Royaume, pour y voir des tragedies horribles
par la ruine des peuples, & estre
luy-mesme l’executeur de tous ces desordres ;
que des particuliers se ruinent
de bon gré & de guet à pent, pour escorter
ce meschant en tous ses desseins
temeraires, & que ceux mesmes qui ont
agy contre luy par vn pouuoir souuerain,
se retiennent eux-mesmes la bride, & ne
veulent point passer outre. N’est-il pas

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asseuré que toutes ces choses-là ne se font
que par Characteres & Magies, & par incantations.
Mais courage pauures François
desolez, courage encore vne fois, il
est bien aisé de iuger que voicy le temps
qui approche, auquel ce malheureux verra
finir tout d’vn coup le temps de ses pactions,
& que Dieu ne permettra point
dauantage qu’il puisse exercer ses meschancetez,
en ouurant l’esprit de ceux
qu’il a tenu si long-temps dans l’erreur,
& les remettant de leur esblouyssement.
Ie prie Dieu que cela puisse bien-tost arriuer,
nous luy en rendrons graces de
bon cœur, & receurons ce bien-fait,
non point comme des mes-connoissans,
mais comme de bons & de veritables
Chrestiens.

 

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Representation de l’Estat François sous
les Fauoris, à commencer, tant du
commancement du Reigne de Louïs
XIII. que Dieu absolue, que du
Reigne d’apresent.

LES Poëtes, lors qu’ils ont voulu feindre l’Estat
des personnes priuées & des Republiques,
se sont imaginez des desguisemens, qu’ils
ont accommodé à la nature des choses qu’ils
vouloiẽt dépeindre, & les ont appellez Metamorphoses,
qui signifie changement. Ce n’est donc
pas sans raison que ie me sers à present de ce mot,
en la description que ie me prepare de vous faire
des changemens que les Fauoris ont causé dans le
Royaume de France, soit en l’Estat entier, soit en
la personne des Roys & des peuples, où vous pourez
voir qu’on n’a iamais eu plus de suiet de se formaliser
des deportemens des Fauoris qui ont regne
de nostre temps, que des mauuaises actions
du Mazarin, qui nous a causé tant de maux, que
nous en ressentons de iour en iour des accidens
funestes & mal-heureux.

Le premier Fauory que ie desire vous remettre
deuant les yeux est Monsieur de Rosny qui regnoit
du temps de Henry le Grand, qui auoit fait
vn tel changement dans l’esprit du Roy, que ce
grand Prince, qui ne se fioit à personne qu’à son

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propre iugement, ne se comportoit toute fois en
l’administration des Finances, que selon les impressions
qu’il luy en donnoit, de sorte que si Rosny
ne vouloit pas vne chose, il falloit croire aussi
que le Roy ny voudroit iamais consentir, & que
mesme il destruisoit ce que sa Majesté auoit desia
commandé. Mais quoy ? qui se pourra plaindre
d’vn Fauory si bon menager, qui en remplissant
les coffres de son maistre, y trouuoit neantmoins
son compte, sans neantmoins faire tort ny à l’Estat
ny au Prince qu’il auoit enrichy d’vne picque
d’or en quarré lors qu’vn mal-heureux traistre luy
vint porter le coup de la mort, dont le Sang rejallit
encore auiourd’huy sur nous.

 

Le Roy deffunct d’heureuse memoire Prince
bon & trop facile à faire des Fauoris, en a beaucoup
esleué dans le Ministere, mais le plus apparent
est le Cardinal de Richelieu, hõme à la verité
d’vn grand esprit & d’vn genie admirable, lequel
changea tout à coup la face de l’Estat dés lors qu’il
fut arriué dans la charge de premier Ministre, car
comme le Roy se reposoit de tout sur les soins qu’il
prenoit du Royaume, & qu’il le laissoit agir comme
il luy plaisoit, il mit bien-tost les affaires à vn
tel point qu’il se rendit maistre de tous les sujets
du Roy, mit des imposts sur les peuples qui n’auoient
iamais esté pratiquez, ne monstrant pas
moins la pointe de son esprit aux choses mauuaises,
qu’en celles qui estoient vtiles & profitables.
Car pour le moins s’il s’emparoit du Gouuernement
de toute la France, & si il la faisoit trembler
deuant luy, il ne donnoit pas moins d’espouuente
aux Estrangers, qui le craignoient & le respectoient

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tout ensemble. De sorte que l’on peut dire
qu’il se trouue vn contrepoids dans ses actions,
qui fait douter s’il a esté plus dommageable que
profitable au Royaume. Que s’il a trouué des imposts
& des subsides que personne n’auoit imaginé
deuant luy, & si parce moyen il a fait esclorre vn
nõbre infiny de Partisans, qui cõme vne pepiniere
ont pullulé dans tout le Royaume, au moins nous
a-t’il faits riches des despoüilles des pays Estrangers,
& a si bien fait toutefois que les arts mechaniques
& Liberaux n’ont iamais eu tant de vogue,
dans tous les Siecles passez, qu’ils en ont rencontré
de son temps. Car alors chacun estoit employé,
des Villes toutes entieres ont esté basties,
Paris en a esté accreu de beaucoup, & y est arriué
dans vne telle grandeur, qu’on doute s’il y a maintenant
vne Ville plus peuplée & plus grande au
monde. Ioint qu’encore qu’il ait fait beaucoup
d’exactions sur les peuples, il leur a neantmoins
tousiours monstré de l’amour, & pour tout dire, il
est mort dans vne telle faueur, qu’il a esté regretté
du Roy, & a laissé dans l’esprit de tout le monde.
vn ressentiment de sa perte, apres que l’on a reconnu
ce qu’il profitoit à la France.

 

Mais, ô Metamorphose odieuse, & deplorable
à nos iours, quel changement auons nous experimenté
depuis ce tẽps là dãs tout le Royaume,
La mort du Royest suruenë quelque temps apres,
& plutost de beaucoup qu’il n’estoit besoin pour
nostre bien & pour nostre conseruation ; Vn ieune
Roy nous est demeuré sur les bras, gouuerné par
vne mere dont la trop grande facilité a fait qu’elle
s’est seruie pour le soulagement de son esprit de sa

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personne, d’vn fauory le plus indigne, & le plus
ouatrageux qu’on ait iamais veu regner, & pour
tout dire, d’vn estranger qui n’a point d’affection
ny pour le Prince, ny pour ses suiets, & qui ne tend
qu’a ses interrest particuliers, s’est naturalisé de
telle sorte parmy nous, qu’on iugeroit à voir tous
ses procedez, que nous ne sommes nez que pour
l’aggrandir de nos pertes. Ce sont là d’estranges
metamorphoses ; les gros poissons mangent les
petits à la verité, mais celuy-cy fait tout eigal, &
n’espargne ny grand ny petit Les peuples sont sa
pasture ordinaire, il les a mangez & rongez iusqu’aux
os, & apres ne leur auoir laissé que la
peau, & qu’il n’y petit plus trouuer d’appetit, il
se iette sur de plus friands morceaux, qui sont nos
Princes & les Parlemens, & reduisant tout dans
vne semblable fortune, il a si bien fait qu’il leur a
desrobé le Roy, vsant de ce stratageme peruers
& malicieux afin de les rendre aueugles, & de faire
qu’ils ne sçachent à quoy se resoudre, estant esloignez
du Soleil qui leur deuroit tousiours esclairer,
mais qui s’estant eclypsé, ne leur donne plus
ses rayons qu’à trauers d’vn nuage espais, & qui ne
leur veut pas permettre de le regarder. Ah ! voleur,
le plus infigne volleur qui ait iamais esté sur la terre,
rends nous ce Louys, pour le moins si tu ne
nous veux pas rendre les autres que tu nous as emportez,
celuy là seul nous suffira que trop pour
nous contenter, & encore nous semblera-t’il que
nous te serons beaucoup obligez. O ! France, est-il
possible que [1 mot ill.] t’eforces point pour r’auoir
vn gage si precieux, tu vois qu’à cette occasion
plusieurs bons suiets sont tous les iours m’assacrez,

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il y en a vne infinité de millions qui sont empirez
en leurs biens, en leurs corps, & en leur fortune,
& toutes ces metamorphoses, tu les souffres
auec vne patience admirable pour le respect
de ton Roy, que tu ne voudrois pas mesme offenser,
en faisant quelque chose que tu sçaurois qui
luy deust desplaire, quand mesme ce seroit pour
ta propre conseruation. Mais que dis-je, en agissant
contre le Mazarin, ne faisons nous pas pour
l’Estat, & pour toute la Maison Royalle. Apres
auoir eu l’asseurance de retirer de ses mains les
Princes qu’il auoit iettez dans vne prison, apres
auoir empesché que le Parlement ne soit tombé
sous sa tyrannie, ne nous sera il pas permis de prendre
la vangeance du Prince, & de celuy qui luy
peut immediatement succeder, & de plus pour
assister vne mere, qui ne reconnoissant pas le danger
où elle se met, & se laissant trop facilement
persuader par de certaines pestes d’Estat qui sont
corrõpus par le detestable Ministre, n’a la pas force
de preuoir ce qui en peut arriuer. Il faut que ie
confesse qu’en parlant de toutes ces metamorphoses,
moy mesme ie suis methamorphosé en rocher
comme le fut autrefois Battus par le Dieu Mercure,
& que ie ne puis parler, ayant le cœur plus
serré & plus dur qu’vne roche, c’est pourquoy ie
vous laisse le reste à considerer, priant le Ciel que
la premiere metamorphose qui se doit faire dans
le Royaume de France soit de la guerre en vne
paix asseurée, & qui puisse demeurer parmy nous
vne eternité.

 

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ADVIS AV LECTEVR.

Cher Lecteur, ie t’ay assemblé dans ces cahiers
quelques pieces assez remarquables
& principalement celle qui traitte des Fauoris
qui ont esté dans la France, depuis le Reigne de
Henry IV. que tu prendras la peine de comparer
auec Mazarin, car on dit en Phylosophie, que
les contraires qui sont opposez, à leurs contraires
ont plus de veuë & plus d’esclat, que ceux qui
n’ont point de comparaison auec d’autres. C’est
pourquoy par ce moyen tu pourras connoistre
combien enorme est le procedé de ce miserable
Ministre ; Dans l’autre piece qui traitte de ses
Characteres tu pourras remarquer l’indignité de
cet homme, qui n’a eu aucun respect des choses
Sainctes ny des profanes, pour s’esleuer dans
l’Estat, & qu’il n’a considere que les moyens de
s’enrichir ; & de paruenir à vn si haut degré de fortune.
C’est ce que i’ay voulu representer pour te
faire voir que ce n’est pas à tort qu’on le hait, &
qu’on l’accuse par tout dans la bouche des hommes,
ce qui marque la malice & la noirceur de sa
conscience, puisqu’on dit communement que la
voix du peuple c’est la voix de Dieu. Lis dont s’il
te plaist, & si tu n’apprens autre chose en lisant,
au moins conçois par la lecture vne plus forte haine
contre cet homme que tu ne l’as iamais euë,
puisqu’il merite & la haine de Dieu, & celle du
monde tout entier.

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Anonyme [1652], LE SYNDIC DV PEVPLE FRANÇOIS, ESLEV PAR MESSIEVRS LES BOVRGEOIS DE PARIS AV ROY. Luy representant les Intrigués, Fourberies, Carracteres & Magies, que le Cardinal Mazarin s’est seruy pour troubler l’Estat de tout son Royaume; Et comme il est indigne d’estre Ministre d’Estat, ny Cardinal. Auec vne representation de l’Estat François sous les Fauoris, à accomparer, tant du commancement du Reigne de Louys 13. que Dieu absolue, que du Reigne d’apresent. , françaisRéférence RIM : M0_3742. Cote locale : B_11_36.