Anonyme [1649], LE TABLEAV DES TYRANS FAVORIS, ET LA DESCRIPTION des maluersations qu’ils commettent dans les Estats qu’ils gouuernent. ENVOYÉ PAR L’ESPAGNE A LA FRANCE. , françaisRéférence RIM : M0_3746. Cote locale : A_7_54.
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LE
TABLEAV
DES
TYRANS FAVORIS,
ET LA DESCRIPTION
des maluersations qu’ils commettent
dans les Estats qu’ils
gouuernent.

ENVOYÉ PAR L’ESPAGNE
A
LA FRANCE.

A PARIS,
Chez FRANÇOIS NOEL, ruë Sainct Iacques, aux
Colomnes d’Hercules.

M. DC. XLIX.

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LE TABLEAV DES TYRANS FAVORIS,
& la description des maluersations
qu’ils commettent dans les Estats
qu’ils gouuernent.

Enuoyé par l’Espagne à la France.

C’est auiourd’huy, chere France, que le Ciel, touché
de mes peines, & de mes ennuis, me force,
malgré ma vaine gloire, de m’adresser à vous,
comme à la Princesse de toutes les Nations, à la
Reyne de toutes les Monarchies, & la premiere
Souueraine de la Chrestienté, pour vous representer
dans ce Tableau la vraye figure des Tyrans
Fauoris, qui depuis tant de siecles, ne se sont nourris que de nos
diuisions, que de nos guerres, que de nostre sang propre, & que
de celuy de nos peuples.

Ce sont ces Vautours, ces Harpies insatiables, & ces desolateurs,
des Princes, & de leurs Empires, qui ont esté les motifs de nos mesintelligences,
& de nos dissentions, qui commencerent presque
dés la fondation de nos Monarchies, & qui les ont faites subsister
du depuis, & qui les font encore viure à present. Ce sont ces mesmes
flatteurs, qui pour s’agrandir & nous destruire, nous soufflent
continuellement aux oreilles, que nous ne deuons rien contribuer
du nostre à l’amitié de nos Subiets, & que nos Estats ne s’éleuent
iamais si haut que quant les peuples sont raualez plus bas. Ce n’est
pas sans raison qu’vn Ancien a dit que bien souuent les Roys & les
Princes, sont les derniers aduertis de ce qu’il leur importe le plus
qu’à personne, & que d’ordinaire tout le monde ne s’entretient que
des desordres qu’ils commettent, & qui ternissent la gloire de leur

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nom, sans qu’ils ayent, ny qu’il se rencontre aucun seruiteur aupres
d’eux, qui leur represente fidelement la honte où il, s’exposent
par la licence de leurs mauuaises actions.

 

N’est-ce pas vne chose estrange, que les deux peuples les plus
genereux du monde, & qui tiennent encore auiourd’huy sous vostre
Maiesté Tres Chrestienne, & sous la mesme Catholique, tout
le reste de l’Europe en balance, ayent depuis tant de siecles demeurez
mortels ennemis ? Qui le sçauroit iamais croire, si l’Histoire
ne l’enseignoit, que tant d’alliances contractées entre l’vne &
l’autre Couronne, tant & tant d’vnions, & de paix faites ensemble,
n’ayant iamais pû faire regner la concorde, & l’amitié entre
ces deux Nations, les plus puissantes, les plus redoutées, & les plus
belliqueuses de toute la terre ?

Les grandes & les glorieuses victoires qui rangerent les Mores à
la raison ; ces grandes nauigations, qui furent les clefs des Terresneufues,
& ces autres belles actions, tant de paix que de guerre,
qui firent l’ouuerture par où la bonne fortune entra dans la maison
d’Espagne, ont porté l’humeur de mes peuples à beaucoup d’ambition
& d’audace, qui les ont depuis rendus comme insupportables
à tout le reste des hommes : ie l’aduouë, mais tout cela n’a
point tant causé nos auersions, & nos haines, que les mauuais desseins
de la pluspart de nos Fauoris, & de nos Ministres d’Estats, qui
n’ont trauaillez à nous des-vnir que pour en faire naistre nos guerres,
& de nos miseres en establir leurs fortunes.

Les aduantages que nous remportasmes sur vous à Pauie, & à
Sainct Laurens, & les fameuses victoires qu’en eschange vous
acquistes sur nous à Rauennes & à Cerisoles, ne furent que les ouurages
de ces Deserteurs de nos Royaumes, qui nous armerent les
vns contre les autres, à dessein de s’enrichir de nos despoüilles, &
de viure contens parmy leur auarice, tandis que nous viuions affligez
parmy nos miseres publiques. Ie confesse que parmy ces
mauuais Ministres, il y en a eu quelques-vns de bons ; & Charles
Quint ; qui est le premier Prince qui ietta dans ses Estats, les premiers
fondemens de cette grande puissance, à qui depuis la Chrestienté
n’en a point veu d’égale que la vostre, en choisit vn par les
conseils, & la fidelité duquel en partie, il s’est depuis fait vn si
grand Monarque. Tous ceux qui ont succedé au Cardinal Grauuelles,
n’ont pas eu comme luy les desseins de ne s’agrandir que
par l’extraordinaire grandeur de leur Maistre. Ximenes fut seul
absolu sous Ferdinand, predecesseur de Charles, Ruy Gomes de
Silua seruit fort fidelement sous Philippes II. Le Duc Cardinal de
Lermes cõmanda sous Philippes III. Mais le Comte Duc d’Oliuarez,
qui est celuy qui a regi & gouuerné le plus absolument qu’aucun

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contre mes Royaumes & mes diuers Estats, a miserablement
fait contre l’Espagne, ce que l’ingrat, l’auare, & le scelerat Cardinal
Mazarin a fait contre la France.

 

Ils ont tous deux si mal agy, & pour nostre gloire, & pour le repes
de nos Subiets, qu’ayant terny l’éclat de l’vne, & par leurs pyrateries
& oppressions troublé le bien de l’autre, peu s’en est fallu,
& peu s’en faut encore, que nos Peuples secoüant le ioug de leur
obeyssance, ne nous eurent par leur sousleuement depossedées de
nos Sceptres, & de nos Couronnes.

Les Cardinaux de Pellegruë, de la Roche, d’Amboise, d’Ossat,
& de Rets parmy les François, Albornos, Caruagal, Grauuelles,
Ximenes, qu’il a cy-dessus nommez parmy les Espagnols ; & les
Colomnes, les Vitellesques, & les Caraffes parmy les Italiens, ont
esté de grands Hommes, de grands Ministres d’Estat, de grands
Fauoris, qui se sont autrefois meslez de la guerre pour le seruice
de leurs Maistres : mais ces grands Personnages n’approcherent iamais
des belles, des hautes qualitez, ny de la fidelité incorruptible
du feu Cardinal Duc de Richelieu pour son Maistre.

Du temps que nos Couronnes se firent ennemies, & qu’elles se
declarerent la guerre ; depuis mesme la continuation de nos diuisions
& de nos desordres, i’ay cent fois fait toutes sortes d’efforts
au dedans & au dehors de vostre Royaume, pour corrompre ce
Ministre, & l’obliger à vous trahir par des promesses, ou des asseurances
capables de seduire les ames les plus fideles, sans auoir pû
rien gagner sur ce cœur Magnanime, qui n’a iamais creu pouuoir
acquerir de l’honneur & de la reputation, que par l’accroissement
de vostre bon-heur & de vostre gloire.

Lors que pour m’agrandir, & vous abbaisser, i’entretenois chez
vous des pensionnaires parmy les Huguenots, à l’aduantage de
mes affaires, & au preiudice des vostres, ne remuay-ie pas le Ciel
& la Terre, pour gagner ce Ministre, afin qu’il diuertisse Louis
XIII. du dessein que ie luy vis prendre, de faire la guerre à ses rebelles,
qui donnoient souuent à son Royaume, de nouuelles matieres
de diuisions & de desordres ; mais ce fut en vain : car plus ie
m’éuertuay de le tenter, pour empescher cette entreprise, & dauantage
s’efforça-t’il d’en procurer l’auancement. Enfin, i’ay toûjours
remarqué en luy depuis le premier iour de son aduenement
à l’administration de vos affaires iusques à sa mort, vne foy sincere,
vn iugement sans exemple, & vne fidelité sans égale. Ie confesse
bien que parmy tant de vertus, il auoit de grands deffauts, & que
par la fin malheureuse de la vie du Marquis d’Ancre, il sembla s’éleuer
de ses ruines, & bastir sa fortune sur le debris de celle de son
predecesseur.

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Il fut ambitieux au dernier poinct à n’en point mentir, & pour
n’estre que le Cadet d’vne maison de Gentilhomme, voyez à quelles
hautes dignitez il paruint ? Il deuint de Cardinal, Duc & Pair de
France, Grand Maistre, & Sur-Intendant General de la Nauigation,
& Commerce de vostre Royaume, Lieutenant general pour
le Roy en Bretagne. Il eut le bonheur de soustenir sous le nouueau
nom de vanité du premier Ministre d’Estat, sa fortune contre les efforts
iustes & legitimes de la deffuncte Reyne, Marie de Medecis
sa Maistresse & bien-faictrice, & des Princes du Sang, & des plus
grands de vostre Monarchie. Ainsi pour rendre sa maison qui
estoit dans l’indigence la plus illustre de France, en charges & en
qualitez, & la plus puissante en biens & mesme pour paruenir au
Gouuernement absolu de vostre Royaume, il le fit entrer dans vne
guerre ouuerte auec le nostre, dont vous & moy sentons encore
les incommoditez.

Il ne faut pas estre beaucoup sçauant aux affaires d’Estat, pour ne
sçauoir pas que sa Politique l’obligea à cette rupture de nostre alliance,
afin que par des leuées extraordinaires & excessiues de deniers
sur vos Subiets, de toute sorte de condition causées par le pretexte
de la guerre il s’enrichit de ces sommes immenses, desquelles
il a consommé, selon le rapport qu’on en a fait, la plus grande partie
par vn nombre infiny de comptant. Par le moyen des contributions
volontaires de tous les Monopoleurs de vostre Royaume,
desquels il a tousiours authorisé les propositions, & protegé le
party, il fit vn fond prodigieux de deniers, pour rendre vn fief, portant
ce nom renommé de Richelieu, de deux mille liures de rente,
le seul gage de sa maison, vn Chasteau le plus superbe bastiment de
l’Europe, qui contient en soy vos plus riches dépoüilles, accompagné
d’vne Ville portant le titre de Duché, Pairie, du reuenu de cent
mille liures. Il a outre plus, m’a-t’on dit, laissé à ses heritiers les terres
les plus seigneuriales de vostre Estat, & du plus grand reuenu ; &
donné à ses autres parens le moyen de posseder les plus hautes
charges & les plus beaux biens du Royaume. Il a donné mesme à
vne veufue sa niepce, de laquelle le nom est si connu dans vostre
Histoire, pour auoir esté fait l’obiect de l’amour coniugal de vos
Princes du Sang, le pouuoir de s’éleuer iusqu’à la qualité de Duchesse,
& de luy faire vn reuenu de quatre cens mille liures par an.
Enfin, il est mort le plus riche homme de vostre Royaume, & a
laissé sa famille la plus opulente qu’aucune autre qui y reside.

O chere France ! vous vous estiez consolée dans vostre mal, par
l’attente d’vn meilleur gouuernement, & du soulagement de vos
peuples, que vous auiez estimé que la mort de ce Cardinal apporteroit :
mais le deceds du deffunct Roy, ayant suiuy celuy de son

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premier Ministre vous ont fait voir le contraire. Vous auiez esperé
du bon naturel de cette grande Princesse Anne d’Austriche, vn restablissement
de toutes choses dans son premier Estat ; vous auiez
creu qu’elle seroit bien aise que le Parlement, duquel le Cardinal
auoit opprimé la liberté, & aneanty l’authorité par vn ordre nouueau,
contraire aux Loix fondamentales de l’Estat, & non iamais
vsité, reprit son ancien credit pendant sa Regence, & qu’elle ne
souffriroit iamais les desordres qu’auoit causé vn Fauory ambitieux,
& remply de conuoitise. Enfin, vous auiez iugé auecques
raison que cette Auguste Reyne n’authoriseroit pas les actions
qu’elle auoit blasmées pendant le gouuernement du deffunt Cardinal :
mais sur tout, qu’elle ne consentiroit iamais qu’vn nouueau
Ministre d’Estat, prist sous sa Regence le pouuoir qu’auoit vsurpé
l’ancien, auec lequel il auoit si hardiment & insolemment entrepris
sa persecution. Ce sont là les raisons à ce que m’ont fait entendre
mes Politiques, qui ont porté cét Auguste Senat à defferer à
elle seule la Regence absoluë du Royaume, que le feu Roy luy
auoit donnée, limitee, & conditionnée : mais il s’est bien trouué
trompé dans ces esperances.

 

Ne s’est-il pas rencontré que Iules Mazarin, plus fourbe que le
deffunct Cardinal, abusant de la confiance que la Reyne prend en
luy, cét Estranger mon Subjet, que la trahison a eleué à la dignité
de Cardinal, & qui vous a esté laissé par son predecesseur, pour conseruer
sa famille en ses biens, & en ses honneurs, & acheuer vostre
ruine, a marché sur ses pas, & suiuy ses desseins ? Porté d’vne mesme
ambition pour luy en ses parens, & d’vne plus ardente conuoitise,
il s’est emparé de la personne du Roy sous vn nouueau tiltre
d’Intendant de l’Education Royale. Il ne s’est pas contenté de diuertir
vos deniers publics par l’vsage des comptans, pour les employer
à son profit, & celuy de ses parens, tant en Italie qu’en vostre
Royaume : mais encore il a fait verifier au Parlement plusieurs
grandes Listes d’Edicts, & de Declarations, à la foule & oppression
de tous vos Subjets. Il ne s’est pas satisfait de faire enleuer
de vostre Ville de Paris, les Presidens Gayen & Barillon, qui
sont decedez non pas sans soupçon d’vne mort aduancée par poison :
mais encor il a fait aller deux fois le Roy mineur au Parlement,
qui eust bien pû s’opposer à ses venuës & enleuemens, &
empescher l’effet de ces Edits s’il eut voulu. C’est la consideration
de la guerre, qui a empesché, m’a-t’on dit, que ce Senat ne se soit
opposé à des entreprises si preiudiciable à l’honneur du Roy, à la
liberté des Cours Souueraines, & au bien de tout vostre Royaume,
dans l’esperance d’vne prochaine paix entre nos Monarchies, qui
restabliroit l’ordre de nos Estats, & soulageroit la misere du peuple.

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Mais i’ay sceu par mes espions, que lors que le Parlement a veu
que vostre mal s’augmentoit, que Mazarin entretenoit la guerre
parmy nous par ses intrigues, au lieu d’auancer la Paix : Que les
deniers qu’on leuoit sur vos Subjets n’estoient point donnez au fait
de la guerre, mais qu’ils estoient employez à sa seule vtilité ; Que
vostre peuple ne pouuoit plus supporter les grandes charges des
Tailles & impositions dont il estoit opprimé : Qu’il vouloit despoüilier
tous les Officiers de vostre Royaume, mesmes ceux de vos
Cours Souueraines, de leurs biens, en leur ostans leurs gages ; Que
les Tailles estoient tombées en party contre l’ordre prescrit par les
Ordonnances & les Loix du Royaume ; Que par ce moyen elles se
leuoient auec tyrannie, & des frais excessifs ; Qu’il choquoit continuellement
l’authorité, la liberté, & le Priuilege du Parlement,
par des Arrests du Conseil, & autres nommez du Conseil d’enhaut,
dont il se seruoit pour l’oppression du peuple ; Enfin, voyant que
vostre Maiesté estoit à la veille d’vne ruine totale, & d’vn mal sans
remede, il est enfin reuenu de son assoupissement, & se ressouuenant
du pouuoir que les Loix de vostre Estat luy donnoient, que
par la disposition de vos mœurs & coustumes, il est naturel tuteur
de vos Roys, principalement pendant le temps de leur minorité : il
s’est senty obligé de chercher les moyens conuenables pour remedier
aux abus que l’ambition & l’auarice de ce Cardinal auoit formé
dans vostre Estat.

Pour cét effet, i’ay appris que ce Parlement s’estoit vny aux autres
Cours Souueraines, nonobstant l’exil de quelques Officiers desdites
Cours, & qu’ils ont trauaillé ensemble vtilement à la recherche
de ces abus, & au moyen de les corriger. Ie ne doute point
qu’auec le temps il n’arriue quelque ordre dans ce desordre, &
qu’au point où l’on m’a asseuré que vos affaires sont, dont ie m’afflige
plus que ie ne m’en réjouïs, à cause de mon changement d’humeur,
qui me fait maintenant beaucoup plus aymer vostre bien
que vostre perte, vous ne voyez bien tost vn changement, qui rendra
vostre gloire aussi resplendissante, que Mazarin a eu intention
de l’obscurcir.

Mais auant que de vous depeindre dans ce Tableau que ie vous
enuoye, la basse naissance de ce nouueau Ministre d’Estat, qui comme
vn Monstre pensa faire mourir sa mere en le mettant au monde,
sa honteuse vie, ses mœurs deprauées, & toutes les mauuaises
actions qu’il a faites auant qu’il se soit manifesté en vostre Royaume,
permettez ie vous prie que ie depeigne dans ce mesme ouurage
la perfidie, la trahison, & la haute conspiration qu’a tramée
contre mon Estat le Comte Duc d’Oliuarets le Fauory de son Roy,
& les delices de l’Espagne.

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Dés que ce nouueau Administrateur de tous mes Estats eut gagné
par ses charmes la bien-vueillance de son Prince, il eut cette
addresse de ne souffrir plus qu’auec beaucoup de peine, que les
grands du Royaume eussent d’entretiens particuliers auec son Monarque.
Son naturel vain & altier, ne luy faisant regarder les principaux
Officiers de ma Couronne qu’auec mespris, leur donnerent
en peu de iours tant de diuers sujets de mescontentemens, que la
Cour ne fut plus guere frequentée que de ses Partisans, & gens de
sa ligue. Le Roy ne voyant plus si souuent qu’à l’ordinaire ces viues
lumieres qui auoient accoustumé d’éclater auprés de sa Maiesté,
se plaint de leur absence : mais ce Fauory sceut si adroittement
diuertir l’esprit de ce Prince de cette pensée, qu’il luy en osta presque
du tout la memoire. C’est ce qui fit, que n’ayant plus accoustumé
de voir auprés de soy, que le Comte, qu’il fit Duc, & Grand
de mon Estat, & dont l’hypocrisie & la dissimulation luy faisoient
ioüer tel personnage qu’il luy plaisoit. Il le prit en vne si grande
affection, & son humeur complaisante luy pleust tant, que tous
les obiects qui luy auoient esté autresfois agreables, commencerent
à luy estre indifferens.

Ce nouueau Fauory ne manqua pas de se seruir de l’astuce, & du
stratageme dont vsent ordinairement ceux qui veulent s’éleuer
dessus les espaules des Roys ; l’amitié de son Prince ne luy suffit pas,
si auec sa bien-vueillance, il ne tire des marques de ses liberalitez,
& de ses largesses. Il receut en peu de temps de si riches dons, que
quand on eut cessé de luy en faire plus, il eust tousiours esté riche
toute sa vie. Il ne se contente pas d’épuiser les finances du Roy, il
veut s’enrichir de celles de tout mon Royaume. Enfin, à l’imitation
de vos Richelieu & Mazarin, grande Reyne, il fit tant de leuées
excessiues sur mes peuples, que ses exactions furent cause que
les Portugais, secoüant le ioug de cette tyrannie se redonnerent au
sang de leurs anciens Roys, & que la Catalogne oppressée de mesme
sorte, se mit aussi entre les mains du vostre, qui ne fut pas vn
petit aduantage pour vostre gloire, ny pour vos desseins.

Quoy que ce mal fut assez grand pour estre plaint, & obliger
promptement mes Estats restans dans mon obeyssance, à
demander punition de l’autheur de tant de desordres : Neantmoins
cette extraordinaire affection qu’auoit pour luy son Monarque, fut
le suiet qui obligea mes peuples à se voir arracher ses entrailles, &
les miennes, sans en oser rien dire. Ce coup de malheur toutesfois,
se fit ressentir auec le temps si preiudiciable, & à la Couronne
d’Espagne, & à tous les plus Grands du Royaume, qui s’estoient
volontairement bannis de la Cour, qu’on commença de murmurer
contre l’autheur de nos disgraces, & à plaindre mon infortune.
En vn instant le bon Genie du Royaume, fit naistre dans l’esprit de
plusieurs grands Personnages, le genereux dessein de reuoir l’Escurial,

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& en vrais, & fideles Espagnols, remonstrer au Roy, le malheureux
Estat où l’ambition, & l’auarice du Comte Duc m’auoit
mis auec mes peuples. Ce Prince ne fut pas sourd à leurs iustes remonstrances,
& en leur donnant vne fauorable audiance, il leur
tesmoigna bien assez qu’elles luy estoient agreables. De cette plainte
des grands, n’asquit celle des petits, & de ceux cy à ceux-là : de
façon que le Clergé, la Noblesse, & le Tiers-Estat ne s’espargnerent
point à representer au Roy qu’il arriueroit vne subuersion à la
Monarchie si le Ministre d’Estat qui en auoit le gouuernement n’estoit
osté de cette charge, dont tout le monde le trouuoit indigne.

 

La Iustice aussi bien qu’en vostre Estat, Auguste Princesse, fit des
plaintes si amples & si iustes contre ce Fauory, touchant le retranchement,
& de leur authorité, & de leurs gages, dont il s’attribuoit
la seule vtilité, que le Roy promist d’y apporter du remede. L’on
ne voyoit point apporter de secours à ce mal, quand tout Madrid
émeu & armé, comme n’aguere a fait la premiere Cité de vostre
Empire, commit au Roy des Deputez pour luy demander raison de
l’iniustice qu’on faisoit de ne point remedier à leurs desordres, &
de ne donner point à la vengeance publique l’autheur de toutes ses
miseres.

A cette fois, ce tumulte confus mit le Roy en vne si grande apprehension,
& moy en vne si grande crainte de voir arriuer nostre perte
en recherchant nostre salut, que me monstrant au Prince dans
vne desolation toute entiere, ma peine fut vne augmentation à la
sienne. Comme vn bon Pilote, il fit tout ce que l’art & l’experience
luy auoient appris pour garentir ses Estats & les miens, de naufrage,
& sans plus temporiser, il n’abandonna pas le Duc, qu’il
estoit les delices de son affection, au peuple : mais par vne voïe plus
douce, il creut qu’il n’y auoit point de plus iuste moyen de le chastier,
que de le mettre entre les mains de la Iustice.

Ceux qui ont ordre de la rendre en mes Estats aussi souuerainement
que fait le Parlement au vostre, ne voulans pas faire cet affront
à leur Prince, que de faire passer par les mains d’vn bourreau
ce larron audacieux qui s’estoit enrichy de la ruine des peuples, le
condamnerent à vne prison perpetuelle. Ainsi cette indulgence
loüée par le Roy, luy fit agréer l’Arrest que l’on donna contre son
Fauory, qu’en son ame il croyoit mieux meriter la mort qu’vne captiuité
trop douce pour vn crime si enorme, que de voler impunement
son Roy, & son peuple. Voilà vn exemple de clemence plustost
que de Iustice : car pour tous les maux que ce Tyran auoit
commis contre Dieu, contre son Roy, & contre sa Patrie ; qui doute
qu’il ne meritoit vn chastiment bien plus seuere ? Le Roy eut cette
constance & cette vertu particuliere de ne tesmoigner point de
ressentimẽt de la misere de sõ premier Ministre : & c’est par là aussi,
qu’il tesmoigna tout de bon à ses Subiets, que l’amitié qu’il auoit

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pour le general de ses peuples surpassoit de beaucoup celle qu’il confessoit
auoir euë pour cét homme particulier.

 

Il ne fut pas guere de temps prisonnier, qu’on ne l’accusast d’auoir
conspiré auec le nouueau Roy de Portugal conire ma Couronne, &
contre mon Estat. Il est vray, que de bons & vrais Espagnols, descouurirent
vne trame secrette que l’on auoit ourdie, pour faire tomber
tous mes Estats entre les mains de sa Maiesté Portugaise, par vne reuolte
generale de tous mes peuples : mais l’on n’en a pas sceu si bien
conuaincre le Comte Duc d’Oliuarets, qu’on aye pû le punir de cette
conspiration qui tendoit au parricide : puis qu’on deuoit attenter à la
vie du Prince, & de celle de toute sa famille Royale, furent accusez &
conuaincus, plusieurs personnes de haute qualité, qui expierent par
leur mort l’enorme crime qu’ils auoient voulu commettre.

Quelque particuliere inquisition qu’on peust faire, pour descouurir
si d’Oliuarets n’estoit point chef, ou complice de cette pernicieuse conspiration,
l’on n’en pust iamais auoir d’esclaircissement ; ainsi peut-il
estre coupable ; qu’il a passé pour innocent : mais quelque innocent
pourtant qu’il puisse estre, si beaucoup de personnes m’ont-elles voulu
persuader qu’il estoit criminel. Il n’est que Dieu seul qui puisse sçauoir
au vray la pensée des hommes ; & cependant, pour moy qui parle
à vostre Maiesté, ie croy que s’il n’a esté l’autheur de cét enorme attentat,
qu’il en a pû à tout le moins estre l’vn des complices. Ie le laisse en
sa prison pour acheuer de vous faire la troisiesme representation du
Tableau que ie vous presente, vous sçauez bien que c’est de Mazarin
de qui ie veux vous entretenir.

Non seulement moy, mais toute l’Europe, auons de la peine à croire
que le premier Prince de vostre Sang, veuille fauoriser de sa protection,
contre vostre bien, celuy du Roy, & de l’Estat, vne personne
que tout le monde sçait estre le Perturbateur du repos public,
l’Ennemy, le Destructeur, la Peste, & la ruine de toute vostre
Monarchie. Chacun demeure d’accord, qu’il faut qu’il se soit seruy
de quelque puissante Magie, pour charmer les oreilles, & siller les
yeux de ce grand Prince, afin de l’empescher de voir l’excez de ses voleries,
& d’entendre les plaintes de la misere publique, qui sont montées
au Ciel, & ont attiré la misericorde de Dieu sur eux, & prouoqué
sa Iustice à en faire la punition sur l’autheur de tant de maux.

Quoy que vous soyez vne Princesse clairuoyante, & que vous ayez
assez d’experience de la conduite & des actions de Iules Mazarin : Ie
ne veux pourtant pas laisser de vous dire, ce qu’il a esté, & ce qu’il est ;
& il vous sera fort aisé d’en tirer la consequence certaine, & demonstratiue,
de ce qu’on doit se promettre d’vne personne de sa naissance,
& de son temperament. Son origine n’est pas de ces illustres & de ces
conquerans, qui ont esté autrefois la terreur de tout le monde, cependant
que les Aigles Romains commandoient à tout l’Vniuers. Sa Noblesse
n’est pas plus ancienne que les honneurs qu’il a receus en vostre

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Royaume, sans les auoir meritez. Quoy qu’il prenne les haches auec
le faisseau de verges pour ses armes, il ne faut pas que vous croyez que
ce soient celles qui seruoient de marques d’authorité à ces anciens
Senateurs de cette florissante Republique de Rome : mais bien les haches
dont son ayeul fendoit du bois, & les houssines dont son pere
foüettoit les cheuaux. On sçait que son ayeul estoit vn pauure Chappellier,
Sicilien de nation, qui eust la fortune si peu fauorable, qu’il fut
contraint de faire banqueroute, & de quitter son pays. Son pere estant
ieune, & dans cette indigence, commença à estre palfrenier, & peu
apres s’auançant, deuint Pouruoyeur, & Maistre d’Hostel de la maison
d’vne personne de condition, où faisant valoir auec industrie, les
petits profits, qu’on appelle en France les tours du baston ; il eut enfin
dequoy payer en partie le Maistre des Postes de Rome à Naples ; sa
fortune estant encore si foible, que deux enfans qu’il auoit, il fut contraint
d’en faire vn Iacobin, afin de soulager sa famille.

 

Cependant cét autre fils, qu’on appelloit Iules, qui est le mesme
qui a l’administration de vostre Estat, grande Reyne, estant encore
ieune, seruoit de laquais, ou d’estafier, dans les plus honteuses, & salles
voluptez que le diable ait pû inuenter pour perdre les hommes, par
la corruption & concupiscence de la chair. Tout Rome sçait ce qu’il
estoit, & le rang qu’il tenoit pour lors dãs les maisons des Cardinaux
Sachetti & Antonio. Chacun sçait aussi que son esprit formé sous l’Astre
de Mercure, & né au larcin, & à la fourberie, ne s’employoit qu’à
l’estude de son inclination. Il fit vn voyage à Venise, & à Naples, pour
apprendre les piperies qu’on pratique dans les ieux de hazard, dont il
deuint maistre si parfait en peu de temps, qu’on luy donna par excellence
le nom de pipeur. Vostre Royaume sçait cette verité, Madame,
& plusieurs en ont fait l’experience à leur tres-grand preiudice, &
de toute leur famille, de ce qu’il sçait faire en cét exercice. Du depuis
s’estant installé, par des voyes aussi honteuses que criminelles, en des
charges plus eminentes, il luy prist fantaisie de se faire instruire par
vne Megere, en l’art de posseder les esprits ; ainsi deuenu grand maistre
en Negromancie, il s’aquit vn bonnet dont vous sçauez qu’il s’est
rendu tres-indigne. Apres cela, de quelle sorte ne s’est-il pas conduit
aux affaires de vostre Monarchie ? toute la terre habitable est instruite
de ses filouteries, de ses peculats, & des trahisons qu’il a voulu exercer,
& contre l’Estat, & contre son Prince legitime. Ainsi puis que ces
sangsuës ne s’instalẽt aupres de nos Roys que pour les tenir dans la diuision,
afin d’assouuir leur prodigieuse auidité, & de s’enrichir pareillement
de nos dépoüilles ; trauaillons à leur perte, & faisons si bien,
que les siecles à venir ne s’entretiennent iamais que de nostre generosité,
& de leur insigne perfidie.

FIN.

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Anonyme [1649], LE TABLEAV DES TYRANS FAVORIS, ET LA DESCRIPTION des maluersations qu’ils commettent dans les Estats qu’ils gouuernent. ENVOYÉ PAR L’ESPAGNE A LA FRANCE. , françaisRéférence RIM : M0_3746. Cote locale : A_7_54.