Anonyme [1649], LE THEOLOGIEN D’ESTAT, A LA REYNE. POVR FAIRE DESBOVCHER PARIS. , français, latinRéférence RIM : M0_3770. Cote locale : C_10_29.
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A LA REYNE.

MADAME,

Ayant appris du Docteur des Roys & des Nations,
que les iustes choleres de Dieu s’allument sur les testes
de ceux, qui par vne grande injustice retiennent la verité
prisonniere, & ioignant à cela l’honneur que i’ay
de vostre bien-veillance, & de l’acces à vostre Royale personne, en
qualité d’ancien Officier tres-zelé pour la grandeur & le bon-heur de
vostre Regence, i’estimerois mon silence criminel, fi ie ne le rompois
par ceste Lettre.

C’est pour vous dire, MADAME, que tous les gens de bien
sont saisis d’vn profond estonnement, voyant Paris inuesty par les Armes,
qui sont commandées sous le nom du Roy, & authorisées par
l’aueu de vostre Maiesté.

Cette bonne Ville ne se pouuant encore iuger coupable, par la conscience
qu’elle a de ses respects enuers vostre Maiesté, s’estime toutesfois
la plus mal-heureuse du mõde par le sentimẽt de sa disgrace. C’est
elle, MADAME, qui vous a tousiours honoré par dessus toutes les
Reynes de cette Monarchie, auec des tendresses qui ne se peuuent exprimer.
Elle qui a pris la plus grande part à vos maux, aux iours de
vostre silence, parmy ces ombres malignes qui couuroient les rayons
de vostre authorité. Elle qui a compté le iour qui vous a fait Mere, au
premier rang de ses felicitez. Elle qui vous a porté sur ses espaules au
Throsne de la Regence, auec des applaudissement qui ont réjoüi le
Ciel & la terre. Et maintenant cette Reyne des Villes, arrouse ses
ioyes de ses larmes, & traisne ses atours en la poussiere, pour vous
voir irritée contre elle ; & ne pouuant encore penetrer toutes les causes
de ses douleurs, elle plaint la main qui les fait.

Dieu destourne de nos cœurs cette pensée, que ce que nous souffrons
soit vn effet de la vengeance de vostre Maiesté. Comment nous pourrions
nous persuader, qu’vne ame que nous auons estimée iusques icy
toute celeste, prist des desseins si bas & si terrestres ? Comment pourrions
nous conceuoir des intentions de meurtres & de sang, dans vn
cœur qui sent tant de fois le sang de IESVS-CHRIST couler parmy ses
veines ? Les Throsnes, dit S. Denys, sont sans passion, & les boüillons
de la cholere ne peuuent compatir auec les feux qui sont allumez par le
soufle du sainct Esprit. Vostre Maiesté est trop apprise pour ne

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sçauoir. pas l’Escriture, qui dit, Que qui cherche la vengeance de l’homme,
trouuera celle de Dieu. Elle a trop de connoissance, pour ignorer que
la vengeance d’vn seul homme a cousté cher à plusieurs grands, &
que celle qui se porte sur tant de milliers de sujets, est extrémement
dangereuse. Si vn Roy n’y a du succez, il offense sa Couronne ; & s’il
y reussit, il déchire ses entrailles. Il arriue rarement que les appetits de
se venger succedent comme on les a projettez : Il y a vne main du Ciel
qui les arreste, & qui nous apprend, que lors qu’on delibere de la
fortune d’autruy, il faut appeller la sienne au conseil.

 

Qui vindicari
vult, à
2 Dom
inueniet.
vindictã
Eccli.
3 I.

Mais peut estre que vostre Majesté croit, que ce qu’elle fait est vne
œuure de iustice, qui ne tend point à d’autre but, que de maintenir
l’authorité Royale. Si c’est vne iustice qui vient de Dieu, pourquoy
l’estendez vous au delà des Arrests de Dieu ? Il a voulu pardonner à
vne grosse Ville pour dix hommes iustes. Et vous en voulez perdre
vne cent fois plus grande & plus illustre, pour quatre ou cinq hommes
que vous estimez iniustes. Il n’appartient qu’à Dieu d’estendre les
peines des coupables, mesme sur la posterité. Mais les Rois, quoy qu’ils
puissent priuer vne communauté entiere de leurs faueurs, pour le peché
d’vn particulier : ne peuuent toutesfois selon les Loix de la conscience,
liurer aux tourmens & à la mort des ames innocentes, en vengeance
de quelques criminels. Sainct Thomas dit expressément, qu’il
n’y a aucune raison ny de Religion ny d’Estat, de tuër vn homme non
coupable, sans offenser Dieu mortellement. Et quoy que cela s’excuse
auec peine en vne Guerre iuste ou il se fait indirectement, il ne se
peut pas toutesfois excuser en cette action, qui procede par voye de
chastiment, & non de Guerre legitime.

S. Thom 2. 2. q.
64. ar 6
In nullo
casu licet
occidere
innocentem.

Les Fauoris vsurpateurs font tout entreprendre aux Princes sous
couleur de la conseruation de leur Estat. Comme si cét Estat estoit vne
Diuinité independente de l’Euangile. Mais qui ne voit, que par ce
moyen on iustifieroit tous les crimes, & qu’il y auroit lieu d’excuser
Herode, apres auoir passé l’espée par le corps de quatorze mille innocens,
pour en tuër vn seul, en disant qu’il s’y sentoit obligé pour le bien
de son Estat. Mais qu’est-ce que l’Estat d’vn Roy, sinon son peuple,
qu’il conserue auec vne soigneuse espargne, pour se conseruer ?

Il est tres dommageable, de faire perir vne grosse Ville & vn grand
peuple, selon la cõscience, & selon l’Estat. Ie dis selon la cõscience, parce
que c’est entreprendre sur les pouuoirs de Dieu, qui est ialoux de sa
gloire, & qui sçait la mesure de ses vengeances. C’est vn coup qui n’est
propre qu’à la toute puissante main de Dieu, d’exterminer des Villes,
& des Natiõs entieres, & de punir vniuersellemẽt, parce qu’il est l’estre
vniuersel de toutes choses, & que selon que dit le Sage, quand il auroit
abysmé le monde, on n’auroit rien à luy reprocher : Et quoy que par sa
puissãce absoluë, il pourroit, sãs autre cause, perdre par le feu, par l’eau,
& par le fer, tous les habitans de la terre ; il n’a iamais toutesfois ruiné

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des Villes entierement, sans de grands & enormes pechez, dont elles
estoient couuertes. Il fit pleuuoir le feu & le souffre sur Sodome & Gomorrhe,
auec les villes qui leur estoient complices ; mais ce fut pour
chastier des vices abominables qui font horreur à la Nature. Il cõmanda
à son peuple de perdre sans ressource les Iebuzeens, les Phereseens,
les Amalechites : mais c’estoient des adorateurs du Diable, & des mangeurs
de chair humaine. Il se trouue aussi en l’Euangile la Parabole
d’vn Roy qui fait brusler vne ville ; mais c’est pour auoir tué ses Ambassadeurs
d’vn commun consentement. Iamais Dieu tout absolu qu’il
est, n’entreprend ces grandes ruines sans de grands suiets. I’appelle icy
vostre Iustice, MADAME, i’appelle vostre Prudence & vostre consideration :
Paris estoit-il entaché de crimes si abominables, qu’il le falust
esteindre par le fer & par la faim ? Il s’agissoit de mettre sur le peuple
des charges & des imposts insupportables à sa foiblesse ; le Parlemẽt s’est
assemblé là dessus ; les autres Cours Souueraines ont embrassé le mesme
dessein, selon les Loix & selon les formes ordinaires, quoy que vostre
Conseil n’en fust pas d’auis. Plusieurs ont dit leurs suffrages auec
la liberté que la conscience commande, & que l’Estat du Gouuernement
de France permet : mais peut-estre auec plus de chaleur que vostre
Conseil n’en desiroit : Et pour cela on a soüillé la réjoüissance publique
d’vn iour consacré aux Triomphes par des emprisonnemens de
Magistrats, qui estoient estimez gens de bonne vie & d’entiere reputation.
Le peuple s’en est émeu, & le Bourgeois craignant la sedition & le
saccagement des maisons, s’est mis en armes, plustost pour vous defendre
que pour vous resister. Et pour monstrer qu’il n’en vouloit point à
vostre authorité, il vous a rendu ses obeissances desarmées, aussi-tost
que V. M. luy a rendu la Iustice. Toutes les furies de cette grosse mer,
qui sembloient vouloir engloutir vn monde, se sont arrestées à vn grain
de sable. Vous auez vous-mesme, MADAME, loüé & approuué cette
moderation & cette fidelité. Vous auez agreé qu’on publiast iusques
dans les Chaires de verité, qu’il ne vous restoit aucun ressentiment contre
Paris de tout ce qui s’estoit passé. Vous auez protesté publiquement
vne cordiale bien-veillance enuers vostre bonne Ville, auec des complimens
releuez, & des paroles dignes de la bouche d’vne Reine. Apres cela,
MADAME, enleuer le Roy de nuit, auec l’estonnement de tout
le monde, engager les Princes du Sang à vne action funeste, inuestir Paris,
luy prononcer vn triste Arrest de mort par le fer & par la famine, n’auoir
point d’esgard à tant de gens d’honneur & de merite qui vous ont
si dignement serui, à tant de personnes innocentes, à tant d’ames Religieuses
qui s’affligent, & qui se sanctifient pour vous iour & nuit : vouloir
que tout perisse plustost, que de laisser perir la satisfaction d’vn desir.
Qui pourroit accorder cela auec la Religion, la pieté & la conscience ?
Et qui ne void que ces pensées ne conuiennent point à vostre naturel,
mais qu’elles sont inspirées par les mauuais genies de la France ?

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C’est vouloir faire plus que Dieu, que de perdre des Villes entieres pour
vne opinion d’authorité, qu’il n’a iamais perduẽs que pour des crimes
execrables. Quand il vient pour chastier Niniue plongée dans de tres-
grands pechez, il s’arreste & pardonne, parce que, dit il, il y a des enfans,
& des simples gens, qui ne sçauent discerner entre la main droite
& la main gauche, outre quantité d’animaux qui n’ont rien demerité.
Dieu pardonne en consideration mesme des bestes : & vous ne voudriez
pas pardonner pour l’innocence, pour la vertu, pour tout ce
qu’il y a de sacré & de diuin ? Mais on dira, que vous n’en voulez point
au peuple de Paris, qu’il vous liure le Parlement, & vous voila contente.
C’est vne question agitée par les Theologiens Scholastiques, qui demandent
si on peut liurer vn seul homme innocent à la mort, pour appaiser
les choleres d’vn Grand, qui veut qu’on luy liure, autrement qui
menace de saccager toute la ville. Tous respondent qu’il n’est pas permis
de luy liurer, parce qu’on ne peut authoriser vn peché par le succez
d’vn bien temporel. Le Peuple de Paris croit que ses Magistrats
sont innocens ; qu’ils ont souffert pour vne bonne cause, pour la verité
& pour la iustice : S’il les croyoit ennemis de l’authorité du Roy, il les
mettroit en pieces. Mais ayant de tous autres sentimens de leur vertu
& de leur fidelité, il ne peut, ny ne doit les abandonner à la discretion
d’vn Ministre estranger. C’est vn Peuple trop illustre & trop conscientieux,
pour se faire le bourreau de gens de cette qualité, & de toutes autre
que ce soit.

 

Sap. 12.
12.

Matth. 22.

Ions cap.
vlt.

Gregor. à
Valentia
in 2. 2. q.
de homici
dio, dicit
omnes ita
sentire.

Si la consideration de la Religion resiste au dessein de V. M. les raisons
d’Estat n’y sont pas moins contraires. Le plus sage des Politiques, Auguste
Cesar, disoit que ce n’estoit pas le fait d’vn habile homme en matiere
de Gouuernement, d’entreprendre vne affaire où il y a plus à perdre
qu’à gaigner. En celuy-cy, MADAME, vous perdrez beaucoup,
& vous ne gaignez rien. Vous perdez Paris, qui est vn demy Royaume
de France, comme si vous couppiez vostre Couronne par la moitié.
C’est la Reyne des Villes, le Throsne des Roys, le plus haut lustre de
l’Estat, qui fait la terreur de vos Ennemis, la gloire de vos Suiets, & l’admiration
de tout le Monde. C’est le seiour de la plus haute pieté, la
Mere des Sciences & des Arts, le lieu des grandes affaires, la Depositaire
des Trophées & des Couronnes. C’est de là que vient le secours
des armes le plus present, l’argent le plus net & le plus prest, que les
Parisiens ont tousiours payé auec vne diligence qui n’a rien de pareil
que leur fidelité.

En outre, ruinant Paris, vous touchez à la Clef de la voute : vous
esbranlez toutes les villes qui ont leurs alliances, leurs commerces,
leurs correspondances dans Paris. Il n’y a presque personne en France,
qui ne s’estime comme Bourgeois de Paris, & qui ne prenne part
à sa prosperité, & qui ne s’afflige de sa perte. Quelque succez que
V. M. puisse auoir de cette entreprise, il faut perdre l’argent & le
sang de vos Suiets. Et vous auez desia perdu à la prise d’vn Village

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des Illustres, qui ne meritoient de mourir que sur les rempars de Constantinople.

 

Adioustez, MADAME, que les Villes reuoltées feront tarir toutes
les veines de vos Finances, qui ayant esté employées pour le mal, ne
vous laisseront pas la liberté de faire le bien quand vous le voudrez. Ie dis
plus, que par ce moyen vous auez monstré au Peuple ses forces, qu’il deuoit
ignorer, de peur que ce qui s’est fait en vne bonne cause, ne se face
vne autre fois en vne mauuaise. Et ce qui passe encore tout ce qu’on sçauroit
dire, c’est que ce malheureux dessein releue les Ennemis abbatus, &
ruine les conquestes du feu Roy vostre tres-honoré Espoux, qui ont
cousté tant d’or & de sang, qu’il suffisoit pour acheter plusieurs
grands Royaumes. En perdant tout cecy, vous ne gagnez rien : car cette
authorité, que vous pretendez maintenir par cette rigueur, n’estoit
point blessée. On sçait bien que les Regens & Regentes des Royaumes
ne sont pas les Originaux de l’authorité, mais les Depositaires : & que
s’ils veulent entreprendre par delà les anciens ordres du Royaume, on
leur peut opposer la Loy sans les offenser. Si V. M. eust pris cette opposition
ciuilement, elle n’estoit nullement interessée. Mais les Grands ont
des delicatesses de gloire, qui ne leur permettent pas tousiours de voir la
verité. Vostre Maiesté a mis maintenant l’affaire à ce poinct, que si la resistance
emporte sur elle, son authorité s’abbat ; & si vous surmontez autrement
que par la clemence, vous la rendez rude & malfaisante, & telle
qu’elle n’est plus à l’vsage de cette Monarchie. Nos Rois mesmes, tout
maieurs & tout absolus qu’ils ont pû estre, n’ont iamais creu que leurs seules
volontez fussent la regle de toutes les Loix Ils ont estimé, que leur
grandeur estoit de gouuerner le Royaume selon les Ordonnances anciennes
de l’Estat de France, de faire approuuer leurs Edits par les Cours
Souueraines, de demander conseil, d’escouter les remonstrances, & de
ne se point piquer des oppositions respectueuses qu’on leur a faites de tout
temps pour le bien de la Iustice, & la grandeur de leur Estat. Ce Ministre
si absolu, qui estoit Eccentrique presque en toutes actions, a tiré cette
Monarchie de son centre, & l’a extremement disloquée : Les exemples
doiuent donner plus d’horreur, que d’enuie de les imiter. A moins qu’on
disputast la Couronne du Roy vostre fils, V. M. ne sembloit pas deuoir
employer cette rigueur contre des Suiets si doux & si dociles, qui ont
des passions immortelles pour le Roy vostre fils, leur Dieu-donné,
qu’ils aiment & honorent iusques à la veneration, & soustiendront iusques
à la derniere goutte de leur sang. Apres cela, MADAME, voudriez-vous
continuer ces tristes resolutions, de faire vn anatheme de cette
Ville, & de l’abysmer sans ressource ? Si vostre Conseil s’imagine, que
c’est vne iustice de ruiner Paris : Vostre Royaume croit que c’est vne plus
grande iustice de le conseruer pour le Roy vostre Fils. Si vostre Conseil
iuge qu’il le faut faire perir de faim : La Loy de nature qui est plus ancienne
que les Sceptres, dicte à vostre peuple qu’il doit faire le possible pour

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se garantir du plus triste des fleaux. S’il a pris les armes, c’est pour vous
conseruer vne Ville remplie de bons Sujets, & empescher qu’elle ne deuienne
vn tombeau de corps morts. Il ne seroit plus ce qu’il est, s’il n’estoitarmé.
Il se garde pour le Roy & pour vous, croyant que sa perte est
preiudiciable à l’Estat, & à vostre reputation.

 

Ce que les dehors de Paris ont souffert, monstre assez ce qu’on a voulu
faire au dedans. On a fait vn degast de biens infinis, horrible & espouuentable,
tel que les plus rigoureux ennemis l’eussent pû faire, & tel que
les peuples les plus abandonnez le pouuoient souffrir. Qu’ont fait ces pauures
gens, sinon prier pour vous ? sinon trauailler nuit & iour, pour vous
preparer les tributs qui vous nourrissent ? Et pour vous auoir aimé plus
qu’eux-mesmes, ils sont reduits à brouter l’herbe. Qu’ont fait tant de
millions d’ames innocentes qui sont dans Paris, pour les immoler au plus
cruel des supplices, & leur oster le pain qu’ils vous ont incessamment
donné ? Helas ! MADAME, escoutez vostre propre bonté qui vous
parle au cœur, & voyez dans quelles horreurs vous enueloppez, sans y
penser, cette vertu qui nous paroissoit hors la Regence, & quels commandemens
vous donnez au nom du Roy, que l’on contraint de toucher au
sang de ses Suiets, & de rougir les Fleurs-de-Lys en vn aage, auquel il les
doit blanchir par son innocence. Les perles de vostre Couronne en ternissent
sur vostre teste : Et se pourroit-il faire que vostre cœur n’en fust pas
encore touché ? Ne craignez-vous pas, MADAME, ce compte espouuentable,
qui vous rendra redeuable au Tribunal de Dieu ? Ne craignez-vous
point, que les larmes des infortunez, qui montent au Ciel, n’affilent l’espée
de la Iustice diuine, pour la tourner contre vostre Royale Personne,
que nous honorons & aimons tendrement iusques dans nos disgraces.

MADAME, ie voudrois icy espargner vos oreilles, & vostre cœur. Mais
la fidelité que i’ay voüée à V. M. pour la seureté de sa conscience, & l’honneur
de sa conduite dans l’Estat, m’en empesche Apres tant de seruices,
permettez-moy vne seule liberté : Les Conseils qui plaisent le moins, sont
souuent les plus vtiles. V. M. sçait assez de la voix publique, qui dit qu’vn
seul homme est le principe de tous ces grands maux, qui menacent la
France d’vne entiere dissipation. Ie ne veux point tremper icy ma plume
dans le fiel, pour le dépeindre auec des aigreurs dont i’auray tousiours
horreur. Ie veux qu’il soit innocent, ie veux qu’il soit excellent homme ; ie
veux, si vous le croyez ainsi, qu’il soit vn parfait Ministre d’Estat : Mais
si la creance de tant de millions d’hommes qui sont dans vostre Royaume,
repugne à cette pensée, & si nous auons vne visible euidence, que toutes
ces horribles conuulsions qui agitent la France, ne nous viennent d’autre
source, que pour opiniastrer sa conseruation dans le Royaume, &
dans le maniement des affaires : Et outre, s’il porte scandale actif & passif
dans vne infinité d’esprits, qui n’ont ny foiblesse, ny ignorance, ny
malice ; & si ce scandale estant de cette nature, ne peut estre toleré selon
tous les Theologiens, sans peché grief : Certes, MADAME, il est

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raisonnable que nous ayons cette obligatiõ ou à vostre justice, ou à vostre
bonté, de l’oster pour donner la Paix vniuerselle à toute cette grande
Monarchie. I’adjouste encore, que quand il seroit aussi pur qu’vne Vertu
celeste, vostre prudence s’en deuroit priuer pour le bien public. Y auoit-il
homme au monde plus accomply, & plus agreable que Dauid ? Le Roy
de Geth, chez lequel il viuoit comme estranger, l’aymoit passionnément,
& luy donnoit part aux affaires de son Estat ; Neantmoins comme
il vid que les Grands de son Royaume s’en offençoient, il l’appella, &
luy dit ; Tu es bon comme l’Ange de Dieu. Mais puis que tu ne plais pas
aux Chefs de mes suiets, va-t’en en paix, & retourne en ton pays. C’est
vne leçon, MADAME, de la saincte Escriture, c’est vne sagesse d’Estat,
c’est aussi vne loy de cette Monarchie, qui veut que la Minorité des Roys
soit assistée d’vn Conseil esleu par le consentement du Royaume.

 

Matth. 18.
S. Thom.
Nauarrus
de Scandalo.

Bonus es in
oculis mers
sicut Angelus
Dei, led
satrapis non
places. Reuertere ergo,
& vade
in pace.
I. Reg. 29.
Duplex en
la vie de
Charles
VIII.

Apres cela, MADAME, s’il vous plaist d’escouter, non mes propres
pensées, mais le raisonnement de toute la France. Vous deuez cette separation
à Dieu, qui nous commande d’arracher nos propres yeux s’ils
nous scandalisent. Vous la deuez au Roy vostre fils, de qui vous ne pouuez
hazarder la Couronne, pour l’interest d’vne complaisance. Vous la
deuez à vostre Peuple, pour qui vous estes obligée d’immoler mesme
vostre vie en cas de necessité. Vous la deuez à la raison, qui dit qu’il faut
preferer le bien general au particulier. Vous la deuez à vostre conscience,
qui vous defend de perdre vn Royaume pour conseruer vne opinion.
Vous la deuez à la Chrestienté, qui attend de profiter de vos exemples. Ne
dites point, qu’il est permis aux particuliers, de retenir tel seruiteur qu’il
leur plaist. La fortune des Roys a des mesures bien plus estroites. Et celuy
qui a le plus de puissance, doit auoir moins de liberté, à raison des consequences
qui embrassent le salut d’vne infinité de testes.

Enfin, MADAME, c’est ce que M. le Cardinal Mazarin vous conseillera,
s’il est bien affectionné au bien de vostre personne & de vostre
estat Ce n’est point engager vostre authorité, que de condescendre à vos
Sujets. C’est ce que Dauid a fait apres vne horrible reuolte. Ce que Constantin
& Theodose ont fait, apres qu’on eut traisné leurs statuës dans
la bouë. Ceux qui ont fait le contraire, ont esté estimez de peu de iugement
& de petit cœur, comme le Roy Roboam, qui perdit dix parts de
son Royaume, pour s’opiniastrer à vn mauuais conseil, qui estoit à la
charge de ses Peuples. En condescendant vous ferez ce que le Ciel fait
tous les iours à la terre, & Dieu à l’homme. Vous serez la Maistresse du
genre humain par vertu, & vos exemples seront les instructions de tout
ce qu’il y a de plus pur dans nostre Christianisme.

Vostre Maiesté a pû apprendre de l’Histoire ancienne, que cette illustre
Princesse Berenice, qui estoit née du sang dont le Sauueur a pris naissance,
gaigna par ses rares qualitez le cœur de Tite Vespasian, (le plus aymable
Empereur, & le premier Conquerant de la terre,) qu’elle aymoit
extrémement, estant reciproquement honorée de son amitié, iusqu’à vne

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recherche de mariage. Mais comme elle vit que le Senat & le peuple
Romain n’aggréoient pas cette alliance, à raison qu’elle estoit estrangere,
elle quitta ce grand Prince par vertu, qui la congedioit à regret ;
l’vn sacrifiant son affection, & l’autre sa fortune aux interests de l’Estat.
Cette victoire qu’elle emporta sur elle-mesme, pour la paix d’vn Empire
estranger, a passé à la veneration de tous les siecles. Et nous esperons
aussi de vostre prudence, que vous ferez pour vn Royaume qui est
si vostre, ce qu’elle a fait pour celuy-là mesme qui luy estoit si ennemy,
& que par ce moyen vous rehausserez vostre Couronne d’vn lustre incomparable.

 

Sucton. in
Tito. cap 7.

Personne, MADAME, ne pretend faire en sorte que la necessité vous
arrache, ce que la vertu vous demande. On sçait que vous estes puissante.
Mais on ne peut pas oublier, que vous auez esté tousiours bonne
iusques icy. On desire oster vn obstacle à vostre vertu. Mais au reste, on
vous cherit encore icy, on se passionne pour vostre grandeur. Et ceux-là
mesmes qu’on vous a fait si noirs, voudroient vous auoir fait vn degré
de leurs propres corps pour remonter sur le Thrône de Paris, en y
gardant la iustice que vous deuez à vos Sujets. Qu’a fait Paris, MADAME,
(si vous voulez ouïr ce qui se dit) qu’a fait Paris ? qu’ont
fait vos Magistrats ? sinon de vous representer les Loix & les Ordonnances
du Royaume, à quoy ils sont obligez en conscience, s’ils ne veulent
estre condamnez de trahison ? Qu’ont-ils fait, sinon de defendre les
droicts du Roy vostre fils ? sinon de retenir l’Estat lors qu’il estoit sur le
panchant de sa ruine ? sinon d’appaiser la sedition, & empescher la ville
de perir ? Qu’a fait Paris armé, sinon de s’opposer à la plus triste des furies,
qui est la faim ? d’empescher les massacres ? de vous conseruer les
restes d’vn Royaume tant de fois deuoré ? Il vous poursuit encore par
ses soumissions, lors que vous le fuyez. Il vous ouure ses portes, & son
cœur, en luy r’amenant ce sacré Depost que vous luy auez enleué. Et vous
le tourmentez, & vous en voulez faire vn exemple d’horreur, & vn spectacle
d’vne Tragedie deplorable à tous les siecles ! C’est ce que nous ne
pouuons nous persuader. Car apres cela, quelles mains auriez-vous, pour
leuer aux Autels ? quel cœur, pour receuoir les Sacremens ? & qui vous
pourroit absoudre dans le dessein que vous auriez de perdre tant d’ames
rachetées du Sang de IESVS-CHRIST ?

Helas ! MADAME, c’est desia trop. Nous voyons vn million d’ames
affligées pour le contentement d’vn seul. Nous voyons le fer & la faim
en vostre Ville capitale, où vous auez tousiours desiré la Paix & l’abondance.
Nous voyons les mains des freres rougies du sang fraternel, vos
Sujets exposez au fer des Barbares, les enuirons de Paris saccagez, les
femmes violées, les maisons bruslées, les Eglises profanées, les Religieuses
qui fuyent comme des Colombes espouuantées, non plus deuant
Attila, mais deuant vos Estendarts, & deuant vos armes. On ne peut
croire que vostre bonté preside à des Conseils si funestes. Nous sentons

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& touchons nos playes, & nous ne pouuons encore nous imaginer
qu’elles viennent de vos traits, & qu’elles partent de vostre main. Vostre
Majesté sçait, que le Prophete Roy estant extrémement alteré, ne voulut
pas boire vn verre d’eau qui auoit esté gaigné sur les ennemis, par
le danger & le sang de trois de ses seruiteurs, qui s’estoient exposez pour
l’enleuer. Et qui oseroit penser que V. M. voulust achepter la satisfaction
d’vne de ses volontez, quand elle seroit la plus iuste du monde,
par les calamitez d’vn million d’hommes, & la desolation de tout
vostre Royaume ?

 

2. Reg.
23. 35.

Il est aisé à iuger, que V. M. ayant l’ame si bonne & si Chrestienne,
n’a point de mauuaises intentions : mais que se croyant Depositaire de
l’authorité Royale, qu’elle pense estre blessée, elle a droict de la maintenir
par des exemples d’vne haute seuerité. I’atteste icy le Dieu des
Monarques, que c’est vne illusion d’Estat, de se figurer que l’authorité
du Roy consiste en la rigueur du Gouuernement, & en l’abaissement
des Peuples. C’est le chemin que les violens Fauoris ont pris de tout
temps, pour regner iusques sur leurs Maistres, sous pretexte de seruice.
Ils ont tellement fait valoir cette authorité Royale qu’ils auoient entre
les mains, qu’à force de l’esleuer ils l’ont destruite. Ils ont tout
attribué aux Roys, ils n’ont songé qu’à la teste du corps de l’Estat, &
l’ont enfin renduë si grosse & si monstrueuse, que les pieds ne l’ont pû
supporter : & que fondant sous le poids d’vne grandeur démesurée, ils
l’ont enseuelie dans leur ruïne. On ne voit rien de si ordinaire dans
les Histoires que des Couronnes cassées, & des Sceptres brisez, pour
auoir indignement traicté les Peuples. Ce n’est point vne authorité
Royale que d’aller par tout enuironné de terreurs, que de faire gemir
des Peuples innocens sous le ioug d’vne amere seruitude, que de marcher
sur les ruïnes des Villes fumantes, que de dresser des gibets, que
d’ensanglanter des eschaffauts, & allumer des brasiers, comme ont fait
les Herodes & les Nerons. L’authorité Royale est vn rayon de la face
de Dieu, vne haute estime, vne veneration tres-grande, imprimée dans
le cœur des Peuples, qui vient de la vertu, de la saincte puissance & de
la capacité des Roys : mais sur tout de la bonté & de la clemence, qui
fait que leur Thrône est soustenu par les mains de l’amour des Peuples
enuers eux, plus que par les Armes, par les Regimens & par les Citadelles.
C’est cette vertu, MADAME, que nous auons tousiours reconnuë
en V. M. & dont vous auez ietté les semences dans le cœur de
nostre ieune Roy, pour les faire esclorre sur le Thrône.

A Dieu ne plaise que vous gastiez les ouurages de vos mains sur la
fin, & que cette Regence qui a eu tant de benedictions du Ciel, & tant
d’admiration sur la terre, se termine par des exemples d’horreur, & par
des chastimens sur des Magistrats & sur vn Peuple, qui n’ont iamais à
dessein choqué l’authorité du Roy, ny la vostre, & qui la respectent encore
auec toutes les soumissions possibles. Si quelques fautes de precipitation

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sont eschapées, ne seroit-il pas bien seant à vostre dignité, à
vostre sexe, & aux bienfaits que vous auez receus de Dieu, de les effacer
plustost par misericorde, que les punir par iustice ? MADAME, le Dieu
que vous adorez & que vous deuez representer sur le Thrône, est misericordieux
iusques aux enfers : Et vous voulez chastier sur la terre des
pechez, ou de surprise ou de saillie, qui sont (comme il est croyable) pardonnez
dans le Ciel. Ne craignez point que la clemence rende vostre
Sceptre plus foible. Mais craignez plustost que la rigueur ne le rompe.

 

A Dieu ne plaise que la passion d’vn cœur irrité, vous fasse exposer le
patrimoine de Charlemagne & de S. Louys, hazarder l’œuure de douze
siecles, & de soixante & quatre Roys, au mespris des Peuples, qui en verroient
les foiblesses, & au pillage des estrangers, qui en enuient la dépoüille.
A Dieu ne plaise que vous leuiez les sacrées barrieres qui maintiennent
les Estats, faisant tenir presque pour perdu, tout ce qu’on a
monstré se pouuoir perdre.

Prenez pitié de vous mesme, MADAME, si vous n’auez point compassion
de nous ; prenez pitié du Roy vostre fils ce Dieu donné, à qui
vous deuez plustost laisser l’amour des Peuples en partage, que la vengeance
des iniures d’vn Estranger. Ce n’est point vn petit nombre de factieux
qui causent ces remuemens, comme on pense faire croire à Vostre
Majesté. Les Princes & les Grands ont leué l’estendart, les Parlemens
sont declarez pour le bien public ; les Prouinces sousleuées, & les Villes
armées, les Peuples irritez contre le Gouuernement. Ce n’est point la
main d’vn homme qui fait ces grandes operations, c’est celle de Dieu, qui
vient pour punir nos pechez. Tout vostre Royaume est en feu, & vous
feignez de distiller vne goutte de rosée pour l’esteindre.

Sortez, MADAME, de ces confusions d’esprit. R’allumez ces flâmes
eclipsées de vostre charité, que nous auons tant de fois admirée en
V. M. Faites remonter les vertus sur le Thrône auec vous, & reprenez vn
cœur de Mere enuers vos Peuples affligez. Il y a long-temps que Dieu
vous poursuit, & tend à vostre obeyssance les mesmes bras qu’il a estendu
sur la Croix. Ne le mesprisez point, MADAME, & vous souuenez tous
les iours de ce iour redoutable, qui vous fera paroistre deuãt son Thrône,
despoüillée de tous les ornemens de cette fresle gloire qui vous enuironne :
où n’ayant plus que le bien & le mal que vous aurez fait à vos costez ;
faites ce que vous voudriez auoir fait pour lors, & iugez vos Peuples,
comme vous desirez estre iugée de Dieu. Faites vostre merite de l’occasion
presente, pour en faire nos felicitez, & Dieu en fera vostre gloire.

FIN.

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Anonyme [1649], LE THEOLOGIEN D’ESTAT, A LA REYNE. POVR FAIRE DESBOVCHER PARIS. , français, latinRéférence RIM : M0_3770. Cote locale : C_10_29.