Anonyme [1649], LE TOMBEAV DE LA MEDISANCE. , françaisRéférence RIM : M0_3780. Cote locale : A_7_59.
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LE TOMBEAV DE LA MEDISANCE.

Ceux-là ne se sont pas abusez qui ont dit que l’amour
estoit le pere de toutes les passions, ou plustot qu’il
n’y auoit d’autre passion que luy. En effet, nous ne desirons
que ce que nous aimons, & nous ne fuyons que ce qui nous
eloigne de ce que nous aimons, nous n’esperons que ce
que nous aimons, & nous ne craignons que de ne pas posseder
ou de perdre ce que nous aymons : & ce qui est bien
estrange, & qui semble tenir de la contradiction, la haine
mesme est fille de l’amour, puisque nous ne hayssons que
ce qui s’oppose à nostre amour. C’est donc l’amour qui est
le principe de toutes nos actions, c’est luy qui fait les vertueux,
& les sçauans, & les conquerans, & c’est luy mesme
qui fait le reste des honnestes gens qui ne s’appliquent
pas aux hautes entreprises, mais qui reüssissent dans les mediocres
emplois de la societé humaine.

Entre tous les amours il n’y en a point de si fort que l’amour
propre, parce qu’il n’y a rien que nous aimions tant
que nous mesme naturellement. La raison en est belle,
dautant que nous ne sçaurions aimer rien naturellement
que pour l’amour de nous. Cét amour propre, est la soutce
de toutes nos conuoitises dereglées, & toute la Philosophie
des sains ne nous presche autre chose que la renonciation
à nous mesme pour n’y pas tomber. L’amour tend à
l’vnion de la chose aimée, il n’y a rien qui nous puisse estre
si vny que nous mesmes, & par consequent il n’y a rien que
nous aimions tant que nous, ie dis tousiours naturellement,
car ie sçay bien que la grace nous fait aimer Dieu plus que
nous mesmes, & il est bien iuste, parce qu’il est le principe
de nostre amour, puis qu’il l’est de nostre existence. Comme

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nous nous aimons plus que les autres, nous sommes
bien aises d’auoir lieu de nous estimer d’auantage, pour
nous estimer d’auantage, il faut trouuer des deffauts en autruy
qui ne soient pas en nous, ou quand mesme ils y seroient,
l’amour propre nous ferme les yeux pour nos défauts,
& nous les ouure pour ceux d’autruy. C’est de là
que prouient cette maligne inclination que nous auons
pour la medisance, & que nous lisons si auidement les censures
des actions, & des ouurages d’autruy. C’est de là que
sont prouenus tant de papiers volans depuis nos troubles,
tant de sottises & tant de malices.

 

Tout le monde sçait l’origine de la satyre, le nom mesme
l’a fait assez connoistre, mais quelque chose que l’on puisse
dire en sa faueur, ie croy qu’elle a tousiours eu pour objet
la medisance & la calomnie, plustot que la verité, & que
la iustice. L’on nous dit que les Anciens prenoient de faux
visages, & se déguisoient en satyres, pour monter sur le
theatre où ils debitoient auec vne liberté iniurieuse tout ce
qu’ils sçauoient des débauches, des friponneries, & des maluersations
de leurs concitoyens, ils penetroient dans les
secrets de toutes les familles, mais ils ne s’attachoient qu’aux
imperfections, & ne se mesloient que de dire du mal. Cette
liberté fut reprimée par les loix, qui defendirent de
nommer les particuliers, mais elles permirent de declamer
contre le vice. Nous auons de belles inuectiues tant de Poëtes
que d’Orateurs, où nous voyons encore le fiel de leurs
vers & de leurs proses.

Tout ce que ie viens de dire est pour tomber dans mon sujet,
qui est le Tombeau de la medisance. En effet, n’est-ce pas
vne honte à des Chrestiens de n’auoir pas autant de charité
que les Idolatres qui conclurent enfin qu’il faloit epargner
le nom des personnes, & que l’on ne deuoit declamer
que contre le vice, sans nommer les vicieux. Sans doute
la satyre est deuë au vice comme le panegyrique à la vertu,
toutes les bouches & toutes les plumes se doiuent occuper

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au blame de l’vn, & à la loüange de l’autre auec cette exception
qu’il est permis & honneste de loüer tous ceux qui le
meritent, mais qu’il est deffendu & honteux de blamer publiquement
ceux qui pourroient meriter en secret quelque
correction charitable & fraternelle. Que si vous me dites
que vous ne pouuez, ou n’ozez la leur faire en particulier,
taisez vous & laissez faire à Dieu qui les punira ou
les amendera.

 

Mais l’impudence de certaines plumes en est bien venuë
plus auant, elles ne se sont pas contentées d’écrire contre
leurs egaux, elles s’en sont prises à leurs superieurs ; elles
ont dechiré ce qu’il y auoit de plus saint, & de plus sacré
dans la Monarchie, dans le ministere & dans la iustice.
Ces Ecrurains ne se sont pas souciez des regles de la Prose
ny de la Poësie, ils ont abuzé de l’vne & de l’autre dans des
libelles infames pour quelque vaine ambition, ou pour
quelque gain assez leger. Cependant ils ne considerent pas
qu’outre la transgression formelle des commandemens de
Dieu qui nous recommande si fort l’amour du prochain, ils
pechent contre la loy naturelle de la societé ciuile, qu’ils
ne font qu’allumer ou entretenir le feu de la diuision, &
qu’au lieu de ietter de l’eau dessus ils y iettent de l’huy le &
du souffre.

C’est contre ces malins, ces critiques impitoyables, ces
censeurs outrageux que i’ay voulu faire ce petit discours,
pour les obliger à se taire s’ils en ont le pouuoir ; ou du
moins pour leur monstrer le tort qu’ils ont de s’acharner si
cruellement contre leur prochain, & si insolemment contre
leurs superieurs. S’ils remarquent quelque faute notable
dans le gouuernement & dans la iustice, s’ils sont plus
eclairez que ceux-là mesmes que Dieu a constituez pour regir
& pour conduire les autres, ils deuroient se seruir de
leurs auantages plus vtilement pour le public, & plus seurement
pour leur conscience. Ils n’auroient que dit en general
les fautes des particuliers s’ils se fussent seulement

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proposé le bien public pour objet, mais ça esté cét amour
propre qui les a portez à la haine & à l’enuie. Ils ont crû
se bien vanger de la fortune qui les a exclus des charges du
Ministere, & de la iustice, s’ils declamoient contre ceux
qui les possedent, & qu’ils disent ne les tenir que de cette
puissance aueugle, encore que la pluspart les doiuent à
leur merite. Ils ont crû passer pour vertueux & pour habiles,
s’ils disoient que les autres estoient vicieux & mal
adroits. Ils ont crû que la medisance leur donneroit la
bonne renommée qu’ils osteroient à leur prochain, comme
ils s’imaginent que la loüange leur osteroit la bonne renommée
qu’ils leur donneroient : Mais tant s’en faut, le
pecheur verra, & se mettra en colere, il grincera les dents
& sechera de tristesse. Les Poëtes nous depeignent l’enuie,
qui n’a d’autres galands à sa coiffure que des couleuvres
& des serpens, qui se deschire & deuore les entrailles ;
La medisance est l’aisnée de l’enuie ; c’est par la langue que
nous commençons à deschirer, ceux que nous voudrions
deschirer à belles dents. De là ie conclus que la charité
estant la veritable marque du Chrestien, & la medisance
luy estant directement opposée, l’on ne sçauroit estre medisant
& Chrestien tout ensemble, ces traits de plume & ces
coups de langue sont autant de meurtres, plus considerables
que ceux qui ne font qu’oster la vie, puis qu’ils ostent
l’honneur qui est plus precieux.

 

Concluons donc qu’il faut enseuelir dans vn eternelle
amnistie toutes nos aigreurs, que la sacrée personne du
Prince s’approchant de nous elle nous doit imprimer vn respect,
& vn amour qui nous ferme la bouche à ces medisances
où il n’y a rien à gagner que la vengeance de Dieu,
des hommes, & qui nous l’ouure aux loüanges & aux
hymnes de resioüissance pour le retour de la Cour, & d’vne
bonne & ferme concorde entre les Princes & entre les
peuples, a fin que nous voyons encore fleurir plus que iamais
cette Monarchie in comparable.

FIN.

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