Anonyme [1652], LE TOVR BVRLESQVE DV DVC CHARLES. , françaisRéférence RIM : M0_3788. Cote locale : B_8_60.
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LE TOVR
BVRLESQVE
DV DVC
CHARLES.

M. C. LII.

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LE TOVR
BVRLESQVE
DV DVC CHARLES.

 


HE bien Messieurs les Mazarins,
Ie ne vous voy plus si chagrins,
Ny si tristes de tant de pertes
Que vous auez long temps souffertes,
Deuant Estampes & par tout.
Quoy ! vous croyez donc estre au bout
De vostre mauuaise fortune ?
Quoy ! cette simple demy-lune,
Où malgré tous vos grands efforts
Vous vistes tant de vos gens morts,
Ne vous donne plus de tristesse,
Et vous estes dans l’allegresse
Depuis que ce Duc estranger,
Ce Duc inconstant & leger
A fait de si mauuaise grace
Vn nouueau tour de passe-passe,

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Et faussé son dernier serment
Par vn estrange changement ?
Tout beau, Messieurs, laissez moy dire,
Il n’est pas encor temps de rire,
Vous n’estes pas, où vous pensez,
S’il vous souuient des maux passez,
Vous en aurez bien dauantage
Malgré tout vostre tripotage,
Et ce Duc, par vous tant flaté
Que vous auez enfin porté
Par vn coup à la Mazarine
A vous faire vn peu bonne mine
Par vn coup de mesme façon
Vous prendra tout sans hameçon.
Et pour mieux pescher en eau trouble
Il va ioüer à quitte ou double.
N’a-t’il pas de-ja finement
Atrapé quelque diamant
Auec plus de cent mille liures
Dont on auroit bien eu des viures
Pour nourrir vos pauures soldats
Qui le plus souuent n’en ont pas ?
Que Iules luy fasse largesse
S’il veut de toute sa richesse,
Et des gros rubis de ses doits
Qui sont le pur sang des François,
Quelque grand present qu’il luy fasse
Il le prendra de bonne grace,

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Puis vous laira sans dire mot
Et Iules passera pour sot.
Parlons clair pour nous faire entendre,
Quelle foy pouuez vous attendre
D’vn Prince qui sçait en vn mois
Tourner casaque au moins dix fois ?
N’est-ce pas son grand stratageme ?
N’a-til pas souuent fait de mesme
(Sans craindre ny diable ny Dieu)
Au Cardinal de Richelieu,
Dont l’esprit extraordinaire
Faisoit tout ce qui se peut faire ?
Et le Cardinal Mazarin
Penseroit-il estre plus fin ?
Il s’en faut plus de quinze & bisque.
On dit bien que Nancy court risque
D’estre remis à son bon Duc :
Mais ce n’est pas selon S. Luc,
Ny selon autre Euangeliste,
Ce n’est pas mesme dans la liste
Des Predictions de ce temps
Dont Questier rend les fous contens.
Mazarin peut bien luy promettre
Par serment, de le luy remettre :
Mais promettre & tenir sont deux
Car c’est vn coup trop hazardeux.
Et d’ailleurs on sçait qui s’oppose
A cette offre qu’il luy propose.

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On sçait bien que le Gouuerneur,
Homme de merite & d’honneur
N’est pas fort d’humeur de le rendre ;
Que le Duc cesse d’y pretendre
L’inconstant ne l’aura iamais,
Ny Stenay, Clermon ny Iamets.

 

 


Falloit il que ce miserable
Par vne faute irreparable
Rompit si lachement sa foy,
Ie ne sçay comment, ny pourquoy ?
Pour vne promesse peu fine,
Mais promesse à la Mazarine,
dont le trompeur bien atrapé
Se verra luy mesme trompé
Par vn trompeur incomparable
Qui tromperoit mesme le diable,
Et qui ne songe à tout moment
Qu’à tromper plus adroitement,
Soit vn pourpoint, soit vne Iupe,
Ainsi ce Duc sera sa dupe,
Et ne recouurera iamais
Stenay, ny Clermont ny Iamets.

 

 


Puis qu’il s’est desuny des Princes,
Adieu ses Villes & Prouinces,
Il peut desormais en courant
Faire le Cheualier errant,
Il peut bien forcer des murailles
Il peut bien donner des Batailles,

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Faire tous les iours des Combats,
Et voir ses ennemis à bas,
Sans esperer que par des guerres
Il rentre iamais dans ses terres :
Mais cét inconstant mal-heureux
Seruant des Princes genereux,
Pendant ces discordes ciuiles
Recouuroit trois fort bonnes villes
Qu’il ne recouurera iamais,
C’est Stenay, Clermont & Iamets.

 

 


Mais n’auroit-il pas eu sans peine
Par la paix toute la Lorraine ?
O Dieux ! qu’il a mal fait pour luy :
O Dieux ! qu’il va souffrir d’ennuy,
De tourment, & de fascherie
Pour vne sotte tromperie.
Ainsi ce vieux cocq déjuché,
Ce mal-heureux Duc sans Duché
Ne sera dit (si l’on en parle,)
Si ce n’est tousiours le Duc Charle,
Mais, pour Duc de Lorraine. point
Iustement reduit à ce point
D’aduoüer desormais luy mesme
Auec vne tristesse extréme.
Ah ! ie ne tasteray iamais
De Stenay, Clermont ny Iamets.

 

 


O pauure Prince en conscience,
I’ay pitié de ton imprudence

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Aussi bien que de ton mal-heur,
Dois tu pas mourir de douleur
Du pas de Clerc que t’a fait faire
Ta ceruelle vn peu trop legere ?
Falloit-il venir de si loin ?
Falloit-il prendre tant de soin
De mener icy ton armée,
Pour n’auoir qu’vn peu de fumée,
Qu’vne promesse faite en l’air,
Dont Iules a sceu t’aueugler,
Luy qui deffend dans son escole
D’estre esclaue de sa parole ?
Mais tu ne tasteras iamais
De Stenay, Clermont ny Iamets.

 

 


Or va beau Duc fin sans finesse,
Va t’en auec cette promesse
Suiuy de tes meilleurs amis,
Demander ce qu’on t’a promis.
Tu trouueras vn Sencterre
Qui sçait bien mesnager ta terre
Et qui n’espargna iamais rien
Pour faire profiter ton bien,
C’est vn gros & bon personnage
Laisse le dedans son mesnage
Et ne va point mal a propos
Troubler sa vie & son repos,
Aussi bien ce sera merueille
S’il ne te fait la sourde oreille.

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Et d’ailleurs tu n’auras iamais
Stenay, ny Clermont, ny Iamets.

 

 


Te voila donc bien en posture
Pour chercher ta bonne auenture
Et viure tousiours chez autruy
Plein de soin, de peine & d’ennuy ;
Va t’en sans demeure certaine
Courre par tout la pretantaine
Tantost deçà tantost delà,
Faire crier, le qui va là,
Et donner auec tes Gendarmes
Mille terreurs, & mille alarmes :
Va t’en continuer tes vols,
Tes embrazemens tes viols,
Tes cruautez, & tes pillages
Parmy les bourgs & les villages :
Mais tu ne tasteras iamais
De Stenay, Clermont ny Iamets.

 

 


Va t’en dire au Roy d’Angleterre
A Charles, comme toy, sans terre
Qu’il te fasse rendre ton bien
Il est bien en peine du sien.
Comment diable veux tu qu’il fasse
Pour t’assister dans ta disgrace,
Cependant tu crois ce qu’il dit
Comme s’il auoit grand credit,
Et tu fais tout ce qu’il t’ordonne
Suiuant le conseil qu’il te donne

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Suy le donc tant qu’il te plaira
Pour voir ce qui t’en aduiendra :
Mais ie sçay pour chose asseurée,
Puis qu’on l’a hautement iurée,
Que tu ne tasteras iamais
de Stenay, Clermont ny Iamets.

 

 


Quoy tu t’és mocqué de nos Princes
Qui sçauoient bien sans que tu vinses
Se venger de leurs ennemis,
Et ne leur auois tu promis
Vne alliance si friuole
Que pour leur manquer de parole ?
Ils n’auoient pas besoin de toy,
De ton secours, ny de ta foy,
Pourquoy l’as tu donc violée,
Pourquoy l’as tu donc violée,
Pour prendre d’abord la volée
Et passer d’vn autre costé
Par vne insigne lascheté ?
Mais au remords qui te trauaille
Voy, que tu n’as rien fait qui vaille,
Et que tu n’entreras iamais
Dans Stenay, Clermont ny Iamets.

 

 


Deuois tu donc Duc sans ceruelle
Par cette foiblesse nouuelle
Te separer si sotement
D’vn Duc d’Orleans si charmant
Et d’vne si bonne Princesse
Comme est Madame la Duchesse ?

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Quoy ! d’vn beau-frere & d’vne sœur ?
Si pleins d’amour, & de douceur ;
Quoy ! d’vne sœur & d’vn beau-frere
Qui pouuoient finir ta misere,
Et rendre ton fait asseuré
Pauure Prince dénaturé
Tu cherches ton mal heur supreme
En t’eloignant de ton sang mesme,
Et tu ne tasteras iamais
De Stenay, Clermont ny Iamets.

 

 


Non, iamais, ie le dis encore,
Et tu n’as agy qu’en pecore
D’auoir ainsi mal secondé
Les desseins du vaillant Condé,
C’est luy qui tient en sa puissance
Ces fortes places d’importance,
Qu’il te rendoit sans finesser,
Et tu l’as voulu delaisser
Pour vn espoir imaginaire
Dont Iules à son ordinaire
Repait tous ceux qu’il veut tromper,
Tu t’és laislé donc atraper
Par cet Atrapeur, de la sorte ?
A toy permis, il ne m’importe :
Mais tu ne tasteras iamais
de Stenay, Clermont, ny Iamets.

 

 


Mais enfin ie perds patience
De souffrir ton impertinence.

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Et de te voir faire le fin
Va t’en seruir ton Mazarin,
Souffre que ce seigneur te braue,
Sois son valet, sois son esclaue,
Son fol, sa dupe, son flateur,
Son bouffon, son adorateur,
Baise, si tu veux, son derriere,
Pourueu que ie i’en sois bien arriere,
Que ie n’en sente pas le vent
Tout cela m’est indifferent ;
Mais aprens que toute ta peine
Enuers luy sera tousiours vaine
Et que tu n’entreras iamais
Dans Stenay, Clermont ny Iamets.

 

 


Sois si tu veux à son seruice,
Par amour & sans artifice
Iusques à la fin de tes iours,
Conserue le par ton secours,
Ne quitte iamais sa personne,
Fay si bien qu’il ne te soupçonne
Iamais d’aucune lachete,
De fourbe, ou d’infidelité,
Expose tous les iours ta vie
Pour satisfaire à son enuie
Tente pour luy tous les hazards
Quand tu passerois les Cesars,
Quand tu serois vn Alexandre,
Charles tu dois du moins aprendre,

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Que tu ne tasteras iamais
De Stenay, Clermont, ny Iamets.

 

 


En veux tu sçauoir dauantage,
Tu n’auras iamais d’auantage
Auprés d’vn ingrat comme luy,
Qui ne peut auoir soin d’autruy,
Puis qu’il en a trop de luy mesme ?
Et ta folie est bien extresme
De te ietter entre ses bras ;
Mais sers le tant que tu voudras,
Nous ne craignons pas ton armée,
Et la nostre bien animée
Se sent assez de force aux reins
Pour défaire tous tes Lorrains ;
Quoy que tu fisses des miracles,
On sçait du moins par les oracles
Que tu ne tasteras iamais
De Stenay, Clermont, ny Iamets.

 

 


Mais quoy ! i’entens Condé qui grõde,
Et Beaufort fait claquer sa fronde,
Ils sont aux armes, ie les voy,
Pauure Duc Charles sauue toy,
Va viste gagner la frontiere ;
Et pour garder ta teste entiere
Laisse icy ton bagage entier,
Il n’est point pour toy de quartier
Si tu t’amuses au pillage
Comme dans le premier voyage :

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Tu differes trop ton retour,
Ne t’arreste plus à la Cour,
Et tire promptement tes chausses
Sans croire à des promesses fausses :
Car tu ne tasteras iamais
De Stenay, Clermont, ny Iamets

 

 


Quoy ! tu sembles branler au manche :
O Dieux ! que ton ame est peu franche :
Voudrois-tu bien tromper le Roy ?
Va, Gaston ne veut point de toy,
Il ne veut point d’vn infidelle,
Qui va, comme fait l’hirondelle,
A tout vent, & de tout costé,
Auec trop de legereté.
Vn inconstant, & mercenaire
Ne fut iamais propre à bien faire,
Et ie t’asseure cependant
Que nous gagnons en te perdant :
Va donc, sors promptement de France,
Et vois ; mais auec asseurance,
Que tu ne r’entreras iamais
Dans Stenay, Clermont, ny Iamets.

 

 


Ouy, c’est en vain que tes pensées
Aussi tardiues qu’insensées
Te le font encor esperer :
En vain tu penses recouurer
Par quelque feinte repentance
Ce que tu perds par ta constance :

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Nous ne voulons plus sur nos bras
Ta personne, ny tes soldats,
Condé luy seul en vaut dix mille
Pour bien defendre nostre Ville,
Et pour enuoyer Mazarin
Par delà Cologne, ou Thurin ;
Mais cependant il te proteste
De te haïr comme la peste,
Et de ne te rendre iamais
Stenay, ny Clermont, ny Iamets.

 

 


Mais quoy ! tu ne pars pas encore,
Attens-tu qu’on te deshonore
Par des brocards plus offensans ?
Si tu n’as perdu tout le sens,
Gagne promptement la campagne,
Passe la Brie & la Champagne,
Et garde-toy des paysans,
Car ils sont assez suffisans
Pour te mettre en capilotade
Par quelque gaillarde boutade ;
Mais pour éuiter leur effort,
prens de ma main ce passe-port,
Qui te sauuera iusqu’en Flandres
De tous maux & de tous esclandres.

 

Passeport du Duc Charles.

 


Tu ne recouureras iamais
Stenay, ny Clermont, ny Iamets.

 

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Enfin il pique la mazette,
Il s’en va le Duc Giroüette
Sans auoir fait guerre ny Paix ;
Mais il a bien fait pour iamais
Vn Tour qu’il ne deuoit pas faire.
Courage, enfans, c’est trop vous taire,
Courez aprés ce Goguenard,
Et criez tretous au Renard :
Mais criez bien fort, ie vous prie,
Du plus beau ton de raillerie.
Ah ! le vilain qui se desdit,
Il a chié dedans le lit,
Il a chié dans nostre male :
Ah ! le Normand comme il détale.
Tu ne recouureras iamais
Stenay, ny Clermont, ny Iamets.

 

 


Cela vaut mieux qu’vn grand outrage
Pour le faire creuer de rage,
Et i’espere qu’auant vn mois
On luy verra manger ses doigts
Pour auoir fait (ce miserable)
Vne faute si déplorable :
Mais il a beau se les manger,
C’est ainsi qu’il nous faut vanger,
Et c’est par cette penitence
Qu’il faut punir son inconstance.
Non, iamais il ne les aura,
Qu’il gronde tant qu’il luy plaira.

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Enfans, pour l’acheuer de peindre,
Criez encor tous, mais sans feindre,
Tu ne recouureras iamais
Stenay, ny Clermont, ny Iamets.

 

 


Qu’il s’en aille apres cette aubade,
Qu’il fasse mainte gasconnade,
Qu’il iure comme vn vieux chartier,
Qu’il ne donne point de cartier,
Qu’il menace tant de la guerre,
Qu’il peste contre Ciel & Terre,
Qu’il fasse du pis qu’il pourra,
Qu’il tempeste tant qu’il voudra,
Qu’il vomisse dix mille iniures,
Qu’il maudisse tous les parjures,
Qu’il deuienne fou de chagrin,
Qu’il donne au diable Mazarin,
Qu’il declame contre les Princes,
Qu’il pille toutes nos Prouinces :
Mais il ne tastera iamais
De Stenay, Clermont, ny Iamets.

 

 


He bien, Messieurs qui decourage,
Qui suiuez le Mazarinage,
N’estes vous pas bien satisfaits,
Des comptes que ie vous ay faits.
Riez bien, Riez sans vergogne ?
Condé vous taille de la besogne
Qui vous fera tantost pleurer,
Et ie vous puis bien asseurer,

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Que toute vostre confrerie,
Toute la Mazarinerie
Sera dans peu de temps à cu,
Et que le Mazarin vaincu
Ne peut éuiter sa ruine,
S’il ne gagne tost la coline :
Il feroit mieux de s’éloigner
Sans tant combatre, & barguinier,
Et sans attendre qu’on l’arreste ;
Sçait il pas qu’on a mis sa teste
A cent cinquante mille frans,
Et que les petits, & les grands
Le haïssent plus que le diable,
Comme vn tyran abominable.
Messire Iules mon amy
Tu fais vn peu trop l’endormy,
Romps le lien qui te retarde,
Sans t’amuser à la moustarde,
Sans t’amuser à tes flateurs
Qui sont tous de faux seruiteurs ;
Suy le Duc Charles ton compere,
Qui ne t’a pas esté contraire
Il prendra volontiers le soin
De te seruir dans ce besoin,
Et de te conduire à Cologne,
Ou si tu veux, iusqu’en Pologne ;
Que s’il te faut vn compliment
Pour le gagner plus aisement,

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Pauure sot tu n’as qu’à luy dire,
Ces huit vers, pour le faire rire.

 

 


Tu ne les toucheras iamais
Les places qu’on te vouloit rendre,
Stenay, ny Clermont, ny Iamets
Tu ne les toucheras iamais,
Condé les aura eesormais
Pauure Duc Charle va te pendre,
Tu ne les toucheras iamais
Les places qu’on te vouloit rendre.

 

FIN.

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