Anonyme [1649], DIALOGVE OV ENTRETIEN DE DEVX CAVALIERS, L’VN FRANCOIS L’AVTRE ANGLOIS; Touchant les affaires de France & d’Angleterre. , françaisRéférence RIM : M0_1096. Cote locale : A_2_55.
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DIALOGVE
OV
ENTRETIEN
DE DEVX
CAVALIERS,
L’VN FRANCOIS
L’AVTRE ANGLOIS ;

Touchant les affaires de France &
d’Angleterre.

A PARIS,
Chez la Veufue THEOD. PEPINGVÉ, & EST.
MAVCROY, ruë de la Harpe, vis à vis
la ruë des Mathurins.

M. DC. XLIX.

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DIALOGVE
OV
ENTRETIEN DE DEVX CAVALIERS,
l’vn François, l’autre Anglois,Touchant
les affaires de France &
d’Angleterre.

Le François.

VOVS estes bien aise, Messieurs les Anglois, de
voir vostre guerre ciuile acheuée, lors que la nostre
commence.

L’Anglois.

Nous sommes au contraire bien tristes de l’estrange catastrophe
qui est suruenuë depuis peu dans nostre Royaume.
Et si la guerre ciuile, comme vous dites, s’est allumée dans le
vostre, nous ne sommes pas si peu charitables d’en tirer nostre
consolation.

Le François.

Quelle estrange catastrophe est arriuée en vostre Royaume
qui vous rend si tristes ?

L’Anglois.

Que pleust à Dieu que ceux qui ont voulu mettre dans
l’esprit de nostre Roy, qu’il se rendist absolu comme celuy de
France, fussent exterminez il y a vingt ans, ou n’eussent iamais
esté au monde.

Le François.

C’estoit vn genereux dessein, & digne du cœur d’vn Roy

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de vouloir se rendre le maistre, & ne dependre de personne.

 

L’Anglois. Il est vray que les Roys ne reconnoissent que
Dieu seul au dessus d’eux : mais nous ne separons pas d’auec
Dieu la loy & le salut du peuple, que nous mettons pardessus
tout, salus populi, disons nous, suprema lex.

Le François. Ie ne treuue rien a dire à cela : mais pourtant
i’ay tousiours creu ; & suis encore dans la mesme creance, que
nos biens & nos vies sont au Roy.

L’Anglois. Si cela estoit que vous eussiez receu vos biens
& vostre vie du Roy, ou qu’il en fust le possesseur ou le maistre,
& en peust disposer comme bon luy semble, vostre guerre
seroit tres-injuste, & il n’y auroit aucune difference entre
vous autres & des esclaues, ou du moins entre les François
& les Turcs.

Le François. Ie ne sçay point toutes les distinctions de
droict ou de chicane, dont quelques-vns se seruent, disant,
que la proprieté de nos bien & de nos vies nous demeure, &
que la iurisdiction ou direction est au Souuerain. Tant y a que
pour le seruice du Roy & le maintien de sa Couronne, nous
sommes tousiours prests d’employer nos biens & nos vies
quand il plaira à Sa Majesté de nous commander.

L’Anglois. Pourquoy donc faites vous la guerre ? On ne
vous de mande point vostre vie, on se contente mesme d’vne
partie de vos biens ?

Le François. Nous auons pris les armes contre vn Tyran,
contre vn Ministre Estranger, lequel apres s’estre emparé de
l’authorité Royale, apres auoir dissipé tous les biens du
Royaume, & enleué depuis peu la Personne sacrée de nostre
Roy, nous veut faire perir de male faim.

L’Anglois. Quel Diable de Ministre d’Estat. Ie lisois hier
en l’Escriture l’histoire de Ioseph. Il fut Ministre d’Estat en
Egypte, c’estoit l’Ange tutelaire de Pharaon, il garentit son
Royaume de la famine. Mais cettuy-cy veut faire perir la
France ou par la guerre ou par la faim.

Le François. Auez-vous leu dans l’Escriture que Ioseph
enrichit ses nepueux & ses niepces ?

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L’Anglois. Non, mais seulement qu’il renuoya ses freres
chargez de bled pour la prouision de leurs maisons.

Le François. Et moy ie vous dis que le nostre les a fait venir
du bout du monde, pour les reuestir des despoüilles, & engraisser
du sang du peuple.

L’Anglois. Certes, les Ministres d’Estat ont bien fait du
mal dans le monde : mais il n’est point de Royaume qui en
ait receu plus de dommage, que celuy d’Angleterre.

Le François. Il faudroit donc que celuy de France n’eust
iamais esté mangé de cette vermine, qui l’a rongé iusques
aux os.

L’Anglois. Vostre Estat subsiste, & le nostre est renuersé.
Vous auez vn Roy, & nous n’en auons point.

Le François. Quoy, vous n’auez point de Roy ? Quoy ?
auriez-vous esté si malheureux de plonger vos mains sacrileges
dans le sang de vostre Prince.

L’Anglois. Helas! n’accusez pas tous les Anglois en general.
Ce ne sont point de veritables Anglois, mais des monstres
sortis de l’Enfer, qui ont soüillé nostre pays par cet infame
parricide.

Le François. C’est pourtant par Arrest de vostre Parlement,
qui est composé de tous les Estats du Royaume, que ce
bon Prince a esté condamné, & a perdu la vie.

L’Anglois. C’ont esté plustost des rebelles & des perfides,
qui ont violé les loix de la nature & de l’Estat. Ce sont quelques
meschans coquins, ramassez en vn corps d’armée, qui ont
commis cet attentat, & ruïné de fonds en comble le plus florissant
Royaume qui fust au monde.

Le François. Voila qui est estrange, & qui ne s’est iamais
veu, ny mesme ie croy leu dans les histoires, que des sujets
ayent fait mourir leur Roy.

L’Anglois. Non, horsmis dans la nostre. Car nous sommes
si malheureux d’auoir fait mourir autresfois le plus victorieux
de nos Roys.

Le François. Quel ?

L’Anglois. Nostre vaillant Richard, qui s’estoit trouué en

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neuf batailles rangées, qu’il gagna toutes contre les François.
Ce grand Prince, tout victorieux qu’il estoit, receut
vn plus cruel traictement de ses sujets, que les plus infames
Tyrans n’ont iamais receu de leurs ennemis.

 

Le François. Comment ?

L’Anglois. Pour auoir voulu continuer, apres la paix faite
auec la France, de leuer les taxes qui se leuoient pendant la
guerre, & pour auoir fait trancher la teste à vn de ses sujets,
le Duc de Sommerset, qui luy auoit porté la parole au nom
de toute l’Angleterre, qu’il se deportast d’exiger les taxes,
ces Phrenetiques se saisirent de la Personne sacrée de leur
Roy, le traisnerent par les neiges, & apres le massacrerent
malheureusement.

Le François. Parbleu, ie ne voudrois point estre Roy
d’Angleterre à ce prix-là.

L’Anglois. Vous en auez aussi massacré ou assassiné quelques-vns
des vostres, mesmes des plus grands & des plus cheris
du peuple.

Le François. C’est bien de mesme. Vn traistre Rauaillac
sorty de l’Enfer, a proditoirement frappé Henry le Grand,
toute la France en a ietté des larmes de sang, ce monstre a
esté deschiré en pieces, & apres vn supplice cruel & infame, a
perdu la vie par la main du bourreau. Mais vous, faisant mourir
vos Roys, vous soustenez vostre procedure estre iuste, &
ne faites aucune difference d’vn Roy, que vous croyez vous
auoir offensé, & d’vn criminel.

L’Anglois. Nos loix sont tres-rigoureuses, & peut-estre
trop. Mais quoy ? Quelques mauuaises qu’elles puissent estre,
neantmoins elles valent mieux obseruées, que les meilleures
qui ne sont point gardées.

Le François. Ie n’entends rien à vostre Politique, & vous
ne me pourrez iamais faire accroire que par iustice on puisse
faire mourir vn Roy.

L’Anglois. Ny à moy non plus.

Le François. Comment donc a-on fait mourir le vostre ?

L’Anglois. Par la plus grande injustice qui se soit iamais
faite dans le monde.

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Le François. Ie voudrois qu’il me coustast quelque chose
de bon, & que ie peusse voir ou lire son procez.

L’Anglois. Vous n’y auriez autre satisfaction, que d’y reconnoistre
des faussetez & des calomnies.

Le François. Mais de quoy l’a-on accusé ?

L’Anglois. S’il n’eust pas esté si malheureux de tomber entre
les mains de ses ennemis, ou d’estre liuré à eux par ceux
qui l’ont trahi, iamais on ne se fust auisé de luy imposer des
choses qui ne sont iamais tombées dans sa pensée.

Le François. Quelles sont de grace, ces choses ?

L’Anglois. I’ay horreur de vous reciter ces calomnies, & il
n’est pas que vous n’en ayez oüi parler ; car on debite en vostre
Royaume ce qui s’est fait & passé dans le nostre.

Le François. I’ai oüi barboüller quelque chose de cela,
mais ie n’estimois pas que quand mesme tout ce que l’on disoit
fust vray ; ce que ie ne croy pas, cela fust suffisant de faire
la moindre peur à vn Roy.

L’Anglois. Ie suis tres-aise que vous ayez appris d’vne autre
bouche que de la mienne les crimes, ou plustost les calomnies
que nos ennemis ont inuenté contre le meilleur & le plus
parfait de tous les Roys.

Le François. On l’accusoit d’auoir fait empoisonner son Pere
le Roy Iacques.

L’Anglois. Grand Dieu! quelle calomnie. Vous souuenez-vous
de leur preuue, ou des tesmoins qui estoient alleguez.

Le François. Non, il n’y en auoit point autrement, sinon
que j’oüis lire, que le Roy n’auoit point voulu qu’on fist la recherche
du Duc & de la Duchesse de Boukinkan, qui auoient
mis vne emplastre sur la poictrine du Roy auant qu’il mourust,
& que comme le Parlement voulut trauailler au procez,
il fut congedié par le Roy.

L’Anglois. Voyez par l’insuffisance des preuues l’enormité
de la calomnie.

Le François. I’estime la mesme chose des autres points
de son accusation, à sçauoir du massacre des Protestans fait
en Irlande, de la prise de la Rochelle, que le Roy auoit prise

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en sa protection, & de la guerre suscitée en Escosse & en
Angleterre, pour opprimer le peuple, & exterminer le Parlement.

 

L’Anglois. Faut-il que j’entende ces horribles blasphemes,
& que ie ne puisse venger mon Prince, mon Souuerain,
& mon cher Roy, par la vie de ceux qui les ont traitreusement
vomis, & qui dans peu de iours seront contraints d’oster
ces taches en declarant son innocence, s’ils n’attendent que
les autres Roys de l’Europe les viennent lauer dedans leur
sang.

Le François. Tant y a, que vous faites mourir tous ceux
qui vous veulent faire la guerre, sans exception de personne.
Que feriez vous, si vn Estranger ayant vsurpé l’authorité
Royale, & dissipé l’Estat, vous vouloit faire perir par le glaiue
& par la faim ? Ie pense que vous luy feriez bonne chere, mais
elle ne seroit guere longue. C’est grand dommage que ceux
qui veulent destruire la France, n’aillent entreprendre sur
l’Angleterre.

L’Anglois. C’est grand dommage voirement, & ie voudrois
pour le mal, ou plustost pour le bien que ie veux à la
France, que le Mazarin, & les Mazarinistes s’y allassent
frotter.

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