Anonyme [1649 [?]], LES DEVX COMBATS DONNEZ entre la flote Royale & l’armée nauale des Bordelois, auec le Te Deum chanté pour les articles de la paix. , françaisRéférence RIM : M0_1065. Cote locale : A_9_5.
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LES DEVX COMBATS DONNEZ
entre la flote Royale & l’armée nauale des
Bordelois, auec le Te Deum chanté pour les
articles de la paix.

L’ignorance du succez des armes estant
l’vne des principales causes qui rendent
plus agreables les recits des actions militaires :
Pour ce que la curiosité du Lecteur s’augmentant
pour apprendre par les exploits passez,
ce qu’il doit iuger de l’auenir, & son incertitude
banlançant son esprit entre l’espoir & la
crainte, sa cõnoissance lui oste vne grande partie
du plaisir qu’il prend en la lectvre des Histoires,
& mesme des Romans faits pour plaire
quand nous n’en sçauons pas l’éuénement :
C’est ce qui m’a fait douter d’abord si je vous
donnerois cette Relation de ce qui s’est n’aguéres
passé en la guerre de Bordeaux, chacun
sçachant que la paix y est à present faite.

Toutesfois, puisque il n’est pas raisonnable
de priuer le public des exploicts genereux
faits pour le seruice du Roy, & qu’il y a quelque
profit à tirer des fautes passées : l’exemple
n’estant pas de petit efficace aux vns ni aux autres :
ioint la satisfaction qui se tire du recit de
la verité, mesmes aux choses qui ne nous touchent

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point, & qui se passent dans les autres
plages du Monde : ie me tromperois grandement
si l’histoire de celles qui se font dans ce
Royaume, & sur lesquelles toutes l’Europe
tient les yeux arrestez vous estoit desagreable.

 

Le Comte du Daugnion, ayant esté forcé
par les vents de moüiller au Bec d’Ambez,
comme vous auez sçeu, & contraint d’y demeurer
iusqu’au 23. du mois de Decembre dernier :
il iugea à propos ce iour-là d’enuoyer
sçauoir où estoit le Duc d’Espernon, afin de
voir ce qui se pourroit entreprendre pour l’auancement
du seruice du Roy. Il donna ses ordres
à cette fin au sieur de Chamrenault qui
fut trouuer ce Duc au lieu nommé le Carbon-Blanc,
& rapporta de luy parole, qu’il partiroit
le mesme iour auec son infanterie, qu’il fit
venir expres pour aller inuestir Lermont : poste
dans lequel les Bordelois, qui s’en estoiẽt emparez,
auoient ietté vne forte garnison, depuis
que la tempeste eut obligé le Comte du Daûgnion
à le quiter, pour mettre à couuert ses
vaisseaux contre les coups de vents, presque
continuels, & tousiours tres-dangereux en ceste
riuiere dans vne pareille saison.

Ce qui n’empescha pas que ce Comte, au
premier rapport que ledit sieur de Chamrenault
luy fit le 25. dessein du Duc d’Espernon,
ne commandast de leuer les anchres pour

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monter la riuiere, & sans vouloir rien differer
aux remõstrances du Medecin qu’il le traitoit
d’vne fiévre continuë, donc il estoit fort trauaillé
depuis quelques-iours, ne fist voile en
personne. Mais estant suruenu sur ceste riuiere
vn broüillar si épois que l’on ne se pouuoit
voir d’vn bout à l’autre du vaisseau, il falut attendre
iusques au lendemain matin 26 du mesme
mois, que l’air se rasserena vn peu, & permit
à la marée de porter nos vaisseaux deuant
Vallier. D’où le Comte du Daugnion ayant
enuoyé reconnoistre, se confirma en ce qu’il
auoit desia appris par ses espions, que l’armée
nauale des Bordelois auoit descendu au dessous
de Lermont, dans vne Anse où la riuiere
est plus large que son canal ordinaire, & ce
pour l’auantage de faire feu de plusieurs vaisseaux
contre ceux de ce Comte, qui ne pouuoient
arriuer qu’à la file.

 

Car les Capitaines des vaisseaux Bordelois
s’estoient obligez enuers le peuple de cette
ville. là, pour le diuertir de se sousmettre à l’obeyssance
de leurs Majestez, d’empescher le
passage de la flotte Royale & l’execution de
ses autres desseins.

D’ailleurs ce Comte fut bien informé que
lesdits Bordelois auoient renforcé leurs vaisseaux
de guerre de deux regimens d’infanterie,
& augmenté leurs galeres iusques au nõbre

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de 14. & de plusieurs grands bruslots que
leurs vaisseaux de guerre deuoient escorter auec
lesdites galeres, aydez d’vn vent fauorable
& les amener au bord de l’Admiral de France,
que ces Capitaines des vaisseaux Bordelois
auoient promis de prendre ou de brusler,
moyennant la recompense conuenuë.

 

En cette occurrence où il n’estoit plus besoin
de marchander, puisque differer ou quiter
la partie estoit la perdre, le Comte du Daugnion
ayant promptement assemblé ses Capitaines
& Officiers, leur dit qu’il auoit tant
de preuues de leur valeur, zele & fidelité au
seruice du Roy, que bien loin de les vouloir
encourager d’aller aux ennemis, il les exhortoit
de voguer auec telle retenuë qu’aucun
des vaisseaux de la flote de sa Majesté, sous ombre
qu’ils estoient plus legers & plus propres
que le sien pour nauiger en cette riuiere, ne
passast deuant luy, pource qu’il vouloit tenir
seul la teste de l’armée : & pour la fin, qu’il étoit
resolu de leuer l’anchre le lendemain 27. si tost
que la maree seroit propre pour aller combattre
les ennemis.

Il ordonna aussi au sieur Gabaret ancien
Capitaine de marine, de se mettre à la teste de
14. chaloupes & trois brigantins n’en ayant
pas dauantage alors, pource que celles qu’il
attendoit des Isles, n’auoient encore pu ioindre

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son armée : & apres auoir mis les meilleurs
soldats auec vne partie de ses gardes dans lesdites
chaloupes & brigantins commandez par
les Officiers de mer & du regiment de Broüage,
il les separa en 4. escadrons : le 1. desquels
faisant la teste de tout estoit conduit par led.
sieur Gabaret & les autres par le sieur de Pasdejeu
Maior & les sieurs de Mondon & Confolant
Lieutenant & Enseigne de la compagnie
de ses gardes, dont l’autre partie demeura
pres de sa personne auec le Marquis de
Dampierre & les volontaires, du nombre desquels
voulut estre le Baron d’Anton, les sieurs
de Fournelles de Tayac & de Balan, Gentilshommes
de marque, pour soustenir les premiers
efforts dont l’Admiral estoit menacé.
Puis ce Comte ayant fait mettre dans ces petits
bastimens les munitions necessaires au
combat & donné ses ordres precis iusques aux
moindres occurrences, il commanda qu’on
se tint prest le lendemain, auquel dés la pointe
du iour il monta sur le pont de son vaisseau
à dessein d’aller aux ennemis dés qu’il les verroit
la marée fauorable, & sa pointe ne parut
pas plustost qu’il fit leuer l’anchre, & auertir
les Cheualiers de la Lande & de Fontenis qui
estoient moüillez deuant l’Amiral de luy faire
place & de prendre leurs postes apres luy.

 

Cette flote ayant donc paru en cet estat deuant

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celle des Bordelois, celle cy ne branla
point de son poste, mais elle eut bien desiré
que la premiere ne se fut point si tost monstrée
afin d’adiouster à l’auantage du descendant
de la marée, celuy qu’elle auoit du vent.

 

Elle mit toutefois à la voile, & refoulant lad.
marée alla à l’armée du Comte du Daugnion,
ayant à sa teste 4. vaisseaux à feu de 3. à 400. tõneaux
chacun, soustenus dans les interuales de
ses galeres, & le tout par deux nauires de guerre
& par son Amiral & les autres en suite, auquel
ordre elle se seruoit autant qu’il luy étoit
possible du vẽt pour aller sur l’Amiral de Frãce

Ce qui obligea le Comte du Daugnion qui
ne têmoignoit pas moins d’ardeur d’en venir
aux mains que le party contraire, d’adiouster à
la marée qui le conduisoit sur luy deux grandes
chaloupes afin d’y arriuer auec diligence.

Le combat commença par les chaloupes &
galeres de l’armée Royale & tous les vaisseaux
Bordelois, en suite dequoi on en vint à la mousqueterie,
à laquelle l’Amiral de France répõdit
auec tãt de feu, que les Capitaines des brulots
ennemis ayans iugé que toute leur escorte
n’aborderoit pas cet Amiral, ils mirent le feu
à leurs grands bruslots à la portée du pistolet.
Mais le sieur Gabaret quoy que blessé à la mãmelle
& au petit ventre de deux mousquetades,
se porta auec tant de resolution en cette

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occasion, comme firent les sieurs de Pasdeieu,
de Moudon, de Confolant & ceux des chaloupes
par eux commandées, qu’ils destournerent
les brustots, l’vn desquels conquis par vn
des plus resolus Capitaines du party contraire
ayant resisté plus long temps que les autres,
demeura échoüé Ce que voyant le Comte
du Daugnion, il enuoya ordre à ses chaloupes
de l’aller aborder, pendant que luy en s’auançant
toujours vers les vaisseaux & galeres
des Bordelois les empeschoit de le secourir.

 

L’affaire succeda selon son dessein : car ayant
poussé & fait plier l’Amiral de Bordeaux & les
vaisseaux qui l’accompagnoient, & obligé les
galeres de leur party d’abandonner ce brulot
qu’elles auoient [1 lettre ill.]asché iusques alors de remarquer,
lesdits sieurs de Gabaret, de Pasdejeu,
de Mondon, de Confonlant, & tous ceux
qui commandoient lesdites chaloupes l’aborderent :
& fut là donné vn rude combat,
où il y eut plusieurs blessez de part & d’autre,
par la longue resistance de ce Capitaine du
brulot, & le grãd renfort d’Officiers & de soldats
des regimens susdits qui estoient de dans,
qui firent plusieurs descharges de mousqueterie
sur les nostres : nonobstant lesquelles,
ces Chefs Bordelois, voyãs que l’abordage des
vaisseaux du Roy se continuoit, se ietterent
dans vne petite chaloupe pour se sauuer, mais

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auec telle precipitation, qu’ils ne furent aperceus
de leurs soldats qu’apres qu’ils les eurent
quitez. Alors ces soldats dépourueus d’autre
moyen de se sauuer, se pensans ietter dans la
mesme chaloupe, leur Capitaine coupa le cable
qui l’attachoit au corps du vaisseau, & s’y
sauua luy troisiesme, laissant toute sa soldatesque
au nombre de deux cens hommes à la
mercy des vagues de la mer où ils se précipitoient
& se noyerent tous, à la reserue de
trente ou quarante qui aymerent mieux se
confier a la misericorde du Roy, demeurans
dans leur vaisseau, que de suiure la fortune de
leurs compagnons.

 

Parmy ceux qui furent faits prisonniers
se trouuerent vn Capitaine & vn Lieutenant
du regiment de Lusignan qui estoient de la
garnison de Lermont, laquelle les Bordelois
auoyent embarquée le matin à la veuë de la
flote Royale, preuoyans qu’ils ne pourroient
conseruer cette place.

Ce pendant le Comte du Daugnion obligea
l’Amital des Bordelois & le reste de leur
armée de prendre la leur vers Bordeaux pour
s’y mettre à couuert : mais la marée leur ayant
manqué vis à vis Lermont & le vent s’estant
changé ils ne s’y purent rendre, & la crainte
qu’ils eurent de tomber sur l’Amiral de France
au descendant de la marée, les contraignit

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de moüiller deuant cette pointe de terre :
Ce Comte voyant aussi par le mesme defaut de
de vent & de marée qu’il ne pouuoit dauãtage
auancer sur eux, moüilla à la demy portée du
canon de leur armée, où se monstrant courageux,
il enuoya recüeillir ceux qui l’auoient
esté en cette occasion. Il fit aussi rafraischir ses
chaloupes d’hommes, de viures & munitions,
à dessein d’aller de nouueau combattre les
Bordelois, faisant à cette fin ietter la sonde par
ses Pilotes, ausquels il commanda de prendre
si bien leurs mesures qu’il pust estre sur eux, auant
qu’il eut fait leuer l’anchre, croyant quétans
forcez de se retirer en haste, ils ne pourroient
emmener leurs vaisseaux, notamment
leur contre Admiral qui estoit dans vn trop
mauuais poste pour appareiller au premier flot

 

Là dessus le Duc d’Espernon ayant enuoyé
vers ce Comte pour se conjouyr de la victoire
dont il auoit esté tesmoin, s’estant tenu toute
la iournée en armes sur la riue, il le vint trouuer
auec le Geneneral de la Valette & quantité
d’Officiers sur les chaloupes que luy auoit
enuoyées ce Comte, auec lequel ayant tenu
conseil vne heure il se retira.

La marée commençant à monter sur les 9.
heures du soir, ce Comte ordonna au sieur de
la Roche Capitaine de l’Admiral, d’aller commander
ses chaloupes le plus pres qu’il pourroit

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des Bordelois, afin de profiter de leur retraitte ;
& de fait ce Capitaine fit faire tant de
descharges sur leurs nauires à longueur de pique,
que plusieurs y furent tuez & blessez,
dont on n’a pû encor sçauoir le nombre.

 

Luy sans faire tirer le coup de partance dont
il auoit auerty tous les Capitaines rauis d’aise
quand il faut ioüer des couteaux, se mit aussi
à la poursuite des Bordelois : lesquels se retirent
à si grande haste, qu’ils laisserent ce contre-Amiral
engagé entre les chaloupes commandées
par le Capitaine de la Roche & l’Amiral
de France qui le canonnoit à vne portée
de mousquet, comme faisoient lesdites
chaloupes, où ces Capitaines & Officiers cy-deuant
nommez, la patache du sieur Loudet,
& celle du sieur de Motrix firẽt paroistre leur
courage à ceux qui defendoient ce contre.
Amiral à coups de piques, apres s’estre seruis
de leurs mousquets : mais qui furent enfin cõtrains
de demander aux nostres quartier, qui
leur fut accordé : & outre les noyez & tuez, il
s’en trouua 80. prisonniers, y compris leurs Officiers.

Entre plusieurs memorables actions celle
de deux Gentils hommes volontaires de Limousin
est remarquable, l’vn nommé la Riuiere
& l’autre la Planche. Comme l’on abordoit
ce contre-Amiral Bordelois, ces deux

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Gentils-hommes ayans aperceu de la chaloupe
où ils estoient, qu’vn brigantin du mesme
party se sauuoit deuant eux, voyans que leur
chaloupe ne le pouuoit atteindre, se lancerent
de trois pas dedans : où ils furent receus si vigoureusement
qu’apres vn long combat ils
furent iettez à force de bras par les Bordelois
dans la mer : d’où neantmoins leur chaloupe
les ayant recueillis, ils firent faire vne telle force
de rames qu’ils aborderent derechef le brigantin
& s’en rendirent maistres.

 

Vne heure apres le combat, les Deputez
de Bordeaux arriuerent à l’Amiral de France,
& complimenterent le Comte du Daugnion,
de l’esperance qu’ils auoient qu’il contribueroit
à leur paix : à quoy il respondit fort ciuilemet :
mais ces Deputez ayans adiousté leurs
plaintes du mauuais traitement qu’ils receuoient
à la campagne, il leur repartit qu’il ne
discõtinueroit point qu’au prealable ils n’eussent
reconnu l’authorité Royale ; En suite dequoy,
ils passerent à Blaye pour aller cõtinuer
leur conferance auec le Mareschal du Plessi-Praslin.

C’est par où finit ceste relation escrite de
l’Amiral, moüillé auec l’armee au dessus de
Lermont, le lendemain 28. du mois de Decẽbre
dernier, auquel iour l’armée Bordeloise
estoit en son ancien poste dessous les Chartreux

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de la ville de Bordeaux.

 

Ceste nouuelle ayant esté apportée par vn
Courier arriué le 1. du mois de Ianuier, leurs
Majestez, (bien que merueilleusement satisfaites
du courage & de la conduite du Daugnion,
& de la valeur des autres Officiers de
la Flote qu’il commande, les actions desquels
parlantes d’elles-mesmes, m’empescheront de
vous repeter icy leurs noms) ne l’ont pas receuë
auec la mesme gayeté que celle des autres
victoires remportées sur leurs ennemis,
sçachans que celles-cy ne s’acquierent que
par la ruine de leurs sujets : Et au lieu que les
progrez qui se font par vn Estat estranger sur
vn autre ont accoustumé de porter les vainqueurs
à rendre leur condition plus auantageuse,
ceux-cy ont encliné de plus en plus sa
Majesté à contraindre l’opiniastreté la plus inuincible
à venir reconnoistre sa clemence, qui
ne se veut point seruir des auantages de ses armes
pour diminuer ses concessions, & alterer
en façon quelconque la paix qu’elle a donnee
à cette prouince là, se contentant de luy faire
iuger la difference qu’il y a entre la fureur d’vne
guere ciuile, & la douceur des bonnes graces
de son Souuerain.

Iouxte la copie imprimée à Bordeaux.

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