Anonyme [1652], LES RIS ET LES PLEVRS DE LA FRANCE SVR LA CONDVITE DE LA REYNE, Et du Conseil d’Estat. Découurants l’Origine de nos miseres & des Calamitez publiques. , françaisRéférence RIM : M0_3551. Cote locale : B_6_18.
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LES RIS
ET
LES PLEVRS
DE LA FRANCE
SVR
LA CONDVITE DE LA REYNE,
Et du Conseil d’Estat.

Découurants l’Origine de nos miseres & des
Calamitez publiques.

A PARIS.

M. DC. LII.

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LES RIS ET LES PLEVRS
de la France sur la Conduite de la
Reyne & du Conseil d’Estat. HERACLITE.

QVI ne gemiroit au funeste recit,
& à la veuë des malheurs qui touchent
à present cette miserable Frãce,
que nous auons veu n’agueres si
triomphante & glorieuse donner
des Loix à ses Voisins, & la terreur,
ou l’enuie à tout le reste de l’Europe : Et
qui maintenant affoiblie de tous costés, au dehors
miserable, deschirée en pieces au dedans, esprouue
mille disgraces ; Et ressemble au passant, lequel tout
couuert de sang & de playes gemit sous l’oppression
& la cruauté des voleurs qui partagent au coin
d’vn bois leur butin & ses dépoüilles ?

Qui ne sentiroit des pointes de tendresse & de
douleur voyant ce jeune Roy, né parmy les victoires
& les triomphes de son Pere, nourry dans le
sein de la gloire en ses premieres années, & dont
le Regne fut ouuert en triomphant ; separé maintenant
de sa ville Capitale par la faute de ceux qui
sont les plus proches de sa personne ; errant de

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Prouince en Prouince, & de ville en ville, au gré
d’vne Mere capricieuse & d’vn Fauory qui s’en jouë,
& qui feint de le seruir lors qu’il s’en sert à l’auancement
ou à l’execution de ses plus mauuais desseins :
Cependant qu’on pille le païs de ce Prince, qu’on
détruit ou qu’õ prend ses Villes, & queson Royaume
demeure en proye aux François mutinés, & aux
Espagnols butinants ? Qui ne donneroit des larmes
à l’aueuglement de la Reyne, qui sous pretexte
de s’interesser à la conseruation de l’authorité
Royale, sacrifie à sa passion le repos, le sang, & les
biens des Peuples, auec la Couronne & l’Estat de
son fils : Et se plaist à jetter tout le Royaume dans
vn abysme de confusion, pour satisfaire, ou son
amour, ou sa vangeance, sans pouuoir contenter
ny l’vn ny l’autre qu’impuissamment ?

 

Qui ne plaindroit ce fat de Mazarin luy mesme,
combattu d’vn si grand nombre d’ennemis, &
deschiré de tant de remords, d’inquietudes & de
soins deuorants ; ce malheureux dont la personne
est en butte à toutes sortes d’outrages, & la Reputation
prostituée à mille sortes d’iniures & d’indignités ?
& qui cependant bien qu’il porte comme
les Demons tousiours son enfer auec soy,
nourrit vn desir eternel de nuire à la Frãce ; Et trouuer
le plus cruel de ses supplices dans la vanité de
ses esperances, & dans la confusion que luy causent

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les mauuais succez de ses entreprises ?

 

Qui n’accuseroit & ne plaindroit à la fois le
Priué Conseil du Roy qui le trahit en effet, &
sa propre reputation par l’obeïssance aueugle
qu’il preste à tous les sentiments du Ministre, dans
l’esperance d’obtenir de grasses recompenses ? Qui
ne voudroit du mal au Parlement, qui n’ayant pû
demeurer ferme dans la resolution d’vne belle entreprise
qu’il auoit fait pour le bien public, à mis le
feu par toute la France, & perdant en suite le soin
de l’esteindre ou de l’appaiser cõme espouuanté de
la grandeur de ce prodigieux embrasement, est
retombé dans sa premiere Lethargie, ou s’est jetté
du costé de ceux qu’il accusoit auparauant comme
concussionnaires & voleurs du bien public ?

Qui ne se formaliseroit du tort qu’on fait aux
plus fidelles seruiteurs du Roy (comme au pauure
Comte d’Harcourt) qu’on priue de leurs charges
& de leurs emplois, pour en faire present à des indignes,
dans la croyance que ce sont des instruments
de seruitude plus soumis & plus resignez ?
Et qui ne verroit auec douleur des Estrangers tenir
auprés de sa Majesté le rang des principales
personnes de l’Estat ? comme si le Roy vouloit
par là donner à connoistre aux François que le
temps est venu auquel cét empire doit passer en des
mains Estrangeres, & leur monstrer qu’ils ne doiuent

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point craindre de leur donner entrée en ses
terres, puisque luy mesme en a leué le signal.

 

Qui ne seroit touché de la disgrace de ces malheureux
Parisiens, dont la Ville fut tousiours le
sejour des graces & de plaisirs, où l’on n’oyoit autrefois
que des chants de resioüissance, des Musiques
& des concerts, & où l’on n’entend auiourd’huy
que des plaintes, des mousquetades, & des
tambours, auec des cris d’alarme & de sedition ?
Ou l’on ne voyoit que des jeux & des triomphes,
& où l’on ne voit que des desordres & des miseres :
où l’on ne parloit que de nopces, de festins,
& d’où l’on ne sortoit que pour faire d’agreables
promenades à la campagne en des lieux ou se
trouuoiẽt mille sujets de diuertissement & de plaisir,
& de laquelle on ne peut sortir à present, ou
s’auancer vingt pas au delà de ses portes, sans rencontrer
des assassins & des voleurs ? D’où l’on ne découuroit
que voluptueuses Metairies, & ces Villages
pleins de delices, & d’ou l’on ne voit de quelque
costé qu’on jette les yeux, qu’vne solitude espouuantable
& outrageante, auec des mazures &
des deserts ?

Qui n’auroit auersion, ou plûtost horreur de
la lascheté de ces meschants Financiers qui ruinent
nostre bon Prince en volant son Peuple, & s’efforcent
d’accumuler dans leurs indignes familles

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des thresors, qui seront enfin la cause de la perte
de leur vie, & de la cheute de leur maisons, comme
ils le sont de la honte du Prince qui leur donne
les biens des Prouinces à deuorer, & de la
pauureté du Peuple expose sans deffence à toutes
sortes d’outrages, comme la terre reste exposée à
toutes les iniures de l’air.

 

Qui ne haïroit ou ne condamneroit cette Noblesse
insensible, qui voit deschirer l’Estat sans
le secourir, qui Laisse inutilement passer l’occasion
de se ressentir du mauuais traitement quelle
a reçeu par le passé de l’auarice & de l’insolence
des Partisans, & d’obtenir le r’establissement de
ses droits, en faisant voir que comme elle est le
Seminaire des Roys, & le veritable appuy des
Throsnes, elle doit faire que ces Princes en vsent
auec assez modestie & de discretion pour ne pas
les esbranler, en s’opposant courageusement à leur
cheute ?

Qui ne seroit émeu de cõpassion de voir la souffrãce
de ce Peuple indefendu, qu’aprés le Partisan &
l’exacteur, le soldat qui marche fierement sur les traces
de l’vn & de l’autre Traitté auec vne rigueur
nompareille, reduit aux dernieres extremitez : Et lequel
mis sous le pressoir durant plusieurs années par
les Richelieux, les Bullions, les Seguiers, & les
autres cruelles sansuës de ce Regne d’oppression, &

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de puis encore plus maltraitté par les Mazarins,
Les Telliers, & les Guenegauds est menacé derechef
des griffes & de la dent d’vn nouueau loup
Marin, presteur de millions à sa Majesté, porte à
present tout seul le faix de la guerre, sans auoir
commis aucune violence enuers le Roy ny les
Princes ? De ce Peuple, Dis-ie, qu’on égorge, &
qu’on massacre impitoyablement en mille endroits,
& que par tout ailleurs on rend à pire condition
que les bestes.

 

Qui ne seroit affligé du refus que font Messieurs
les Princes de prendre sa cause en main pour
finir bien-tost la Guerre, & se fortifier de la protection
du Ciel par la Iustice de leur entreprise ?
Et qui ne les blâmeroit du déreiglement qu’ils
font paroistre, en ce qu’ils ne paroissent armez que
par quelque mouuement de ialousie & d’ambition,
pour quelques interests particuliers, & pour
contenter ie ne sçay quelle chaleur de sang qui
couste cependant à la France la vie & le sang d’vne
infinité de ses Sujets, & le repos à tout le
Monde.

Qui ne se porteroit au murmure contre le mauuais
Genie de cét Estat, voyant que par sa suggestion
& son entreprise, les Estrangers sont honorez
de nos caresses, & comblez de nos faueurs,
lors qu’ils le déchirent au dehors, & le consomment

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au dedans ; & qu’estants presque indifferents
aux malheurs & à la honte de l’Estat, parce
que nous en haïssons le gouuernement, nous
croyons trouuer nostre gloire dans nostre honte,
& nostre bon-heur dans le comble de nos malheurs ?

 

Qui ne seroit outré de douleur à considerer
ce vaste champ de desolation & d’horreur, & ces
diuers suiets de misere ? Qui pourroit y reflêchir
tant soit peu, sans deuenir malheureux par ressentiment
& repassion ? Ha, mon cœur se sent déchirer
par la force de mon imagination qui me
represente ces tristes obiers ! Ie meurs auec les
mourants ; ie languis auec ceux qui languissent,
& souffre par les sentiments de ma tendresse toutes
les disgraces de ceux qu’on vole, qu’on dépoüille,
& qu’on assassine sur les grands chemins,
& dans la Campagne. Pleurez donc, pleurez,
mes tristes yeux, & vous changez en des sources
de larmes, afin d’auoir assez d’eau pour pleurer
des malheurs si déplorables ; Pleurez sur Paris,
cõme sur vne autre Hierusalem, puis qu’il n’est pas
moins dans l’erreur & dans l’affliction. Sur ce beau
Paris, sur ce beau Paris ; qui n’est plus que l’ombre
de ce qu’il estoit ; Ce beau Paris qui donnoit
de la ialousie aux plus belles & plus heureuses
Villes du monde, & qui porte maintenant enuie

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à la quietude des Villes les moins riches & les
moins considerables de la France ! Ce Paris qui
placé comme vn Paradis terrestre dans vn climat
plein de merueilles & de delices, qu’on
nommoit vulgairement le pays precieux, & qui
semble à present posé comme les Pyramides d’Ægypte,
au milieu d’vn affreux desert, qui donne
aux Passants lors qu’ils iettent les yeux sur le pourpris
de cette grande Cité, suiet de faire cette exclamation
en y repensant : Quomodo sedet Sole Ciuitas
plena populo ? En effet, c’est vn prodige de voir
que cette Ville reste seule pleine de monde, mais
d’vn Peuple miserable au milieu de ses villages
tous deserts, & que voyant à toute heure ses ennemis
à ses portes pour y faire des prisonniers, ou
du butin, elle ne fasse aucun effort pour se déliurer
d’vne si cruelle suiettion. Nommons-la
donc trois fois miserable, & trois fois aueugle : Et
puis qu’elle n’a plus son Roy dans son sein, &
qu’elle conçoit souuent l’esperance de l’y reuoir
vn iour seant dans son Throsne & dans son lict
de Iustice, Disons encore d’elle sur ce suiet, facta
est quasi vidua domina gentium : Mais prions Dieu
que sa souffrance & sa Letahrgie ne passe vn iour
iusqu’à ce point qu’elle nous donne suiet de faire
à sa disgrace l’application de ce qui suit au même
texte : Princeps Prouinciarum facta est sub tributo. Le

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cœur me saigne, & la voix me manque à cette
occasion, ie vais cesser de parler.

 

DEMOCRITE.

Qui ne riroit, mais qui ne riroit à gorge déployée
de tous les suiets qui font pleurer ce malheureux
contemplatif, qui ne regarde les obiets
que par le biais qui les fait paroistre tristes & lugubres,
& non par l’endroit où ie les voy dans
leur vray iour & leur vraye situation ? Qui ne
riroit premierement de la stupidité de ce Peuple
de Paris, qui se laisse, comme on dit, manger le
pain à la main, & traiter indignement au dehors
& au dedans de ses murailles, sans s’ayder non
plus qu’vn mort, ny pousser qu’vn petit murmure
quand le peril luy paroist le plus pressant,
bien qu’il guerre incessammentau Cabaret, & fasse
peter le salpetre en diable & demy, parmy les ruës, au
danger de (faire crier tire badaut) qui badine & se diuertit
en vn faire le tour de pourmenade au Luxembourg,
sans aucun soucy du Blocus, si-tost
que l’ennemy s’est retiré cinq ou six lieuës loin de
ses faux-bourgs, & que le pain de Gonnesse vient
auec facilité. Qui depuis tant de mois qu’il est
dans la hesitation & dans le trouble n’a pas eu
l’esprit de prier Messieurs les Princes de faire vne
Declaration authentique, pour donner à connoistre
s’ils prennent les interests du peuple, ou non,

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afin qu’on s’attache à leur party de la bonne sorte,
ou qu’on s’en détache tout à fait : qui n’a pû se
resoudre à mettre sur pié, comme Messieurs de
l’Ormée de Bordeaux, deux ou trois Regiments
qu’il entretint & fist tousiours voltiger par brigades
& par Compagnies à la Campagne, pour
la defence de ses metairies, de ses bleds & de ses
vignes, dont il a presqu’entierement perdu la recolte
pour ce defaut ; qui s’en va par grosses troupes
auec les robes magistrales prier à genoux, &
le ventre contre terre, son bon Roy, de reuenir
en sa bonne Ville de Paris, & demander la Paix
qu’il tient en sa main, s’il estoit assez resolu pour
entreprendre & pour oser. O les estropiez de
ceruelle ! O les Innocents & les Badauts, & trois
fois encor les Badauts ! Mais voyons vn peu ce
qui tient la Cour, & l’empesche de venir dans son
Louure tenir ses Grands Iours ? Et deuant toutes
choses, ce qui l’obligea de faire vn trou à la nuict
comm’elle fist la premiere fois quand Paris commença
d’estre bloqué. On ne luy a pas rendu
tousiours assez de respect ; on n’a pas laisse faire
à son Mazarin ses orges à sa phantaisie ; on n’a
pas voulu souffrir toutes les insolences & les voleries
des Partizans ; on a crié qu’elle bailloit les
Brebis à garder au Loup ; que le desordre estoit
grand, ou plustost intolerable, parmy la France,

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& qu’il falloit y apporter quelque remede. On
a prié la Cour de s’acquitter de deuoir, elle ne la
pas trouué bon, elle a dit qu’il falloit que l’enuie
luy en vint d’elle-mesme, que ses Sujets n’auoient
rien à luy ordonner, que ce n’estoit pas à vilains à
renier Dieu, & qu’elle ne souffriroit qu’on luy
prescriuist des Loix, puis qu’elle estoit la Loy viuante
& animée, qui doit tout rendre suiuant ses
mouuements, sans que personne ait droit de s’en
formaliser ou d’en gronder seulement.

 

Ces responces n’ont pas satisfait les esprits de
tout le monde ; messieursles Crocheteurs & Batteliers
y ont trouué à redire, comme de raison, alleguants
aussi pour leur raison, que qui fait beste le
loup le mange, & qu’il n’est que de mõstrer ses dents
au loup pour le mettre en fuitte. Ils ont crié point
de Mazarin & viuent les Princes. La place que Madame
la Cour auoit quitté par dépit s’est trouuée
aussi-tost remplie, & comme on sçait que visage
d’homme fait vertu, & que les os sont pour les
absents, le party des orgueilleux n’a pas esté le
plus fort, & les supposts des Mazarins ont esté
forcés de ceder au temps ; Gouuerneur, Preuost
des Marchants, Lieutenant Ciuil, toute la sequelle
enfin a fait gilles, de peur d’accident, mais
comme on fait souuent en peu d’heure, chose
dont on se repent tout à loisir : La Cour ayant

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veu qu’elle auoit fait vn pas de clere, & sçachant
qu’il est escrit, Qui tenet tenet, possessio valet, voudroit
bien trouuer quelque subtil moyen pour remonter
dessus sa beste, sans en auoir l’obligation,
ny à gautier, ny à garguille, pour deroger à la
Souueraine dignité. C’est pour cela qu’elle remuë
ciel & terre pour émouuoir dans Paris quelque
sedition, qui comme vne vaste machine l’introduisist
par de subtils effects dans la Ville à la faueur
du desir & du bruit, auant qu’on s’apperçeut
de son approche, afin qu’on en sçeust plûtost
la mort que la maladie, & que Paris demeurast
pris comme au trebuchet, auec tous ceux qu’elle
a mis au papier des Regents. Mais en bonne
foy qui ne riroit de luy voir faire toutes ces singeries
& ces chimagrées à contre-temps, lors que
le compere Heraclite tourne tout du costé de
ses visions. Le Ciel de la patrie pour souuerain Iuge,
ou pour vangeur prenne de là sujet de dire
qu’elle est punie pour ses pechez, & de s’écrier
auec le bon homme Ieremie qui fut vn personnage
de son humeur, Peccatum peccauit Ierusalem propterea
instabilis facta est, omnes qui glorificabant eam spreuerunt
eam, quia viderunt ignominiam eius. Que ne parle
t’elle, bon jeu bon argent ? ou plûtost que ne se
met t’elle à la raison, pour cesser d’estre vagabonde
& miserable comme elle est ? Ne voit t’elle pas que

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c’est vn faire le faut, & que Henry le Grand resolut
bien d’en passer par là, luy qui estoit aussi
faux garçon, & d’aussi bonne maison que les autres.
Que n’enuoye t’elle Mazarin à tous les mille,
puis qu’il fait tant crier de monde contre sa maudite
engeance, & qu’il fait commettre tant de
pechez mortels à vne infinité de personnes qui ne
peuuent s’empescher de luy vouloir du mal, parce
qu’il ne peut s’abstenir de leur en faire ? Que ne se
deffait-t’elle de ses Princes Thomas, Milords Germains,
& de ses maudits Ondedeïs, puis qu’ils ne
valent pas mieux que leur chef, & qu’à vray dire
toute la tonne sent le haranc. Que veut-t’elle ?
Que pretend-t’elle ? Que demande-t’elle ? Puis
qu’on luy veut rendre tout honneur, toute obeïssance,
& tout respect, en cas qu’elle se mette à la
raison ? Nous esgorger. Il n’est pas juste ? Nous fouler
aux pieds ? il n’est pas raisonnable ? auoir tous
nos biens ? il n’est pas expedient qu’elle songe que
si depuis quelque mois en çà elle s’est trouuée vn
peu à l’étroit, c’est qu’elle n’est pas tousiours allée le
grand chemin, & qu’elle s’en est trop fait accroire
sans escouter la Maxime qui dit, mets raison en
toy ou elle s’y mettra. Quelle pense aussi que les
plus courtés folies sont les meilleures, & qu’elle
renonce à ce vain orgueil qui la seduit, & qui ne
luy sert de rien que d’vn fascheux diuertissement.

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Quelle parle donc à couuert : Quelle auoüe sa faute,
& quelle entre sans scrupule au port ou elle
desire impatiemment de surgir. Mais ie sçay bien
quelle n’a garde de descendre à cette bassesse, elle
abaisseroit trop sa grandeur & feroit tort à sa dignité.
Il faut quelle badine, tourne autour du pot,
& se fasse encore prier long-temps auparauant.
Elle est de l’humeur des Chantres qui ne trouuent
iamais bon de chanter lors qu’ils en sont conuiez,
& rompent la teste de leurs chants, quand on souhaiteroit
qu’ils se teussent ? Elle nous veut faire
achepter cherement sa venuë, & refuse cependant
le morceau qu’elle voudroit tenir entre ses dents.
La badine, l’innocente ! Qui ne voit pas que les plus
fins se mocquent de toutes ses feintes & de tout
son tripotage, & qu’il n’y a osé des plus grossiers
qui court apres elle pour le prier de reuenir. Mais
ce qui la tient, c’est qu’elle est Madame le cœur,
qu’on l’a trop caressée & trop mignardée par le
passé, & qu’on la cajolle encore trop à present :
Elle est comme l’enfant gasté qui se rend de plus
mauuaise humeur, plus on s’empresse à luy faire
de singeries, & plus on luy donne de poupons
pour l’appaiser. On ne l’aura iamais que par la rigueur
qui le fera souuenir du prouerbe, tel refuse
qui apres muse, & d’étruire, il est aujourd’huy
saint Lambert, qui quitte sa place la perd, est sans

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doute ce qu’elle attend, & ce à quoy elle obligera
les Parisiens à la fin. Voila ce que ie puis dire
de la Cour en general.

 

Au reste ie n’oserois, tout Democrite que ie suis,
passer iusqu’au sujet de leurs Majestez pour en
dire ce qu’il m’en semble. Mais enfin n’est-ce pas
vn plaisant spectacle de voir vn Roy declaré Majeur
dépendre encore en enfant des volontez de
sa Maman, qui ne se possede pas elle-mesme ? Et
s’affliger pour le refus de quelque galanterie, luy
qui ne s’afflige pas pour les ruines & la desolation
de son Estat ? de le voir qui passe le temps auidement
au jeu des Quilles, ou à la chasse des bestes
fauues dans les forests, cependant que d’autres
dans ses Villes se logent à la chasse Royale, ou ils
s’exercent en effet, & s’effacent d’abattre des Testes
au lieu de Quilles ? de voir vne Reyne reputée
autrefois si vertueuse démentir cette bonne
opinion qu’on eut d’elle, lascher la bride à ses
passions, donner carriere à son esprit, se mocquer
de tous les bruits, & se conduire contre la fortune
auec vne opiniastreté merueilleuse, aymant mieux
tout perdre que de ne pas donner à son Mazarin
toutes les satisfactions qu’il peut attendre de sa resignation
& de son engagement. Qui ne prendroit
plaisir à voir ce Conseil cõposé de cire molle,
malheureux, impatient du butin & de la proye

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qu’il regardent auec vne auidité nompareille
dans les dons qu’ils attendent du Prince, authoriser
tous les excez des particuliers interessez
dans les partis, trahir leur conscience & leur honneur
à la passion de la Reyne & du Mazarin, &
se mettre en toutes sortes de sens pour plaire à l’vn
& à l’autre, dans l’esperance d’auoir part aux auantures
de Fiefs qui leur passent toutes par les mains ?
Qui n’admireroit le Genie de cét Omnis homo,de
premier President, à l’auarice duquel rien ne suffit
pour le contenter ? qui saisit Archeuesché, Eueschez,
Abbayes, & Prieurez, tant pour luy que pour
Messieurs ses enfants, & qui croit que sa profession
de Charlatan qu’il exerce en Cour compatit
auec celle de Prelat, & ne disant iamais c’est assez
en ce qui le touche, ne le dit iamais en ce qui touche
la France, sur la quelle il n’y a plus tantost à tondre,
non plus que dessus vn œuf, & sur laquelle il fait
cependant que les Partisans trouuent tousiours à
picorer. Ie rirois trop si ie considerois long tẽps
la posture, les amusements, & les diuers troubles
du Parlement portatif de Pontoise, & c’est pourquoy
ie le quitte pour passer à d’autres sujets
non moins ridicules. Ne rirois-je point de voir
l’attachement de ces Financiers de Partisans, qui
toute la iournée s’occuppent à faire vn grand
monceau d’ordure de leur picorée, ou l’on viendra

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bien-tost mettre le feu, ou sur qui certain escogriffe
qui regarde leur butin d’vn œil d’enuie, ne
manquera d’en faire rauage, si Bellonne se declare
en sa faueur en luy procurant le gain d’vne bataille
qu’il attend. Mais ne riray-je point en democritte
de voir tous les mouchards de Cour qu’on
nomme vulgairement Mazarins, faire le pié de
Gruë prés de la Reyne, dire deuant elle le petit
mot de galanterie sur le sujet de la soupplesse des
Parisiens, se monstrer prests à l’execution de tous
ses ordres, & joüer enfin le personnage des esclaues
ou des Eunuques du Serrail ?

 

Qui ne verroit auec rauissement le Cardinal
Mazarin luy-mesme, ce vieux basteleur déguisé,
prés de la Reyne, sa chere Dame & Maistresse, le
chapeau soubs le bras faisant les doux yeux, &
tirant de sa poitrine de veau maint souspir suiuy
d’vne amoureuse exclamation de haine, tantost
sortant de la France à la dérobée, & tantost y
rentrant auec main forte, excitant par tout d’horribles
rauages, & seruant de ioüet à Messieurs nos
Princes, & de fleau à tous les Prouinciaux & bons
Habitans de la Ville de Paris ?

Qui ne se diuertiroit agreablement reflechissant
sur la conduite de Messieurs les Princes, qui
vont chercher midy à quatorze heures, faisants venir
des Estrangers pour les assister, lors qu’ils n’auroient

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que trop de François à leur suite, s’ils vouloient
prendre la bonne voye ? qui veulent que
le Peuple les assiste, & ne veulent point prendre
le party du Peuple ? Qui refusent ce qu’ils ont
demandé, & demandent ce qu’ils sçauent qu’on
leur doit refuser, qui tiennent de grandes armées
sans rien faire autour de Paris, qui font vn mystere
pour toute la France du suiet pour lequel ils
font la Guerre, & suspendent l’effet de leurs armes
par l’esperance de la reüssite de leurs intrigues
que personne ne comprend, & ou ie pense qu’eux
mesmes ne voyent goutte ? C’est ainsi qu’alors qu’õ
les croit sur le point de finir la Guerre par vn combat,
On les en voit le lendemain éloignés de mille
lieuës, & que la Guerre qui ne sembloit plus
tenir qu’à vn petit fil, paroist attachée à vne grosse
corde de Grüe.

 

Quoy l’interest, quoy la passion de quatre ou
cinq particuliers, berner ainsi tout vn Royaume
N’est-ce pas trop de folie d’vn costé, & trop de
sottise de l’autre ? mais qui pourroit iuger lesquels
dans l’vn & dans l’autre party sont plus raisonnables ?
Et n’est-ce pas icy que conuient la sentence
du Gymnosophiste Indien, sur les responces de ses
compagnons aux demandes faites à chacun d’eux
par Alexandre le Grand, qu’ils auoient tous dit
les vns pis que les autres, puis qu’en effet on ne

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peut presque discerner qui fait le moins mal de
nos entrepreneurs, & l’on dit vulgairement que
Messieurs les Princes n’ont guarde de combattre
le Monopole, qui sera le sujet d’vne nouuelle
Guerre plus dangereuse que celle-cy, puis qu’ils
en tirent tous profit, & que c’est d’où ils attendent
leur recompense. En effet ils n’õt pas assez de
simplicité pour se monstrer si desinteressé. A quoy
s’exerceroient ils, quand la Paix seroit faite, &
que feroient tous ceux qui sont accoustumés à
pescher en eau trouble ? quand trouueroient-ils
vn si bon nid, & ne leur seroit-t’il pas sur tout
fascheux, de ne plus paroistre plus grands Seigneurs
que les autres ? Pour ce qui est de Madame la Cour
si j’estois Heraclite ie pleurerois de sottise, d’estre
venuë deux fois aux portes de Paris quelle trouuoit
toutes ouuertes, & ou elle brûloit d’enuie
d’entrer, & de n’auoir peu prendre l’occasion aux
cheueux, & c’est pourquoy, puis qu’elle refusa le
morceau : Il est bien employé qu’elle en jeusne, &
qu’elle approuue que les jeusnes sont faits pour les
fautes, & qu’il ne faut refuser sa premiere chance.

 

Mais que diray-je de ce grand Parlement de
Paris, ne merite-t’il pas plûtost des Couronnes
de Chardons que de Laurier ? n’a-t’il pas produit
de rares merueilles en suitte de leurs grandes promesses ?
Iuste Ciel qui veid iamais vn tel badinage,

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& tant de repugnance & de contradiction en vn
mesme Corps ? la Renommée rougit encore pour
luy du succés de leur premiere entre prise, & j’aurois
honte de m’en souuenir icy, si ce n’estoit pour
en galantiser & pour en rire.

 

Mais cependant ce sujet, tout ridicule qu’il est,
ne doit auoir rien de nouueau pour mon esprit
qui m’oblige d’en former des sujets de risée. Ce
n’est pas d’aujourd’huy qu’on a veu des folies &
des sottises parmy les hommes. Ce monde en est
le Theatre, & tous les hommes en sont les Acteurs :
Il n’y a point de Cour ny de Siecle qui ne nous
en ait fourny des exemples, ny d’homme pour
sage qu’il soit, qui n’en ait produit quelque acte,
ou rendu quelque témoignage. Ce sont vne Reyne
& vn Roy, ausquels tous les hommes doiuent tribut
aussi bien qu’à la mort ; il le leur payent en
gros où en détail en leur jeunesse, ou en leur vieillesse :
Mais n’est-ce pas aussi folie d’en douter,
puisque Salomon le plus sage de tous les hommes,
& qui fut le plus grand fol à la fois l’a dedit luy-mesme
en son Ecclesiaste. Escoutez comme il en
parle, Vidi vniuersa quæ fiunt sub sole & ecce vniuersa
vanitas.

 


I’ay parcouru, dit-il, le Ciel, la Terre & l’Onde,
I’ay veu ce qu’on faisoit en tous les lieux du monde.
Où ie n’ay rien trouué qui ne fut en effet,

-- 23 --


Tourment d’esprit ; folie, ou bonheur imparfait.
Les pecheurs endurcis se corrigent à peine.
Et rien n’est si trompeur qu’vne prudence humaine.

 

C’est ce qu’autrefois ie m’amusay à rimer, examinãt
les mêmes sujets dont ie traite à present. Mais c’est
folie d’en douter, & plus grande folie d’en pleurer,
puisque tout passe legerement dans le monde & se
couure l’vn l’autre, comme vne vague qui s’écoule
en descendant enseuelit celle qui est à demy foulée,
& fait bien-tost place à d’autres qui s’éleuent &
se confondent de la mesme sorte. Tels sont nos
debats, telles sont nos Guerres, & telle fin auront
les contentions de Messieurs les Princes & de la
Cour : le Mazarin s’en ira, le Coadjuteur prendra
sa place, & se formant d’autres idées nous fera voir
de nouuelles broüilleries qui plairont d’autant plus
aux François qu’ils aiment sur tout les choses
nouuelles. Ondedey ne sera plus dans le Conseil,
quelqu’autre peut-estre aussi meschant marchera
sur les traces de cét Estranger, & me fournira de
nouueaux sujets de risée. Enfin il nous faut souuenir
que nous sommes sur les bords de Seine ou
la constance est ignorée, & que si la folie exerce sa
Iurisdiction par tout ailleurs au iugement de Cesar
& de beucoup d’autres : Elle est icy, Maistresse absoluë,
& donne des Loix à tout le monde, sur tout aux
personnes qualifiées, laissant à la sottise & bas estage à
la reünir.

-- 24 --

Ainsi desirer des François de l’ordre ou de la
fermeté, c’est exiger d’eux des marques d’vn don
qu’ils n’ont pas reçeu du Ciel. Ils reüssiront bien
dans vn Bal, dans vn Course de Bague, ou dans vn
Duel, ils passeront les plus polis en proprieté ? Ils
diront mille galanteries & mille bons mots en cõpagnie,
& se feront par tout remarquer par les qualitez
qu’on desire dans les personnes plus ciuilisées,
mais de reüssir dans vn Conseil d’Estat, mais de
former conjointement vne belle resolution pour
le salut de la Patrie, & de preferer la gloire & l’honneur
qu’on doit attendre de l’execution d’vne belle
entreprise au profit & à l’interest ? Qu’on aille chercher
ailleurs qui practiquera cette Philosophie,
puisque Seruient ny Molé, ny celuy qui nous a fait
tant de biens par le passé, Ie veux dire le grand
Seguier, ne sont point assez abstraits & détachez
de la matiere, pour en vser de cette sorte. Mais ie
vois qu’Heraclite brusle d’enuie de dire son opinion
sur les sujets differents que j’ay touchés à la
fin de mon discours, & ie veux bien luy en donner
le loisir, parce que les folies des François que
j’ay tousiours deuant les yeux & dans l’esprit me
prouoquent si fort à rire, que ie mourrois sur la
place, si ie ne me donnois ce contentement.

HERACLITE.

Helas, il est vray, le monde n’a tousiours esté

-- 25 --

qu’vn Theatre, où les vices ont ioüé leurs personnages
tour à tour, & le plus souuent en amas.
Tous les regnes & tous les siecles nous en ont fait
voir des exemples reprochables, mais sur tout la
pauure France a tousiours esté la plus mal regie
du monde, & c’est d’elle, en l’estat qu’elle est,
ou des siens, plustost que de toute autre Prouince
de la terre, qu’on doit entendre ce passage
du Psalmiste, Omnes declinauerunt simul inutiles facti
sunt, non est qui faciat bonum, &c. Tous les Hommes
ont degeneré des sentiments de la Iustice & de
la Vertu dans le vice & dans l’interest, tous ont
suiuy le chemin de l’erreur pour tomber dans le
gouffre de la corruption : Tous se sont égarés
dans des routes écartées, il n’y en a pas vn qui ait
des intentions droites ; pas vn qui ne soit preuaricateur
dans les Loix diuines & humaines ; pas vn
qui se propose constamment vne fin honneste &
glorieuse, & qui ne soit digne de compassion dans
la vanité qui le seduit. Sur tout ces malheureux
François, dans la legereté qui leur est comme essentielle,
& qui leur fut de tout temps imputée,
font mille fautes & mille faux pas. Accoustumez
à la Tyrannie, & à profiter de ses dons, ils luy
seruent en esclaues, ou la choquent seulement à
dessein de l’obliger à leur faire de grandes largesses
pour les appaiser, en leur permettant de piller

-- 26 --

les autres, & dans l’vn & l’autre sentiment se faisants
vne guerre mortelle, ils se combattent & se
détruisent reciproquement. Le feu Cardinal de
Richelieu les a rendus gueux, & ils l’ont comblé
de loüanges & de dignitez. Le Mazarin a transporté
toutes leurs richesses en Italie, & les donne
en proye les vns aux autres pour les auoir tous à
sa discretion, & se contentent de le menacer sans
se resoudre à le perdre aprés tant d’outrages & tant
d’affronts qu’il leur a faits : Leur Reyne leur tient
le pied sur la gorge ; elle donne des prix à qui leur
fait plus de mal, elle soûpire impatiément aprés
l’occasion d’vn massacre qui noye sa fureur dans les
ruisseaux de leur sang, & cependant ils la qualifient
encore d’honorables tiltres, & luy rendent de profonds
respects en particuliers. Le Conseil, le Parlement,
la Cour, les Princes, aucun, dis-ie, enfin ne
se rend amy de l’ordre, & ne veut renoncer à son
interest pour acquerir comme titrez par vn changement
en mieux le nom des delices du gente humain.
Ils croiroient se faire vn tort préiudiciable
s’ils se priuoient du’droict qu’ils briguent à l’enuy
de ce pauure Peuple, qui nourrit leurs Armées &
leur suite depuis plusieurs années. O temps ! ô
mœurs ! mais ô fatale iniustice, qui ne peur estre
iamais assez pleurée ! & funeste aueuglement pareil
à ces grands broüillards qui suiuent de grands orages

-- 27 --

qui ruinent l’esperance de labourer ! Ouy de
quelque costé que ie tourne icy les yeux, ie ne voy
que de l’iniustice & de l’oppression, & point de
Consolateur pour l’innocence affligée. Ha le cœur
me saigne derechef à cette cruelle pensée ! Pleurez
donc, pleurez, mes yeux, & iugez à voir ces funestes
Ieux du malheur de la France, que de tous les
climats du monde le sien est le plus deplorable, &
que iamais siecle n’a veu tant de desordres que celui-cy.

 

DEMOCRITE.

Qui t’oblige à tenir ce discours, pauure abusé ?
ne te souuient-il donc pas des Guerres ciuiles d’Italie,
des Proscriptions du Triumuirat, des Incursions
des Goths & Vandales, & puis des Sarrazins
dans les Prouinces de l’Empire Romain ? des derniers
malheurs de Constantinople, & sur tout de la
Nation Iudaïque par les Roys de Perse ou d’Egypte ?
C’estoient des Guerres sanglantes que celles-là,
& qui meritoient le nom de guerres ; au lieu que
ce ne sont icy que spectacles & badineries. I’avouë
cependant, & ie l’ay dit le premier, que les François
sont les personnes les plus legeres du monde, aprés
les anciens luifs, & les Sybarites. Quoy, s’ils n’étoient
les plus simples du monde, auroient-ils souffert
depuis tant d’années qu’on les bernast comme
on fait, qu’on leur mit impost sur impost, & taxe

-- 28 --

sur taxe ? auroient-ils basti de leurs propres mains,
& de leur argent, tant de Palais au feu Cardinal de
Richelieu ? auroient-ils honoré les Intendants
comme de petits Dieux en terre ? C’est dommage
que ces Harpyes qui les deuorent n’ont affaire à des
visages faits comme nos anciens Citoyens d’Athenes,
Spartiates ou Thebains ; qu’ils eussent bien-tost
trouué des Thrasybules & des Pelopidas qui
les eussent mis en pieces. Mais puis que chacun
doit estre libre de foller à ses despens, il faut rire de
leurs folies, & nous tenir le plus loin des coups qu’il
est possible ; mais que dis-ie, loin des coups, ce n’est
pas d’icy qu’ils se départent, & ce n’est plus la mode
de faire la Guerre de cette façon : les hommes coustent
trop à nourrir, & le crime est trop grand de
rendre tant d’ames veufues, & tant d’anges gardiens
sans employ ; l’on se contentera à present de
faire main basse sur le bestail comme les compagnons
d’Ænée, lors qu’ils furent chastiez par les
Harpyes, ce que ie souhaiterois volontiers à nos Picoreurs.
Ne voit-on pas comme le Maréchal de
Turẽne s’est tenu dans son camp clos & serré, & cõme
les autres font bonne chere aux dépens d’autruy ?
Mais n’est-ce pas vn plaisir de se ressouuenir comme
ceux du petit Camp des Princes ont passé le temps
durant quelques sémaines auprés de la grande Cité ?
N’ont-ils pas fait vne Foire & vn Bordel de leur

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Camp à la fois ? N’auoient-ils pas là violons, vielles,
tymbales, flustes, haut-bois, & tabourins ?
N’estoit-ce pas vne Musique à faire dancer le diable
en chair & en os, & celebrer les Nopces de l’antechrist
auec la mere de Neron resuscitée ? Qui veit
iamais plus de goines & de goinfres ablatiuo tout
en vn tas, & les postures de l’Aretin plus en vsage
& plus en monstre ? Le spectacle sans mentir eust
esté beau pour des Nonnes & des Freres Mineurs,
mais il ne manquoit point d’yeux capables de le
bien considerer. Les vns en estoient scandalisez,
& les autres rauis de ioye. Les vns disants,
c’est ieu de ieunesse ; & les autres, par Dieu leu
n’est-ce. Enfin on doutoit si cette débauche sentoit
le siecle d’or ou de fer : Mais il y a plus d’apparence
de croire qu’elle sentoit le siecle d’argẽt qui causoit
cette demangeaison charnelle, & des corps engraissez
du butin des pauures Villageois. Sur tout
vn gaillard ne réva pas, qui s’en retournant de cette
force dit en riant que ces Messieurs les Estrãgers
n’en vsoient, ainsi que pour donner aux Parisiens
la farce aprés la Tragedie, ou que c’estoit le diuertissement
de quelque entr’acte. Quoy qu’il en
soit on presume que les Acteurs ny ont rien perdu,
& qu’ils ont la recolte qu’ils firent en deux façons.
Pour ce qui est de Messieurs de Paris, ils auroient
tort de prendre à present le party contraire,

-- 30 --

apres les libertez qu’ils ont données à ces Messieurs
du Camp en leur Ville : on doit presumer en effet
en jugeant par les apparences, veu la courtoisie &
la facilité des Dames de cette bonne Cité, qu’ils
ont ensemble contracté quelque alliance signée du
sang des gendres sans le consentement des beaux-peres :
Et c’est ainsi qu’ils doiuent auoir beaucoup
de respect les vns pour les autres, suiuant l’exemple
des Romains & des Sabins. Voila ce qu’en gendre
la hantise & la frequentation mutuelle, & ce qui
m’oblige de m’écrier, ô la douce Guerre ! ô la bonne
Guerre pour la Garce & pour le Filou ! ô la triste
Guerre pour le Bourgeois renfermé dans sa
ville comme captif ! ô la rude Guerre pour le marchand
rencontré par la Campagne ! & derechef la
cruelle Guerre pour les bœufs, vaches & moutons
de plus de six lieuës à la ronde !

 

Pleure Heraclite, pleure tant que tu voudras à
l’aspect de tous ces desordres ; pleure sur Paris qui
ce paroist si digne de larmes, & n’oublie pour accroistre
le sujet de tes lamentations que les dames
d’honneur y ont perdu les plaisirs du Cours durant
l’Esté, & les Courtisans la satisfaction d’aller faire
auec l’amy la petite débauche à la Campagne. C’est
grand dommage, il est vray, qu’elle perde les ornements
qui paroient ses auenuës : Mais puisque
les Parisiens sont assez sots pour le souffrir, ie serois

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bien fou de m’en tourmenter l’esprit, C’est
pourquoy si tu m’en crois tu n’y penserois non
plus qu’à ta premiere chemise, & laisserois les Badauts
seuls à la porte du Palais attendre les resolutions
de leur failly Parlement.

 

HERACLITE.

Helas ! il faudroit bien auoir vn cœur de rocher
pour les voir à deux doigts de la chaisne ou de la
mort, sans en paroistre affligé ! galantise tant qu’il
te plaira. La main de Dieu sans doute est appesantie
sur cette ville, & quelque funeste sort la poursuit.
Que ne le puis-je détourner par mes vœux ou
par mes prieres, mais leur endurcissement est extreme,
& ce qui redouble mon dueil, est de n’en
estre point escouté, lors que ie leur découure des
veritez.

DEMOCRITE.

S’il est ainsi, cher amy, formons vne resolution
digne de nous, laissons cette terre ingratte deuoüée
à toute sorte d’outrages, & puisque nous n’auons
rien qui nous attache en son sein, allons couler le
reste de nos iours en quelque bon climat ; où le
cours de nostre estude ne soit point interrompu
par le bruit des armes. Tu sçay la resolution que
prennent à present tant d’honnestes gens, lesquels
imitans la prudence des Hyrondelles & des Cailles
quand l’Hyuer approche, passent vn long trajet

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de Mers pour se rendre en des Isles fortunées
qu’on trouue vers l’Occident, sous vn Ciel toûjours
riant & tout de Saphyrs. Ie ne m’amuseray à
décrire icy ses sources de vin, ses fleuues de laict, &
ses maisons de biscuit & de macarons, ny à te promettre
que nous trouuerons là les Iardins des Hesperides,
pour rendre ton esprit amoureux de leurs
delices, & t’inspirer le desir d’aller là nous enyurer
d’ambroisie, & nous charger l’estomac de Nectar.
Allons Heraclite, allons, donne moy la main, &
quitte moy là tes pleurs & ta robbe noire. Car fous
de François meritent qu’on les raille & qu’on les
taille.

 

FIN.

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Anonyme [1652], LES RIS ET LES PLEVRS DE LA FRANCE SVR LA CONDVITE DE LA REYNE, Et du Conseil d’Estat. Découurants l’Origine de nos miseres & des Calamitez publiques. , françaisRéférence RIM : M0_3551. Cote locale : B_6_18.