Anonyme [1652], LES SENTIMENS D’VN FIDELLE SVIET DV ROY, Contre l’Arrest du Parlement du vingt-neufiesme Decembre 1651. , français, latinRéférence RIM : M0_3648. Cote locale : B_11_22.
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LES
SENTIMENS
D’VN FIDELLE
SVIET DV ROY,
Contre l’Arrest du Parlement du vingt-neufiesme
Decembre 1651.

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DE mettre à prix la teste & la vie des hommes, en sorte
que celuy qui se voit soûmis à vn jugement si rigoureux,
ne considere plus tous les autres hommes, que
comme autant de furies & de bourreaux, qui pensent auoir
droit de le massacrer, & regarde toute la terre deuenuë comme
le theatre de son supplice. C’est sans doute vn sujet capable
de toucher de compassion les ames les plus dures, & les
plus insensibles : mais que ce genre de condemnation, ou inoüy
en tant de lieux du monde, ou reserué à la punition des
plus scelerats d’entre tous les Corsaires, & les brigands publics,
soit pratiqué nouuellement, & où ? dans vn paїs estimé
iusques à cette heure l’asile general des malheureux, & par
qui ? par vn peuple renommé sur tous les autres, aussi bien pour
la douceur que pour la grandeur de son courage ; & contre
qui ? contre vn Chef des Conseils du Roy, contre vn premier
Ministre d’Estat, d’autant moins digne d’vn si rude traitement,
que ses plus cruels ennemis ne l’osent accuser de la
moindre cruauté ; contre vn Cardinal de la Maistresse auguste
de toutes les Eglises ; & contre vn Prince de la Ville capitale
du Royaume de Iesus-Christ. Ie dis hardiment, que c’est vn
prodige d’inhumanité qui doit attirer l’horreur de tous les
siecles, & couurir d’vn opprobre eternel & ineffaçable, ceux
qui se glorifient d’en estre les autheurs.

On sçait assez que Monseigneur le Duc d’Orleans, par vn
malheur deplorable en vn si grand Prince, n’a pas eu peu de
part à vne entreprise si estonnante : mais aussi ceux qui sçauent
quelle est la bonté & la tendresse de son naturel, tout humain
& tout Royal, ne doutent point qu’en cette rencontre il n’ait
agy par des impressions estrangeres, que l’on n’ait seduit son
esprit pour abuser de la sincerité de ses intentions, & qu’il n’ait
souffert violence auant que de la faire, ou de l’authoriser par
son suffrage.

I’en dis de mesme du puissant Senat, qui a prononcé cét Arrest
funeste tumultuairement, & à l’impourueu, se laissant aller
au torrent d’vne cabale née de l’animosité de peu de personnes
offensées & interessées, n’estant pas croyable qu’vne Compagnie
qui a receu du Roy tout ce qu’elle a d’authorité, & qui
pour l’ordinaire a paru ne point auoir de sentiment plus vif ny

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plus pressant, que pour la defense de son Prince, ait esté capable
d’elle-mesme, & par son propre mouuement d’vne resolution
de cette qualité.

 

Mais quant à ceux qui ont esté les principaux, & les veritables
instrumens de cette action toute extraordinaire, à quoy
pensoient-ils ? & de quel esprit, de quel genie auoient-ils l’ame
poussée & transportée ? Qu’a de commun la France auec
vn dessein, ie ne dis pas si pernicieux, mais si bas & si sanglant,
ou si contraire à l’humanité, & à la generosité Françoise ? pour
satisfaire la haine & la passion de peu d’auares, d’ambitieux &
de brouїllons, contre vn Ministre qui s’est opposé à leurs factions
& à leurs cabales. De tout ce qu’il y a de François, falloit-il
en faire des bourreaux par vn Arrest public & solemnel
de la premiere des Cours souueraines de l’Estat ; abandonner
à l’audace & à la rage du dernier des hommes, vne teste couronnée
de la pourpre Romaine ; la proposer pour rançon des
criminels qui l’auroient coupée ; promettre ou vendre aux voleurs
& aux meurtriers l’impunité de leurs excés, pour vn assassinat
& pour vn parricide, & signaler l’essay d’vne procedure
si peu Chrestienne, sur vne personne honorée de la plus eminente
des dignitez sacrées, apres celle du tres-saint & du tres-heureux
Pere de tous les fidelles.

Et en effet, representons-nous que quelque furieux, sous
couleur d’executer le jugemẽt d’vne Compagnie souueraine,
vint à plonger ses mains dans le sein, & dans le sang de ce Prelat
infortuné, qui ne fremiroit d’horreur à la nouuelle d’vne
violence si tragique ? Qui de tous ceux qui ont souhaite, &
conjuré le plus ardemment sa perte, ne changeroit sa haine &
sa vengeance, en effroy & en pitié ? Et qui ne seroit saisi de douleur,
voyant ou le nom François mal-heureusement flestry par
l’infamie, & par l’atrocité d’vn attẽtat qui paroistroit d’autant
plus iniuste, qu’on auroit voulu l’appuyer de l’authorité des
Loix, & de la Iustice, ou le plus venerable de tous les Ordres
du Royaume outragé, & rendu méprisable par vne blesseure,
& par vne infraction si insupportable de ses immunitez & de
ses priuileges, que les Souuerains mesmes qui ont eu quelque
teinture de la pieté Chrestienne ont tousiours reuerez ; ou enfin
la majesté du Siege Apostolique violée presque au premier

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chef, par le massacre, & par la mort de l’vn de ses membres
principaux, qui forment & composent selon les Canons, & le
sentiment commun des Docteurs, le Corps inuiolable du Vicaire
de Iesus-Christ en terre ? Dieu par sa saincte grace nous
veuille preseruer d’vn accident si horrible & si detestable.

 

Car est-il bien possible que le souuerain Pontife estant blessé
de ce coup fatal par le flanc d’vn Cardinal, oubliast tellement
la dignité suprême de la chaire des Apostres, que ce dessein
monstrueux auroit ébranlée iusqu’en ses fondemens, qu’il la
pûst trahir, qu’il demeurât insensible à ses iniures, & que pour
la venger il n’empoignast pas la foudre celeste, que le Fils de
Dieu luy a mise entre les mains pour écraser tous les contempteurs
de son Eglise, & de ceux qui la gouuernent ? Nous sçauõs
à quel poinct la mort du Cardinal de Guise émut sa Saincteté
contre vn grand Roy, qui n’en fut l’autheur, que par vne
absoluë & ineuitable necessité de sauuer sa courõne. Et quelle
donc pensons nous que seroit l’indignation de ce tres-heureux
Pape, si sous la seule & la simple authorité d’vne puissance
subalterne, l’on auoit entrepris vne violence, qui à peine
fut soufferte ou pardonné à vne puissance souueraine, & à
la redoutable Majesté du Prince, de qui les Magistrats tiennent
en hommage, tous les droits qu’ils ont de commander
aux peuples, & de leur rendre la iustice.

Ie n’ignore pas que l’on essayeroit de soustenir ou d’affoiblir
la cruauté de cette entreprise, sous le specieux pretexte de
l’vtilité publique ; mais pour ne pas m’arrester maintenant à
examiner ce poinct particulier, il n’est pas iusques aux Payens
qui n’ayent sçeu, & qui ne nous apprennent qu’vne action
pour aduantageuse qu’elle soit, à moins que d’estre honneste
est tousiours condamnable ; que l’interest mesmes public ne
doit iamais passer les bornes legitimes de l’honnesteté, & de
la bienseance ; & que dans la pensée des Sages, la seureté
commune de l’Estat n’est pas vne raison de nous dispenser des
Loix naturelles de l’humanité.

Cette maxime nous est enseignée par vn des grands hommes
que Rome ait iamais veus, & qu’elle n’a pas plus admiré
pour son eloquence, que pour son habileté, & sa suffisance
dans la conduite de ce grand Empire. Dans le gouuernemẽt de

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la Republique, dit-il, on fait souuent des fautes sous pretexte du
bien public, comme il est arriué à nos Romains, dans la resolution
qu’ils prirent de ruiner la ville de Corinthe. Les Atheniens aussi
témoignerent vne trop grande dureté, quand ils voulurent, & ordonnerent
que l’on coupast les poulces à ceux d’Ægine, parce qu’ils
estoient puissans sur mer, ils estimoient que c’estoit vn expedient
vtile à l’Estat, parce que la ville d’Ægine, comme estant fort proche,
sembloit menacer le port de Pyrée : mais tout ce qui est cruel
ne fut iamais vtile, puis qu’il n’y a rien de si ennemy de la nature,
dont nous deuons suiure les inclinations, comme est la cruauté.
C’est aussi sans raison que l’on defend l’entrée des villes aux
Estrangers, & qu’on les extermine s’ils y viennent, comme a fait
Penne du temps de nos ancestres, & Papie depuis peu : car il est
bien iuste de ne traiter pas en Citoyen celuy qui ne l’est point, &
Crasse & Sceuole Consuls tres-aduisez, ont fait vne loy sur ce sujet,
mais interdire le cõmerce des villes aux Estrangers, c’est vne
manifeste inhumanité.

 

Il faut donc dire qu’il n’est point d’actions plus belles ny plus
éclatantes, que celles où l’on prefere ce qui paroist honneste, à ce
qui semble aduantageux, Nostre Republique nous en peut donner
vne infinité d’exemples, entre lesquels le plus excellent, & le
plus merueilleux, est celuy que l’on remarque au temps de la seconde
guerre que nous auons euë contre Cartage, car opres la
sanglante iournée de Cannes où toutes nos troupes furent de faites,
cette Republique genereuse tesmoigna plus de courage qu’elle
ne fit iamais dans ses plus grandes prosperitez. On ne vit personne
d’espouuanté, il ne se par la point de paix auec l’ennemy, la consideration
de l’honneur estant si forte dans l’esprit des hommes,
qu’elle leur fit oublier ou mespriser sans peine tout ce que leur conseille
leur propre vtilité.

Les Atheniens ne pouuant plus resister aux forces de la Perse, &
ayant resolu, apres auoir abandonné leur ville, & laissé leurs femmes
& leurs enfans à Treizene, de s’embarquer tous, & de se
seruir de leur flotte pour de fendre la liberté commune de la Grece,
assommerent à coups de pierres vn nommé Circile, qui estoit d’auis
qu’ils ne sortissent point d’Athenes, & qu’ils ouurissent les portes,
aux Persans. Certes cét homme leur donnoit apparemment vn
conseil vtile & necessaire, mais on le reietta, comme estant contraire

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à l’honnesteté. Themistocle estant reuenu victorieux, &
triomphant de la guerre fameuse que l’on auoit faite contre la Perse,
dit en l’assemblée de Ville, qu’il auoit à donner vn auis tres-salutaire
à la Republique, & supplia le peuple de luy nõmer quelqu’vn
à qui il pust le découurir : & comme on luy eut donné Aristide
pour l’entendre, il luy dit, qu’on pouuoit mettre secretement le
feu à la flotte des Lacedemoniens, qui auoit abordé au Port de Gythée,
& que par ce moyen on ruineroit infailliblement les forces de
Lacedemone : Aristide ayant appris cela, & s’estant rendu au
Conseil de Ville, où on l’attendoit auec grande impatience, rapporta
que l’auis que donnoit Themistocle luy sembloit tres-vtile ;
mais qu’il ne le trouuoit pas honneste, & les Atheniens pour cela
seul qu’il n’estoit pas honneste, ne le iugerent pas vtile, & sans
auoir sceu en particulier qu’elle estoit la proposition de Themistocle,
ils la rebuterent, & n’en firent aucune estime sur la seule parole
d’Aristide.Et vn peu plus bas. Tenons donc pour asseuré, adiouste
ce grand homme, & pour indubitable, que ce qui est honteux ne
fut iamais vtile, quoy que l’on ait assez de bonheur pour reüssir
dans ce qu’on entreprend contre l’honnesteté : car estimer vtile ou
auantageux ce qui repugne au veritable honneur, c’est vn aueuglement,
qu’il faut considerer comme vne espece de calamité
publique.

 

Voila comme vn Payen par les seules lumieres qu’il auoit
acquises dans l’estude de la Philosophie humaine, enseigne
aux Politiques à ne separer pas ce qui est vtile de ce qui est hõnorable,
à s’esloigner des resolutions violentes, que la necessité
du bien general semble justifier, & a regler tousiours la
consideration du salut commun aux loix de la bien-seance, &
de l’humanité. Nihil enim,dit-il, quod crudele vtile, & hoc ipsum
vtile putare, quod turpe sit, calamitosum est.

Mais que peut-on s’imaginer, ou de plus cruel, ou de plus
infame, ie fremis en l’escriuant, que de tremper ses mains dãs
le sang d’vn pere du Senat Apostolique qui preside à tout l’Vniuers ;
en vn mot, que de tuer vn Cardinal de l’Eglise Romaine,
& de se rendre l’autheur ou le ministre d’vn si abominable
assassinat, d’vn si horrible parricide ? Cette pourpre sacrée
pourroit-elle bien rougir du sang de celuy qui la porte,
sans couurir, & sans faire rougir d’vne eternelle honte, ou les

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meurtriers & les assassins qui auroient executé, ou les Magistrats
& les Iuges qui auroient authorisé vne entreprise si desesperée ?
Et quand vn Prelat de cette eminente qualité seroit
l’ennemy, ie ne dis pas declaré, mais immortel & irreconciliable
de la France ; la reputation, la grandeur, & la gloire de la
France, pourroient-elles luy permettre d’employer vne voye
non moins lasche, molle & effeminée, que violente, dure &
impitoyable, pour le repousser ? faudroit-il faire pour luy vn
échaffaut de toute la France ? faudroit-il luy faire regarder
tous les visages François, comme des visages de bourreaux ;
& faudroit-il enfin pour la defendre d’vn seul homme, que sa
dignité doit rendre inuiolable ; armer toutes les mains de la
licence de le perdre, & de le mettre à mort.

 

Mais pour monstrer à quel poinct nous doit paroistre detestable,
non seulement la mort, mais la moindre iniure, ou la
moindre violence commise en la personne des Cardinaux de
Rome, & de ces assistans venerables du Prelat de la chaire Apostolique,
& en mesme temps pour faire voir de quelles peines,
ou pour mieux dire de quelles execratiõs, vn crime si effroyable
meriteroit d’estre suiuy, puny, & expié ; ie ne veux pas
me seruir de mes paroles, mais de celles des arrests sacrez que
les Souuerains Põtifes ont prononcé par leur bouche saincte,
& inseré dans le corps du nouueau droit, qui regle maintenãt
la police spirituelle de toute l’Eglise. Marchans sur les traces
d’Honoré troisiesme nostre predecesseur, dit vn Pape, en adioustãt
ou en retrãchant certaines choses, nous ordõnons par ce Decret qui
sera gardé inuiolablemẽt & à perpetuité, Que si quelqu’vn venoit
desormis à se soüiller d’vn si enorme sacrilege, que de pour suiure
en ennemy, ou de frapper, ou de prendre vn Cardinal de la saincte
Eglise Romaine, ou si quelqu’vn s’est rendu complice de cet attentat,
ou a ordonne de le commettre, ou l’a approuué, estant desia
commis, ou a assisté, soit de son conseil, soit de sa faueur ce mesme
coupable, ou l’a retiré, ou la protegé, qu’il soit infame à iamais,
comme vn criminel de leze Maiesté, qu’il soit incapable de disposer
de ses biens par testament, ou d’heriter de ceux de quelqu’vn
par la mesme voye, ou autrement, afin qu’estant exclus de toute
succession & rebuté de tout le monde, il ne laisse point apres luy
d’imitateur de sa malignité : Que sa demeure se change en desert

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& en solitude, que nul ne l’habite, que tous les logemens qui le
defendoiẽt des iniures de l’air tombent en ruine, qu’on ne les releue
iamais, afin que leur détruction, & leur desolation eternelle
soit vn monument eternel de son infamie : qu aucun ne luy
paye ses debtes, qu’aucun ne soit obligé de luy respondre en iugement,
que tous ses biens soient acquis & confisquez à la Republique,
& qu’il n’en puisse rien laisser à sa posterité, mais que
tout ce qu’il a & tout ce qu’il possede soit enueloppé dans sa condamnation.

 

[illisible]

Sixti Decreti
[1 mot ill.] 5. tit. 9. cap. 5.
[illisible]
Honorii
[1 mot ill.] tertii prędecessoris
nostri
vestigiis inhærẽ[2 lettres ill.]es,
qui busdam
[1 mot ill.]
& detractis
de communi
fratrum nostrorũ
consilio, hac in
perpetuum valitura
constitutione
sancimus : Vt
[1 mot ill.] quis deinceps
in hoc sacrilegii
genus irrepserit,
quod sanctæ Romanę
Ecclesiæ
Cardinalẽ fuerit :
hostiliter insecutus
vel percusserit
aut ceperit, vel socius
fuerit facientis,
aut fieri mandauerit,
vel factũ
ratum habuerit,
aut consilium dederit
vel fauorem,
aut postea receptauerit
vel defensauerit
scienter
eundem, sicut reus
criminis læsę Majestatis
perpetuo
sit infamis, diffidatus
nihilominus
& bannitus, sit
intestabilis, vt
nec testamenti liberam
habeat
factionem, nec
ad alicuius bona
ex testamento vel
ab intestato
vocetur,
& sic ab
omni successione
repulsus, publicáque
repulsa confusus
minus inueniat
suæ malitiæ
successorem : siant
habitationes eius
desertæ, & vt non
sit qui eas inhabiter
dentur cuncta
ipsius ædificia
in ruinam, &
vt perpetuæ notã
infamiæ ruina testetur,
nullo tempore
reparentur :
nullus ei debita
reddere, nullus
respondere in iudicio
teneatur,
quidquid etiam
in bonis ipsius
fisci vel reipublicæ
dominio applicetur,
vt excilliis
nil transmittae
[illisible]
interdictum : in
iudiciiis eorum assertio
contra quẽdam
nihil fidei,
nihil credulitatis
inueniat, vt ad testimonium
prorsus reddantur indigni :
fit eis ad
ordines ascensus
inhibitus, sit ad
beneficium vel
officium Ecclesiaticum denegatus
accessus ; &
vt magis famosa
sit eorum infamia
ad actus legitimos
nullus eis
pateat aditus,
nulla porta pandatur
eisdem super
aliquo præmissorum,
omni
spe dispensationis
adempta. Præsenti
nihilominus
adiicimus sanctioni,
vt ex insecutione prædicta
sicut ex iniectionne
mannum violenta,
ipso facto
excommunicationnis
sententiam
quis incurrat, &
tam insecutor
quàm alij supradicti
tanti mali participes
quandiu
in sua contumacia
perduratint,
singulis diebus
dominicis & festiuis
pulsatis cãpanis
& candelis
accensis per omnes
filius loci
Ecclesias, in quo
tantum facinus
fuerit attentatum
nec non ciuitaũ
& diœcesum vicinarum
excommunicati publice
denuntientur :
nec ab alio quam
à Romano Pontifide
possint asbolutionis
beneficiũ
obtinere, nisi duntaxat
in mortis
articulo constitu[illisible].
b. Si quis vero per
se vel per alium
occiderit Cardinalem,
quod absit,
vel dederit
causam mortis,
vltre quàm præmissa
contineant
sic in eum potestas
iurisdictionis
vltionis insiliat,
quod contra vitæ
subsidium mortis
solarium inuocet
vinens pœnæ non
culpe, vindictæ
speculum non offensæ.
Per hoc
quoque secularibus
potestatibus
non adimimns
facultatem vtendi
legibus contra
tales, quas aduersis
sacrilegos catholici.
Principes
ediderunt. Quis
enim locus regiminis
poterit esse
tutus ? quis rector securitate gaudebit si Romana Ecclesia
(quæ omniũ
Ecclesiarum disponente
Domino
caput est &
magistra casibus
istis subiicitur, si
eius filij speciales
huiusmodi periculis
exponuntur,
quem Ecclesiæ filium,
quem fidei
zelatorum contumelia
tanta nõ
tangeret, & cõfusio
tam aspera nõ
moueret ? Porro
si filius est dolebit,
si fidelis matre fidei
læsa læditur :
quapropter si
Princeps, Senator
Consul, potestas
vel alius dominus
siue rector
contra præsumptores
prædictos
tam ipse quàm officiales
ipsius intra
mensem, postquã
res ad notitiam
eorum peruenerit,
eo ipso sententiã
excommunicationis
incurrant.
Ciuitas vero quæuis
alia præter vrbem
quæ talia facienti
vel facientibus
seu præsumentibus
in his
consilium vel auxilium
dederit,
aut fauorem, vel
intra mensem saltem
taliter deliquentes,
prout
tanti facinoris
eno mitas exegerit
& facultas ei
[1 mot ill.], non duxerit
puniendos
pon[illisible]ficali & supra
sit eo ipso dignitare
priuata, &
nihilominus remineat
interdicta.

Que s’il tient de quelques Eglises des fiefs, ou des fermes, quelque
office ou benefice, soit spirituel ou temporel, qu’il en soit priué
de plein droict, & que toutes ces choses retournẽt aux Eglises,
en telle sorte que ceux qui les gouuernent, en puissent disposer à
leur volonté. Et si quelqu’vn des susnommez à vn ou plusieurs
fils, vn ou plusieurs néueux descendans en droite ligne, pourueu
ou pourueus de quelque benefice que ce soit, quand ce seroit mesmes
de la dignité Episcopale, qu’ils les perdent à l’heure mesme
& de plein droit, sans esperance de pouuoir iamais y estre restablis.
Dauantage qu’à tels enfans ou neueux issus de mesme, par
la ligne masculine, l’entrée soit fermée pour toutes dignitez,
pour tous honneurs Ecclesia stiques ou seculiers, qu’õ ne les puisse
éleuer à aucune sorte de puissance & de commandement, que tout
moyen d’y pretendre, & d’y aspirer leur soit osté, que toute iudicature
& toute charge ou toute fonction publique leur soit interdite ;
qu’en iugement on n’adiouste nulle foy, & nulle creance
à leur parole, contre qui que ce puisse estre, que leur tesmoignage
ne soit point receu, comme en estant tout à fait indignes, qu’ils
soient exclus des saincts ordres, qu’ils ne puissent estre hõnorez
d’aucun office ou Benefice Ecclesiastique : Et afin que leur infamie
soit encore plus grande & plus signalée, qu’ils ne soient receus
à faire aucun acte public & solemnel, & que la sentence,
par laquelle ils sont priuez de toutes les choses susnommées, soit
tellement ferme & arrestée, qu’il ne leur reste aucune esperance
d’en pouuoir estre dispensez. Nous adioustons aussi à la presente
constitution, que pour le mesme outrage fait à la personne d’vn
Cardinal, l’autheur de ce forfait encoure à l’heure mesme, &
sur le champ, la peine de l’excommunication, & que tant luy
que tous ceux qui auront participé à vn si grand mal, tout le

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temps qu’ils demeureront dans leur coutumace, à chaque iour
de feste ou de Dimanche, au son des cloches, & les cierges allumez,
soient declarez publiquement excommuniez dans toutes
les Eglises : & où vn si grand excez aura esté commis, & dans
toutes celles des villes & des Dioceses voisins, & qu’ils ne puissent
estre absous par autre que par le Pontife Romain, si ce n’est à
l’article de la mort. Et quand il faudra les absoudre, qu’ils donnent
premierement des asseurances suffisantes, qu’ils subiront la
penitence qui leur sera eniointe, & qu’ils l’accompliront fidellement,
auec le secours de Dieu. Puis les Dimanches & les autres
iours de festes, dans les Eglises principales de ce mesme lieu, &
des lieux circonuoisins, ils iront tous nuds deuant le peuple,
n’ayant sur eux que leur haut de chausses, & portant des ferules
à la main, auec lesquelles on les fouettera publiquement dans
les mesmes Eglises, afin qu’en suitte on les enuoye au delà des
mers, pour y faire penitence, au moins durant trois ans, d’où ils
ne pourront reuenir sans licence expresse & speciale du Siege
Apostolique.

 

Le Souuerain Pontife eust pû en demeurer là, & comme
autrefois vn certain Peuple n’ordonna point de punition
contre les parricides, parce qu’on ne croyoit pas qu’il y en
pût auoir, ou qu’on s’imaginoit, que l’atrocité de ce crime
estoit au dessus de toutes les peines, que les Loix ciuiles
sçauroient imposer. Ainsi le saint Siege ayant marqué le
chastiment qui est deu à ceux qui, à la mort prés, oseroient
faire violence aux Cardinaux de Rome, eust pû ne parler
pas de ceux qui entre prendroiẽt de leur oster la vie, puisque
cette fureur sẽble surpasser la seuerité des loix, & la cruauté
des hommes ; il a iugé neantmoins qu’il estoit vtile de proposer
ce monstre d’inhumanité, & en mesme temps les supplices
propres en quelque maniere à le venger.

b Que s’il arriue, dit le Pape, ce qu’à Dieu ne plaise, que quelqu’vn,
ou par luy-mesme, ou par autruy, ait tué vn Cardinal,
ou ait donné occasiõ de le tuer, outre les peines desia marquées :
Que toutes les puissances s’éleuent si rigoureusement, & si impitoyablement
à la vengeance de ce parricide, que la vie mesme
deuienne le supplice de ce maudit coupable, & qu’il soit contrainct
d’appeller la mort, qui est la derniere de toutes les miseres,

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au secours de ses gesnes & de ses tourmens, afin qu’on voye
plutost en sa personne vn miroir viuant & animé de la rigueur
des Iuges, que de l’insolence des pecheurs.

 

Nous permettons aussi aux puissances seculieres, d’employer
contre ces personnes l’austerité des Loix, que les Princes Catholiques
ont publiées contre les sacrileges. Car quel Prince, quel
Prelat, quelle personne publique se pourroit promettre quelque
seureté, si l’Eglise Romaine, qui par la disposition diuine est le
chef & la maistresse de toutes les Eglises, estoit sujette à de semblables
accidens ? & si ceux qu’elle porte dans son sein, comme ses
enfans esleus & priuilegiez, estoient exposez à de pareils dangers,
quel enfant de l’Eglise, & quel zelateur de la Foy ne seroit
touché d’vn outrage si sanglant, & ne seroit émeu par le spectacle
d’vne si horrible confusion, ayant la tendresse d’vn fils ? Il se
verroit outré & percé de douleur, & ayant le zele d’vn fidelle, il
receuroit dans le fond du cœur le contrecoup de la blessure que l’on
auroit faite à la mere commune de la Foy. C’est pourquoy si vn
Prince, vn Senateur, vn Magistrat, vn Seigneur, ou vn Superieurs
quel qu’il puisse estre, soit luy, soit ses Ministres & ses
officiers, dans vn mois apres qu’vn tel fait sera venu à leur cõnoissance,
ne se mettent en deuoir d’en punir les autheurs, qu’ils
soient à l’heure mesme sousmis à la Sentence de l’excommunication,
& que toute ville, excepté Rome, qui aura conseillé, ou appuyé,
ou fauorisé ces scelerats, & qui dans vn mois aura negligé
de les chastier selon son pouuoir & l’enormité d’vne telle offense,
soit priuée dés-là mesme de la dignité Episcopale, & de toute
autre par dessus l’Episcopale, & nonobstant cela demeure interdite
de toutes fonctions sacrées & diuines.

Or pourroit-on exprimer auec plus d’emphase & d’energie,
auec vne plus forte & plus ardente exaggeration que ce
Pape vient de faire l’execration, l’horreur, la manie qui accompagne
le massacre d’vn Cardinal de l’Eglise de Rome,
& la cruelle effusion du sang Royal & Apostolique de la
Mere des fidelles, en la personne de ses plus augustes membres,
& des plus releuez de ses enfans.

Ce n’est pas que ie pretende icy de faire en détail, & en
toutes ses parties vne application de ce Decret Romain &
Pontifical à certains sujets particuliers, & de lancer indifferemment

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la foudre de ce Pape sur tous ceux qu’elle sembleroit
peut-estre menacer ; & ie proteste qu’en alleguant cét
Arrest terrible de la Chaire de S. Pierre, cõtre les violateurs,
& mesme les meurtriers de ses Cardinaux, ie ne me suis proposé
que de faire voir en general, quelle est en soy la brutalité
de cét attentat ; & quelle espouuante, quel tremblement
deuroit saisir les amés les plus abandonnées à l’inhumanité,
si elles venoient vn iour à estre tentées d’entreprendre vne
si barbare execution. Et quelque iugement de mort donné
par le Parlement de Paris, que l’on produise contre vn accusé
de cette haute condition, & dont on fait auiourd’huy
l’objet ou le pretexte de tant de cabales ; il n’est point de cõscience
pour endurcie qu’elle soit, qui se pust asseurer sur
vn fondement si foible, pour s’engager sans crainte & sans
remors, dans vn dessein si noir & si infernal, & qui par vn
instinct de cette iustice in corruptible que Dieu a grauée de
sa main dans le cœur des hommes, ne deuint elle mesme son
bourreau, auant que de l’estre d’vn Prelat Romain, dont le
salut se trouue remparé par l’authorité des loix & des oracles
les plus redoutables du throsne Apostolique.

 

Et en effet pour n’obseruer pas icy que ce diuin Siege fulminant
contre l’audace, ou des persecuteurs ou des homicides
d’vn Cardinal, ne s’est seruy d’aucune exception, qui
pust les excuser, ou de sacrilege ou de parricide, & n’a borné
à aucune condition de temps, de lieu ou de personnes, l’éclat
& le tonnerre de ses anathemes ; comment peut-on regarder,
ie ne dis pas comme vne victime déuoüée à la fureur
de tous les hommes, mais comme vn coupable condamné
& conuaincu iuridiquement de crime, celuy qu’il est certain
auoir esté iugé par des Iuges incompetans, contre les formes,
& contre l’ordre accoustumé de la Iustice, & mesme
sans cause iuste & legitime ?

Et pour examiner le premier de ces trois chefs, qui prouuent
en cette rencontre l’innocence du Cardinal Mazarin,
& le mettent à couuert également de la puissance des Magistrats,
& de la violence des particuliers ; y a-t’il homme si
ignorant & si peu versé dans les coustumes & dans les loix
de ce Royaume, qui ne sçache que les Euesques, & par consequent

-- 13 --

ceux à qui la France donne vn rang d’honneur beaucoup
plus esleuë, que celuy des Euesques, ne reconnoissent
point, hors les causes ciuiles, la iurisdiction des Cours seculieres,
& ne répondent point directement deuant le tribunal
des Iuges laїcques, non pas mesme en cas de crime de leze-Majesté.
Cette verité ne doit pas estre prouuée par d’autres
tesmoins que par ceux mesmes, lesquels au preiudice
de l’authorité de leurs anciens arrests, ont vsurpé celle de
Iuges en vn faict, dont la connoissance par leur propre
aueu, ne leur appartient point. Le grand Roy François ayant
resolu de faire le procés à deux Euesques, qui luy auoient
manqué de fidelité, en coniurant contre son seruice auec les
ennemis, & ayant consulté le Parlement des Pairs, sur vne
affaire de cette importance, cette Cour auguste respondit à
cét auguste Prince, que son pouuoir Royal ne s’estendoit pas
à ces matieres, & que dans l’ordre commun & legitime, elles
deuoient estre terminées par vn iugement Espicopal & Apostolique.
Et sans mentir cette venerable Compagnie ne pouuoit
donner à son Roy vn aduis plus sage, plus iudicieux, plus
Euangelique, ny mieux fondé sur la pratique des Royaumes
Chrestiens, & particulierement du premier de tous, qui est
le Royaume de France.

 

Et quant à ce qui nous touche pour la preuue d’vne coustume
si loüable, il me suffira dans vne infinité d’exemples
que l’Histoire nous rapporte, d’en choisir quelques-vns, dont
les premiers ont paru sous la plus ancienne race de nos Princes,
dont la memoire est en benediction, pour auoir produit
les premiers Roys Chrestiens de nostre Nation. Et les autres
sous la seconde, dont la gloire doit estre immortelle, pour
auoir basty vn nouuel Empire destiné à la defense de l’Eglise
vniuerselle & du Royaume eternel de Iesus-Christ en la
personne de son Vicaire general en terre. Gilles Archeuesques
de Reims, estant chargé de differens crimes de leze Majesté ;
d’auoir coniuré la mort de Childebert son souuerain
Seigneur, procure la perte du Roy & du Royaume de Bourgogne,
entretenu des intelligences auec Chilperic ennemy
de Childebert, dont il auoit banny la mere, fait mourir le
pere, & enuahy l’Estat. Le Roy, quoy qu’irrité contre cét

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Archeuesque pour tant de causes capitales, ne l’oze neantmoins
iuger, ny par luy mesme, ny par ses Ministres ; mais
assemble vn Concile des Euesques de son Royaume, pour
ouyr cet insigne criminel. Et ces Prelats l’ayant declaré atteint
du crime de leze-Maiesté, apres auoir obtenu qu’on luy
fit grace de la vie, le deposerent, dit l’histoire, selon les Canons.
On auoit obserué desia la mesme procedure à l’endroit
de deux Euesques Bourguignons, qui estant accusez entre
autres chefs d’auoir trahy leur Roy & leur patrie, ne furent
point citez deuant la Iustice seculiere, mais deuant vn Concile
des Euesques de la Prouince, en partie conuoqué pour
ce suiet par le commandement du Roy.

 

Vide Gregor. Turonens.
lib. 10 cap. 19 & tom. 1. Conc.
Gall. Jacob. Sir[2 lettres ill.].
100.

Conc. Mestense an. 1590.

Ipsum ab ordine
Sacerdotali
lectis Canonum
sanctionibus remouerunt.
Apud
cundem Greg. eod.
loco.
Concil. Lugd. ann.
1567. Vide & Gre.
Turon. lib. 5. c. 20.

Que s’il paroist assez par ces deux histoires memorables,
que la vie & la personne des Prelats de l’Eglise ont esté libres
& affranchies de la iurisdiction laїcque sous la premiere race
de nos Roys, on ne les voit pas moins honnorez de ce priuilege,
& de cette immunité, sous la seconde. Et pour m’arrester
à la mesme ville de Reims, n’estime qu’il est important de
remarquer le jugement rendu sous le Roy Louys le Debonnaire,
contre vn des plus fameux & des plus puissans Pasteurs
de cette Eglise. Cet Empereur & Roy & l’vn des meilleurs
qui fut iamais, ayant esté calomnié, excommunié, chassé de
l’entrée de l’Eglise, mis au rang des penitens publics par Ebbon
Archeuesque de Reims, & enfin dépoüillé de sa Couronne
par la felonie & par les intrigues de ce Prelat factieux
& turbulent, quand il eut depuis recouuré la liberté auec
l’Empire, entreprit-il de se rendre iugé des excez de ce rebelle ?
& le renuoya-t’il au tribunal exterieur & seculier ? nullement.
Suiuant les traces de ses predecesseurs, il implore la
pieté des Euesques de son Royaume, il leur ordonne d’assembler
vn Concile general, pour entendre Ebbon, & le iuger
selon les loix saintes de l’Eglise. Et alors ce coupable se
sentant pressé par les remors de sa conscience, & ayant luy-mesme
publiquemẽt cõfessé son crime, ses propres cõfreres
d’vne commune voix, le condamnerẽt & le declarerent décheu
de sa dignité Archiepiscopale, luy imposant vne penitence
conuenable au merite de ses fautes. Ils ordonnerent,
dit vn successeur de cet Archeuesque, qu’il s’abstint du mininistere

-- 15 --

Episcopal, & qu’il essayast desormais de se rendre
Dieu propice par l’assiduité des veilles & des prieres. Peu de
temps apres Galelon Archeuesque de Sens estant chargé de
plusieurs reuoltes & infidelitez, contre le Roy Charles son
Seigneur, d’auoir manqué à luy donner le secours qu’il luy
deuoit dans ses plus pressans besoins, d’auoir débauché de
ses sujets de toutes sortes : & enfin d’auoir traitté beaucoup
de fois auec Loüis Roy de Germanie, pour le rendre maistre
de la France. Le Roy Charles, bien loin de s’attribuer la
connoissance d’vne affaire si capitale, en remet la pecision
selon la coustume, à vn Synode presque general des Prelats
de son Royaume, comparoist luy-mesme en leur assemblée.
accompagné des Roys Lothaire & Charles ses néveux, leur
demande iustice auec humilité contre leur confrere, & assujettissant
sa Royale Majesté à l’equité de cette auguste Compagnie,
ne tient pas à des-honneur de luy parler en ces termes.
Nul homme mortel deuoit me déthrosner & m’oster la Couronne
de destus la teste, & sur tout, sans estre oüy & iugé par les
Euesques qui m’ont sacré Roy, qui sont nommez les throsnes de
Dieu, dans lesquels il est assis, & par le ministere desquels il prononce
ses Arrests, & dont i’ay tousiours esté prest, & suis prest encor,
à subir les corrections & les remonstrances paternelles.

 

Vide Hinemarum
in posteriore opere
aduers. Gotecalc.
cap 36.

Conc. ad Theodonis
Villam an. 835.

Episcopi secundũ
confessionem ipsius
manus sua propria
roborata, &
testimonium confessorum
suorum
decreuerunt, vt à
ministerio recederet
Pontificali,
& aliis orationũ
officiis & excubiis
Domino seruiẽdo
Deum sibi propitium
faceret.

Conc. Tullẽs. duodecim
pronunciarum
apud Saponarias,
adsidentibus
Carolo Caluo
eiusque nepotibus
Lotario & Carolo
Regibus ann. 859.

A qua consecratione
vel regni
sublimitare supplantarii,
vel proijci à nullo de bueram,
saltem sine
audientia & iudicio
Episcoporum
quorum ministerio
in regem sum
cõsecratus, & qui
throni Dei sunt
dicti, in quibus
Deus sedet, & per
quos sua decernit
iudicia, quorum
paternis correprionibus
& castigatoriis
iudiciis me
subdere fui paratus,
& in præsenti
sum abditus.
Libel. proclam.
Caroli Regis ad
eandem Synodum.

Par cét vsage receu & pratiqué si religieusement en France,
où nous voyons que les Roys mesme les plus absolus en
des rencontres où il s’agissoit de leur Couronne & de leur
vie, ne se sont iamais ingerez de juger de celle des Euesques,
mais les ont tousiours renuoyez & reseruez au tribunal de
leurs Collegues : On peut apprendre combien fut solide &
religieux, l’aduis de la Cour des Pairs, & du premier Parlement
de ce Royaume, quand il fit response, comme nous
auons dit, au Roy François, que les Loix sacrées ne luy permettoient
pas de toucher la personne des Princes de l’Eglise,
& qu’il n’appartenoit qu’a la puissance Ecclesiastique de
connoistre de leur crime, sans excepter le cas de leze-Majesté.

Et pour quel sujet donc, & par quel mystere faudra-t’il
qu’vn seul Cardinal Mazarin n’ait point de part à vne immunité
& à vne prerogatiue si cõsiderable des Prelats de l’Eglise

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sainte ? Est-ce peut-estre que l’on n’estime pas qu’il soit raisonnable
d’estendre aux Cardinaux du throsne de Saint
Pierre ce priuilege des Euesques ? cette défaite seroit insensée,
ridicule & opposée au sentiment commun de toute l’Eglise,
par le consentement vnanime de laquelle ces premiers
appuis de la chaire des Apostres, ces enfans choisis de la mere
des fidelles, ces assistans & electeurs sacrez du Chef visible
du corps mystique de Iesus-Christ, ces Peres reuestus &
couuerts de pourpre par vn droict particulier en témoignage
de leur dignité Royale se voyent esleuez à vn si haut comble
de grandeur & de gloire, que selon la pensée de tous les Docteurs
les loix publiques ne les peuuent obliger si elles ne les
marquent expressément, comme il fut allegué dans le sainct
Concile general de Trente. Est-ce que les crimes & les desordres
imputez à ce deplorable Cordinal sont des desordres
& des crimes inoüis ? Et qu’ils surpassent incomparablement
ceux qui n’ont pas priué de cét aduantage les anciens Euesques,
dont ie viens de parler ? Mais le Cardinal Mazarin a-t’il
eu, comme eux des intelligences, ou signé des traitez auec les
ennemis de l’Estat ? A-t’il, comme eux, corrompu la fidelité
des sujets du Roy ? L’a-t’il, comme eux, exposé à la risée & à
la fureur de ses rebelles ? L’a-t’il, comme eux, traitté d’excommunié,
esloigné des autels & du commerce des Chrestiens ?
Luy a-t’il, comme eux, rauy la liberté auec la Couronne,
ou attenté, comme eux, sur sa personne, & coniuré sa
mort ? Qu’on choisisse le moindre de ces excés dont ces anciens
Prelats de France ont esté coupables ou chargez, &
que l’on consulte la haine ou l’enuie la plus implacable qui se
soit allumée depuis peu d’années cõtre ce Ministre mal-heureux.
Il est sans doute qu’elle n’oseroit, ie ne dis pas l’en accuser,
mais l’en soupçonner.

 

L’Hist. du Concile
sous Paul III. en
1547. page 306.
de la version Françoise.

Que si l’ayant trouué pur & innocent de toutes fautes mesmes
apparentes enuers son Roy & son Prince souuerain, on
recherche les iniures qu’il auroit pû faire aux particuliers, on
verra pour la pluspart, qu’ayant comblé de graces les vns, &
pardonné, souffert, ou dissimulé les outrages, il ne s’est procuré
l’inimitié & attiré la persecution de tous, que par l’excés
de ses largesses enuers les vns, & de sa patience enuers les autres,

-- 17 --

l’oubly des injures ne luy estant pas moins naturel, que
le souuenir l’est pour l’ordinaire au reste des hommes, & sa
bonté ayant paru si rare & si inuincible, que ses ennemis sont
tousiours en estat de pouuoir l’offenser, ou se reconcilier
auec luy impunément, sçachant qu’ils font la guerre ou la
paix auec vn homme qui ne se vange point. Ie ne veux donc
point que l’on considere les seruices signalez qu’il a rendus
par ses soins & ses conseils au Roy & à l’Estat. L’Espagne
domptée, l’Italie protegée, l’Allemagne pacifiée, les esperances
des ennemis & nos frontieres tousiours reculées, iusques
à tant que le tumulte des nouueaux intrigues, eust trauersé
le cours de nos prosperitez domestiques & estrangeres.
Que l’on n’ait égard purement qu’à l’innocence de ses
mœurs & de sa conduite. Faut-il qu’autrefois des Prelats atteints
de crimes les plus noirs, & des plus irremissibles, ayent
pû d’abord se garentir de la seuerité des Cours Royales &
Ciuiles, pour ne respondre & ne comparoistre que deuant
leurs Confreres ; & qu’vn seul Cardinal Mazarin qui les precede
en rang & en honneur, & dont la vie particuliere &
l’administration publique n’ont esté sujettes iusques à cette
heure, à aucun reproche iuste & legitime, trouue cét azile &
ce port fermé à la deffense de sa reputation, de ses biens, de
son salut & de sa dignité ?

 

Mais en cette occasion n’appuyons pas le droict infaillible
de ce Cardinal, ny sur les exemples les plus memorables de
ce qui s’est veu & prattiqué de tout temps en France, ny sur
le témoignage & les Arrests exprés de ceux qui ont depuis
peu entrepris de le iuger. Consultons l’Oracle de l’vne des
plus saintes & des plus inuiolables conuentions qui ayent
esté passées entre nos Rois & les Souuerains Pontifes. Ce fameux
Concordat arresté depuis plus de cent trente ans, entre
le Pape Leon X. & le grand Roy François, & en suite
verifié, & enregistré dans cette premiere de nos Compagnies
souueraines, & obserué de part & d’autre auec tant de
religion ? Ne porte-t’il pas formellement, qu’en cas de crime
le Pape enuoyera & commettra des Iuges sur les lieux, pour
connoistre des crimes des Euesques : mais que pour les Cardinaux
de l’Eglise Romaine, il en retient les causes, & s’en

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reserue à luy seul la connoissance ?

 

Que peut-on souhaiter de plus decisif, de plus authentique,
de plus fort, de plus inuincible en faueur de ce Prelat ?
En haine d’vn seul homme est-il juste de violer la saincteté
d’vn traité si solemnel ? Ne pouuons-nous estre Iuges d’vn
coupable pretendu sans esbranler les fondemens de la Iustice :
& pour authoriser vn parricide, en la personne d’vn Cardinal,
faut-il deuenir infidele au Pape mesme, & au souuerain
maistre de la Foy ?

Il est donc visible que Monsieur le Cardinal, peut establir
la premiere nullité de sa condamnation, sur l’incompetance
& sur l’entreprise de ses Iuges ; il est Cardinal en matiere criminelle
il ne doit répondre qu’à l’Eglise.

Mais supposons neantmoins que ceux qui l’ont iugé ne
soient blasmables d’aucune vsurpation, & qu’ils soient demeurez
dans les limites de leur puissance legitime ; ont-ils
suiuy l’ordre de la Iustice, ont-ils gardé scrupuleusement
comme le requeroit vne si grande affaire, les formes iuridiques
& accoustumées en pareilles occasions. Le Cardinal
Mazarin est accusé d’estre entré dans le Royaume au preiudice
de la Declaration du Roy, & la dessus on condamne ce
Prelat, on le proscript, on met sa vie en proye à la rage des
meschans. Mais dans vne rencontre si importante ne falloit-il
pas employer auec la derniere exactitude les formes
ordinaires qui accompagnent les iugemens publics & solemnels,
& qui peuuent estre appellées auec raison le fondement
des Loix, la lumiere de la Iustice, le rempart de l’innocence,
l’ame des conseils, & vn frain qui arreste la licence
& la temerité des Iuges passionnez ou corrompus.

Le Cardinal
est condamné
contre les
formes de la
Iustice.

On asseure donc que le Cardinal Mazarin est entré en
France, & que par cette entrée il a violé les defenses du Roy ;
mais dans cette occasion, l’ordre naturel de la Iustice ne demandoit-il
pas, que l’on s’eclaircist, & que l’on informast
juridiquement d’vn fait de cette consequence. Or où sont
les tesmoins qui chargent ce coupable ? deuant quel Iuge
ont-ils fait serment de ne point blesser la verité ? & les a-t’on
en suite confrontez, selon qu’il s’obserue en pareilles occasions ?
Toute la deposition que l’on a receuë est celle de

-- 19 --

Monseigneur le Duc d’Orleans, dont la naissance & la condition
Royale ne permettoient pas que l’on pratiquast en sa
personne, ce qui se pratique ordinairement en celle des témoins.

 

Et ça esté pour ce sujet, que dans le procez d’vn Chancelier
de France, le témoignage de François premier ne fut
d’aucune consideration dans l’esprit des Iuges ; sa Majesté
sacrée ne pouuant souffrir, qu’on le traitast à la façon, ou des
accusateurs, ou des témoins vulgaires & communs ; l’équité
naturelle ne permettant pas que sa parole fust receuë, sans
les formes accoustumées, à la rigueur desquelles on ne le
pouuoit assujettir. Ainsi des témoins en Iustice peuuent
estre reprochez pour deux raisons toutes contraires, les vns
pour la bassesse & les autres pour l’eminence de leur condition,
vn éclatant & sublime rang d’honneur, n’estant pas
moins vne cause de reproche pour les vns, que l’infamie
pour les autres.

Aussi remarque-t’on que les anciens Euesques atteints de
crime de leze Maiesté, estant accusez par les Empereurs, &
par les Roys mesmes qu’ils auoient trahis : les saincts Conciles
dont les mesmes Roys & les mesmes Empereurs imploroient
l’assistance & la Iustice, n’auoient aucun égard
à la deposition de ces testes couronnées, mais procedoient
tousiours dans leurs jugemens, selon les formes les plus rigoureuses,
& les plus estroites des tribunaux Ecclesiastiques.

Et on obserue mesme, que l’vn de ces Prelats le plus noircy
de crimes, qu’il fust en fin obligé d’auoüer luy-mesme,
ayant demandé que l’Empereur qui l’accusoit se retirast de
l’assemblée de ses Iuges, on ne crût pas luy pouuoir dénier
cette faueur, & l’on ne l’oüyt point qu’auparauant cét Empereur
ne se fust absenté, à la priere des Euesques, tant le
deuoir de suiure l’ordre solemnel des jugemens publics, a de
tout temps paru sainct & inuiolable, en toutes sortes de causes,
& enuers toutes sortes de personnes : & cependant,
chose estrange ! dans vne affaire capitale du Cardinal Mazarin,
son Altesse Royale qui l’accusoit & qui pensoit auoir
depuis peu plusieurs raisons de ne le point aymer, n’a pas
esté seulement presenté à la deliberation & à la decision des

-- 20 --

Iuges : on a deferé, & on s’est arresté au témoignage seul
d’vne personne si considerable par le rang qu’elle tient dans
l’Estat, quoy que l’on sçache bien que dans le procez de
Monsieur de Thou & de Monsieur de Saint-Mars grand Escuyer
de France, lequel fut traité par des Commissaires, les
gens de bien soustinrent qu’vne Declaration de sa mesme
Altesse par escrit n’estoit pas valable, ny capable de faire foy
en Iustice, comme on dit, pour estre dénuée des formes legitimes
qui sont marquées par le Droict.

 

Apud Sirmond,
tom.
2. Concil.
Gall. ad an.
835. pag. 567

Et ie m’asseure que ceux qui verront icy cét illustre nom
de Thou, se souuiendront en passant, que Monsieur le Cardinal
ayant appuyé Monsieur de Thou, contre Monsieur de
Blanc-mesnil, dans leur dispute pour le rang en la premiere
Chambre des Enquestes, plusieurs ont estimé, que le ressentiment
de cette famille si puissante, l’a depuis engagée, au
moins pour vn temps & sans en preuoir les funestes suites,
dans les nouueaux troubles qui menacent ce Royaume d’vne
entiere desolation.

Quoy qu’il en soit, il paroist assez à mon aduis, par les raisons
que ie viens d’alleguer, que l’Arrest nouuellemẽt rendu
en la Cour des Pairs, contre la vie de Monsieur le Cardinal,
est vn Arrest sans force aussi bien que sans forme, & vne condamnation
auortée, tumultuaire, nulle & inualide, pour
auoir esté manifestement portée, cõtre l’ordre iuridique, qui
doit donner vigueur aux loix des Magistrats & des Souuerains
mesmes ; d’où vient aussi que le plus eloquent homme
que vit iamais Rome, voulant d’abord monstrer que son amy
auoit esté cruellement banny, par la faction de ses aduersaires,
ne trouua point de plus in faillible preiugé de l’innocẽce
de cét accusé, & de l’iniustice de ses Iuges, que de representer
à l’entrée mesme de la plus accomplie de ses harangues, que
le lieu public où il alloit plaider la cause de Milon, estoit de
tous costez enuironnée d’armes & de gens de guerre, & que
de quelque part que l’on tournast les yeux, on ne découuroit
aucune trace de l’anciẽne forme, & de la premiere coustume
qu’on auoit gardée dans les iugemens publics. Tamen hæc noui
iudicij noua forma terret oculos, qui quocumque inciderint veterem
consuetudinem fori, & pristinum morem iudiciorum minime vident.

-- 21 --

Non que ie veüille dire, que la liberté de la Cour ait esté violée
ou oprimée par les armes, quoy que la veuë & l’aspect d’vn
Fils de France, puissant en amis, en creatures, en dépendans, &
accompagné de la suitte que merite la hauteur de sa naissance
Royale, ne soit gueres moins propres à ietter de l’espouuante
dans les ames les plus fermes, que la veuë de plusieurs legions,
& d’vne armée entiere. Il me suffit de considerer en general,
que dans la pensée mesme des Payens, rien n’affoiblit, ou ne
ruїne tant l’authorité d’vn Arrest public, que le defaut des procedures
& des formes solemnelles qui y doiuent obseruer. Et
aussi ce n’est pas sans raison, qu’vn sçauant Commentateur de la
plus sçauante & de la plus inuincible Apologie qui ait soustenu
deuant les infidelles l’innocence de la Religion Chrestienne,
explique ces paroles de Tacite, damnatus vt innocens, d’vn homme
condamné contre les formes de la Iustice criminelle, quoy
qu’il fust coupable en effet, & qu’il y eust lieu le le condamner.
En tout iugement la negligence, ou la confusion de l’ordre
estant si ennemie du droit naturel, qu’elle fait descendre & passer
les Iuges, au rang des criminels, & reialir tout le demerite
des coupables sur ceux qui les condamnent.

Mais pour venir au suiet particulier, dont il s’agit icy, la regularité
de la procedure, en ce qui touche la vie des hommes,
est vne condition si fondamentale & si essentielle, pour authoriser
vn meurtre, qu’vn docte Religieux illustre par sa probité
& par ses ouurages, & Confesseur du grand Empereur & Roy
d’Espagne Charles-Quint, s’estant proposé cette question particuliere,
de sçauoir si on est obligé d’obeїr au Roy quand il nous
commande de tuër vn homme, la resout en répondant, qu’on
y est obligé, ou qu’on le peut en conscience, quand le Roy procede
par les formes legitimes ; qu’autrement on ne le doit ny
on ne le peut.

Dominicus
Soto de Iustitia
& Iure.

Que si la distinction de ce Theologien celebre, a lieu à l’esgard
du Roy dont la puissance paroist estre sans limites, & à qui
mesme la necessité des occasions & des affaires, ne permet pas quelquefois
de recourir aux moyens accoustumez : Combien
plus est-il iuste & necessaire d’en vser à l’esgard des Magistrats,
qui n’ont point de part aux mysteres de l’Estat, & dont l’authorité
& la iurisdiction doiuent tousiours estre renfermées dans

-- 22 --

les bornes qu’il a pleu au Roy de leur donner ? Et l’on croira
neantmoins que sous pretexte d’vn commandement donné irregulierement,
sans enqueste, sans tesmoins, non par le Roy,
mais par vn Parlement, non par vn oracle du Souuerain, mais
par vne ordonnance d’vne simple Cour de ses Officiers, & de
ses Ministres ; Il est permis, chose detestable, de respandre le
sang d’vn Cardinal, & en mesme temps de couurir d’vn deüil
general & eternel, l’auguste corps des Princes de l’Eglise, de
qui ce coup mortel auroit offensé sacrilegement la dignité, comme
l’Arrest qui le commande reduiroit, s’il auoit lieu, leur personne
sacrée à la condition des plus infames criminels.

 

Mais auoüons ce qui n’est pas, que dans cette occasion le
Cardinal Mazarin a esté iugé & condamné par ses Iuges naturels,
& qu’en le condamnant d’vne maniere aussi rigoureuse,
que nouuelle, ils n’ont rien obmis des formalitez de la Iustice ;
ont-ils eu matiere de conclurre & de prononcer contre luy vn si
seuere iugement ?

Vn Prince du Sang esleué plus que iamais nul autre, en biens,
en charges, en Gouuernemens, en places, en estime de courage,
& suffisance extraordinaire dans la guerre, mais qui seroit
tousiours bien moins redoutable, s’il ne l’estoit par les biens-faits
de celuy qu’il veut perdre, & que l’on sçait luy auoir procuré
entr’autres aduantages, la charge de Grand-Maistre de la
maison du Roy, vn commandement perpetuel de ses armées,
& des Souuerainetez considerables sur la frontiere de l’Estat,
l’illustre Comté de Dampmartin, l’vne des plus riches, & des
plus nobles terres du Royaume ; vn Prince, dis-je, de cette qualité,
fait éclater tout d’vn coup son ressentiment contre la Cour,
couure & colore de diuers pretextes le dessein de se venger, détache
de l’armée tous les Regimens qui estoient sous son nom,
leur defend de reconnoistre les ordres du Roy, traitte & s’allie
auec l’ennemy, assemble des troupes, & ses amis de tous costez,
arme, soûleue, & met en feu toute la Guyenne, & les paїs voisins,
appelle l’Espagnol, le reçoit en France, luy donne des villes
à fortifier, s’approche & vient en armes au deuant du Roy
qui le poursuit auec des peines insupportables à la tendresse de
son aage. Et comme si la rebellion des suiets contre les Roys,
ne pouuoit reüssir qu’à la faueur des parricides des Roys, il enuoye

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à Londres, il employe le secours de ces mains cruelles.
encore teintes & fumantes du sang de leur Monarque, & les
partisans de sa caballe publiant par tout l’entrée de quatre
mille Escossois, dans la riuiere de Bourdeaux, ne craignent
point de faire d’vne alliance si honteuse, vn suiet de gloire & de
trophée.

 

D’autre costé Monsieur le Cardinal, qui auoit souffert durant
plusieurs mois, sans plainte, & sans murmure, les outrages, dont
on l’auoit chargé en particulier & en public ; bien loin de penser
aux moyens de se venger, & d’écouter les offres que luy faisoit
l’Espagne en cette occurrence, également touché de reconnoissance
pour tant de biens que luy ont fait le Roy & cet
Estat, & de douleur pour les maux extrémes dont il voyoit l’vn
& l’autre menacé se resout constamment de les secourir dans
vn si eminent danger, d’employer ses soins, ses forces, celles
de ses amis, & enfin sa vie pour vne entreprise si glorieuse ; met
en peu de temps sur pied vne armée considerable : reçoit du
Roy vn commandement expres de la conduire en France, auec
esperance certaine d’en tirer vn seruice tres-notable dans la
conioncture presente des affaires.

Cependant Messieurs de la Cour de Parlement, ayant sceu
l’approche & la demarche de ce Cardinal, & son entrée en France
auec son armée, quoy qu’ils ne peussent ignorer qu’il y reuenoit
par ordre du Roy & en estat d’assister sa Maiesté contre vne
faction puissante de rebelles, s’assemblent aussi-tost, le declarent
criminel de leze Maiesté, mettent sa vie à prix, promettent
impunité & recompense aux coupables, qui l’auroient assassiné,
& ce qui fait horreur à dire & à penser, ordonnent que ses biens
seront exposez & vendus publiquement, pour payer la teste de
leur Maistre ; peu de iours ensuite l’execution de la Declaration
du Roy donnée dés long-temps contre la rebellion de Monsieur
le Prince, est surcise & suspenduë, pour n’auoir effet que
du moment qu’on aura receu nouuelles asseurées de l’esloignement
& de la retraitte du Cardinal hors du Royaume.

En premier lieu donc, pour bien iuger si on a condamné auec
iustice le retour du Cardinal : considerez d’vne part, que c’est
le Parlement qui ne le veut pas ; & de l’autre, que c’est le Roy
qui l’a voulu : puis voyez si la raison & toute sorte de deuoirs ne

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nous ordonnent pas de preferer incomparablement la volonté
du Roy à la volonté d’vn Parlement, qui ne peut auoir de iuste
volonté que celle du Roy ? Ce qui a fait dire au plus esclairé &
au plus admirable des Peres de l’Eglise, que si l’Empereur commande
vne chose & ses Ministres vne autre ; il faut obeїr au
commandement de l’Empereur, & non pas à celuy de ses inferieurs
& de ses Ministres, n’estant pas vn crime aux particuliers
de vouloir plustost ce que veut le Roy, que ce que veulent ses
Ministres : mais au contraire estant vn crime manifeste aux Ministres
du Roy, de vouloir autre chose que ce que le Roy veut.

 

Remarquez en suitte la difference & l’inégalité du traitement,
que reçoiuent deux personnes, qui arrestent sur elles auiourd’huy
les yeux de toute la France, ou pour mieux dire de toute
l’Europe. L’vn va contre le Roy, & l’autre accourt pour le secourir :
l’vn a conspiré auec les ennemis de cette Couronne, &
& l’autre est armé pour la defendre : l’vn appelle les estrangers
par mer & par terre, & l’autre les vient chasser : & toutesfois,
chose estrange, on fauorise le premier, & on persecute le second :
on fortifie les iniustes entreprises de l’vn en differant de
le condamner, & on affoiblit les efforts loüables de l’autre, en
les traittant de desobeїssance & de rebellion : Enfin on absout
en quelque maniere le coupable, pour faire paroistre l’innocent
plus criminel & plus odieux que le coupable mesme. En verité
plus ie pense à ce mystere, & plus ie me pasme d’estonnement ;
vit-on iamais qu’vn suiet du Roy, ayant traitté auec l’ennemy,
& l’ayant introduit dans les places de l’Estat, vn Parlement ayt
loüé son entreprise ; & l’ait declaré legitime pour vn certain
temps & sous certaines conditions ? Conclurre & arrester que
l’on attendra de verifier les Declarations portées contre Monsieur
le Prince, qui commande des troupes Espagnoles, & leur
permet de se fortifier en Guyenne, en Poictou & en Champagne,
iusques à tant que Monsieur le Cardinal ait vuidé le Royaume :
n’est ce pas conclure & arrester que l’Espagnol aura droit
d’y demeurer, & de s’y establir tout le temps que Monsieur
le Cardinal y demeurera ? & n’est-ce pas menacer le Roy,
que s’il souffre dans sa Cour vn de ses Ministres, on souffrira que
ses ennemis demeurent les maistres de son Estat ? Enfin nous viuons
dans vn temps si déplorable, qu’on n’apprehende pas de

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fauoriser manifestement vn Prince qui entretient vne liaison
ouuerte auec l’ennemy, peu de temps apres qu’on faisoit vn crime
irremissible à Monsieur le Cardinal d’auoir commerce & intelligence
auec le Roy.

 

On alleguera peut-estre que Monsieur le Cardinal est conuaincu
d’auoir desobey à la Declaration du Roy verifiée en
Parlement aux derniers iours de la Minorité, par où le Roy defend
à ce Prelat de rentrer en France, & à tous Gouuerneurs
de Prouinces & de Places de l’y retirer. Mais si on agit en cette
occasion par vn pur esprit de maintenir la force & l’authorité
des Declarations du Roy ; d’où peut venir qu’on a tant de zele
pour l’execution des vnes, & tant d’in difference pour celle des
autres ? y a-t’il des Loix qui defendent au Cardinal de retourner
en France, & n’y en a-t’il point qui defendent aux Princes d’y
receuoir les ennemis, leurs flotes, leurs armées, & de leur en
liurer les villes & les ports ? Et pourquoy donc s’empresse-t’on
auec tant de violence, pour venger l’infraction des vnes, &
laisse-t’on en mesme temps impuny le violement des autres ?

Le Cardinal
n’a point
violé la Declaration de
sa Majesté
donnée contre
luy sur la
fin de la Minorité.

Mais pour ce qui regarde la Declaration du Roy, touchant
l’esloignement de Monseigneur le Cardinal, en quel temps, en
quel estat sa Maiesté l’a-t’il publiée ? Alors le Roy estoit-il Roy ?
estoit-il Maistre de son Royaume, auant que de l’estre de ses
volontez ? & auoit-il atteint cette plenitude d’âge, qui l’esleue
au dessus de luy-mesme & le rend iuge de toutes les actions
precedentes de sa vie, pour les approuuer ou les condamner selon
qu’il luy plaist ? D’ailleurs aussi dans ces placars insolens &
seditieux ne voyoit-on pas des desseins & des projets de nouueautez
étranges exposez en affiches par tous les coins des ruës
de Paris ? Ne parloit-on pas ouuertement de reculer la Majorité
du Roy, & de donner la Regence du Royaume à Monseigneur
le Duc d’Orleans, ou de luy continuer pour quelques années
la fonction de Lieutenant general de l’Estat ? & n’y auoit-il pas
lieu d’apprehender, que la temerité d’innouer & d’entreprendre,
qui va tousiours croissant dans les tumultes populaires, ne
se fist vn passage à de plus importans & plus iniustes changemens ?

Il est donc sans doute que le Roy, ou plustost la Reyne Regente,
pour ceder à la necessité du temps qui est bien souuent

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la Loy des Souuerains, se vit obligée de consentir à la Declaration
dont il s’agit, & qu’on n’ignore pas auoir mesme esté dressée
par Messieurs du Parlement dans les termes qu’il leur plût.

 

Mais outre que ç’a esté par vne conduite sage & salutaire, que
leurs Maiestez voulurent en cela condescendre à la passion des
ennemis de son Eminence, qui autrement sur le declin de la
Minorité, & sur l’accroissement des nouueaux troubles domestiques,
auroient pû prendre des resolutions d’vne consequence
dangereuse, & sur tout au milieu d’vne grande ville, où
leurs Majestez mesmes, peu de mois auparauant, n’auoient pas
ioüy de la liberté de leurs personnes.

La Loy fondamentale de la Souueraineté ne veut-elle pas que
les Roys & les Monarques ne s’engagent pas si estroitement à
l’obseruation des Loix qu’ils font sur des occasions particulieres,
qu’ils ne s’en puissent dispenser legitimement eux-mesmes
selon que le demande le bien de leur Estat & de leur seruice : &
principalement s’ils accordent vne chose qui de sa nature ne
peut estre que force, comme quand ils renoncent aux droits
essentiels & attachez inseparablement à leur Couronne, entre
lesquels vn des plus sacrez, & des plus inuiolables, est sans contredit,
la liberté de choisir eux-mesmes les Ministres, dont ils
composent leurs Conseils, & à la fidelité desquels ils commettent
le secret des affaires publiques ?

Et apres tout, le Parlement dans les Arrests donnez pour la
liberté des Princes & pour l’esloignement du Cardinal ayant
employé cette clause expresse & remarquable, en consequence de
la volonté du Roy, n’a-t’il pas dés là tesmoigné de reconnoistre,
que tous les Arrests & les iugemens n’auoient de force, qu’autant
qu’il plairoit à sa Majesté de leur en donner ; & que le Souuerain
ayant changé de resolution & de volonté, ceux qui n’auoient
agy que pour obeїr à son intention & à sa volonté, en deuroient
changer en mesme temps que luy ; les loix des inferieurs
aussi-tost qu’elles resistent à la Loy du Prince, n’estans pas censées
vn commandement, mais vne rebellion, ny des Ordonnances,
mais des parjures.

Ainsi l’iniustice de la proscription du Cardinal, n’est pas
moins claire ny moins indubitable, qu’il est infaillible & indubitable
que l’authorité des Iuges qui l’ont condamné, s’efface

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& se destruit dés l’instant qu’elle s’oppose à celle du Monarque,
comme il est visible qu’elle la combat directement dans la violence
& dans la persecution furieuse qu’elle fait souffrir à l’innocence
de ce mal-heureux Prelat.

 

Car en ce qui le touche, il n’est pas besoin à mon auis de remonter
plus haut que la presente disposition des choses, ny de
renouueller ou de rappeller odieusement le souuenir de toute
sa conduite, quoy que pure & sans reproche, dans le maniement
des affaires de l’Estat : le Roy entend que chacun iouysse
inuiolablement des aduantages des derniers Traittez, & qu’en
vertu de celuy de Paris en 1649. vn entier oubly de tout le passé
asseure la conscience de ceux, qui sans cela pourroient estre
recherchez. Aussi Messieurs du Parlement dans ce qu’ils ont
fait ou entrepris depuis peu de plus violent contre le Cardinal,
se sont abstenus tres-sagement de resueiller les anciennes plaintes
contre luy, pour ne pas donner lieu à la colere du Roy, de
les resueiller à l’esgard de quelques autres, & de r’ouurir des
playes, qui ne s’estoient fermées, que par vne bonté extraordinaire
de sa Maiesté.

Mais quand l’aueuglement & l’opiniastreté des aduersaires
du Cardinal Mazarin, pourroient nous reduire à la necessité
de faire vne reueuë & vne recherche tres-exacte de toutes les
partie de son administration publique, quelle raison, quelle authorité
alleguera-t’on, pour le conuaincre ? Combien de temps
y a-t’il que l’on inuectiue, que l’on declame contre luy, qu’on
le charge de tous les crimes, & qu’on n’en prouue aucun ? &
parmy tant de cris, de plaintes, de satyres populaires, folles &
insensées, vne preuue tres-indubitable de son innocence, n’est-ce
pas de voir qu’on peut la iustifier, par le tesmoignage seul des
accusateurs qui s’efforcent de la noircir ?

L’innocence
du Cardinal
est iustifiée
par ses propres
aduersaires.

Pour estre persuadé de cette verité, il ne faut que regarder
à la naissance de l’orage qui combat & qui tourmente si cruellement
cét infortuné Ministre. On auoit desia veu durant cinq
années vne tranquillité & vne paix profonde regner en l’estenduë
de ce grand Royaume les armes du Roy vaincre & triompher
de tous costez, la reputation & la gloire de la France
s’esleuer de iour en iour par le miracle de tant de progrez en villes
prises, & en bataille gagnées. Dans l’heureux succez de

-- 28 --

si hautes entreprises, la minorité du Roy par vn rare exemple,
n’estant remarquée que par la foiblesse de son âge, & non par
celle de son regne. Lors qu’vn mauuais demon de cette Monarchie,
conspirant sa ruїne & sa desolation, fait naistre tout à
coup au Sur-Intendant des Finances du Roy, vne pensée tout
à fait funeste au bon-heur de cét Estat. Les tresors du Roy
estant espuisez par vne longue guerre des ennemis irreconciliables
& tres-puissans, pour faire entrer les riches en partage
des contributions des pauures, qui n’en pouuoient plus,
& se voyoient reduits à vne pitoyable extremité, on s’auisa entre-autres
moyens de faire porter aux Officiers des Cours Souueraines,
vne partie de ce pesant faix, par le retranchement
d’vne portion legere des gages ordinaires de leurs Charges.
Mais ces Messieurs, qui iusques alors auoient enduré paisiblement,
& veu sans murmure les souffrances du peuple, tout le
temps qu’ils n’en auoient esté que simples spectateur, commencerent
à les sentir & à en faire plainte, dés l’instant qu’elles passerent
iusques à leurs personnes, & à leurs Compagnies. Le
dépit ou le desplaisir de voir qu’on entre prit de porter la main
& de les toucher, à l’endroit qui leur estoit le plus sensible, les
esmeut, les trouble, les irrite, & leur inspire la hardiesse de prendre
connoissance de l’administration & du gouuernement politique
du Royaume.

 

Ce fut alors que le Cardinal, qui dans la place qu’il tenoit aupres
du Roy & de la Reyne Regente, dont la pieté & la vertu
sont au dessus de la médisance la plus effrontée, n’estoit obligé
que de s’appliquer à la direction & à la conduite des affaires
generalles, commettant le soin des particuliers aux Ministres
subalternes, dont les excez par consequent, & les maluersations,
s’ils en auoient commis, ne pouuoient point raisonnablement
luy estre imputées ; deuint l’objet neantmoins de
l’auersion, de l’animosité, & de la persecution de ces personnes
nouuellement blessées & vlcerées dans leurs interests particuliers.

Mais si le manquement, ou les desordres du premier Ministre,
comme on a voulu faire croire, estoient si visibles, pourquoy
les a-t’on si long-temps souffertes, ou dissimulez ? Et
pourquoy ceux qui en ont formé les premieres plaintes, attendoient-ils

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que la consideration de leur bien particulier, les fist
resoudre à la defense du public ? D’où vient que ces hommes si
subtils & si clair-voyans pour remarquer les déreglemens de la
police du Royaume, n’ont ouuert les yeux que lors que l’on
a parlé de leur faire ouurir leurs coffres, & leurs thresors,
pour y trouuer dequoy subuenir aux necessitez publiques,
qu’ils n’ont commencé d’imputer au Cardinal les fautes de
l’Estat, que lors qu’il a souffert qu’on leur imposast vne partie
des charges de l’Estat, & que par vn bruit inopiné ils ont attaqué
sa fidelité & son innocence, qu’ils venoient de iustifier par
vn silence de plusieurs années ?

 

C’est le destin de ce Cardinal, comme i’ay desia dit, d’auoir
ses Iuges pour ses defenseurs, & ses accusateurs les plus passionnez
pour ses garands, soit qu’on les cherche dans les Palais
des Magistrats publics, ou dans les Cours des Princes du
sang Royal. Et en effet, pendant le dernier siege de cette
grande Ville, n’auons-nous pas veu son Altesse Royale, &
Monsieur le Prince armez & conjurez tres-estroittement pour
la conseruation de ce Prelat, parce qu’ils estimoient que le
proteger & le deffendre, ce n’estoit rien moins que de defendre
& proteger l’authorité du Roy, qu’ils soustenoient alors
estre sur le point de receuoir vne playe mortelle par le flanc de
ce Ministre, si on venoit à le chasser ; & cependant il m’est permis
icy, non de proposer vn simple doute, ou vne simple conjecture,
mais de publier vne verité, qui est exposée aux yeux
de tout le monde ; les mesmes Princes changez & deuenus
tout autres qu’ils n’estoient auparauant, embrassent des desseins
& des sentimens entierement contraires aux premiers. En
vn temps ils pensent que l’esloignement du Cardinal est la perte
du Royaume, & les voicy qui croyent que ç’en est le salut :
quand on assiege Paris, ils protestent qu’on perd tout si on
chasse ce Ministre : & apres ce siege, ils asseurent au contraire,
que si on le souffre tout est ruiné, tout est en desordre & en
confusion.

Mais qu’a donc fait ou entrepris ce Cardinal de si pernicieux,
ou de si detestable, depuis que ces deux Princes demeuroient
vnis, & se monstroient si ardens pour le defendre ?

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A-t’il trahy le Roy, vendu l’Estat, & liuré à l’Espagnol les
forces de la France ? Ou est-ce peut-estre qui ayant respandu
les Charges, les honneurs, les finances du Royaume, en liberalitez
& en largesses continuëlles enuers ces Princes, pour
les attacher plus estroittement à l’interest du Roy, & ne leur
laisser aucun pretexte de se plaindre, ils l’ont abandonné,
quand ils ont iugé qu’il ne pouuoit plus leur estre vtile, & ont
resolu de luy declarer la guerre, non pour auoir commencé
à leur procurer du mal, mais pour auoir cessé de leur bien-faire ?
Car il arriue tres-souuent aux hommes de n’auoir de la reconnoissance
des anciens biens-faits, que par l’esperance d’en
receuoir encore de nouueaux. Ils ont coustume d’oublier les
dons qu’on leur a faits, aussi-tost qu’ils en voyent la source
tarie & consumée. Et comme la vie ne subsiste que par vn vsage
perpetuel des alimens, qui la peuuent conseruer ; aussi la
gratitude en certaines ames, ne s’entretient que par vne suite
continuëlle de faueurs, & ne dure qu’autant que durent les
graces, dont elle a tiré son origine.

 

C’est-là le seul & l’vnique changement que l’on remarque
dans le Cardinal, c’est en quoy seulement il est deuenu different
de luy-mesme, depuis que ces grands Princes ont
paru si absolument contraires à eux-mesmes, & qu’il a perdu
l’amitié, & la protection, dont ils l’honoroient auparauant.
Ils l’ont aymé & appuyé de toutes leurs forces, quand il a eu
dequoy les rendre riches & puissans, & il est tombé dans leur
disgrace, quand il est tombé dans l’impuissance de les enrichir
encore, & de les esleuer comme on a veu qu’il a fait peut-estre
auec excez : ayant comblé Monseigneur le Prince de
gratifications immenses, dont nous auons marqué cy-dessus
les principales, & entre-autres aduantages, fait pouruoir son
Altesse Royale de l’vn des plus grands, & des plus considerables
Gouuernemens du Royaume, contre les maximes les
plus asseurées de la bonne Politique, qui ne permettent gueres
que l’on abandonne aux Enfans de France & aux autres
Princes du sang Royal, qui n’ont desia que trop d’authorité
par l’éclat de leur naissance, les Places, les Prouinces, & les
Frontieres de l’Estat. Et ainsi l’on peut dire auec justice, que

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la meilleure excuse que puissent alleguer ceux qui luy font du
mal, est qu’ils ont raison maintenant de le punir de la faute
qu’il a faite, pour leur auoir trop fait de bien.

 

Mais pour continuer à le defendre, & à le iustifier par la
bouche mesme de ses ennemis, & de ses persecuteurs : L’accusera-t’on
de la resolution qu’on prit il y a deux ans d’arrester
Monseigneur le Prince ? Mais cette accusation n’attaque
pas moins directement Monseigneur le Duc d’Orleans, que
ce Ministre ; son Altesse Royale ayant eu comme l’on sçait la
principale part à ce dessein ; & sans en rechercher plus curieusement
les causes, si on en fait vn crime au Cardinal, il aura
pour defenseur le Duc d’Orleans, qui ayant approuué & authorisé
cette entreprise comme luy en est coupable, si elle
fut injuste, & en doit respondre aussi bien que luy.

Et de vray, si l’on n’eust point transferé Monsieur le Prince
du Bois de Vincennes, où il fut mis d’abord, au Havre de
grace, place forte & asseurée à leurs Majestez, Monseigneur
le Duc d’Orleans ne se seroit peut-estre pas si-tost mis en peine
de le faire deliurer ; & beaucoup pensent qu’il n’a souhaité
de le voir libre, que depuis qu’il a veu qu’il n’en estoit plus
le maistre, & qu’il ne s’est plus imaginé d’auoir à son choix
ou de le retenir en prison, ou de l’en retirer, comme quand il
estoit au Chasteau de Vincennes à la veuë & aux portes de
Paris. Osera-t’on rejetter sur luy le blasme du siege de Paris ?
Son Altesse Royale & Monseigneur le Prince qui estoient
diuisez & contraires l’vn à l’autre pour le iustifier sur la detention
de l’vn des deux, s’accorderont à l’heure mesme, &
se reüniront pour le defendre, & soustiendront en sa faueur
la Iustice de ce siege memorable, qu’ils ont fait eux-mesmes
& poursuiuy auec tant de zele & de vigueur. Les Cours souueraines
luy imputeront-elles les desordres de l’Estat, qui
ont precedé le mécontentement qu’elles ont receu en leur
particulier, par le dessein qu’on auoit pris de retrancher les
gages de leurs charges ? Ou elles se sont teuës quand il falloit
parler, ou elles ont parlé quand il falloit se taire : & il est visible
que des remonstrances, des plaintes & des clameurs qui
n’ont pour principe que le bien particulier de ceux qui les

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excitent, portent leur reproche en elles-mesmes, & ne meritent
en façon du monde d’estre considerées par des personnes
sages & dégagées de toute preuention d’interest &
de passion. C’est ainsi donc que le Cardinal quoy qu’agité de
tant de disgraces, se trouue neantmoins dans vn estat si aduantageux,
que de pouuoir plaider impunément sa cause deuant
ses ennemis, & les rendre les tesmoins de son innocence,
en mesme temps qu’ils voudront estre ses Iuges, & qu’ils
entreprendront le plus ardemment de le condamner ou de
le persecuter : ce qu’ils n’ont presque iamais fait ; que lors
qu’ils ont deu reconnoistre ses trauaux & luy decerner des
couronnes & des triomphes, pour les grands seruices qu’il
venoit de rendre au Roy & à l’Estat.

 

A-t’il donné la paix à la capitale du Royaume & à tout le
Royaume en mesme temps ? vne faction puissante s’esleue
contre luy, aigrit & fortifie les premiers dégousts de Monseigneur
le Prince qu’elle veut s’aquerir, & dont elle s’efforce
par mille artifices de corrompre la fidelité. Apres la detention
de ce Prince, a-t’il reduit auec vne incroyable diligence
les places de Normandie & de Bourgogne dans
les rigueurs extremes de l’hyuer, puis secouru Guise, dompté
Bourdeaux, appaisé toute la Guyenne, dans les chaleurs
extremes de l’esté ? pour toute recompense de si grands
seruices, on redouble contre luy les efforts de la cabale, & de
l’intrigue, au mesme temps qu’on les pouuoit croire esteintes
& estouffées.

Cependant le Cardinal batu d’vn si violent orage s’en esloigne,
ou pour l’appaiser, ou pour le faire fondre sur les ennemis :
au cœur de l’hyuer il les attaque, il les chasse de Rethel,
il les défait en bataille rangée, ou il taille en pieces leurs
meilleures troupes, & s’en reuient chargé de trophées &
plein de gloire à la Cour du Roy.

Pour de si admirables succez, il se deuoit bien promettre
l’applaudissement public, & il pouuoit bien considerer tant
d’ennemis vaincus cõme autant de victimes capables d’appaiser
le ressentiment de ses aduersaires : mais au contraire plus il
est glorieux, & plus on veut qu’il soit mal-heureux : mieux il

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sert l’Estat, & plus on l’accuse de le troubler. Enfin de ce vainqueur
on resout d’en faire vn prisõnier & vn coupable à la veuë
du Roy, & au milieu de la ville capitale de la Frãce. Ainsi on voit
que ce n’est pas à ses fautes qu’on en veut, mais à sa puissance,
qui s’accroist auec son bon-heur, & auec ses merites ; & l’on ne
doute point que ceux qui taschent de nous faire croire que ses
crimes ont augmenté auec ses seruices, n’ayent pris pour rebellion
les effets de son deuoir, & ses seruices pour des crimes ; &
il est infallible, que si cét exilé reuenoit en France moins accompagné,
& moins en estat de rendre victorieuses les armes
du Roy, par le renfort & par la jonction des siennes, on n’auroit
pas dépeint son retour si pernicieux, que l’on a fait, & peut-estre
mesme que la haїne de ses condamnateurs ne seroit pas
venuë à vn excez si épouuentable, que de mettre à prix sa teste
sacrée, & de la sacrifier à la fureur des assassins les plus desesperez.

 

Ce sont là les causes veritables qui allument la vengeance de
ses condamnateurs, & qui font joüer maintenant tous les ressorts
de tant d’artifices, qu’on a employez pour surprendre la
bonté de l’vn des plus humains & des plus doux Princes que
l’on vit iamais, & l’engager à se rendre le ministre de l’animosité
de peu de mal-contens par vne guerre domestique, & vne
combustion generale de la France, quoy que le plus celebre &
le plus éclairé des infidelles ait pû nous enseigner cette belle verité.
Qu’vn homme de bien ne doit iamais entreprendre dans
l’Estat quoy que ce soit, qu’autant qu’il est capable de le persuader
par la raison, & qu’on ne doit iamais employer la force
contre ses parens & contre ses patrie, & par consequent beaucoup
moins contre le Roy, qui nous tient lieu tout ensemble
de parens & de patrie. Et c’est enfin ce qui fait que presque vn
seul Cardinal est deuenu l’objet de la justice criminelle, pendant
que les violences & les peculats d’vn si grand nombre
de particuliers, demeurent impunies à la faueur de leur amitié
& de leurs alliances auec les Iuges qui sont obligez de les chastier,
comme ils sont obligez de se chastier, & de se reformer
eux-mesmes ; ce qu’ils ont toutesfois negligé de faire, aussi
bien que de pouruoir à vn reglement exact du détail de la police,
& sur tout du debit & de la vente des denrées dont le prix

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est deuenu tout à fait excessif & insupportable à la necessité du
peuple : mais tout va bien, tout est permis, tout est dans l’ordre,
pourueu qu’on accable vn seul Cardinal Mazarin, comme autre
fois vn grand homme reprochoit aux Atheniens de negliger
leurs propres affaires, & de laisser tous les coupables impunis,
pour la passion de se venger d’vn seul Philippe Roy de Macedoine ;
quoy que ce Philippe estant l’ennemy irreconciliable de
ces Grecs, ils fussent bien plus excusables de le prendre pour
obiet vnique de leur haїne, que ne sont ceux qui n’ont dans
l’esprit que le dessein d’opprimer ce Cardinal, dont ils deuroient
plustost defendre l’innocence pour les grands seruices
qu’il a rendus à leur patrie.

 

Plato, apud
Cicer. ep. 9. Tantum cõtendere in
republica, quantũ probare
tuis ciuibus
possis.
vim neque
parenti, neque
patriæ
afferri oportere.

Demosth. O.
lymp. 3. Orat.
de falsa negat.

Ie sçay bien que ceux qui s’opposent au rappel & au restablissement
de ce Prelat illustre, quoy que depuis peu il ait renoncé
publiquement au ministere de l’Estat, alleguent à toute
heure, que c’est vne entreprise qui ne peut apporter que de
grands troubles dans la France : mais s’il est veritable que ceux
qui apprehendent tous ces maux & tous ces desordres, sont les
seuls qui les peuuent faire naistre, dequoy se plaignent-ils ? &
qu’apprehendent-ils ? ils craignent des miseres, dont ils peuuent
seuls estre les autheurs, il est donc facile de les conuaincre
& de les desarmer de ce vain pretexte ; qu’ils demeurent en repos,
qu’ils ne fassent point de mal, & il n’y en aura point.

Ie laisse à part que la maniere dont on a chassé le Cardinal,
en y forçant le Roy par le tumulte de tant de factions & de menaces,
peut passer pour vne raison, & vne necessité de le r’appeller,
rien n’estant si contraire à l’authorité Royale, que de
luy arracher par la voye de la force ce qu’on n’en doit obtenir
que par celle des prieres, ny rien de si propre à soustenir la Maiesté
du Prince, que d’agir auec liberté, & de paroistre toûiours
inflexible à la violence que luy auoient voulu faire ceux qui luy
doiuent obeїr.

Ie soustiens seulement qu’en cette occasion la volonté du
Roy ne pouuant estre combatuë, que par vn desordre, vne confusion,
& vn embrasement de toute la France, tout homme de
bien & tout veritable & bon François est obligé, selon son pouuoir
d’éloigner la cause d’vn mal si déplorable, & déclairer l’aueuglement
des peuples, en leur faisant voir que cette image

-- 35 --

affreuse, qu’on leura dépeinte depuis quelque temps du Cardinal
Mazarin, est vn fantosme qu’on leur presente & qu’on leur
met perpetuellement deuant la veuë pour les effrayer, & pour
les engager par vne épouuante folle & insensée, dans vne plus
folle & plus insensée rebellion, & par la crainte d’vne perte
chimerique & imaginaire, les precipiter dans l’abysme d’vne ruїne
veritable & infaillible.

 

Quel reproche donc, ou quel chastiment ne meritent point
ceux qui negligent en cette rencontre, de leuer le voile qu’on a
mis deuant les yeux de cette déplorable multitude, pour la détourner
de la voye Royale, & la conduire au precipice ? Et qui
pourroit justement se dispenser de luy faire entendre qu’on la
trompe mal-heureusement, quand on luy represente comme vn
criminel abominable, vn tres-fidelle & irreprehensible seruiteur
du Roy & de l’Estat, & quand on veut que nous jugions de
l’enormité de ses excez par la rigueur des peines qu’on luy impose ;
au lieu qu’au contraire nous deuons juger par son innocence
de la cruauté du supplice qu’on luy ordonne si extraordinaire,
& si inoüy : que la plus curieuse recherche de l’Histoire
n’en sçauroit produire vn seul exemple.

Car alleguer que la Cour autresfois a fait vn semblable traitement
à l’Admiral de Chastillon, mettant sa vie à prix, & promettant
à qui l’auroit tué impunité & recompense : outre l’incertitude
de ce faict particulier que l’on ne iustifie nulle part,
qu’à-t’il de commun ie vous prie auec le faict dont il s’agit ? Cét
Admiral estoit chef d’vne faction rebelle, qui a remply la France
de sang & de carnage, abbatu les Temples, massacré les Prestres,
violé les sepulcres des Roys morts, & presque esteint la
Religion venerable de nos Peres. Et on ozera neantmoins comparer
cét ennemy furieux, & implacable de l’Eglise Romaine,
auec vn Cardinal de l’Eglise Romaine : ce demon de l’heresie,
auec ce protecteur de la Foy diuine : ce rebelle impugnateur de
l’authorité du Roy, auec ce fidelle defenseur de l’authorité
Royale : ce subiet armé contre son Roy, auec celuy-cy armé
pour le defendre : enfin ce coupable auec cét innocent.

Mais quand mesmes on verroit quelque proportion, ce qui
est horrible à dire, ou quelque ressemblance de merites entre
cét Admiral & ce Cardinal, verroit-on pour cela quelque ressemblance

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ou quelque proportion d’authorité entre les Iuges
qui les ont condamnez ; le premier ayant esté jugé par vn commandement
& par vn oracle souuerain de la Majesté du Prince ;
& le dernier n’estant condamné que par vn Arrest d’vne simple
Cour de Parlement, & par vne Sentence manifestement renduë
(sans parler de tant d’autres defauts que nous auons marquez)
contre l’ordre, l’intention, & l’expresse volonté du Roy ?

 

Mais ce qui nous doit le plus estonner en ce sujet, est, que
ceux qui veulent defendre par exemple vne entreprise sans
exemple, ne s’apperçoiuent pas, que celuy qu’ils alleguent se
destruit & se refute par luy-mesme. Car en mettant vn prix
sur la vie criminelle de l’Admiral de Chastillon soit que ce faict
soit faux ou veritable ; oza-t’on estendre la rigueur de ce jugement
à la personne du Cardinal de mesme nom, & assujettit sa
teste aux mesmes peines, que celle de son frere, quoy que par
l’horreur de son apostasie qui le fit tout ensemble deuenir rebelle
du Roy & de l’Eglise, il eut desia merité d’estre priué, comme
il fut aussi, de la dignité de Cardinal, qu’il auoit violée au
premier chef, & de la Communion Romaine, qu’il auoit postposée
à celle de Caluin. Et ainsi pour iustifier la profanation
estrange, qu’on a faire de cette dignité toute Apostolique, on
allegue vn exemple qui nous fait connoistre, qu’on l’a reuerée
dans ceux mesmes qui l’auoient perduë, par le plus grand des
crimes, ou pour dire mieux, qu’on a voulu la respecter iusques
dans les moindres impressions, qui paroissoient en estre restées
dans vn apostat, comme les lieux sacrez se font honorer apres
leur cheute, & sont toûjours adorables dans leurs ruїnes.

Mais pour le Cardinal Mazarin, il ne suffit pas de le traiter
plus inhumainement qu’vn apostat, & vn deserteur de la Foy
Romaine, & de prostituer ou de vendre simplement sa vie, à la
rage des meurtriers : il falloit l’achepter auec ses biens, destruire
& dissiper ce tresor in comparable de volumes & de liures anciens,
qu’il auoit consacré à l’vtilité publique, & exposer en
vente ce que l’Antiquité nous a laissé de plus memorable, &
de plus riche, pour payer vn parricide, dont elle ne vit iamais
d’exemple.

Seroit-il donc possible qu’on vist parmy nous des ames si
barbares ou si aueuglées, que de pouuoir prendre, contre l’intention

-- 37 --

de ses autheurs, vn jugement si precipité, si injuste,
si contraire aux immunitez inuiolables de l’Eglise, ou pour
pretexte, ou pour fondement d’vne guerre ciuile, qui sans
doute acheueroit de nous ruiner, ou d’vne rebellion armée
contre le Souuerain, qu’au sentiment des Peres, nulle consideration,
nulle cause, nulle necessité d’attaquer ou de se
defendre ne peuuent excuser ?

 

Et c’est ce qui a fait dire à vn des grands hommes que l’Eglise
ait iamais veu, que l’on peut bien resister aux Empereurs,
pour obeïr à Dieu, mais qu’on ne leur peut resister que
par la patience du martyre, & non par l’intrigue des factions,
& par la cruauté des armes ; d’où vient que du temps de ce
sçauant Pere, quoy que les Cesars & leurs ministres fussent
en tous lieux les persecuteurs du nom Chrestien, il ne se
trouua neantmoins aucun Chrestien du party contraire à celuy
des Cesars. Vous nous décriez, dit-il, comme si nous estions ennemis
de la majesté de l’Empereur, & toutesfois l’on n’a pû trouuer encore
de Chrestiens dans le party ny d’Albin, ny de Niger, ny de Cassius ;
mais ceux-là mesme qui le iour d’auparauant auoient juré par le
genie des Cesars, qui auoient pour leur salut immolé des Hosties, qui
auoient souuent condamné les Chrestiens à mort, ont esté découuerts
ennemis des Cesars. Pour ce qui est des Chrestiens, ils ne sont ennemis
de personne, & de beaucoup moins le sont-ils de l’Empereur. Et
sçachant que c’est leur Dieu qui l’a estably, ils se croyent necessairement
obligez de l’aymer, de l’honorer, de le reuerer, de le souhaiter
heureux, auec tout l’Empire Romain autant que le monde durera.
Nous seruons donc l’Empereur en la maniere qui nous est licite, &
qui luy est aduantageuse, le seruant comme vn homme qui n’a que
Dieu au dessus de luy, qui tient de Dieu tout ce qu’il possede, & qui
n’est inferieur qu’à Dieu.

Selon la doctrine
des
saincts Peres
on ne se peut
dispenser d’obeir
au Roy,
& de suiure
son party
pour quelque
cause que ce
soit. Ad Sea.
pulam paulo
post initium.

Et le mesme Pere nous découure la cause veritable d’vne
obeїssance, & d’vne fidelité si constante, quand il dit en vn
autre lieu, Si nous voulions, ie ne dis pas nous ressentir par de secretes
vengeances, mais nous declarer vos ennemis ouuertement, manquerions
nous d’hommes & de vos forces ? Et vn peu plus bas il
adjouste ; Il y a bien peu de temps que nous sommes parmy vous, &
on nous voit desia répandus, en toute l’estenduë de vostre Empire, dans
les Villes, dans les Isles, dans les Chasteaux, dans les Bourgades, dans

-- 38 --

les assemblées, au milieu des champs & des armées dans les quartiers
& dans les decuries, dans la Cour, dans le Senat, dans le Barreau : il
n’y a que les Temples que nous vous laissions. N’est-il pas visible, que
quand mesme nous n’aurions pas eu tant de legions, & tant d’armées
que vous, il n’y auroit point de guerre, que nous n’eussions esté capables
d’entre prendre, & de soustenir, & où nous n’eussions eu de
grands aduantages à esperer, nous qui laissons tuer si franchement ?
Et qui a-t’il qui nous ait retenus, que nostre Religion, qui nous apprend,
qu’il nous est plustost permis d’endurer la mort, que de faire mourir
les autres.

 

In Apolog.
cap. 37.

Et cette sainte doctrine estant venuë par vne fidele tradition
des maistres aux disciples : Saint Cyprien écrit suiuant
les traces de son maistre Tertulien. Personne de nous quand il est
pris ne se defend, & nul de nous ne se ressent de vostre iniuste violence,
quoy que nostre peuple soit extraordinairement nombreux, l’asseurance
que nous auons, que Dieu doit tost ou tard estre nostre vengeur, nous
fait souffrir, & prendre en patience le mal que nous souffrons. Et c’est
ainsi que les innocens cedent aux coupables.

Epistola ad
Demetrianum

Et le plus grand disciple de Saint Cyprien, ou pour mieux
dire, le plus grand Maistre des fideles apres les Apostres, le
merueilleux Saint Augustin, parle en cette sorte dans l’vn
de ses plus pieux & de ses plus sçauans ouurages. Au premier
âge de l’Eglise, dit-il, quoy que la Cité de Iesus-Christ fust estrangere
encore dans la terre, & qu’elle continst vn si grand nombre de
troupes & de peuples, & toutes fois on ne voit pas qu’elle ait combatu
pour la defense de sa vie temporelle, contre ses persecuteurs idolatres
& impies ; mais au contraire, elle a cedé sans aucune resistance, pour
iouyr vn iour de l’eternité d’vne vie plus heureuse. On chargeoit de
chaisnes les premiers Chrestiens, on les emprisonnoit, on les frapoit
cruellement, on les mettoit à la gesne, on les brûloit, on les déchiroit
on les égorgeoit, & ils ne laissoient pas auec tout cela de se
multiplier, & de s’accroistre ; ils ne combattoient pour leur salut, qu’autant
qu’ils méprisoient cette vie temporelle, pour acquerir celle de l’eternité.

Elb. 22. de
Ciuit. Del.

Et voulons-nous encore oüir ce Pere des Peres, s’expliquer
à tous les Chrestiens, & à la face de Dieu mesme, fur
ce premier deuoir, qui nous oblige d’obeїr aux loix & aux
volontez du Souuerain ? Escoutons-le qui dit, selon sa maniere

-- 39 --

toûjours inimitable ; Si le Seigneur du Ciel & de la terre, par
qui toutes choses ont esté faites, a bien voulu se rendre seruiteur de personnes
indignes & infames, s’il a prié pour ceux qui le crucifioient &
le faisoient mourir auec vne haine & vne fureur extrême ; & s’il est
venu dans le monde, pour leur seruir de medecin, puis que les medecins,
quoy qu’ils vaillent mieux que les malades qu’ils traittent, &
qu’ils ayent plus de suffisance & de santé qu’eux, ne laissent pas auec
tout cela d’estre considerez, comme leurs seruiteurs ; combien plus vn
homme ne doit-il pas dédaigner, de se soûmettre de toute son ame, de
toute l’affection la plus ardente de son cœur, & de toute l’étenduë de
sa charité, à vn mauuais maistre, pour seuere & rigoureux qu’il soit ?
Voila comme pour vn temps les gens de bien seruent les méchans, &
ce que j’ay dit du maistre & du seruiteur, ie le dis aussy des Puissances &
des Roys, & de tous ceux qui sont éleuez aux dignitez souueraines de
ce siecle ; car il y a des Princes qui sont bons & qui craignent Dieu, &
il y en a qui ne le craignent point. Iulien n’estoit-il pas vn Empereur
infidelle & vn apostat, vn meschant, vn idolatre ? Les soldats Chrestiens
alors seruoient vn Empereur Payen : quand il s’agissoit de ce
qu’ils deuoient à Iesus-Christ, ils ne reconnoissoient point d’autre maistre,
que celuy qui est dans le Ciel. Quand il vouloit qu’ils fléchissent
le genoüd deuant les Idoles, & qu’ils leur donnassent de l’encens, ils
preferoient le commandement de Dieu au sien ; mais quand il leur
disoit, mettez-vous en bataille, allez faire la guerre à cette nation,
ils ne manquoient pas aussi-tost de luy obeyr. Ils sçauoient bien mettre
de la difference, entre le maistre eternel, & le maistre temporel, &
toutes fois pour l’amour du maistre eternel, ils demeuroient soumis au
maistre temporel.

 

In Psal. 124.

Que si dans la pensée de saint Augustin, il n’y a ny vice,
ny infidelité, ny apostasie, ny seuerité de gouuernement, qui
nous puisse dispenser de la fidelité ou de l’obeїssance, que
nous auons promise à nos legitimes Souuerains ; combien
plus estroitement le deuons-nous rendre à vn jeune Roy
que Dieu nous a donné, comme par miracle, qui porte &
fait voir vne viue image des graces de son ame dans celles de
son corps, & en qui la perfection & la maturité de toutes les
vertus, de la sagesse, de la pieté, de la clemence, de la force
& du courage, ont deuancé l’âge, & surmonté nos esperances ?

-- 40 --

Enfin le témoignage de ce grand Docteur, sur le sujet de la
puissance des Monarques, est si exprés, & si inuincible, que le
plus impudent, & le plus artificieux Apologiste du plus noir
de tous les parricides, dont la nation Angloise vient de se
soüiller en la personne de son Roy, estant conuaincu par la
clarté des paroles de ce Pere, a esté cõtraint de le desauoüer,
& de répondre insolemment, qu’en ce qui regarde l’authorité
des Rois, & l’obligation indispensable de leur obeїr, Augustin
aduance des maximes, qu’il n’auoit point apprises
dans l’escole de Iesus-Christ ny dans celle des Apostres.

Milton.

Mais quelque saint & quelque inuiolable que puisse estre
selon la tradition & les oracles des saints Peres, le deuoir qui
nous attache inseparablement aux interests, aux ordres, au
seruice, au party du Roy : combien peu voit-on de personnes
Ecclesiastiques, de Pasteurs, de Prestres, de Predicateurs de
l’Euangile, qui trauaillent à répandre cette doctrine toute
Apostolique dans les peuples, à les instruire exactement & fidellement
de leurs obligations, sur vn sujet de cette importance,
& à les exhorter puissamment de s’en acquiter, non
seulement par crainte, mais aussi par conscience, comme nous
l’enseigne le grand Apostre, & de toute leur ame, de toute
l’affection la plus ardente de leur cœur, & de toute l’estenduë
de leur charité, comme nous y conuie le grand S. Augustin :
car exhorter simplement les peuples comme font plusieurs, à
desirer la paix, & à la demander à Dieu en leurs prieres, c’est
bien satisfaire apparemment au Ministere Euangelique, mais
c’est en trahir en effet la meilleure partie.

Par le commandement
des Papes &
des Conciles,
les Ecclesiastiques
sont
obligez d’exhorter
le peuple
à demeurer
fidelle au
Roy, & à ne
point fauoriser
ceux qui
se rebellent
contre luy.

Ce n’est pas assez de conuier les peuples à souhaiter la paix,
& à implorer le secours de Dieu pour l’obtenir : il faut de plus
les porter incessamment à s’éloigner de toutes factions, de
toutes intrigues, & de toutes cabales, & à demander incessamment
à Dieu l’esprit de soûmission & de fidelité enuers le
Roy, & si on luy dénie l’obeїssance, qui est le fondement vnique
de la paix, & le seul moyen de nous la procurer.

Que si les Docteurs, les Prestres, les Pasteurs, & tous les
saints Ministres de l’Eglise, appellent de mon jugement, & ne
m’estiment pas digne de creance, pour mon peu d’authorité ;
au moins qu’ils écoutent & qu’ils tremblent en écoutant la

-- 41 --

& le tonnerre du Siege Apostolique, en la personne de l’vn
des grands Papes qui l’ayent iamais remply.

 

Quelques Euesques ayant suiuy Loüis Roy de Bauiere,
contre Charles Empereur & Roy de France leur souuerain
Seigneur ; le Pape Iean VIII. qui alors estoit assis dans la
chaire de sainct Pierre, ne leur reproche pas seulement d’auoir
manqué de fidelité à leur Seigneur, & imité en cette perfidie
celle de Iudas ; mais leur reproche aussi de n’auoir pas
retenu le peuple en son deuoir, en l’y conuiant, & par leur
exemple, & par leurs instructions. Voicy comme il leur parle
dans vne lettre qui fut depuis leuë au Concile de Ponthieu,
en presence du Roy & des Legats du Pape : O mal-heur extrême,
comment se peut-il faire que vous soyez tombez dans vn si grand
crime, & que par vostre felonie, vous ayez laissé à tout le monde vn
exemple detestable d’vne trahison pareille à celle de Iudas ? quelle nation
ou quel Royaume entendant cela ne vous aura pas en haine, & en
horreur, puisque les peuples mesmes qui n’ont point la connoissance de
Dieu tiendroient à des-honneur, de s’estre engagez dans vne injustice
si effroyable ? D’où vient que par l’esperance de quelques auantages
temporels, ou par la crainte des menaces, vous n’auez pas apprehendé
de vous joindre aux ennemis de ceux, dont le salut ne vous deuoit pas
estre moins cher que le vostre propre, & que vous estiez obligez de proteger
par vn consentement, & par vne conspiration vnanime de vos
forces, & de vos courages ? Et certes le Seigneur ayant dit, que nul ne
peut auoir vn plus grand amour que de mourir pour ses amis, il paroist
bien que vous n’auez pas eu cette foy sincere, qui agit par la charité,
sans laquelle nous sçauons que dépend toute la loy & les Prophetes ;
mais qu’au contraire vous auez eu plustost dans l’esprit la malice de
Cain, le meurtrier impie de son frere, Quoy ? par le témoignage de la
verité mesme, n’estes-vous pas la lumiere du monde, & le sel de la
terre ? & ne deuez-vous pas, comme des flambaux en terre éclairer
tous les hommes, vous employer auec vn soin particulier, à assaisonner
les ames affadies & insipides, auec le sel de la sagesse celeste ? Le
sainct Esprit ne vous a-t’il pas establis Euesques, pour conduire l’Eglise
de Dieu, qu’il a acquise par son sang ? N’estoit-ce pas à vous
plustost d’in former le peuple de son deuoir en cette rencontre, & non
pas adherer ou consentir à ses mauuais desseins, en des choses si infames

-- 42 --

& si peruerses ? Nous sommes donc affligez pour vous, comme
pour des membres du corps de Iesus-Christ, & nous disons auec le
Prophete ; L’excez de la douleur me deschire les entrailles, & tous les
sentimens de mon ame sont troublez & confondus ; & nous nous
écrions encore, comme fait ailleurs le mesme Prophete ; Qui changera
ma teste & mes yeux en vne fontaine inespuisable de larmes, afin que
ie pleure les maux de ce peuple iour & nuit ? Et c’est pourquoy nous
vous aduertissons, nous vous exhortons, & pour le bien du salut de
vostre ame, nous vous conseillons de tous nostre pouuoir, de ne differer
pas à vous reconnoistre, d’abandonner au plustost celuy qui vous a fait
commettre vne si grande iniquité, & de rentrer pour iamais de tout
vostre cœur, & par vne affection veritablement fidelle dans l’obeissance,
que vous deuez à l’Empereur Auguste, bien-aymé de Dieu,
vostre souuerain Seigneur. Puis que c’estoit à vous de prescher la paix
aux domestiques & aux estrangers selon ces paroles diuines : Monte
au sommet d’vne haute montagne, ne cesse de crier, & qu’on entende
retentir, comme vne trompette le son de ta voix. C’estoit à vous d’annoncer
au peuple ses pechez & ses débauches, de peur que Dieu ne vous
demandast compte de son sang, & non pas les imiter, & vous y laisser
aller vous mesmes, comme i’ay dés-ja dit. Et c’est pour cela que vous
estes deuenus soüillez & corrompus, selon cét oracle du Prophete :
Mal-heur à moy, parce que ie me suis teu, & ie demeure au milieu
d’vn peuple, qui a les levres polluës & empoisonnées : & ainsi vous
vous estes rendus d’autant plus dignes de reproche & de blasme, que
vous auez de part à leurs offenses, & à leurs œuures steriles & mal-heureuses :
toutesfois puisque nous sçauons tres-certainement, que les
entrailles de la bonté de Dieu nous sont tousiours ouuertes, reuenez, &
n’entretenez plus de commerce à l’aduenir auec les infidelles, ne vous
rendez plus imitateurs de ceux qui violent les traittez de la saincte
paix, qui déchirent l’vnité, & qui ont l’audace de semer l’yuroye
dans le champ du Seigneur, pour leur propre confusion. Reuenez, embrassez
des conseils, & recherchez des dons plus salutaires, & ne vous
laissez plus surprendre aux artifices & aux embusches de l’ancien ennemy
des hommes ; mais comme doiuent faire des Ministres de Dieu,
qui font profession de luy obeїr, essayez desormais de demeurer vnis
& soumis en toutes choses à vostre Empereur nostre tres-cher fils. Car
autrement, si vous estiez si temeraires, que de suiure plus long-temps

-- 43 --

le Roy de Bauiere, ou quelqu’vn de ses enfans, ou de leur prester assistance,
au preiudice, & du repos public, & du bien du Royaume, ou
plustost si vous ne rentrez promptement dans le seruice de nostre cher
fils le mesme Empereur, & ne le secourez de tout vostre pouuoir, sçachez
que nos Legats ont commandement de vous retrancher de la communion
de l’Eglise, & de vous frapper d’anatheme.

 

Ex Codie.
S. Remigij
Remensis.
Vide tom. 3.
Conc. Gall.
pag. 429.

Que se pouuoit-il dire ou de plus memorable & de plus
fort pour l’affermissement de la couronne des Princes ? ou
de plus formidable pour la condamnation de leurs rebelles,
ou enfin de plus digne de la saincteté du Siege Apostolique,
que Dieu a mis en terre pour estre le soustien, le
nœud, le centre de la paix generale des hommes, par vne
obeїssance & vne soûmission inuiolable des subjets à leurs
Souuerains.

Pour les Prelats de ce Royaume : De deux leçons excellentes
que ce Pape leur vient de faire, l’vne de garder fidelité
au Roy, & l’autre d’exhorter au mesme deuoir ceux qui sont
sous leur charge : Ie veux bien croire que dans cét ordre venerable,
on n’en verra point de si mal-heureux, ou de si negligens,
que de manquer à la premiere, en assistant ou de leur
conseil ou de leur credit, les ennemis de sa Majesté. Mais,
puis qu’il faut l’auouër, ie ne sçaurois m’empescher de craindre,
qu’ils n’apportent pas le mesme soin pour s’acquiter de
la seconde, & qu’ils n’employent pas dans cette rencontre
toute la vigueur Episcopale & Apostolique necessaire pour
tenir en bride les esprits legers & remuans, ou pour les ramener
dans la bonne voye, soit par les instructions & par les exhortations
publiques, soit par les censures & par les anathemes,
dont les Papes autresfois n’ont pas apprehendé de menacer
les Euesques mesmes en semblables occasions.

Et aussi de vanger par le glaiue spirituel les infidelitez & les
trahisons commises contre le Roy & l’Oint du Seigneur, c’est
vn vsage & vn sentiment si naturel à tous les Euesques, & particulierement
à ceux de France, que dans la cause mesme de
deux de leurs confreres accusez, entre autres choses, d’auoir
trahy le Roy, ils declarerent solemnellement que les meurtres
& les adulteres pouuoient bien estre expiez par le remede
de la penitence ; mais que le crime de leze-Majesté, ne le

-- 44 --

pouuoit estre que par la rigueur d’vn anatheme perpetuel &
indispensable.

 

In Concil.
Cabilon.
sub fin. 179.
Vide &
Greg. Turon.
lib. 5.
cap. 28.

Mais toy Pari, maistresse & capitale de toutes les villes de
ce grand Estat, ie ne veux point chercher hors de toy les interpretes
& les témoins de ton deuoir en cette conjoncture ; ie
veux seulement te conduire dans vne assemblée generale de
tes anciens Peres, te faire paroistre en leur presence, & te prier
en mesme temps de les considerer, non fragiles & mortels,
comme ils ont esté pendant leur voyage sur la terre, mais incorruptibles
& glorieux, comme ils sont dans le Ciel, & ils
te prononceront pour la seconde fois vne loy sacrée, qu’ils
ont faite & publiée au milieu de toy, depuis huict siecles, &
te commanderont tres-seuerement de l’obseruer, sur peine
de leur haine, & de leurs censures les plus redoutables.

Il est certain, dit le sixiéme Concile de Paris, que la puissance
Royale est establie pour le bien, & pour l’aduantage de tous ceux qui
luy sont soumis, & qu’elle est obligée de le procurer, selon les loix de l’equité ;
& c’est aussi pour cela que tous ceux qui luy sont subjets, doiuent
luy obeyr & la seruir auec fidelité, dautant que celuy qui resiste à vne
Puissance ordonnée de Dieu, ainsi que l’Apostre nous l’enseigne, resiste
en mesme temps à l’ordre de Dieu : car comme les subjets desirent que le
Roy les conserue & les protege selon la iustice & la pieté ; de mesme ils
sont obligez de leur part de secourir le Roy en toute franchise, & sans
pretendre de s’en pouuoir dispenser sous aucun pretexte, & par aucune
excuse que ce soit : & ils y sont obligez, en premier lieu pour le salut de
leur ame ; & en second lieu pour contribuer à ce qui regarde la bien-seance,
& l’vtilité publique du Royaume, suiuant la volonté de Dieu ; &
en s’acquitant de ce deuoir on ne peut point douter, qu’ils ne satisfassent
tout ensemble au commandement de Dieu, & à la fidelité qu’ils doiuent
au Roy. Et en effet que les subjets soient tenus de rendre ce seruice à la
Maiesté Royale, les preceptes de la loy nous le témoignent ouuertement,
& le Seigneur nous l’apprend luy-mesme en l’Euangile, quand il dit ;
Rendez à Cesar ce qui appartient à Cesar, & à Dieu ce qui est
à Dieu. Et S. Pierre dit aussi. Soyez obeїssans à toutes sortes de
personnes, pour l’amour de Dieu, soit au Roy, comme à celuy
qui tient le premier rang ; soit à ses Ministres, en considerant
que c’est luy qui les enuoye, & qui leur donne authorité.
Et vn peu apres il dit : Craignez Dieu, honorez le Roy. Et l’Apostre

-- 45 --

S. Paul dit au mesme sens, Que toute personne soit soûmise
aux Puissances superieures, car il n’y a point de puissance qui
ne vienne de Dieu, & celles qui sont establies dans le monde,
sont establies de Dieu mesme : & ainsi celuy qui resiste à quelque
puissance, resiste en mesme temps à la disposition de
Dieu, & le reste ; où l’Apostre continuë bien au long de nous instruire
sur cette matiere. Et le mesme aussi escriuant à Tite dit, Aduertissez-les
bien de se rendre obeїssans aux Princes & aux Puissances.
Et dans sa lettre à Timothée, il nous fait voir à quel poinct luy
estoit precieux le salut du Roy, parlant de cette sorte : Ie vous supplie
& vous recommande qu’auant toutes choses l’on fasse des
prieres, des supplications, & des actions de graces pour tous
les hommes, pour les Roys, & pour tous ceux qui sont esleuez
en dignité, afin que nous menions vne vie tranquille & paisible
en toute pieté & pureté, car c’est vne chose bonne &
agreable deuant Dieu nostre Sauueur, qui veut que tous les
hommes soient sauuez, & qu’ils paruiennent à la connoissance
de la verité. Car c’est ainsi que Hieremie le diuin Prophete exhorte.
de prier pour la vie du Roy Nabuchodonosor, quoy que ce Roy fust idolatre.
Combien plus donc toute sorte de personnes, doiuent-ils implorer
auec humilité le secours de Dieu, pour la conseruation & pour le salut
des Roys Chrestiens ? Or ces témoignages diuins peuuent suffire pour
monstrer en peu de paroles comme il faut obeir à la puissance Royale,
& auoir soin du salut du Roy. Et c’est pourquoy il est necessaire que tout
fidelle, pour le bien de son salut, & pour la gloire de l’Estat, selon qu’il
plaist à Dieu, son disposé de donner au Roy vne assistance raisonnable,
comme doiuent faire les membres au Chef, & qu’il recherche plustost
l’auancement, l’vtilité & la gloire du Royaume, que les aduantages du
siecle, afin que le Roy & ses sujets, conspirant également à s’entrayder
par vn secours mutuel & salutaire, ils meritent ensemble de jouyr vn
jour de la felicité du Royaume eternel.

 

Concil, VI.
Paris. lib. 2.
cap. 8.

Rom. 13.

Iudissimulanter
atque
irretractabiliter
solatium
opportunum
debent
exhibere.

Matth. 22.
21.

1. Petr. 2. 13.

Rom. 13. 1.

Tit 3. 1.

1. Tim. 2. 5.

Hier. 29.

Ce sont les conseils & les loix de tes propres Peres, ô Paris !
assemblez chez toy, qui te parlent & t’instruisent par les diuins
Oracles, de ce que tu dois à la Majesté de ton jeune Roy,
& qui semblent maintenant descendus du Ciel, pour te sauuer
des embusches dangereuses des broüillons, qui te voudroient
seduire & t’acheuer de perdre, en t’inspirant le dessein
impie d’vne rebellion infame, & en te plongeant dans les miseres

-- 46 --

infinies d’vne guerre ciuile, & d’vne guerre estrangere
tout ensemble. Mais sur tout au mesme temps & sous le mesme
Louis Empereur & Roy de France, les Euesques assemblez
par l’ordre de ce Roy, pour la reformation de l’Eglise de
Dieu, ne nous enseignent-ils pas à detester generalement
toute sorte de reuolte, & d’engagement dans vn party rebelle,
quand ils veulent & ordonnent par vn Canon exprés, que
ceux qui auront suiuy ou fauorisé qui que ce soit contre le
Roy, seront deposez de leurs ministeres, s’ils sont Ecclesiastiques,
ou excommuniez s’ils sont laїcques & seculiers ?

 

Il est sans doute, dit le sainct Synode, que quiconque resiste à vne
Puissance establie de Dieu, selon la maxime de sainct Paul, resiste à
l’ordre de Dieu mesme. Et partant nous ordonnons d’vn commun aduis,
que si vn Euesque, ou quelque autre d’vn Ordre inferieur dans l’estat
Ecclesiastique, soit par crainte, ou par auarice, ou par quelque autre
motif que ce soit, abandonne nostre Maistre & Empereur Catholique
Loüis, ou viole le serment de fidelité, qu’il luy a promis, & par vn pernicieux
dessein vient à se joindre comment que ce puisse estre, auec les
ennemis de sa Majesté, il soit priué de sa dignité & de son ministere,
par vne sentence Canonique & Synodale. Et si quelque laїcque se
trouue coupable à vn pareil attentat, qu’il s’asseure aussi qu’il sera
frappé d’excommunication & d’anatheme par tous les Ordres de l’Eglise.

Conc. A.
quisgran. II
cap. 12. ann.
836.

Et aprés cela nous mépriserons cette foudre spirituelle dont
nos anciens Peres nous menassent, & nos Euesques ne paroistront
pas aujourd’huy les successeurs du zele Apostolique de
ces venerables Peres, aussi bien que de leur throsne, pour defendre
l’authorité Royale, & terrasser par leurs anathemes,
tous ceux qui la combatent ?

En effet on l’attaque temerairement, on cabale, on remuë,
on sollicite de tous costez la fidelité des subjets du Roy, on
traite, on ligue auec les estrangers, on les introduit dans le
Royaume, sans autre pretexte que d’vn Ministre rapellé pour
le seruice de son Prince, & non chargé de crimes comme on
tasche vainement de le faire croire, mais de gloire, de merites,
& malgré la plus noire & la plus furieuse enuie, de triomphes
remportez sur les ennemis de la Couronne. Et les gens de
bien, les vrais subjets du Roy, les vrais amateurs de leur patrie,

-- 47 --

les Prelats, les Prestres, tous les Ministres de la parole de
Dieu demeurent muets, froids, & insensibles, dans vn mal
si deplorable. Que si les Euesques, ces heritiers augustes des
Apostres, ne sont point touchez, ce qu’à Dieu ne plaise, du
malheur public, & du déchet de l’authorité Royale, qui leur
a toûjours esté si chere & si precieuse : S’ils ne veulent pas considerer,
que s’il estoit permis d’opposer les armes à la volonté
du Roy, les ames impatientes de la domination ne manqueroient
iamais de couleur pour l’entreprendre ; qu’on ne cesseroit
iamais de controller l’authorité Royale, sous pretexte de
la moderer, & enfin qu’à force de la combattre, pour la temperer
ou pour l’adoucir, on la destruiroit entierement : S’ils
ne veulent pas considerer, que si le Roy ne pouuoit choisir
qu’au gré des Princes les Ministres de son Estat, les Ministres
de l’Estat seroient aux Princes, & non pas au Roy, & ne le
conseilleroient iamais selon le bien de son seruice, mais selon
l’interest de ceux qui pourroient quand bon leur sembleroit
les maintenir ou les chasser ; S’ils ne veulent pas auoir deuant
les yeux, que ceux qui excitent, ou qui taschent d’exciter
vne guerre ciuile, empeschent absolument le bien tant souhaité
de la paix vniuerselle ; nos desordres intestins faisant esperer
de si grands aduantages à nos ennemis dans la continuation
de la guerre ; & la paix domestique estant la seule voye
qui nous peut conduire à l’estrangere : S’ils ne veulent pas,
dis je deuenir sensibles à tant de justes considerations, à l’aduantage,
à la gloire, au salut, ou de leur Roy ou de leur patrie ;
Au moins, qu’ils se laissent toucher à leur propre honneur,
& à l’excellence de leur propre caractere, qu’on profane
& blesse mortellement en la personne d’vn Cardinal de
l’Eglise de Rome.

 

Autresfois vn Euesque de France, quoy qu’infame & conuaincu
manifestement du crime irremissible de leze-Maiesté,
ayant esté traité auec quelque sorte de rigueur, par le Roy
mesme qu’il auoit trahy, les autres Euesques assemblez pour
le condamner ne laisserent pas de se plaindre au Roy du traittement
peu respectueux, que leur collegue auoit receu, & ne
craignirent pas, dit l’Histoire, de luy faire vne seuere reprimande.
Et le parricide ordonné, non par vn Roy, mais par

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vn simple Parlement, contre la personne d’vn illustre Cardinal,
ne sera point capable d’allumer le zele & l’indignation
sainte des Euesques de ce temps ? Et ne comprennent-ils pas,
ne voyent-ils pas qu’ils sont proscrits en quelque sorte auec ce
Prelat, & exposez auec luy à l’impieté, & à la cruauté des
ames les plus desesperées ; que tous les cousteaux qui pendent
sur la teste du Cardinal, pendent sur leur teste, & que la
licence de le tuër est vne porte ouuerte à la licence, & à l’impunité
des assassinats les plus abominables ? Qu’ils pensent
donc serieusement à se ressentir de l’outrage fait à la saincteté
de leur ordre auguste & inuiolable, à soûtenir la cause de
dignité sacrée, & Apostolique, à proteger courageusement
vn accusé, qui a pour témoins de son innocence ses propres
accusateurs ; qui ayant esté si long-temps sans charges, sans
gouuernemens, sans places, sans alliances, & destitué de tout
autre appuy que celuy de leurs Maiestez, n’a point voulu
qu’elles eussent d’autre ostage de sa fidelité, que la facilité de
le défaire quand elles voudroient ; dont l’esloignement forcé
& tumultuaire a empiré visiblement, & non pas amandé
comme on pretendoit, la condition des affaires publiques ;
que l’on n’a iamais plus violemment persecuté, que lors qu’il
falloit le couronner pour la grandeur & pour le bon-heur de
ses seruices ; contre la teste duquel on ordonne que les mains
de tous les hommes soient armées, pendant qu’il est armé
pour la defense de son Roy ; & que les veritables gens de bien
auoüent ingenument auoir esté iugé, proscrit, & condamné
d’vne maniere si cruelle, sans cause, sans forme, sans pouuoir ;
l’Arrest qui le condamne contre la volonté du Roy, ayant si
peu de force, qu’il paroist plustost vne vengeance d’ennemis
irritez, que la resolution d’vn Senat constant, sage, magnanime,
& inesbranlable dans l’amour de la Iustice : Vt magis
iratorum hominum studium, quam constantis Senatus consilium esse
videatur.

 

Greg. Turon.
lib. 10.
cap. 19. de
Ægid. Remensi
Episcopo.

Cicer. lib. 1.
epist. 7. ad
Lentulum.

FIN.

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Anonyme [1652], LES SENTIMENS D’VN FIDELLE SVIET DV ROY, Contre l’Arrest du Parlement du vingt-neufiesme Decembre 1651. , français, latinRéférence RIM : M0_3648. Cote locale : B_11_22.