Anonyme [1649], DISCOVRS A MRS DE PARIS, SVR LE SVIET DES TAXES. , françaisRéférence RIM : M0_1099. Cote locale : C_7_46.
SubSect précédent(e)

DISCOVRS
A
MRS DE PARIS,
Sur le sujet des Taxes.

NE vous attendez point, Messieurs, à des pensées
releuées, ny à des paroles choisies, prenez seulement
la substance de ce Discours & en profitez ; Il
est tel que l’affection que i’ay aux interests du public
m’a pû dicter : Quoy que ce ne soit pas ma
profession de mettre la main à la plume, vn bon François ne peut
toutesfois demeurer dans le silence parmy tant de plaintes. Elles
ne procedent pas toutes d’vn mesme principe : le ne puis que ie
n’admire la malice des vns, & l’ignorance des autres ; les premiers
demandent la diuision, qu’ils esperent causer par leurs discours seditieux ;
& les derniers refusent d’aualer la medecine qui leur doit
apporter la guerison : Ils considerent seulement l’amertume du remede,
& ne voyent pas les aduantages qu’eux & leur posterité en
receuront. Voulez-vous qu’on vous donne du pain, sans repousser
vos ennemis, desquels vous estes enuironnez de tous costez ?
Ne sçauez vous pas qu’ils se sont saisis des passages, & que leur
dessein n’est autre que de ruiner cette belle & grande Ville, vne
des merueilles de l’Vniuers ? Vous ne pouuez plus maintenant
procurer vostre salut que par les armes. I’aduouë que les despences

-- 4 --

de la guerre sont excessiues ; il faut neantmoins s’y resoudre
auec gayeté, puisque la cause en est si iuste & si necessaire.

 

Vous auez experimenté par le passé vn gouuernement tres-rigoureux,
sçachez que ce n’est qu’vn eschantillon des maux que
vous souffrirez, si le party contraire à l’aduantage ; & Paris, que
vous auez veu si peuplé, ne sera plus desormais qu’vn desert ; la
grandeur des vns, & la bassesse des autres, ne les exemptera point
de la cheute, ils seront tous entraisnez dans vn mesme precipice.
Vous autres qui estes riches en maisons, ne les comptez plus au
nombre de vos facultez ; les beaux & magnifiques palais ne seruiront
plus que de retraite aux hiboux, le bien que vous possedez
ailleurs sera consommé par des taxes continuelles : Combien y en
a-il qui ont desia experimenté aux années precedentes la rigueur
de cette iniustice ? On ne verra plus que creation d’Officiers, leurs
gages seront retranchez ou supprimez, tous les priuileges seront
reuoquez, & par le moyen des tailles on tirera de vos bourses iusques
au dernier sol. Si les riches sont ruinez, que deuiendront les
pauures ? car c’est des riches qu’ils tirent toute leur subsistance : il
y en a cent mille à Paris qui ne s’entretiennent que du trauail de
leurs mains ; il fraudra que toutes ces ames innocentes perissent
mal-heureusement : Informez-vous vn peu quelle est la misere de
la Normandie ; vne grande partie du peuple de la campagne vit
comme les bestes, ils n’ont pas seulement du pain pour se substanter,
la plus part des villages sont aussi desolez que si l’ennemy y
auoit passé, & ce ne sont plus que des masures : Quoy que le pays
soit tres-fertile, les terres sont quasi par tout en friche ; tel qui
estoit riche il y a vingt ans de quinze à seize cens liures de rente, à
peine a-il maintenant de quoy couurir sa nudité : On ne sçait plus
que c’est de lict, bien-heureux s’ils auoient seulement de la paille
pour se coucher. Bon Dieu quel aueuglement ! lors qu’on vous
a escorchez, vous ne disiez mot, & maintenant qu’on vous demande

-- 5 --

quelque peu d’argent pour la subsistance de nostre armée,
on n’entend plus que clameurs ; tel qui a payé pour cent mil escus
de taxes, trouue estrange qu’on le veille obliger à fournir trois ou
quatre mil francs : Sçauriez-vous iamais achepter trop cher vostre
liberté & celle de vos enfans ? Qu’on ne dise point que ce soit la
cause du Parlement ; c’est la vostre, Messieurs. Qu’est-ce que cette
illustre Compagnie a fait, sinon de s’opposer à la dissipation de
cet Estat, & d’auoir resisté à la tyrannie ? Ils ont entrepris la querelle
lors qu’ils estoient veritablement hors d’interest, & s’ils eussent
voulu abandonner la cause du public, on leur auroit accordé
tout ce qu’ils auroient souhaitté. Sçachez que la proposition leur
en a esté faite tres-souuent ; mais ils ont refusé auec generosité ce
qu’ils ne pouuoient accepter sans injustice. Que si leurs bonnes
intentions sont demeurées sans effet, c’est qu’ils se sont trouuez
sans pouuoir. Il ne les en faut pas blasmer, ne vous en prenez
qu’a vous mesmes. Messieurs Gayant, Sçaron, Lesné, Batillon,
& tant d’autres n’ont-ils pas esté releguez ou emprisonnez pour
auoir soustenu vos interests ? Si en ces temps-là vous eussiez tesmoigné
vos iustes douleurs, vous auriez éuité toutes les persecutions
que vous auez souffertes du depuis. Que peut cette Compagnie ?
Elle n’a que la voix ; mais cette voix ne sçauroit se faire entendre
lors que l’injustice est la maistresse. Ie me souuiens d’vne
fable qui est tres-commune, mais qui vient fort à propos à nostre
sujet, & comme ie ne vous ay rien promis de releué, i’ay creu que
ie m’en pourrois seruir en ce discours : Vn iour les loups offrirent la
paix aux Bergers, pourueu qu’ils voulussent chasser leurs chiens.
Cette proposition sembla si aduantageuse aux Bergers, qui esperoient
par ce moyen s’exempter du soin qu’ils estoient obligez
d’auoir pour leurs brebis, & de la despence qu’ils faisoient pour
l’entretien de leurs chiens ; Ces pauures credules, sans considerer
d’auantage la nature de cet animal, executerent la condition qui

-- 6 --

leur auoit esté proposée. Les loups ayans obtenu ce qu’ils souhaittoient
creurent qu’il ne falloit pas perdre cette belle occasion,
ils se ietterent incontinent sur leurs troupeaux, & en firent vn
carnage espouuentable. Prenez garde, Messieurs, de vous laisser
ainsi surprendre par des douceurs apparentes, & que le chant de
ces Syrenes trompeuses ne vous endorme ; que toutes vos actions
soient accompagnées de prudence, & ne manquez iamais de considerer
la fin des choses : Si vous abandonnez vos Protecteurs,
vous tomberez dans vn pareil accident, vous serez pour lors exposez
en proye à ces loups rauissants, qui sont desia gorgez du plus
pur de vostre substance ; ils pourront alors exercer impunément
leurs cruautez & lascher la bride à leur auarice insatiable : Quelle
autre asseurance vous peuuent-ils donner que leur parole ? ne sçauez-vous
qu’ils ont rendu ridiculle la foy du Prince ? qu’ils se sont
ioüez de ses Edicts, & qu’ils font gloire de leur perfidie ; si bien
que vostre perte est indubitable. N’auez-vous pas souuent esprouué
que ces gens-là sont sans religion, & qu’ils n’ont point
d’autre Dieu que leur bourse & leur ventre ? Quoy que ie parle
en faueur de la liberté, ie n’en suis pas pour cela moins affectionné
au seruice de nostre Roy : les François, plus que toute autre nation,
ont tousiours affecté la liberté, & neantmoins nous voyons
que cette Monarchie a plus duré qu’aucune autre : C’est estre libre
que de viure conformément aux loix du Royaume, l’obligation
que nous auons aux Commandemens de Dieu ne nous oste pas
nostre franc arbitre : je blasme seulement la tyrannie qui a esté
exercée par des Ministres qui s’estoient attribuez toute l’authorité
Royalle. Considerez, Messieurs, quelle est leur cruauté, les Indes
vous en fourniront des exemples qui font dresser les cheueux
d’horreur. La ville de Naples vous en donnera de plus recens, ils
ont desia fait esgorger plus de quinze mil de ses habitans, & ne
sont pas encores rassasiez du sang qu’ils ont respandu. Considerez

-- 7 --

quelle peut estre la vengeance d’vn Italien irrité : Il n’y a point
de supplices si cruels, qui ne soient moindres que sa passion, leur
rage est telle qu’ils ne sont point satisfaits si en perdant le corps ils
ne perdent aussi l’ame de leurs ennemis. Souuenez-vous du prouerbe
de la nation, Al nemico conciliato non ti fida : Seroit-il possible
qu’apres cela vous fissiez difficulté de vous seigner ? Sçauriez-vous
employer vos vies & vos biens pour vne occasion plus legitime
que celle-cy ? Viuez dans l’vnion si vous voulez recouurer
vos libertez & cõseruer à nostre Roy la Couronne que cet Estranger
luy veut faire perdre ; les garnisons qu’il a tirées des frontieres
font assez voir quel est son dessein. Soyez doncques fidelles à vostre
Souuerain & à vous mesmes.

 

FIN.

-- 8 --

SubSect précédent(e)


Anonyme [1649], DISCOVRS A MRS DE PARIS, SVR LE SVIET DES TAXES. , françaisRéférence RIM : M0_1099. Cote locale : C_7_46.