Anonyme [1649], DISCOVRS ADDRESSÉ AVX SOLDATS FRANCOIS. DEDIÉ A MR DESLANDES-PAYEN, Conseiller en Parlement. , françaisRéférence RIM : M0_1101. Cote locale : C_7_50.
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DISCOVRS
ADDRESSÉ
AVX SOLDATS
FRANCOIS.

DEDIÉ
A MR DESLANDES-PAYEN,
Conseiller en Parlement.

A PARIS,
Chez LOVIS SEVESTRE, ruë
du Meurier, prés sainct Nicolas
du Chardonnet.

M. DC. XLIX.

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A MONSIEVR,
MR DESLANDES-PAYEN,
Conseiller en Parlement.

MONSIEVR,

Ce petit Discours vous est presenté
d’autant mieux que les Armes & les
Sciences, dont il fait mention, vous
sont fort communes. Il s’en peut iuger ce qu’autrefois on estima
d’vn grand Prince, Qu’il feroit suer la statuë d’Orphée.
Ie veux dire que vos conseils genereux dans le Senat, & vos
actions illustres dans le public, donneront dequoy trauailler aux
doctes plumes & seront celebrées par les histoires & par les
voix plus eloquentes : Mais ie ne veux pas me rendre coulpable
enuers ce mesme Public, pour vous destourner de l’Employ
qui vous y est commis. C’est desia vous auoir trop fait perdre
de temps sur du papier, lorsque vous le faites valoir sur les
plus importans affaires de ce Royaume.

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ANAGRAMMA,
nullo addito vel dempto.

PETRVS PAGANIVS DELANDÆVS.

APPARES VALDE DIGNVS SENATV.

APPARES VALDE insignis DIGNVS que SEN ATV,
Non poterat Nomen clarius esse tuum.

Sur la Deuise & Nom tourné
de l’Autheur.

COEVR AFRANCHY.

 


AV Nom tourné manque vn (E) & vne (S)
Tout a dessein ne voulant en ce lieu
Retenir (l’ES) qui n’appartient qu’à Dieu
Ainsi le Nom defaut, ie le confesse,
Mais defaillant pour vn si bon effait,
N’est il pas vray qu’il est en sa foiblesse
Bien plus parfait que s’il estoit parfait ?

 

Plutar.
in [1 mot ill.]
Exod. 3.

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DISCOVRS ADDRESSÉ AVX
Soldats François.

IE ne suis ny de condition ny d’humeur pour
discourir de l’Art militaire. Ie sçay ce qui
arriua autrefois à vn Philosophe imprudent
qui en traicta deuant Hannibal de Carthage,
c’est à dire, en la presence d’vn des plus
grands Capitaines qui fust au monde pour
lors. Comme on eut demandé à ce Prince
quel jugement il faisoit d’vn si beau discours. I’ay bien veu (dit-il)
des sots en ma vie, mais en voila vn des plus francs, qui harangue
ainsi à son aise de nos exercices, & qui me veut faire des
leçons de la guerre ou jamais il n’a esté. Ce n’est donc que ciuilement,
& par occasion, que ce Discours est addressé à des gens
d’espée. Quelques vns d’eux m’ont fait cognoistre qu’ils doutoient
que nos Armes fussent legitimes, en murmurant quelles
sont contre le Roy & son Conseil, & quelles l’empeschent d’estre
Maistre absolu dans sa maison. Il y a des-ja long-temps que ie les
ay satisfaits sur cette matiere, & qu’ils m’ont remercié des esclarcissemens
que ie leur donnois pour asseurer leurs consciences :
Mais trouuans mes raisons assez passables pour estre communiquées
au public, ils m’exhorterent de luy en faire part. Ie
disois donc que ce qui encourage les plus timides, c’est la bonne
cause qu’ils soustiennent, c’est ce qui leur met le cœur au ventre
quand ils jugent que c’est pour le Roy, & pour leur Patrie qu’ils
ont endossé le harnois. Or jamais les Armes n’ont esté plus iustes
qu’aujourd’huy celles de la France pour sauuer la France,
& le Roy mesme que l’on tient captif en ses jeunes ans. Tant s’en
faut que nos Armes & nos Armées soient contre le Roy, que
visiblement elles flamboient pour sa gloire & sa seureté, pour le
rendre Maistre absolu dans son Royaume, pour luy sauuer son
Patrimoine & ses richesses à l’aduenir, & pour luy faire rendre
toutes sortes de deuoirs & d’obeїssances. Qui dira ou qui pensera

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le contraire, il faut que la malice ou la stupidité luy ait bandé
les yeux pour le priuer du sens commun.

 

La France a toujours esté gouuernée par vn Monarque fidele
à son pays, & par vn Roy non estranger. C’est vn Estat Monarchique
ressemblant au Ciel qui ne peut souffrir qu’vn Soleil. La
France qui est comme vn racourcy du monde, l’honneur & la
beauté de toute l’Europe, ne peut endurer la domination de plusieurs.
S’il y en auoit dauantage qu’vn seul, elle n’auroit jamais
de repos qu’ils ne fussent reuenus & rentrez dans cette vnité
premiere C’est pourquoy, si tost que l’on void en France des
particuliers qui veulent trancher des Roys, & rabaisser cette Monarchie
au dessous de leur esclauage, apres les auoir recognus, on
ne manque pas d’y chercher de bons remedes.

Il se trouue en quelques Annales, qu’vn certain Roy deuint
si necessiteux, qu’à peine auroit-il en ses Finances dequoy entretenir
sa table. On l’aduertit que ses Argentiers lors en grand
nombre se traictoient bien d’vne autre maniere, & auec bien d’autres
despenses, s’entredonnãs le bouquet, & se festoyans à la Royale.
Il se déguisa donc vne fois si a propos qu’il les remarqua tous
ensemble dans vn festin où rien ne manquoit des delices qu’on
peut souhaitter, fust-ce pour la bouche & le seruice d’vn des plus
grands Seigneurs de la terre. Apres quelques iours il leur enjoignit
se trouuer dans son Palais, ou tout à dessein ses gardes auoient
esté redoublées. Quand ils furent arriuez, il les interrogea
tous l’vn apres l’autre, ne faisant que demander à chacun
d’eux combien il auoit veu de Roys en son temps & dans ses
Estats. A quoy chacun ayant donné response selon ce qu’il en
auoit veu, vn, ou deux ou trois. Pour moy, dit le Prince, Ie vous
tiens tous pour des ignorans, car estant plus jeune que vous i’en ay
remarqué jusques à vingt quatre dans mon Royaume. Et comme
ils s’estonnoient de ce grand nombre, ne pouuans pas deuiner ce
que c’estoit : Ces 24. Roys (leur dit-il) ne sont point d’autres
gens que vous-mesmes, qui estes Roys, & qui vous vous traictez
comme des Roys. Nous laissons le reste de cette Histoire pour
dire que la France qui ne veut & qui ne peut recognoistre qu’vn
seul souuerain dans ses Estats, n’est pas digerer pour long temps
la peine qu’il y a d’en voir plusieurs autres de la qualité cy-dessus

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representée Et toutesfois on accuse à tort les François d’estre
impatiens & impetueux, puis qu’ils ont eu tant de patience jusques
à present, & puis qu’auec vne retenuë & froideur que des
Espagnols n’auoient pas, ils ont si long-temps attendu à se plaindre
du desordre qu’apportent icy les ennemis du Roy & de l’Estat.
Se peut-il jamais rien voir de plus graue & de plus moderé
que le Parlement de Paris en cette occasion ? Ses Remonstrances
n’ont-elles pas toujours este suiuies de submission enuers le Roy &
la Reyne Regente ? Y a-t’il rien de plus modeste & respectueux
que ce qu’ils ont propose n’a gueres à l’encontre d’vn Estranger
qui s’efforce de nous ruїner de fond en comble ? Est-ce parler
contre le Roy, est-ce prendre les Armes contre sa personne ? O
insensati Galatœ ! Ames insensees & gatées, si vous entrez dans cette
resuerie, & si vous ne pouuez pas comprendre que toute la
France est armée pour sauuer son Roy en le deliurant des mains
estrangeres. Car la France cherche son Roy dans elle-mesme, elle
luy veut rendre les honneurs & les tributs qui luy appartiennent,
& elle porte à contre cœur de ne le pas voir splendidement
regnant, mais trop bassement raualé & esloigné de ses bons sujets
par des artifices estranges. Qu’on ne disse donc point que nos
Armes empeschent le Roy d’estre absolu dans sa maison, comme
nous en voyons quelques vns glissez dans la multitude qui tiennent
ce langage. Que l’on recognoisse ingenuëment que ces Armes
sont employées pour vn effet tout contraire à cette calomnie
Sçauoir est, pour faire trionfer le Roy, & pour le rendre le
plus glorieux Prince de la terre. C’est l’honneur tout ensemble
& le desir vniuersel des bons François que leur Roy soit Maistre
independant en son terroir de toutes les autres puissances du
monde. C’est la gloire de ce Royaume d’auoir vn tel Maistre
de qui la Noblesse & Superiorité n’a point de pareil en toute la
terre habitable.

 

A-t’on remarqué dans ces occurrences que le Parlement ait jamais
ouuert la bouche pour agrandir sa cõdition, & pour publier
ou faire valoir sa Dignité qui n’est point à mépriser en telles rencontres ?
Autrefois le Senat Romain, comme l’on void dans Tite
Liue, apres l’expulsion des Roys sceut bien faire distinction de ces
deux mots, Authorité & Puissance, celle-cy estant pour remuer

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les affaires & les mettre en execution. L’autre pour les mettre à
la balance & pour les reduire au bien de l’Estat. Le Parlement
n’entre point dans ces distinctions, & la Posterité des-interessée
verra auec des yeux clairs & nets que cét auguste Senat remply
de personnages doüez de justice & de pieté veulent renoncer au
tiltre que leur donnoit autrefois l’Ambasseur Cyneas, lequel en
parlant de ceux de Rome. Autant, disoit-il, de Senateurs, autant
de Roys. Mais nous pouuons dire. Autant de Senateurs ou
Conseillers du Parlement autant de tres-humbles sujets du Roy.
A l’exemple desquels tous les peuples se contiennent en leur
deuoir, & se deliberent de rendre à leur Roy toutes sortes de submissions.
Et partant la question est resoluë, sçauoir est, Que nos
Armes sont tres justes & nullement contre le Roy, mais pour
luy mesme, & pour luy tesmoigner les cordiales affections de
tout son bon peuple, ne respirant que le seruice & l’amour qu’il
doit à son Roy, & priant Dieu incessamment pour son exaltation
& prosperité. Et puisque nos Armes sont raisonnables, & pour
vne cause si juste, doit on apprehender que Dieu nous delaisse,
Dominus virtutum nobiscum, dit le Roy Psalmiste, susceptor noster
Deus Iacob. Or en terminant cette question, vn exemple familier
fut adjoute pour les plus simples, lors qu’ils s’opiniastroient vn
peu plus que de raison. Si nostre Sainct Pere le Pape (qu’il plaise
à Dieu de conseruer à longues années) estoit (comme le Ciel l’en
veille garder) detenu aujourd’huy par les ennemis de la Foy, par
les Turcs, ou autres gens semblables. Ne faudroit-il pas que
toute la Chrestienté fust empeschée pour le deliurer ! Et jaçoit
que ces mesmes Turcs publiassent que nous serions armez contre
le Pape, soubs pretexte que nos Armes se porteroient contre les
murailles dans lesquelles il seroit detenu. Il n’y a enfant bien né
dans l’Eglise qui ne taschast de briser ces murailles, & de rompre
tous ces obstacles pour joüyr de la presence du Pere commun de
tous les Chrestiens, & pour luy faire rendre le respect que l’on
doit a sa Saincteté. C’est chose asseuree qu’vn Estranger ennemy
de ce Royaume retient le Roy enfermé dans des lieux indignes
de sa Majesté. Est-ce donc porter les Armes contre le Roy que
de les porter contre des murailles, ou bien contre des poitrines
d’erain, & des cœurs felons que l’on veut briser pour luy faire

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jour & joug tout ensemble, contre des hommes qui taschent de le
faire perir en epuisant ses Finances, afin de se les approprier à eux-mesmes.
Oüy, le faire perir en effet, bien qu’en apparẽce ils en desirent
la conseruation. Ce n’est que pour se seruir du nom Royal,
afin de le spolier plus puissamment. Voila des mots suffisans pour
animer les cœurs à la resolution des Armes. La nature mesme y
entreuient. A vn besoin, elle feroit des miracles pour y exciter les
peuples : car les hommes, s’ils ne sont d’vn sens depraué, se
portent si volontiers à aimer & defendre leurs Princes que pour
empescher qu’on les offense, autrefois on a veu des effets miraculeux.
Certain meurtrier ayant leué la main contre le Roy Cresus,
vn muet qui estoit là present, s’escria, c’est le Roy, sauue la Couronne.
Tant est forte cette passion que nous auons enuers ceux
qui sont ordonnez du Ciel pour nous commander. Si l’on attente
dessus leurs personnes ou sur leurs Estats nul des bons sujets ne
s’en peut taire, alors la patience n’est pas contée entre les vertus.
Quand cela arriue les marbres & les statuës parleroient plustost,
ou se laisseroiẽt d’elle-mesme tomber sur les coulpables en les escrasant,
afin de reprocher aux sujets leur lascheté, & pour les conuaincre
ou d’vne paresse insupportable ou de conniuence auec
l’ennemy Les lãgues muettes se deslient les mains plus languides
se degourdissent, & tous les cœurs non perfides ny denaturez sentent
de si vifues allarmes en eux-mesme pour sauuer le Chef &
pour en defendre toutes les parties, qu’il ne faut point d’autre
trompette pour les faire entrer en champ de bataille, & pour s’entr’exciter
les vns les autres. Les Soldats François ont autrefois
guerroyé toute la terre pour acquerir de l’honneur & du bien. Ils
ont reconquis la terre sainte & planté les Lis dans la Palestine. Ce
que les Histoires ont appelle la guerre sacrée. Aujourd’huy il faut
reconquerir la France mesme que des Estrangers nourris parmy
nous & à nos despens ont resolu de vendre s’ils peuuent, ou d’en
aliener les tiltres. Mais est-il possible qu’ils en sortent à si bon
marché sans estre punis ? Cela regarde, ô Soldat François, ta
valeur & ta reputation. Cela tesguillonne & te poingt iusques
au vif. Et vous, braue Sang, qui ne degenerez point de la vertu
de vos Ancestres pourriez-vous demeurer oyseux & comme
de l’eau croupie au milieu de ces remuemens ? N’estes-vous point

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esmeus par l’enleuement qui s’est fait de vostre Roy à vostre face
& deuant vos yeux ? N’estes-vous point jaloux du regne de ces
Estrangers, ce sont eux qui regnent & non pas le Roy. De quelle
impudence croyez-vous qu’ait vsé vn Estranger durant sa domination
au milieu de vous, qui dans sa fuite est encore si audacieux
que de vouloir resister à toute la France. C’est ce que les
siecles passez ont ignoré, ils sont defectueux en ce poinct, & ils
manquent de cét exemple qui est arriué dedans nos iours. Enfin
pourtant comme ils se mocquent de Dieu & des hommes, &
comme ils en font des comedies, Dieu se mocquera d’eux à son
tour. Le mal qu’ils preparent aux gens de bien tombera sur leurs
testes. Iugurha qui vouloit achepter la ville de Rome par quelques
traistres qui y logeoient, fut vendu luy-mesme par les siens
propres, il y fut mené en triomphe, & veu comme vn fol qui
rioit en mourant. Et le superbe Aman sera mis & esleué luy-mesme
dans l’estrapade qu’il faisoit planter pour vn homme de
bien, pour Mardochée. Estes-vous encore en doute sur quelqu’vne
des veritez que ie viens de dire. Me demandez vous apres
cela si nos Armes sont justes & legitimes ?

 

Les ennemis, me direz-vous, ont des Espions & des Stratagemes,
que nous n’auõs pas. Leurs Espions sont parmy nous sans
qu’on les cognoisse, Nous n’en auons point chez eux qu’aussitost
il ne soient recognus & distinguez d’auec les autres residans
en des villages ou en des bourgades, ou bien tenans la campagne,
cela rabaisse le cœur de quelques vns des nostres non accoustumez
à voir ces mysteres & ces miseres tout ensemble. Mais ces
objections estant bien pezées ne vallent pas vn fetu. Le braue
François combat d’ordinaire à guerre ouuerte, & les Chefs prudens
& sçachans ce metier ie ne manquent jamais de contreruze ;
Ils sçauent preuoir les chemins & bien euiter les embuscades ;
Ils veillent quand les autres dorment, & ils sont bien aduertis
de ces vers exquis d’vn Poëte fameux.

Inuadunt vrbem somno vinoque sepultam, cela veut dire, Qu’en
fait de guerre il se faut toujours deffier & des ennemis & de soy-mesme :
Des ennemis, qui cherchent toutes sortes d’inuentions
pour nous surprendre, & à cause dequoy la preuoyance est de
saison, notamment dedans ce siecle ou les fourbes ont mille inuentions

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pour tromper ceux qui y vont à la bonne foy. Alors
qu’ils nous embrassent auec vn visage riant, c’est quand il s’en
faut plus donner de garde ; & sur tout jamais il ne faut traitter
qu’auec des cautions tres-asseurées, si leur perfidie à des-ja esté
manifesté en d’antres sujets. Celuy qui a des-ja fait vne fraude
en pourra bien faire encore vne autre. De soy-mesme, pour
ne se laisser pas prendre au vin & au sommeil, comme il aduient
à ceux qui hors de la guerre font caroux dans leurs maisons sans
en craindre ny l’incommodité ny l’excés. Or faire vn ordinaire
de ces excés (vne fois n’est pas coustume) dans la guerre &
dans ses perils, c’est viure non pas en Soldat, mais en vraye pecore
qui se doit casser à la premiere montre. Au reste les bons Capitaines
sçauent bien, comme nous auons des-ja propose mettre
le cœur au ventre des leurs, non par des longues harangues. Les
paroles sont trop foibles pour faire naistre la vertu dans ceux qui
ne l’ont pas des-ja toute acquise, mais par la remonstrance & par
l’explication d’vne bonne cause pour laquelle il faut combattre.
Que s’il est à propos de ne rien obmettre pour ce sujet, i’adjoute
encore que c’est vn excellent moyen pour bien reussir en guerre
que d’imiter la pieté de nos Chefs d’Armée, dont parle l’histoire
lesquels n’entroient jamais en combat que premierement prosternez
en terre, ils n’eussent fait leurs prieres à Dieu. C’estoit la
coustume de Henry le Grand, comme nous lisons dans sa vie, &
ce foudre de guerre, Monluc, tesmoigne aussi dans ses Commentaires,
Que tant de braues exploits heureusemẽt acheuez par luy
se deuoient referer à la mesme deuotion dont son cœur deuot &
craignant Dieu se sentoit touché. Mais d’autre part & tout au
contraire, pensez-vous que nos ennemis qui n’ont que le diable
en la bouche auec la rage & la cruauté dont ils sont remplis, puissent
faire des oraisons acceptables au Ciel, & agreables à la diuine
Majesté ? La saincte Escriture nous apprend que ceux qui bouchent
l’oreille pour ne pas entendre la loy de Dieu, s’ils luy font
des prieres, elles sont execrables & attirans l’ire du Ciel dessus
leurs personnes.

 

Vn ancien, Autheur Prophane, mais graue & moral, comme
S. Hierosme le recognoist, depeint si naїfuement leurs intentiõs
dans la priere qu’ils addressent au Ciel, que ie veux icy en rapporter

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les propres mots. Pour monstrer que telles gens sont abominables,
il les represente comme offrans leurs vœux à vne Deesse
des Larrons, qu’ils appellent Lauerna, & non pas à la Diuinité
Supréme.

 

Pulchra Laucona
Da mihi fallere, da iustum sanctumque videri
Et fraudibus obij ce nubem.

Desquels mots latins voicy à peu pres la version, ou à tout
le moins, vne imitation tres conforme.

 


Deesse, des Larrons suiuie
Cache les crimes de ma vie,
Fay, qu’estant fourbe & homme feint
Ie sois reputé pour vn Saint.

 

 


Puis en derobant à mon aise,
Que ie sois Grand, & que ie plaise,
Et meritant d’estre pendu,
Que tout honnenr me soit rendu.

 

 


En fin, Deesse que i’adore
Fay moy ceste faueur encore
Pour detestable que ie sois,
Que i’aye place entre les Roys.

 

Ouy mais, repliquera l’ignorance des Idiots, Pour estre méchans
& vicieux, ils ne laissent pas d’auoir du meilleur, bien souuent
ils emportent le prix sur les gens de bien, nonobstant qu’ils
soustiennent vne cause infame & tres iniuste. Nous lisons aussi
que Brutus dist en mourãt, Que la Iustice ne seruoit de rien pour
prosperer dedans ce monde, & que le vice, son contraire, estoit
de beaucoup plus profitable. Consequemment, qu’il n’importe
pas pour quelle cause on prenne les armes, puisque celle qui est
iniuste bien souuent est plus vtile & plus heureuse. Or, à dire le
vray, voila des maximes que les scelerats ont suiuies & suiuent
encore auec vne licence plus débordée que les riuieres qui ont
inondé ceste ville il n’y a pas long temps.

Au reste puisque d’asseurance il n’y a que les meschans plus
detestables qui s’en seruent, ie ne voy pas qu’il faille employer
beaucoup de lignes pour les refuter. Si i’auois à conurtir des Arabes
& des mescreans par ma profession, en ce cas ie me trouuerois

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fort empesché d’en venir à bout. Mais ie n’addresse ce Discours
qu’à ceux qui croyent en Dieu, & se resignent à sa prouidence.
D’abord ils refutent ces Sceleratesses en les detestant. Ils
ont en horreur l’ombre seule de ces opinions damnables. Quand
à Brutus ? n’estoit-ce pas vn vray tyran luy-mesme en massacrant
comme il fit Iules Cesar son bienfaicteur, soubs pretexte qu’il
estoit tyran. Et depuis cela, ses entreprises allans toujours de
trauers, n’estoit-ce pas vne juste punition du Ciel pour vn attentat
si cruel & si perfide ? Qu’on die ce que l’on voudra de Brutus
& de son courage, c’estoit vn brutal en tenant le langage susdit.
Quand à la plainte ordinaire de ceux qui voyent que l’innocence
bien souuent est affligée, & le vice couronné de gloire & de splendeur.
Ce n’est pas icy le lieu de philosopher. Il est raisonnable
que nous patissions à l’imitation de l’Agneau tres-innocent par
la mort & le sang duquel nous sommes viuifiez. Et quand aux
meschans qui prosperent, ce sont des porcs viuans dans la fange
& que l’on engraisse pour estre egorgez. Au reste la France ne
s’est point encore dementie. Il n’est pas croyable qu’vn particulier
poussé de l’esprit infernal, fust il vn Hercule, la puisse alterer
ou atterrer en façon quelconque. Il y a vne prouidence la haut
qui l’a toujours soustenuë. C’est là que nous auons des espions
& des intelligẽces fidelles. De là viennent les aduis & les stratagemes
au cœur des bons Citoyens pour la defense de leur Patrie
& de leur Roy. Encore dirons nous trois mots empruntez de Tacite
en ses Annales, parce qu’ils semblent expressément faits
pour nous. Non adeo turbatam ciuilibus armis Remp. superesse fideles
Prouincias & exercitus, fortuna imperij & vltores Deos. Ladem rursus
nomina, eadem fata ruptores fœdorum expectent. Nous auons trois
choses pour nous, la fidelité des Prouinces, la fortune de ce
Royaume, & la vengeance du Ciel contre les perfides & les perturbateurs
du public. Car quand la Iustice est exercée, Dieu qui
preside en la voix du Iuge, la fait enfin reussir à la confusion des
meschans. Au reste le hazard est pour l’ordinaire, vne grande
partie de la guerre, de laquelle ceux qui n’ont pas grande experience
font quelquefois des efforts comparables aux plus aguerris,
ainsi que rapporte le mesme Autheur. Pourueu qu’il y ait des
Chefs non moins capables que soigneux de descouurir les stratagemes
& les surprises de l’ennemy, & en suite de recognoistre

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les chemins où il faut passer, vne multitude de peuple bien resolu
& armé pour vne bonne cause, donnera toujours la moitié
de la peur à des vieux gendarmes combatans pour vne mauuaise,
& trahissans leurs propres consciences.

 

Frangit & attollit animos in milite causa.

Il n’en faut point chercher de preuue ailleurs que chez nous-mesmes,
ny de plus ancien datte que depuis trois iours. De cette
grande & populeuse ville de Paris, celuy dis-je, qui depuis
trois iours a veu detacher cinquante mille hommes sortans des
murs, & cherchans l’ennemy pour le combatre, sçaura bien
dire ce que vaut la cause dans le soldat, quoy que seulement
exercé dans la milice d’vne ville. Et ne faut dire auec les Estrangers
que c’este vne boutade Françoise, de peu de durée. Et qu’au
commencement les François sont plus qu’hommes, & à la fin
moins que des fẽmes : car il y eut des femmes mesmes, qui s’armerent
pour montrer de quelle puissance est la cause, qui redouble
les forces & hausse le cœur de ceux qui n’ont pas accoustumé
d’en faire parestre.

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STANCES.

Que le monde est toujours en guerre, mais que la
Iustice & l’ordre y mettent la paix.

 


Ministres saints de la De esse
Qui fait triompher les Cesars
Qui ioint l’espée à la sagesse
Et fait valoir les nobles Ars.

 

 


C’est aujourd’huy que la Vaillance
Des bons François aymant le Roy
Vient, courageuse, offrir la lance
Et faire hommage à vostre Loy

 

 


La cause juste a l’aduantage
C’est ce qui rehausse les cœurs
L’injuste n’a que de la rage
Et du malheur, mesme aux Vainqueurs.

 

 


Le monde est toujours en bataille
Et des rencontres vehemens
Font choquer d’estoc & de taille
Les plus paisibles Elemens.

 

 


Son fourier c’est Mars le planete
Roulant en son globe cruel
Et de sa sanglante etiquete
Marquant les places du duel.

 

 


L’Air fait en hault son tintamare
Elancé contre des rochers
Et tout d’vn coup l’Onde barbare
Brise les Nefs & les Nochers.

 

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Le froid pouuant nourir la flame
Nourit contre elle des discors
La chair se roidit contre l’Ame
Et l’Ame aussi contre le cors

 

 


Bref c’est vn Art que se detruire
La Nature y prend ses ébas
Et l’on ne void dans vn Empire
Que des proces & des combats.

 

 


Le vice occupant les deux Poles
Et dominant toute saison
Toujours armé de monopoles
Qui font la guerre sans raison.

 

 


Toutefois la main de Iustice
En se chargeant de tout le faix
S’arme pour chastier le vice
Et pour enfin donner la paix.

 

 


Que si le grand Dieu de la guerre
Fait porter à nos Magistras
Vn des quarreaux de son tonnerre
C’est pour dompter les Sceleraz.

 

 


Esprits d’enfer, bande farouche
Quoy ? resisterez-vous à Dieu,
N’est-ce pas sa main qui vous touche
Alors que sa Iustice a lieu ?

 

FIN.

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