Anonyme [1649], L’AMAZONE FRANÇOISE, Au secours des Parisiens. L’APROCHE DES TROVPES DE Madame la Duchesse de Cheureuse. , françaisRéférence RIM : M0_63. Cote locale : A_3_10.
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L’AMAZONE
FRANCOISE.

L’approche des troupes de Madame la Duchesse
de Chevreuse.

ENCORE que toutes les vertus se
rendent communicables à tous les
hommes, celles toutes-fois que
nous appellons heroiques se
trouuent moins famillieres entre
les femmes. La temperance resiste à l’excez de mesme
que l’humilité se deffend des assauts de l’orgueil,
mais la generosité & grandeur de courage
qui ne combat pas seulement la molesse ny la lascheté,
mais encor qui les sçayt vaincre aduantageusement,
ne trouue point de plus frequente assiette
que dedans le cœur des Hercules, & lors que
ces vertus heroїques esclatent dans le sexe moins
robuste, c’est pour augmenter le nombre des prodiges
& faire reuiure le siecle des miracles.

Les Grecs qui ne cognoissoient aucune Nation

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qui osast faire teste à leur valeur, virent arrester
le cours de leurs continuelles victoires par les
incomparables Amazones, les femmes heroïques
firent se cher les Lauriers sur le front des Achilles, &
des Aiaxs, & retarderent leurs conquestes, tandis
qu’elles eurent assez de vie pour prolonger la
fortune des Troyens.

 

Auiourd’huy la consternation publique & la
maladie generale de c’est Estat affligé dans toutes
ses plus nobles parties nous rendroit hereditaires
du mal-heur de ceste nation, comme nous le
sommes de son antienne gloire, si pour nous parer
de ces mal-heurs, le Ciel ne nous auoit pas suscité
des forces auxiliaires aussi biẽ que domestiques ; &
si par vn prodige inoüy, nos aduersaires mesmes
les Espagnols & les Flamens ne s’estoient declarez
nos amis, & si pour l’acroissement & le comble de
nos esperances, vne autre Princesse Amazone
d’vne naissance plus éclatante, & d’vn courage
aussi martial que fut Pantazilée, ne se rendoit à
nostre secours contre l’oppression des monstres.

Il est plus difficile d’imiter les grandes actions
de nos predecesseurs, qu’il ne leur fut mal-aysé de
les executer : on appelle vne bonne action mauuaise,
si elle ne rend tout ce qu’elle a promis : les
enfans des grands personnages, naissent auec vn
grand ennemy qui est l’esperance : car elle efface les
communes actions, & rend mesmes les grandes
actions cõmunes, de sorte qu’il faut faire des efforts

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surnaturels, pour ne la pas trahir auec honte.

 

Cependant cette illustre Amazone ne trouue rien
qui s’oppose à la grandeur de son courage ; ceste
branche de l’auguste tige de la maison de Rohan
qui poussant ses rameaux glorieux, les a tous chargez
de couronnes, & qui éleuant son front parmy
les astres, n’a iamais éloigné son secours de la
terre ; ce grand arbre qui a donné de l’ombrage à
toute l’Europe & qui dans l’embrasement des
guerres les plus alumées, a seruy de rafraichissement
contre l’oppression de la violence ; cette fleur dis-ie
l’esperance de nostre repos, Madame la Duchesse
de Chevreuse, cette veritable Heroine n’a point
veu obscurcir son eclat, soubs la puissance de tant
de palmes ; ce Soleil semble s’estre esleué pour
dissiper les broüillards que nos mal-heurs esleuent
dessus nostestes, c’est la benignité de son aspect qui
nous promet le calme au milieu de tant d’orages.

La beauté du corps est souuent vn indice de la
beauté de l’ame ; pour ce que de la qualité du temperament
se forme la qualité des coustumes, &
que l’excellence la forme procede en quelque
façon de la belle disposition de la matiere.

Ainsi cette charmante Aurore paroist à la pointe
du iour de nos plus grandes esperances : & toute
rouge du feu d’vne iuste colere, elle entraisne aprés
elle la tempeste qui doibt bien-tost briser tous nos
honteux empechemens : & dans cette glorieuse
action, la iustice ne luy semble point trop seuere,

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sçachant bien que celuy qui lance les foudres, conduict
icy nos bras & nos espées. Cette Princesse de
courage inflexible à tous les honteux abaissemens
de la fortune, & qui n’a iamais voulu plier soubs
la tyrannie des mauuais fauoris, ne veut pas encor
souffrir que nous languissions dans la seruitude,
que nous presente nostre ennemy. Elle s’aduance
à nostre ayde, & rassemblant des troupes de toutes
parts, elle nous promet dans peu vn secours qui ne
sera point infructueux. Cet Ange de bataille dans
l’armée des bons François s’apreste à se couronner
des lauriers que nous moissonnerons ensemble.
Plusieurs ont assemblé des richesses pour releuer
leur fortune, mais ceste Princesse qui ne tire la
sienne que de sa naissance alliée aux Royalles maisons
de France, de Nauarre, de Milan, & de Bretagne,
ne fait qu’vn marche-pied de tous ses biens,
pour monter à la gloire, & par vn Esprit aussi prudent
que genereux, ceste auguste Minerue cognoist
bien que la masse des thresors mise sur la teste nous
affaisse, & qu’au contraire, elle sert à nous releuer,
quand nous la mettons soubs les pieds.

 

Vn Empereur estimoit que Mars & Mercure
fussent irreconciliables ennemis, quoy qu’il aduoüast
que le iugement & la conduite se rendissent
necessaires à la valeur, & qu’vne ville pleine
de genereux habitans fust bien foible, s’ils n’estoient
aussi sages que hardis.

Cependant on voit esclater dans ceste grande

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Princesse l’esprit prudent ioint aux bras inuincibles,
& cette autre Minerue vnissant la sagesse au
pouuoir, s’imprime sur le front, les visibles characteres
de la diuinité. Chacun suit ses conseils comme
des oracles, & tous se rendent soubs ses estendarts.
Ceste incomparable Princesse ayant apris
l’estat de nos affaires presentes, apres auoir rallié
diuerses trouppes de Cauallerie du Barrois, & de la
Champagne, a selon les aduis que nous en auons
receus, passé des-ja la Riuiere de Some, auec la diligence
necessaire en cette pressante occasion, &
s’alliant à l’armée de Monsieur le Mareschal de Turenne,
nous esperons iustement que par vn commun
accord de tous les bons François, nous acheuerons
heureusement ce que nous auons commencé
auec tant de Iustice, pour l’interest & le repos public,
en coniurant le Dieu des armées que ceste
Princesse viue en reculant nos sepultures, que le
Ciel luy rende autant de biens qu’elle en fait à
la terre, que la France partage sa gloire auec elle, &
que les siecles à venir conseruent à iamais la memoire
& le nom glorieux de cette Amazone
Françoise, soubs le nom de Madame la Duchesse
de Chevreuse.

 

FIN.

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