Anonyme [1649], L’AMBASSADE DES PARISIENS ENVOYEE A L’EMINENCE MAZARINE, ET RENDRE COMPTE du mal qu’il a fait. , françaisRéférence RIM : M0_69. Cote locale : A_3_4.
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L’AMBASSADE
DES
PARISIENS
ENVOYEE
A L’EMINENCE
MAZARINE,

ET RENDRE COMPTE
du mal qu’il a fait.

A PARIS,
Chez NICOLAS DE LA VIGNE,
prés Sainct Hilaire.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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L’AMBASSADE
DES PARISIENS
ENVOYEE A L’EMINENCE
MAZARINE,
POVR SON RETOVR DANS LA
ville de Paris ;
ET RENDRE COMPTE DV
mal qu’il a fait.

CE n’est pas d’auiourd’huy que toutes les
nations nous appellent Francs & fidelles,
mais c’est depuis que nous auons cõmencé
à fleurir, & c’este fleur ne peut qu’elle
ne soit biẽ venuë, puis qu’elle est sortie du
mesme ventre que la Nature, qui periroit plutost que ce
nom n’embellit tousiours nostre nation, & ne fit ietter
sur nous les yeux & l’admiration de tous les peuples
du monde. C’est pourquoy, pour monstrer que ce nom
vous a esté non seulement iustement donné, mais que
nous le meritons : nous ne voulons pas laisser passer ceste
occasion presente, dans laquelle vous aués autant
besoin de nostre secours que de nostre franchise & fidelité,
& où la fortune a fait paroistre la puissance de
son empire. C’est à vous qu’elle s’est voulu attaquer, afin
de rendre les victoires plus glorieuses par des ruines
si magnifiques, & ces trophées plus illustres par des depouilles

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si nobles. C’est ioy qu’elle a voulu monstrer
qu’elle auoit autant de pouuoir sur vous, que vous en
aués peu sur nous, qui pouttant considerant l’estat où
vous estes, & vous voyant desia accablé du fardeau des
miseres futures en y pẽsant seulement. La douleur vous
tourmente tousiours, le soin vous ronge iusques au
cœur, la crainte vous fait entierement mourir, ne voyãt
ny n’esperant point voir seulemẽt vne main fauorable
vous louër ou secourir en quelque façon que ce soit.
Monstrez moy ie vous prie quelque pays qui vous ouure
ses portes. L’Espagne vous fuit & vous hait à mort,
n’ayant voulu conclure la paix qu’elle desiroit & desire
auec passion, Litalie ne peut vous voir laquelle vous aués
trompée & abusée par vos fourbes & tromperies
insupportables : la Sicile ne vous connoist point, & nie
d’auoir enfanté vn tel Monstre de nature. Tous les peuples
voudroiẽt vous voir miserable à tout iamais, mais
mesme ceux qui ne vous connoissent que par vostre nõ
& vos impietés. Vous n’auez pourtãt que faire de craindre
des menaces si esloignées : Car vous serez peut estre
mis en mauuais drapeaux deuant que d’estre arriué
dans le cœur de leurs villes. Les Alpes vous attendent
mais pour vous accabler sous leurs ruines l’Erix suspend
son fardeau afin de le laisser tomber sur vostre teste.
L’Appennin amasse ses neiges pour vous engloutir.
Allez vous ietter dans leurs bras : si vous osez donnez
leur vostre personne, mais vous craignez qu’ils ne
se iettent sur vous, c’est auec bonne raison ie l’aduouë :
c’est pourquoy ie ne croy pas que iamais la pensée vous
vienne de vous refugier dans les cœurs qui sont enflés

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d’vn venin de haine & de fureur qu’ils preparent de reietter
dans le vostre afin de l’opprimer. Ils ont les pensees
de nous peut estre sans vous cognoistre : vous sçauez
mieux que qui que ce soit s’ils disent vray. Mais
nous autres Parisiens nous auons bien d’autres pensees
de vous, d’autant que nous vous auons cogneu entierement
(mais pour ironiquement parler) nous auons
veu vostre douceur & vostre clemence, vostre moderation
dans le gouuernement des affaires, vostre sapience
incroyable, que nous pouuons iustement appeller
diuine. Nous serons trop heureux de receuoir vn homme
comme vous doüé de toutes sortes de vertus, si vaillant
qu’on ne l’ose attaquer, si sage qu’on n’a iamais
peu le tromper, si moderé qu’il n’a iamais rien voulu
que ce qu’il falloit, si preuoyant qu’il ne s’est iamais abusé
aux choses qu’il falloit craindre ou esperer, qui a
fait comme ces sages Scipions, qui a preferé le bien &
la satisfaction publique à ce qui luy appartenoit, qui
n’a point consideré le profit, mais la louange qu’il en
receuoit, qui ne pesoit pas combien il deuoit auoir d’or
& d’argent, mais l’honneur & la gloire qu’il en remporteroit,
voyant bien que les vns ne sont que pour vn
moment & les autres eternels ; qui a pris plaisir à obliger
tout le monde, & à faire des amis en si grand nombre
qu’il faudroit estre des siecles pour les compter, n’a
iamais fait tort à personne (tout le monde le sçait) mais
au contraire vendu la Iustice aux Iustes, & s’est monstré
seuere enuers les Criminels, a mesprisé les vanitez
du monde, & l’argent qu’il pouuoit employer à ces
choses mesprisables, l’a reserué pour faire des grandes

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charités, pour orner des Autels, & bastir des temples,
pour deliurer des prisonniers, & marier des pauures filles,
& mille autres charités de tres grande importance,
& tant en nombre qu’il seroit presque inpossible de les
nombrer de paroles encore moins par escrit. Enfin apres
auoir cogneu en vous tant de vertus, nous estendons
nos bras pour vous receuoir, qui s’agrandiront de
ioye de vous posseder, nous vous ouurons nos portes,
nos Palais, nos cœurs, afin que vous y veniez au plutost
prendre vostre demeure. Ces desirs sont si grands, &
ceste ardeur nous brusle si fort, que si vous ne venez biẽ
tost l’eteindre par vostre presence tant desirée par nos
souhaits, nos vœux & nos exclamations, nous en serons
bientost cõsumés & mis en poudre. Venés venés donc
vers nous, puis que nous seuls vous desirons de tous les
hommes. Venez triomphant dans vne ville, sur laquelle
vous auez respandu tant de vos graces & de bienfaits,
que nous serions indignes du nom que nous portons, si
nous ne les reconnoissions dans vne telle occasion. Venés
venés, nous abbatrons plutost les murs de nostre
ville, nous remplirons nos fossés de nos plus cheres despouïlles
pour honorer vostre presence : & afin que vostre
chariot sur lequel vous serez monté comme dessus
vn throsne, puisse passer auec vne plus grande magnificences.
Nous couronnerons vostre teste de lauriere,
nous tapisserons nos ruës plus splendidemẽt qu’il nous
sera possible, nous planterons des palmes au lieu que
toutes les nations plantent des Cypres. Nous couronnerons
en vostre honneur le Chef de Bachus par toute
la villequi auoit perdu sa couronne aux ioyes de resiouyssance

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des Roys & du Carnaual, & cela par vostre absence.
Enfin nous vous ferons autant d’honneur qu’à vn demy
Dieu. Nous irons au deuant de vous, nous vous conduirons
auec pompe & magnificence dans le cœur de nos richesses,
afin que vous y choisissiez ce qui vous plaira dauantage.
Vous entrerez dans nostre ville cõme vn vainqueur arboré
de Lauriers, & vous possedant entierement ainsi monté
sur le throsne de gloire, nous nous offrirons à la diuine Iustice
afin, qu’elle nous recompense de tant de bienfaits, nous
ferons des feux public, des resiouyssances vniuerselles :
nous chanterons des louanges aux Dieux, enfin nostre
cœur pense ce que nostre langue ne peut exprimer. Ah que
vous estes heureux puis que vostre salut vous apporte autant
de ioye qu’à tous ceux de nostre ville : en vous possedant
nous possedons nostre vie mesme n’ayant plus que
faire de craindre nos ennemis puis que nous sommes auec
vous, enfin nous serons plus forts que tous les mortels. Mais
comme vous auez tousiours chery particulierement la Iustice,
& auez esté rigoureux de la rendre à tout le monde,
aussi nous ne monstrerons pas seulement que nous sommes
amis de la fidelité, comme nous auons fait paroistre,
mais aussi de la Iustice que nous obseruerons en vostre
endroit auec vne aussi grande rigueur que vous l’ayez
iamais faite enuers personne : Et afin d’obeyr à ses loix, nous
serons vn Sacrifice qui sera tres agreable aux Dieux leur
immolant vne victoire si pure. Nous voulons prendre exẽple
sur nos ancestres & imiter leurs sainctes coustumes, qui
sacrifioient seulemẽt aux Dieux ce qu’ils auoient de plus illustre,
& de plus pur, & afin de ne se tromper point, faisoiẽt
mõter sur le foyer d’espreuue les vctimes, qui deuoiẽt estre
[quelques lettres ill.]olées, & les reiettoiẽt cõme indignes du Sacrifice, si elles

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n’estoiẽt nettes & entieres, mais pour vous. Nous sçauõ,
& connoissons assez si vous estes entier, sans vous esprouuer,
& ce Sacrifice ne peut qu’il ne soit tres-agreable
aux Dieux immortels, vous ayant choisi comme la
plus belle, la plus grasse, & la plus pure brebis de nostre
troupeau : Nous sçauons que si nous voulions vous esprouuer,
vous marcheriez sur ce foyer ardant sans aucune
lesiõ ny douleur. Il ne vous arriueroit pas le méme qu’à
ces impies, qui mõtant dessus se bruslent toute la plante des
pieds, & qui ne peuuẽt toucher ny durer dessus vn seul momẽt :
Car cõme c’est vn foyer qui sert seulemẽt és Sacrifice,
aussi est il tousiours gardé dans le Tẽple des Dieux immortels,
& a telle vertu, qu’il brusle ceux qui ne sont pas entiers
& vierges, ou qui sont parilires, ou autrement contaminez
de quelque grand & enorme peché : mais au contraire
vous marcheriez dessus, & vous l’eteindriez plutost
qu’il vous fist aucun mal, & apportast quelque douleur,
comme estant doüé de toutes sortes de vertus, & n’ayant
iamais conneu le vice que pour le destruire. Il ne faut donc
point craindre, & encore moins douter, que le Sacrifice ne
soit tres-agreable aux Dieux, puis qu’on leur immolera
vne victime si pure, comme vous estes la fin estant mise à
ce Sacrifice, tout le peuple vous estimera tant qu’il se ruera
sur vous, comme sur vn tresor tres estimable, & ne s’en ita
point qu’il n’ait quelquelque morceau de ces Reliques pretieuses,
qu’il conseruera eternellement, pour se seruir dans
ses plus vrgentes necessités, pour se garantir de la tyrannie
des Esprits malins, & de tous les voleurs qui voudront doresnauant
succer le sang de toute la France, & mettre dissension
dans vn si grand Empire, & si bien estably depuis
tant d’années.

 

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