Anonyme [1649], L’AMBASSADEVR DE SAVOYE, ENVOYÉ DV MANDEMENT DE SON ALTESSE. PAR LE SENAT DE CHAMBERRY. A la Reine Regente Mere du Roy. , françaisRéférence RIM : M0_70. Cote locale : A_3_21.
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L’AMBASSADEVR
DE
SAVOYE,
ENVOYÉ DV MANDEMENT
DE SON ALTESSE.

PAR LE SENAT DE CHAMBERRY.

A la Reine Regente Mere du Roy.

A PARIS,
Chez CLAVDE MORLOT, ruë de la Bucherie,
aux vieilles Estuues.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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L’AMBASSADEVR DE SAVOYE,
Enuoyé du mandement de Son Altesse.

Par le Senat de Chamberry.

A la Reine Regentee Mere du Roy.

MADAME,

Trois motifs ont porté nôtre ieune & tres-genereux
Prince de nous recommander de vous
escrire : Le premier est, pour remonstrer à vostre
Majesté qu’il y va de la gloire du Roy Monseigneur
vostre fils, lors que vous laissez le maniement des
affaires de ses Estats entre les mains d’vne personne
que Louis XIII. d’heureuse memoire : Vostre
tres-digne Espoux n’a pas esleu pour ce sujet, il
nous semble que vous deuriez laisser cette charge
à ceux qui selon les loix fondamentalles de vostre
Royaume sont les naturels & legitimes tuteurs du
Roy en sa minorité, nous estions tous estonnez de
ce que le Roy son pere n’auoit pas dessein de vous
eslire & nommer auant son deceds Regente en
France & administratrisse des charges & dignitez
de la Couronne de ce Royaume ; Nous croyons
qu’il se deuoit persuader que l’amour que vous
luy portiez, vous obligeroit à tousiours suiure &

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faire garder ses ordres, principalement ceux qui
concernent le repos public, le bien de la France,
& la gloire de vostre fils. Certainement, Madame,
vous tesmoignés auoir en cette coniecture moins
d’amour pour Louis le Iuste, que les loix du mariage
ne vous permettent pas d’auoir ; Si vous l’aymiés
comme son merite demande, vous aymeriez
les personnes qu’il a chery comme sont les Senateurs
de vostre Parlement de Paris ; dont durant
son regne il a fait tousiours tant d’estime, qu’il les a
non seulement maintenus en leurs priuileges &
authorité, mais encore il a apprehendé de leur
desplaire, & si vous l’aymiez encore comme vostre
honneur vous oblige ; vous haïriez l’humeur des
personnes pour qui il a eu de l’aduersion, telle est
l’humeur des Italiens ; & vostre Maiesté nous excusera
si nous prenons la liberté de vous faire sçauoir
que vous ne pouuez point tenir le Mazarin
dans vostre Cour, qu’au preiudice de la gloire du
Roy vostre Seigneur & Fils : Pour trois raisons.

 

RAISON 1,

La gloire du Roy se diminuë lors qu’estant en
minorité on luy donne des tuteurs autres que ceux
qui l’ont esté nommez par les autres Rois ses deuanciers,
son pere & ses Ancestres, veu que c’est
vne marque ou du peu de conduite de ses Predecesseurs,
ou du peu d’estime qu’ils ont fait de sa

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personne en ces deux façons, il est facile à iuger à
des hommes d’esprit que la gloire d’vn Prince
mineur est laizée.

 

RAISON 2.

Vn Prince qui n’est pas en maiorité reçeut du
déchet de sa gloire, lors qu’il n’a pas le bien d’estre
esleué se lon la volonté des Princes ses parens, &
de son peuple ; mais à la phantesie d’vn estranger
de petite naissance qui s’attribuë des prerogatiues
qui ne luy sont pas deuës, & qui pour luy faire
auoir ses semblables humeurs, luy veut corrompre
son humeur naturelle & Royalle, par des exemples
villes & deshonnestes.

RAISON 3.

A mesure que la maison d’vn mineur se rabaisse,
sa gloire aussi se diminuë, la maison du Roy
vostre fils est la France, qui se treuue bien rabaissée,
lors que la force des pilliers qui la soustenoient,
qui sont les Presidens & Conseillers des Parlemẽs
est diminuée par la ruse & violence d’vn homme,
dont mesme les parens, & les ancestres estoient de
la moindre condition de la nature.

Le second motif est le bien & le repos de toute
l’Europe que vostre seule Majesté empesche, lors
qu’elle differe à accorder la paix à son peuple, qui
seroit le commencement de la generalle, afin de

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les faire condescendre à des conditions indignes
de son courage, de sa fidelité & de son merite :
Comment se pourroit-il faire que vostre Bourgeoisie
de Paris, qui est composée de plus de cinq
cens mille soldats se voulut laisser desarmer, pour
la crainte, & la terreur qu’ils donnent à vostre Ministre,
si les Parisiens auoient manqué iusques à ce
poinct là, ils monstreroient auoir le cœur aussi lasche
qu’on les estime genereux.

 

Comment se pourroit-il faire que cette grande
Ville qui est vne des plus grandes merueilles du
monde & l’abbregé de l’Vniuers, voulut abandonner
ses plus grandes forteresses, & les laisser
rendre soubs le pouuoir d’vn homme incogneu, &
qui ne possede rien dans ce monde que les biens
que la fortune aueugle luy a donné prodigalemẽt,
n’a t’il pas tesmoigné auoir assez de malice pour se
meffier de luy, & pourquoy Paris est plus obligé
d’auoir en luy confiance, que luy d’en auoir en la
France, s’il n’auoit pas de la meffiance pour les
François, il ne feroit pas transporter en Italie les
tresors qu’il ramasse en France, au contraire il y
feroit construire les Palais qu’il faict edifier à Rome,
& s’il estoit aussi fidelle que vos Bourgeois de
Paris il ne les apprehenderoit point, qui certes
montreroient en ce point auoir manqué de fidelité

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s’ils se démettent des principaux forts de Paris, vn
desquels est la Bastille, parce qu’ils ne garderoient
pas la promesse qu’ils ont fait au Roy vostre Espoux,
de garder & de conseruer cette Ville en sa
force & en son Iustre souz le Regne de son fils, de
mesme que souz le sien, que si par malheur le Mazarin
estoit maistre de la Bastille, il n’y a point de
doute qu’il ne foudroyast cette Ville à coups de
canon, iusqu’à ce qu’elle se fut renduë souz sa domination,
& ainsi le Roy vostre fils en seroit priué,
& il seroit bien encore à craindre qu’il n’attirast à
soy vos ennemis, pour partager auec eux ce beau
Royaume, il faut bien que vos subjets de Paris
prennent garde à ne se deffaire point de leur fortifications,
autrement vn iour ils seroient punis comme
des infidelles à leurs Princes, vostre Majesté
demande en dernier lieu que vostre grand Ministre
soit honoré de la plus grande qualité que l’on
donne dans la France apres la charge de Connestable,
si vos subjets auoient consenty en cela à vôtre
dessein, ils témoigneroiẽt qu’ils n’ont pas beaucoup
de merite, puis qu’ils ne sçauroient pas recognoistre
les personnes qui en ont faute, si bien que,
MADAME, ce n’est pas sans iuste raison que nous
prenons la hardiesse de dire que vostre Majesté
donne de l’empeschement pour la paix generale,

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& pour la reconciliation des deux plus grandes
Couronnes de la terre.

 

Le troisiesme motif qui a obligé son Altesse de
nous commander de vous escrire, est l’interest de
son honneur & de son bien particulier ; il n’ignore
point que vous ne soyez sa tante, si bien que ce qui
vous blesse le choque, & ce qui vous preiudicie
luy nuit aussi, dauantage il pourroit craindre que
Madame Royale, sa mere, a vôtre exemple ne voulut
prendre à sa guise vn Ministre d’Estat, ce qui
causeroit vn grand desordre en ses Prouinces, il
plaira à vostre Majesté de considerer qu’elle doit
preferer le bien particulier de son peuple, & vne
paix generale à sa propre santé, encore plus à ses
plaisirs.

FIN.

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