Anonyme [[s. d.]], DISCOVRS CHRESTIEN ET POLITIQVE, DE LA PVISSANCE des Roys. , français, latinRéférence RIM : M0_1103. Cote locale : A_2_48.
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DISCOVRS
CHRESTIEN
ET
POLITIQVE,
DE LA PVISSANCE
des Roys.

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DISCOVRS CHRESTIEN
ET
POLITIQVE,
DE LA PVISSANCE DES ROYS.

CETTE supresme raison qui fait
que par de iustes propositions &
des rapports mutuels, tout est bien
compassé dans ce grand Corps
que l’on appelle le monde ; la mesme
nous oblige à croire que dans le Corps Politique
& Ciuil tel qu’est l’Estat Monarchique,
l’ordre y doit estre inuiolablement obserué, si
l’on veut qu’il s’establisse & qu’il se conserue.
Cét ordre se peut deffinir, la disposition parfaite de
plusieurs membres sous vn Chef.

Cependant comme la disposition des parties
du Monde, (chacune selon la place qui luy
est propre) ne seroit pas suffisante sans cette autre
disposition que les Philosophes ont nommée,
de vertu & de puissance, parce que

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c’est elle qui meut & qui viuifie ; Et comme ce
n’est pas assez que la teste soit placée sur le reste
du corps, si elle n’influë le mouuement & le sentiment
aux membres pour le commun salut de
tous : aussi n’est ce pas assez d’auoir la premiere
place dans l’Estat si celuy qui la tient n’a la sagesse
pour sçauoir, & l’authorité pour pouuoir
regir les peuples, au bien & à l’aduantage du
Royaume. Et certes puis que Dieu à qui toutes
choses appartiennent, parce qu’elles ne possedent
rien qu’elles n’ayent receu de luy, les gouuerne
pourtant pour leur propre vtilité & non
pour la sienne ; Seroit-ce pas vne espece de prodige,
que ceux qui n’ont point d’autre droict
pour estre obeys, que d’estre les viuantes images
de ce Roy des Roys, se voulussent persuader,
que tout doit estre fait pour eux ; qu’ils se
peuuent ioüer impunément de la vie & du sang
des Nations ; & que toute ame est tributaire à
leurs passions déreglées. Veu principalement,
que tout Empire ayant originairement commencé
par élection (ainsi qu’il est aisé de voir
par l’Histoire ancienne & la nostre mesme,) ce
ne sont pas les Roys qui ont fait les Peuples ; au
contraire, ce sont les Peuples qui ont fait les
Roys.

 

L’Escriture Saincte dont l’authorité est au
dessus de toutes les autres, le fait voir assez clairement.

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Car ne fut-ce pas Israël qui pria Samuël
de luy donner vn Roy ? Saül qui fut le premier
Monarque des Iuifs ne les a pas assuiettis par
force, & la Iudée n’estoit point son Patrimoine.
Que si l’on demande la raison pour laquelle les
Israëlites demanderent vn Roy à Samuël ; la voicy ;
Ils se lasserent de l’iniustice & de la violence
de Ioël & d’Abdias ses enfans, qui violoient toute
equité, & se laissoient corrompre par presens :
Ils demanderent vn Roy pour les iuger, & pour
se mettre deuant eux à la teste de leur Armée.
Voila l’Office du Prince, voila ce qu’il doit à ses
Suiets ; c’est à cette condition qu’il est monté sur
le Throsne : car de dire que les Iuifs demãderent
vn Roy, afin qu’il les fit piller à ses Soldats, qu’il
ruinât l’orphelin & la vefue, & ne reconnut
point d’autre droict que la force & la violence ;
cela choque entierement le sens commun ; puis
que ce Peuple deposa les Fils d’vn homme de
Dieu, d’vn grand Prophete, de Samuël, à cause
de leur iniustice. Certainement eslire & deposer
n’est pas vn droict d’esclaues, comme on pretend
que soient les Peuples.

 

L. Reg. 8.

Ibidem. Iudicabit
nos Rex noster
& egredietur aute
nos & pugnabit
bella nostris
pro nobis.

Mais toutesfois, disent les flateurs des Princes,
ces Hypocrites de Cour, qui couurent leurs
concussions & leurs brigandages du sacré nom
de la Royauté le droit du Roy, disoit Samuel, sera
de prendre vos femmes & vos filles, de decimer vos

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vignes & vos blez : Et pleust à Dieu qu’on en fut
demeuré là, pour donner à ses Fauoris & à ses Eunuques.
Et par consequent concluent-ils, tout
est au Roy.

 

Si cela est ; pourquoy donc alors qu’on repette
sur ces saints Docteurs, vne petite partie
des sommes immenses, que sous pretexte de la
Maiesté Royalle, ils ont volées à la France,
pourquoy est-ce qu’ils alleguent la foy publique,
& les traittez qu’ils ont faits auec le Prince ?
pourquoy afin de reprendre à la premiere
occasion d’iniustice ce qu’ils appellent leurs
auances (quoy que dans la derniere necessité
de l’Estat) rentrent ils dans les grands partis
dont ils s’estoient retirez, puis qu’ils disent que
tout est au Roy ? pourquoy s’escrient-ils si hautement,
quand on remet leur remboursement
à des termes vn peu plus éloignez qu’ils ne souhaittent ?
pourquoy pour assister l’Estat, qu’ils
ont plus d’interest de conseruer que le menu
peuple, puis qu’ils y possedent tant de terres &
d’honneurs, ne veulent-ils pas vendre ou engager
vne portion de leurs biens, s’il est vray,
comme ils le publient que tout est au Roy ? Ha
méchans seruiteurs ! vous estes iugez & conuaincus
par vous mesmes, vos actions dementent
vostre bouche, & vostre iniquité ne se
peut plus dissimuler. Tout est au Roy quand il

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est question de voler les Prouinces & de mettre
tout à la chaisne, pour satisfaire à leur auare
cruauté : Rien n’est au Roy quand il est question
de faire rendre gorge à ses Harpies. O Iustice !
ô verité ! où vous estes vous retirez ! Romam
pedibus qui venerat albis, celuy qui n’auoit
pas dernierement des souliers quand il vint à
Paris, & qui maintenant à des litieres & des
carosses, proteste que tout est au Roy, quand il
veut sous ce pretexte engloutir vn million de familles ;
mais si on veut toucher à la sienne & luy
redemander ce qu’il a pris : il deuient Iurisconsulte
& fait nettement sa distinction : que tout est
au Roy quant à l’authorité Souueraine, quoy que la
proprieté des biens soit à chaque particulier. Singulæ
res, singulorum sunt : Ceste maxime est indubitable,
elle est reconnuë par tout le monde, & des
Empereurs quoy que Payens n’en ont pas voulu
douter ; cependant le Partisan ne la sceuë, où
ne la voulu sçauoir, que depuis qu’on luy a
parlé d’emprunts & de taxes sur luy mesme ; il
laissoit dormir les Loix & n’auoit garde de les
reueiller.

 

Le droit des Roys me dira-on, n’est donc
pas tel que Samuel le disoit ! O preuaricateurs
en la cause de Dieu & du Peuple, disons des
Rois mesmes dont vous rendez la puissance odieuse :
ne sçauez vous pas que Samuel se plaignit

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au Seigneur de ce changement du Peuple,
& que le Seigneur luy respondit, ce n’est pas toy
ô Prophete qu’Israel a abandonné c’est moy mesme, il
ne veut plus que ie regne sur luy, dans l’Egypte il m’a
quitté pour des Idoles, & il te veut quitter auiourd’huy,
fais pourtant ce qu’il te demande, mais pren le auparauant
à tesmoin, & qu’il s’en souuienne à iamais.
Voyla la * Iustice des Roys ; il prendront vos femmes
& vos enfans, &c. De quels Rois pensez vous
que Dieu parlât ? Il parloit des Rois Idolatres.
Donnez nous vn Roy qui nous iuge, comme ont toutes
les nations de la terre ; c’est la demande du peuple
Iuif ; & l’on ne peut ignorer qu’alors toutes les
nations & leurs Rois estoient infideles ; c’est
donc bien à propos, pour releuer la Maiesté
des Princes Chrestiens, alleguer des Princes
Payens & Barbares ; & pour faire reuerer la
Royauté, c’est bien à contresens employer les
paroles prononcées de la bouche de Dieu mesme,
pour en destourner le peuple, par l’horrible
menace des maux dans lesquels il s’alloit
plonger ; Il faut estre bien abandonné à soy mesme,
& liuré aux passions d’iniustice, pour fonder
les droits legitimes des Rois Chrestiens sur
ce qui est dit contre la Tyrannie des Rois idolatres.
Ha, n’armes point la puissance absoluë,
qui n’est desia que trop redoutable de soy, de
raisons, d’iniustice & de violance : Et s’il vous

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reste encore quelque sentiment de pieté : ô corrupteurs
de la ieunesse & de l’innocence des
Princes, Escoutes l’Escriture au mesme Liure
des Rois cap. 12. Samuel, parle encore au Peuple.
Voicy que Dieu vous donne vn Roy, si vous craignez
Dieu, si vous le seruez, si vous écoutez sa voix, vous
& vostre Roy marcherez apres le Seigneur : mais si
vous refusez de l’entendre & de le suiure, la main du
Seigneur s’apesantira sur vous & sur vostre Roy. Quoy
plus ceste histoire finit ainsi, quod si perseueraueritis
in malitia vestra vos & Rex vester pariter peribitis.

 

[1 lettre ill.] Regum. 2.

* Le terme Hebreu
de MISCHPAT
signifie
coustume
& iugement.

On voit bien que ie tais beaucoup de choses
par respect, & que la seule necessité de faire voir
que le Roy est également suiet aux Loix Diuines
que son Peuple, m’a contraint d’examiner
vn passage iusques au bout, dont plusieurs
esclaues du Siecle destournent le vray sens, à des
pensées d’iniustice.

Or qu’est ce que commande & deffend la
Loy de Dieu ? tu adoreras le Seigneur, tu ne seruiras
qu’à luy, tu honoreras pere & mere, &c. tu ne déroberas
point, tu ne tueras point, &c. Est-ce pour le
peuple seulement que ces commandemens de
Dieu sont faits ? interrogez Dauid sur le meurtre
d’Vrie & sur l’adultere de Bethsabée, & vous
verrez s’il estoit maistre de la vie & de la mort
de ses suiets. Lisez les Pseaumes de sa penitence,

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où il confesse ces deux crimes la larme à l’œil,
& la cendre dessus la teste ; voyez la vangeance
que Dieu en prit. La diuision & le glaiue ne se retireront
point de ta maison à iamais, ie rempliray ta famille
Royalle de calamités, & feray enleuer tes femmes
deuant toy, tu m’as offencé en secret, i’en prendray
vengeance publiquement à la veüe de tout le peuple &
deuant les yeux du Soleil.

 

[4 lignes ill.], &c.

Que vous diray-ie de son petit fils Roboam ?
par l’ordre du Ciel il y eut dix Tributs qui le
quitterent, parce qu’elles ne pouuoient plus
supporter ses exactions ; & chacun sçait
l’histoire de Naboth dont Achab s’estoit confisqué
la vigne par de fauses accusations. Ie l’asserois
la patience du Lecteur, si ie voulois rapporter
tous les exemples de la Bible : on les rencontre
par tout, & l’on n’est en peine que du
chois. Chose estrange ! le Roy Esechias qui d’ailleurs
estoit vn si bon Prince, & pour qui Dieu
auoit fait vn si grand miracle, qu’il en étonna la
nature & en surprit le Soleil, apprit de la bouche
men assante du Prophete, que son sceptre seroit
brisé dans la main de ses enfans, pour ce qu’il
auoit étallé aux Ambassadeurs de Babilonne,
peut estre auec trop d’ostentation, les tresors
& la magnificen ce de son Palais, ou plustost
parce qu’il auoit peché contre le precepte du

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Deuteronome qui deffend aux Princes d’amasser
trop de richesses & déclater auec trop
de pompe.

 

2. Reg. cap. [1 mot ill.]
Hæc dicit Dominus
quia mea
hoc gestum est
[1 mot ill.].

[4 lignes ill.]

Apres cela que les faux prophetes dont la
Cour des Princes n’est que trop remplie aillent
prescher aux Rois, que leur volonté doit estre
la seule Loy de leur peuple ; que leur desir est
l’vnique raison qu’ils doiuent suiure, & qu’ils
ne sont point sousmis aux Loix comme le vulgaire.
S’ils le disent, vn veritable Prophete les
dementira, c’est Samuel encore, lequel apres
auoir presenté Saül au Peuple escriuit la Loy
du Royaume dans vn Liure, que pour memoire
eternelle il posa deuant les yeux du Seigneur à
costé de l’Arche de l’Alliance. Ce liure, comme
beaucoup d’autres est peri par l’iniure du temps ;
mais si l’on veut sçauoir quelle estoit la Loy de
l’Estat, & si c’estoient des maximes de violence
& de Tyrannie, que le Prophete exposa aux
yeux de l’Eternel, ou si c’estoient des instructions
pour bien regner : qu’on l’apprenne de
la bouche de Dieu mesme parlant à son peuple,
Deuteronome Chap. 17. Quand tu seras entré en
la terre premise & que tu diras, i’establiray vn Roy
sur moy comme toutes les nations de la terre (vous
voyez que c’est vne prophetie de ce que le peuple
fit sous Samuel, vous voyez que c’est le peuple
qui crée vn Roy,) tu prendras celuy que Dieu

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élira du milieu de tes freres, car tu n’en pourras prendre
d’autres : quand il sera fait, il ne pourra pas auoir beaucoup
de cheuaux de peur qu’il ne te ramene en Egypte
auec sa Caualerie, puis que ie t’ay deffendu d’y retourner
iamais, il n’aura point quantité de femmes, qui luy detourneroient
le cœur de moy ; ny des sommes immenses
d’or & d’argent : quand il sera assis sur le throsne il écrira
de sa propre main en vn liure le Deuteronome de la
Loy, dont l’exemplaire luy sera fourny par les Sacrificateurs
de la Tribu de Leuy : il le portera auec luy, & le
lira chaque iour de sa vie, afin qu’il apprenne à craindre
le Seigneur son Dieu & à suiure ses commandemens :
son cœur ne s’éleuera point orgueilleusement sur
ses freres, c’est le nom que Dieu donne aux suiets
du Prince, pour monstrer qu’il est homme comme
eux.) Il ne se destournera de ma Loy, ny à droit,
te ny à gauche, s’il veut que luy & sa posterité regne
long temps sur Israël.

 

Reg. 1. chap. 10.
V. 25.

Locutus est ad
populum logem
Ragni & [1 mot ill.]
in libro & reposuit
[1 mot ill.] Domino.

[4 lignes ill.]

Que l’on rapporte ensemble ces deux passages,
celuy de Samuel au 1. Liure des Roys, & celuy
du Deuteronome ; l’on apprendra quel est
le deuoir du Prince, & sa legitime authorité.

Cette sagesse infinie laquelle a dressé le plan des
Royaumes s’est si clairement expliquée, qu’on
ne peut plus pretexter aucune ignorance ; Et
quand cette Reine des Roys dit que c’est par elle
qu’ils regnent ; au mesme temps elle leur en
donne les moyens par son propre exemple ;

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Attingit à fine ad finem fortiter & disponit omnia
suauiter. Cette Maistresse du Monde,cette supréme
sagesse, dont toute la prudence Politique
n’est qu’vne petite emanation, tient en ses
diuines mains les deux bouts de la terre, & d’vne
extremité à l’autre elle gouuerne & conduit
tout. Grand exemple pour les Princes qui pour
esleuer la fortune d’vn Fauory abandonnent
tout le reste à l’opprobre à la persecution & à
l’infamie : elle ordonne de toutes choses auec
douceur : Reproche immortel à ces esprits tyranniques,
qui ne font rien que par fureur & par
violence.

 

Que si les choses violentes ne sont pas durables,
nous ne destruisons pas la puissance Royalle,
quand nous la prions de se souuenir des bornes
que Dieu luy a marquées, & de ne les point
outre passer : au contraire nous l’establissons, &
au lieu d’vn Regne d’iniustice tel que celuy
d’Antiochus & d’vn Neron, dont la Catastrophe
a esté si espouuantable, nous faisons voir
quel est le Regne de l’equité & de la Iustice, qui
affermissent la Couronne dessus la teste des Souuerains.

Voila ce que nous apprenons de l’Escriture,
contre laquelle non plus que contre la verité
mesme il n’y a point de prescription : Voila comme
les Roys sont obligez d’obseruer les Commandemens

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de Dieu, aussi bien que leurs Sujets,
puisque Dieu est le Pere des vns & des autres,
& que pour cela ils sont nommés freres.
Regem è medio fratrum tuorum : Et voila pour
sceau de ces premieres obseruations, la menace
fulminée du Ciel contre les testes Couronnées,
potentes potenter tormenta patientur. Si tout
estoit permis aux Rois, si toutes leurs entreprises
estoient iustes, s’ils auoient droict de tout
faire impunément, ils ne seroient point menacez,
disons tout, ils ne seroient pas punis ; Les
Puissans seront puissamment tourmentez : Escoutez
Ministres d’iniustice, Conseillers execrables,
qui infectez la source des fontaines publiques,
infectans l’esprit du Prince ; c’estoit la pensée de
Salomon.

 

Les Noms mesme que les Roys prennent, &
que les Liures Saincts & prophanes leur donnent,
de Chefs, de Pasteurs, & de Peres du Peuple.
Expriment assez l’obligation de leurs grandes
Charges, & c’est chocquer le sens commun ; de
croire que la relation ne soit pas mutuelle entre
les Princes & les Peuples il n’y a point de
Roy sans Suiets, ils n’y a point de Suiets sans
Roy : il se ruine luy mesme quand il les ruine :
auec la main droitte il se couppe la main gauche
quand il porte vne partie de son Royaume
à destruire l’autre, il met sa Personne & son Estat

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en proye aux estrangers ; ses ennemis ne luy peuuent
rien souhaitter de plus funeste, c’est faire
la volonté de ceux qui le voudroient dethrosner.
Les Correlatifs sont & subsistent l’vn par
l’autre, & si vous ostez les reciproques rapports
qu’ils ont ensemble, sans doute vous les détruisez.
La Royauté & la suietion sont de ce nombre :
le fondement de celle-cy, c’est la puissance
de bien & legitimement commander selon les
Loix de Dieu, & les Loix fondamentales de l’Estat,
dont les Roys ne se peuuent point dispenser :
Le fondement de celle-là, c’est la iuste necessité
& l’obligation d’obeïr. Car ce n’est pas
vne petite verité n’y peu importante, que toute
force & toute multitude sans conduite, est plus
redoutable à soy-mesme, qu’à ses ennemis.

 

Ces deuoirs du Prince enuers ses Suiets estans
supposez, comme n’ayans pas besoin de preuue,
puis que toutes les Histoires en sont pleines,
que les Textes sacrés l’enseignent ; & qu’entre
les Payens mesme les Sages n’en ont pas douté.
Examinons vn peu la difference qu’il y a des Tyrans
& des Roys, afin de prouuer aux faux Politiques
que la tyrannie, qui est cette façon violente
de faire tout par caprice & par fureur, est
la corruption totale & la ruine entiere de la
Royauté. Les viuans sont trop interessez dans les
affaires presentes, il faut citer des tesmoins

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morts : Les preiugez & les passions, sont au deça
des sepultures, & n’entrent point auec nous dans
le tombeau. Ie produiray les deux plus sçauans
Politiques de la Grece : l’vn a instruit le plus
grand Roy de l’Vniuers, le vangeur des Grecs sur
les Barbares, l’incomparable vainqueur de l’Orient :
L’autre a esté recherché des Peuples afin
qu’il leur donnât des Loix : Chose estrange ! il fut
consulté par les Tyrans mesmes, lassez des
meurtres & des rapines, qui les faisoient hayr de
tout le monde, & contraignoient tout le monde
de les haïr pour voir s’il les pourroit guerir de
leur iniustice.

 

Quand le monde dureroit eternellement,
dit en quelque part, le Philosophe diuin, on ne
verroit point d’autres formes de gouuernement
que celles qu’on a desia veües. Ce qui reuient à
ce que disoit Salomon, qu’il n’y a plus rien de
nouueau sous le Soleil. Lors que la multitude
rauie de la beauté, de la valeur, ou de la sagesse
de ces personnes heroïques que la Nature a faites
pour commander, choisit quelqu’vn qui la
gouuerne, & dont elle reçoit les Loix pour la
reuerence de sa Iustice : c’est l’origine de la Monarchie,
qui dure autant que les enfans imitateurs
des vertus de leurs Peres profitent de leurs
grands exemples, & se monstrent dignes de la
Royauté, que si (comme peu à peu les meilleures

-- 17 --

plantes degenerent) la violẽce & l’iniustice vsurpent
la place du iugement, on voit que les plus
vertueux, venant à s’opposer à la tyrannie, sont
éleus par le Peuple qui en ait ses Conducteurs ;
ce qu’on appelle Aristocratie ou le gouuernement
des gens de bien : Mais si par la suitte du
temps, lequel corrompt toutes choses, ceux qui
succedent à la dignité de ces grands hommes,
ne succedent pas à leur preud’hommie, & viennent
à tout desoler par leur auarice insatiable,
c’est ce qu’on appelle Obigarchie où la domination
de peu de gens, laquelle à la fin se rendant
insupportable par ses excés, est changée
en Republique par le peuple, qui ne se peut plus
fier de sa conduite à personne. Les Grecs & les
Romains apres auoir fait descendre du Throsne
& des Tribunaux ceux qui par des maximes
detestables vouloient traitter leurs Sujets ainsi
que leurs ennemis, se restablirent ainsi dans les
anciens droicts de la Nature, & reprirent leur
liberté.

 

Lib. 8. Reip.

Voila le demy cercle des gouuernemens Politiques,
acheuons le cercle entier. Le Peuple
qui regnoit d’abord (apres auoir extirpé la tyrannie)
en faisant regner les Loix, n’a pas longtemps
l’humeur de les suiure, (comme vne beste
furieuse eschappée de ses liens.) Il s’emporte
bien-tost, & n’agit plus que par violence ; son

-- 18 --

impetuosité est celle d’vn torrent qui a renuersé
toutes ses digues ; ce grand Corps Politique
n’a point de Chef pour en auoir trop ; c’est vn
monstre qui est tout de testes, & ce monstre
s’appelle Anarchie : déplorable estat qui continuë
iusques à tant que, comme les phrenetiques,
qui se trouuent foibles & languissans apres
les longs accez de leur fureur, ont recours aux
Medecins, qu’auparauant ils auoient voulu déchirer ;
ainsi le Peuple affoibly & ruiné par ses
desordres, regarde de tous costez d’où luy peut
venir le remede. Dans cette disposition des esprits,
si quelqu’vn esclate par vne extraordinaire
vertu, & par la gloire de ses actions ; le Peuple
le coniure de prendre en main le tymon du
vaisseau battu si long temps de la tempeste, &
accourt à luy comme à quelque Dieu. Alors
l’Estat populaire deuient Monarchique, & se
rend heureux autant que celuy qui le gouuerne
ne preside pas plus que la Iustice & les Loix.
Que si luy ou ses successeurs la violent, & de la
corruption de cette Vierge innocente, pretendent
faire vne cruelle ostentation d’vne puissance
absoluë ; on souffre d’abord, & puis on
murmure, le murmure apres passe en des plaintes,
les plaintes en des remonstrances, & les remonstrances
mesprisées en desespoir, lequel se
fait des armes de tout. Deslors la premiere resolution

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recommance, & s’il se trouue dans l’Estat
des hommes puissans lesquels soient aimez
des Peuples, (comme il est impossible qu’il n’y
ait tousiours quelqu’vn d’illustre par sa vertu
ou par sa naissance) ceux là au moindre aduantage
qu’ils remportẽt, au moindre coup de reputation,
prennent toute l’authorité, & la laissent
à leurs enfans autãt de temps qu’ils ont d’adresse
à ménager l’esprit des Peuples. Mais s’ils descheent
de credit, ou qu’ils s’accoustument peu
à peu à la tyrannie, comme on disoit, que dans
le Temple de Iupiter en Arcadie, quiconque
goustoit de la chair humaine meslée auec les
autres victimes, deuenoit loup necessairement ;
alors il en arriue ce que nous auons dit tantost,
& ce qu’il n’est pas besoin de repeter. Le changement
des Estats est donc, comme vous voyez,
vne suitte infaillible du changement des mœurs
de ceux qui gouuernent ; Et de tout ce discours
il resulte que la tyrannie est la destruction de la
Royauté, comme elle l’est de toutes les autres
formes de gouuernement.

 

Que si vous voulez sçauoir ce que c’est que
la tyrannie, elle se peut à mon aduis recognoistre
parce que le mesme Platon a dit du Tyran.

Au commencement celuy qui aspire à la
tyrannie saluë tout le monde, & sousrit agreablement
à chacun : mais apres qu’il s’est reconcilié

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vne partie de ses ennemis, & qu’il s’est deffait
des autres ; il n’est pas si-tost asseuré de ses
affaires qu’il entreprend quelque guerre ; tant
afin que le Peuple ait besoin de conducteur,
qu’affin qu’il s’appauurisse en fournissant aux
frais des Armées, & ne pensant qu’à viure au
iour la iournée, comme on dit vulgairement,
soit moins en puissance de conspirer contre luy :
Dauantage si dans l’Estat il remarque quelques
ames hautes & heroïques lesquelles refusent de
le seruir, ou qui puissent former vn party contraire ;
la guerre & leur propre valeur luy seruent
de pretexte pour les exposer aux ennemis, &
s’en deffaire glorieusement. Car il est si heureux,
que vueille ou non, il est contraint d’estre
ennemy de tous les hommes qui ont de l’esprit
& du cœur, de sorte qu’il les persecute iusques
à ce qu’il en ait purgé la Cité : Maniere de purgation
assez differente de celle des habiles Medecins,
qui purgent les mauuaises humeurs des
corps, & laissent les bonnes, mais le tyran en vse
ainsi : c’est ce qui le contraint de viure auec les
pestes de l’Estat, qui sont les instrumens de sa
tyrannie & les supports de sa fortune. Par-là
vous pouuez penser comme la vie du Tyran est
heureuse, puis que tous les bons luy sont ennemis :
& que la societé des meschans est infidelle.
C’est pourquoy il a besoin de gardes pour s’asseure

-- 21 --

de ceux mesmes qui luy font la Cour,
Sed quis custodiet ipsos custodes ? On sçait comme
en ont vsé autresfois à Rome les soldats Pretoriens,
& ce qui est arriué dans Athenes.

 

Ceux qui tyrannisent les autres, sont par consequent
les plus tyrannisez, plus de trois Furies
les persecutent ; l’auarice, l’ambition, les voluptez
effrenées, auec les douleurs, & les maladies
honteuses, qui les suiuent ordinairement, les
inquietudes, les chagrins, les soupçons, les défiances,
les jalousies, les craintes, les frayeurs,
la rage & le desespoir ; quand vne passion les
quitte, vne autre les reprend ; & quoy qu’ils se
vantent d’auoir si bien arraché les dents à leur
conscience, qu’ils n’en souffrent plus les remords,
cela est si faux, qu’on les voit paslir &
trembler au moindre accident qui les menace.
Le vol d’vn oyseau dans les tenebres les épouuente,
l’agitation des fueilles par le vent les reueille
tout en sursaut, & l’aspect de la moindre
personne qu’ils n’ont pas accoustumée, retrace
en leur esprit timide toutes les images de coniuration
& de mort. Cette seule pensée, que iamais
Tyran n’a fait mourir son Successeur, est
vn Vautour dans leur sein qui les déchire eternellement.
Ainsi la Loy d’Adrastie est inéuitable,
& le Dieu des vengeances (quoy que s’imaginent
les libertins.) Ne s’endort point sur
les grands coulpables. Telle est la vie sans parler

-- 22 --

de la mort, ordinairement honteuse & sanglante
de ces monstres de la nature, lesquels liurez
comme des esclaues tantost à vn vice & tantost
à vn autre, appellent puissance, ceste licence
effrenée de tout faire contre la raison ; en quoy
ils se degradent eux mesmes ; d’hommes qu’ils
estoient ils deuiennent bestes furieuses, & ne
pouuant commander à leurs passions, entreprennent
pourtant de commander à tout le
monde.

 

Apres Platon vient Aristote lequel dans la
pratique exacte qu’il auoit euë premierement
de tous les Estats de la Grece, & depuis de ceux
de l’Asie suiuant son grand Alexandre, enseigne
qu’il y à trois formes de gouuerner qui sont
bonnes, & trois mauuaises. Car puis que le
gouuernement Politique, est de ce qui commande
Souuerainement aux Estats, il faut qu’vn
seul ait ceste authorité ou peu d’hommes, ou
plusieurs, lesquels s’ils n’ont tous d’autre but en
gouuernant que le bien public, & qu’ils y rapportent
toutes choses, ces Estats necessairement
sont bien conduits : Nous auons accoustumé
d’appeller Royauté, l’Estat où vn seul
commande pour le bien de tous. Celuy où peu
d’hommes eminens en vertu trauaillent au bonheur
de la Cité, Aristocratie ; Et quand la multitude
gouuerne en se conduisant par les Loix
à l’auantage d’vn chacun, on l’appelle Republique,

-- 23 --

d’vn nom commun à toutes les especes de
Gouuernement ; Mais comme chaque vertu est
opposée à chaque vice, & le bien au mal, le vice
& la destruction de la Royauté c’est la Tyrannie,
qui ne regarde que l’vtilité d’vn seul,
Le vice de l’Aristocratie c’est l’Oligarchie qui
rapporte tout au profit des riches. Le vice de la
Republique c’est la Democratie, où l’effrenée
puissance du peuble, qui appelle liberté la licence
de tout dire & de tout faire sans frain,
sans conduite & sans Loix. Lisez toutes les Histoires,
consultez toutes les nations, vous ne
trouuerez point de plus ordinaires & de plus
effroyables exemples que du changement des
Republiques par la luxure, l’auarice & la cruauté
reiettons miserables de la Tyrannie. Babilonne,
Rome, & Constantinople, l’Asie, l’Europe,
& l’Affrique en peuuent donner des témoignages
eternels, & il faut démentir tout le
genre humain pour y contredire.

 

Lib. 3. Pol cap. 5.

Le mesme Philosophe parlant de la Monarchie,
& des causes de sa ruine dit, que ceste forme
de Gouuernement, quand il n’y auroit rien
dehors qui le menassat de la cheute, à plusieurs
fatalitez à craindre au dedans, & principalement
ces deux-cy ; La diuision de ceux qui ont
part au Ministere, & l’opinion Tyrannique
qu’ils ont conceuë d’estre maistres de plus de
choses, qu’il ne leur en appartient par la Loy,

-- 24 --

Par ce peu de paroles il comprend tout ce qu’il
auoit dit auparauant de la decadance des Empires ;
soit par le mespris où tombent les Monarques,
faute de sens, ou par lacheté ; soit par les
rapines exercées sur les peuples, & principalement
par les iniures faites à l’honneur des personnes
libres (dont il cite beaucoup d’exemples.)
Soit par la crainte & l’horreur que donne
par tout la cruauté : soit par la colere & l’indignation
des suiets : soit par la haine enuieillie &
enracinée contre la domination violente : soit
par la mauuaise intelligence des plus puissants
de l’Estat soit par l’entreprise de ceux qui commandent
les gens de guerre (car la valeur,
dit-ce Philosophe, deuient audace alors qu’elle
se voit armée, dont il allegue pour témoins Cyrus
contre Astiages :) Soit enfin par le desir de
gloire, qui s’excite quelque fois si puissamment
en certaines ames, qu’elles se deuoüent
volontairement à la mort, pour la liberté de
leur pays.

 

Lib. 5. Pol. 10.

Comme dans la medecine les contraires sont
les remedes de leur contraires ; il est aisé de iuger
des maximes qu’il faut suiure pour ne point
donner contre les Escueils, où les Souuerains
font naufrage. Le mesme Aristote nous l’apprend
au mesme lieu, par la distinction qu’il
fait des vrais Monarques & des Tyrans.

La Royauté, dit il, fut premierement establie

-- 25 --

pour la deffence des bons, contre la multitude
& la populace. Le Roy fut creé du nombre
des meilleurs à cause de l’excellence de sa
vertu, pour la grandeur de ses actions, ou pour
la gloire de sa race. Le Tyran fut esleué par la
populace contre les Nobles, afin d’en euiter
l’oppression, & ç’a esté en les calomniant aupres
du peuple qu’il s’en est rendu le Chef ; ce
qui est manifeste par les euenemens passez. Ainsi
la Royauté approche de l’Aristocratie ; en ce
qu’elle a esté premierement donnée au merite,
à la vertu, à la haute naissance, & à la recognoissance
des biens faits : Autresfois tous ceux qui
auoient fait de grands biens aux peuples, où
qui estoient capables de leur en faire, paruindrent
à ce dernier comble d’honneur : les vns
empeschans que leur patrie ne tombât en seruitude
(comme Codrus chez les Atheniens,)
les autres la remettant en liberté (comme Cyrus
fit la Perse,) Et quelques vns pour auoir
ediffie des villes, ou conquis quelques Prouinces.

 

Or voicy le deuoir & l’office du Roy ; il est le
Tuteur & le Gardien de l’Estat, pour faire que
les riches ne soient point outragez par le peuple,
& faire que le peuple ne soit point mal traitté
des riches : au lieu que le Tyran ne considere
le public que pour son interest particulier. La
fin du Tyran c’est la volupté : l’honnesteté est

-- 26 --

celle du Roy ; vouloir surpasser tout le reste en
richesse est Tyrannique : le surpasser en honneur
& dignité est Royal. La garde Royalle est
des Citoyens : la Tyrannique, des Estrangers.
De plus, il est apparent que la Tyrannie à les
vices de la Democratie & de l’Oligarchie, qui
sont les deux plus vicieuses manieres de Gouuernement.
De l’Oligarchie, puis que l’vnique
but du Tyran est de s’enrichir, d’opprimer le
peuple, le chasser des places fortes, & le desarmer
à cause qui ne s’y fie point. De la Democratie ;
parce que le Tyran fait la guerre ouuertement
ou secretement aux gens de bien & aux
Nobles ; les bannit souuent comme ennemis
de l’Estat, & s’en deffait autant qu’il peut, parce
qu’ils sont dignes de gouuerner, & plus capables
que les autres de conspirer contre luy.

 

Tel est le suiet de la ruïne precipitée de la
Tyrannie ; que si quelques Tyrans ont beaucoup
regné comme Ortagoras & ses enfans,
c’est parce qu’ils traittoient le peuple auec moderation
& qu’en la pluspart de leurs assaires ils
se sousmettoient aux Loix ; outre qu’estans de
grand cœur, & fort entendus en l’art militaire,
ils ne couroient point fortune de tomber dans
le mespris.

Ie croy que c’est assez d’Aristote & que les
raisons alleguées sont suffisantes pour instruire
les ennemis de la Royauté, qui la veulent

-- 27 --

faire degenerer en tyrannie.

 

Ie n’ignore pas ce que l’on dit que les hommes
du siecle present preferent certain Politique
Moderne à ces Anciens Philosophes,
croyant que l’art de regner s’est bien raffiné depuis
le vieux temps ; ie ne m’étonne pas que
ceux à qui le Grec & le Latin font mal à la teste,
& qui sans auoir iamais rien appris se croyent
pourtant capables de tout gouuerner, prenent
pour leur perpetuel exemple le Prince du Secretaire
des Florentins ; Et toutesfois, s’ils
vouloient vn peu prendre garde à la vie & à la
mort de Borgia, & de son Oncle, & comment
l’vn & l’autre [4 lettres ill.]rent par leur propre meschanceté ;
ie pense qu’ils pourroient changer d’auis
outre qu’il y a grand difference, (& c’est ce
que les impies & les ignorans n’ont point encore
voulu, ou n’ont peu aperceuoir) entre vn
Estat vsurpé comme celuy du Prince de Machiauel ;
& vn Estat hereditaire : Entre vn grand
Royaume successif comme celuy de France, &
vn petit Duché d’Italie. Que les vsurpateurs &
les Tyrans estiment tant qu’il leur plaira, qu’il
faut coupper la teste des plus hauts pauots, &
renuerser les plus grands espics : qu’il est plus
seur d’estre craint que d’estre aimé, parce que
l’vn depend de nous, & l’autre d’autruy : (ce
qui pourtant n’est pas veritable :) que celuy-là
est fou qui pardonne aux enfans apres auoir tué

-- 28 --

le pere : & comme disoit, vne nouuelle furie, sous
la forme des Muses & des graces, qu’on ne perit
point pour estre méchant, mais pour ne l’estre
pas assez : Il sera tousiours veritable qu’vn
Monarque legitime, qui regne paisiblement,
& sans contradiction dans son Estat, comme vn
Enfant dans la maison de son Pere, n’a pas besoin
de renoncer à la Nature, à la Iustice & à
Dieu mesme, pour conseruer vne authorité de
douze Siecles, laquelle il n’a point vsurpée :
Ceux qui luy donnent d’autres Conseils sont
ennemis de sa personne & de son Estat, & pour
faire leurs affaires particulieres, sans se soucier
que le Royaume perisse, hazardent sans conscience
ce qui est asseuré au Roy par les droits
les plus sacrés & les plus inuiolables. Dauantage,
ces prudens du siecle, (a qui ce seroit trop
d’estre Chrestiens, & ausquels l’on souhaitteroit
seulement qu’ils eussent les vertus Payennes)
peuuent par leur propre maistre estre aisement
conuaincus de leur mauuais raisonnement :
car dans ses discours sur Tite-Liue Machiauel
n’attribuë-t’il pas à la valeur des Romains,
à leur Iustice, à leur generosité, à leur
bonne foy, & à leur Religion mesme, (ce qui
semble estrange pour vn Italien de son humeur)
cette grandeur d’Empire & cette Majesté de
puissance qui a mis Rome au dessus des Roys,
& porté sa renommée iusques aux extremitez

-- 29 --

du monde. Et à la verité, comment est ce que
l’iniustice & la violence perpetuelle maintiendroient
vn grand Royaume, puis que la Iustice
leur contraire est necessaire à ce poinct, que
sans elle les voleurs mesme & les Pyrates ne
pourroient pas subsister.

 

C’est pourquoy on ne pourroit trop s’estonner
si l’on voyoit des personnes sacrées, au moins
par leur Charge & leur dignité, & qui font profession
publique du Christianisme, consentir
à des maximes que les brigans rejettent entre-eux,
que les Payens ont detestées, & que la verité
eternelle condamne par tous ses Oracles ;
Si ce n’est peut-estre qu’on veüille dire que celuy
lequel expose sa vie pour son troupeau, &
qui par excellence est appelle le bon Pasteur,
au lieu d’estre, comme il est veritablement la
Souueraine Sagesse, n’est plus que l’ombre d’vn
grand nom, qu’vne vaine chimere & vn Fantosme.
Mais cependant qu’elles reuoltes ne s’exciteroient
point contre les Grands, si n’estans
venerables aux Peuples, que parce qu’ils sont
les images du Dieu viuant, ils venoient par leurs
actions à faire croire qu’ils n’en reconnoissent
point. Qu’ils nous monstrent leur foy par leurs
œuures : ou qu’ils n’exigent plus de nous de reuerence
pour leur dignité. Qu’ils cessent pour
leur propre interest, de tout abandonner à la
force, laquelle est sans doute du costé du plus

-- 30 --

grand nombre ; Que les Princes Chrestiens ne
renouuellent point les abominations de Rome
Payenne, & que les Philosophes & leurs courtisans
ne soient point, comme les Philosophes
& les Courtisans de Neron. L’Escriture dit, qu’ils
estoient abandonnez à eux mesmes, & que leur peché
estant deuenu la punition de leur peché, deshonnorant
leur propre corps, & bruslans les vns pour les autres
d’vne façou execrable, ce crime contre la Nature,
estoit le chastiment des impies qui n’en reconnoissoient
point l’Autheur. Dieu les a laissé tomber dans vn
esprit de reprobation, qui leur a fait violer toutes les
Loix de l’honnesteté & de la bien seance ; Ils sont deuenus
fornicateurs infames, auares, jaloux, enuieux,
homicides, quereleurs, trompeurs, infideles, malins,
detracteurs, superbes, iniurieux, Artisans de nouueaux
crimes, sans obeïssance à leurs parens, sans amitié,
sans foy, sans misericorde ; En cela indignes d’excuse
qu’ils ne manquoient pas de connoissance, soit
par la lumiere naturelle de la raison, soit par le remors
de leur conscience, soit par l’exemple des solemnelles
vengeances que Dieu a faites de leurs semblables.
Ces reproches que sainct Paul fait iustement
aux Courtisans & aux Philosophes de Neron,
me font souuenir de ce que Salomon disoit de
la Cour des Roys idolatres. Les hommes qui traittent
les Roys de Dieux, ont ignoré quel estoit Dieu
mesme, ils n’ont pas erré seulement en ce qui est de la
connoissance de leur Createur, mais dans les disputes,

-- 31 --

qu’excitoit parmy eux leur ignorance, ils ont mis au
rang des biens le plus grand de tous les maux, & appellé
Paix cette guerre : leurs veilles sont pleines d’impudicitez
& de folie, leurs mariages sont incestueux ou
infames, & ce lien le plus sacré de la societé Humaine,
est souillé par leurs ordures, on ne les entend parler
que d’assassinats & d’adulteres, tous les crimes y sont
confus, le sang, l’homicide, les concussions, l’hypocrisie,
la paillard se, l’inceste, l’iniustice, les suppositions de
part, la dissolution des nopces, le desordre, l’impudicité :
Et quoy que leur esprit incessamment agité de passiõs, ne
puisse auoir que de fausses ioyes, & iamais de veritable
tranquillité, ils prennent plaisir à ce trouble, & cherissent
leur aueuglement. C’est vne peinture fidele des
hommes du siecle durant la premiere idolatrie,
voila cõme on viuoit à la Cour des Roys Payens.

 

Rom. cap. 2.

Tradidit illos
Deus in desideria
cordis eorum,
in immonditiam
masculi
in masculos turpitudinem
operantes,
& mercecedem
quam oportuit
erroris
sui, insemet ipsis
recipientes : & sicut
non probauerunt Deum
habere in notigia,
tradidit illos
Deus in reprobum
sensum vn
faciant ea quæ
non conueniũt ;
repletos omni
iniquitate malitiâ,
fornicatione,
auaritia, nequitia ;
plenos
inuidia, homicidio
contentione,
dolo, malignitate,
inuentores
malorum,
parentibus non
obedientes, sine
affectione, absq
efœdere, sine
misericordia.

Sap. 14.

Insaniæ plenas
vigilias habentes,
uequevitam,
neque nuptias
mundas iam cunodiũt,
sed alius
alium per inuidiam
occidit aut
adulterans contristur :
& omnia
commista sunt,
saguis, homi[3 lettres ill.]ium,
furtum
& fict[1 lettre ill.]o ; corruptio
& infidelitas,
curbatio &
[1 mot ill.], Dei
immemoratio,
[2 mots ill.]
natiuitatisimo
utatio,
nupliarum Inconstantia,
male
senterum de
Deo, & [1 mot ill.]
iniuste, in
dolo contem[6 lettres ill.]
Ius[6 lettres ill.]

Ie n’ay garde de penser que l’on viue de la
sorte dans la Cour d’vn Roy tres-Chrestien, lequel
ne nous a esté si miraculeusement donné
du Ciel que pour nous apprendre, qu’il fera pour
ainsi dire doublement l’Oingt du Seigneur, &
qu’il en fera obseruer les Commandemens à son
Peuple apres les auoir religieusement obseruez
luy-mesme. Il sçaura que sa seureté & sa richesse
sont dans le cœur, & dans l’amour de ses Sujets : il
detestera l’Oligarchie qui s’introduit chez les
Princes mal conseillez, lesquels souffrent dans
leurs Estats des particuliers plus riches qu’eux.
Il connoistra par la sagesse infaillible qui illumine
le cœur des Roys, que la Iustice & la Paix, lesquelles

-- 32 --

se sont entrebaisées pour le salut du genre
Humain, rendent florissans les grands Empires
dont les colomnes inébranlables sont la punition
du vice & la recompense de la vertu ; Il témoignera
que la misericorde & la clemence ont
tousiours esté les vertus des Roys, & que, (laissant
la fourberie aux ames basses & timides) la
verité est l’ornement de son Diademe, & la pieté
l’esclat de son Thrône. Misericordia & veritas
custodiunt Regem, pietas fulcit solium, c’est ce qu’a recõnu
le plus sage de tous les Princes : c’est ce qui
fera craindre le nostre des estrangers, c’est ce
qui le fera aimer de ses Sujets qui reuerent desia,
en son ame Royalle, les semences des hautes vertus,
lesquelles ils coniurent le ciel de faire croistre
à la perfection desirée : car la France n’ignore
pas que si les Roys ne sont heureux que par
l’obeïssance de leurs Peuples : Les Peuples sont
miserables sans la conduite de leurs Roys, Sans
cela, qu’est-ce que pourroit faire vne multitude
ignorante, dispersée de tous costez & abandonnée
à elle-mème, ainsi qu’vn trouppeau sans berger ?
C’est vne horrible confusion & vne prodigieuse
misere de la brûtalité d’vne populace, sãs
guide & sans conducteur. Quand ce grãd Corps
a vn bon Chef c’est vne belle & diuine chose ; autrement
plus les Nations sont nombreuses, &
plustost, pour ainsi parler, elles s’accablẽt de leur
propre poids, & tombent dans la confusion, &
le desordre.

 

FIN.

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Anonyme [[s. d.]], DISCOVRS CHRESTIEN ET POLITIQVE, DE LA PVISSANCE des Roys. , français, latinRéférence RIM : M0_1103. Cote locale : A_2_48.