Anonyme [1649], L’APPARITION D’VN PHANTOSME A SAINCT GERMAIN EN LAYE, ET LES DISCOVRS QV’IL TINT. , français, latinRéférence RIM : M0_138. Cote locale : A_3_5.
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L’APPARITION
D’VN PHANTOSME A SAINCT GERMAIN EN LAYE,
ET LES DISCOVRS QV’IL TINT.

A PARIS,
Chez la vefue IEAN REMY, ruë S. Iacques, à
l’Image S. Remy, prés le College du Plessis.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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L’APPARITION D’VN PHANTOSME
à Sainct Germain en Laye, & les discours qu’il tint.

MESSIEVRS (commença-il) parlant
au Cardinal Mazarin, au Prince de
Condé, & autres du party.

Quoy qu’il soit certain & veritable,
qu’il n’y a point de remission dans les
Enfers, mon apparition neantmoins ne vous doit pas
causer beaucoup d’étonnement, puis que vous auez
des-ja receu le premier Courrier arriué des cachots
noirs de la Conciergerie infernale : Courrier qui ne
vous a pas fait grande peur, comme ie puis iuger par
les armes ie vous treuue encor en main contre la remonstrance
que Pluton vous auoit enuoyé faire : mais
afin de nous oster tout soupçon que ie sois vn esprit
de mensonge, commé vous en estes les protecteurs,
& pour mieux disposer vostre cœur à receuoir ce que
i’ay charge de vous dire ; Ie veux vous d’escouurir en
peu de mots le sujet de ma Commission extraordinaire,
mon nom & mà qualité. Sçachez donc que
ces iours derniers il s’esleua vn si grand tremblement
de terre dans nos manoirs ensouffrez, suiuy d’vn tintamarre
si horrible que l’Enfer en alarme plus que la
ville de Paris, pensa que toute la terre s’en venoit
fondre sur luy, l’effroy saisit tellement les cœurs les

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plus resolus & les courages les plus inébranlables, que
Pluton croyant que ce fut l’arriuée d’vn second Hercule
où d’vn semblable seditieux, se trouua denué de
tout secours pour deffendre son Royaume, qu’il
voyoit proche de sa ruïne, & comme par menaces &
par promesses il trauailloit en vain sa gorge enroüée,
il s’aduisa d’essayer si par honte il pourroit nous encourager
à reprendre cœur : Quoy donc, dil-il, trouppe
poltronne & pagnotte (addressant sa voix, principalement
à ceux de nostre quartier arriué en ce païs
en grand nombre depuis l’enleuement du Roy) esprits
coyons, ames casanieres, souffrirez-vous que
ces lieux que vous auez acquis par tant de crimes &
de trauail, vous soient ostez ? vous qui auez tué tant
de monde, vous laisserez-vous battre en ce iour ? vous
qui faisiez les braues contre le Bourgeois de Paris, qui
ne vouliez pas moins que prendre cette superbe ville,
vous dis je qui auez bruslé, vollé, violé, & profané
tout ce qui estoit de plus sainct, de plus beau & de
plus riche aux enuirons, qui auez tant respandu de
fang innocent, ruïné tant de familles, fait tant de
veuues & d’orphelins : quoy vous ne me respondez
rien, vous estes plus penaux que des fondeurs de cloches
(aussi en auez-vous fondu quantité pour faire
des canons) mais au moins si vous vous estimez trop
foibles pour resister, comme ayant esté si bien estrillez
depuis peu par les vrais & fidels François, faites
mine des rodomontades que voue faisiez contre eux,
il n’y a gueres ; ie vous donne parole que ce n’est point
à ces bons François que vous auez affaire auiourd’huy ;

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ils ne descendirent iamais en ces lieux de tenebres ;
courage donc mes enfans, reprenez vos esprits
esgarez. l’espere bien-tost du secours des trouppes
Mazarines conduites par le Cardinal en personne.
A peine eut-il acheué ces paroles que voicy vn
grand bruit semblable au tonnerre qui fit retentir si
haut ces cauernes sousterraines que les plus fermes
rocs s’entrouurirent pour donner pessage à l’effort de
cetre furieuse tempeste, lors vous eussiez veu culebulter
d’vne cheutte precipitée, vne trouppes d’hommes
defaits, sanglants, & meurtris & mutilez, de tant de
diuerses & difformes figures qu’on eut creu difficilement
que ce fussent des hommes, on les reconnut
neantmoins pour des Polonois, des Alemens &
quelques mauuais François qui n’eurent iamais
rien d’homme que la figure qu’ils auoient perduë
auant que descendre en ces lieux : nous les reconnusmes
les premiers & les nommasmes à Pluton : à voir
cette foulle vous eussiez dit que c’eut esté quelque
bras de mer qui eut rompu ses Chaussées, nous reprismes
courage voyant que c’estoient nos amis, &
nous approchasmes plus prés d’eux pour les receuoir
& apprendre quelques nouuelles, mais ils nous en
donnerent de tres-mauuaises. Apres que le silence
eut esté imposé de part & d’autre, vn de leurs Officiers
se mit à parler en ces termes : Messieurs les damnez,
ie suis fort marry de vous apporter des nouuelles si
l’amentables, la douleur m’empeschera de vous tenir
à present vn long discours ; sçachez que nos affaires
au delà vont tres-mal, tout est perdu & desesperé

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pour Mazarin, Paris a receu vn grand Conuoy, nos
Chefs qui nous cõmandoient deuant Brie, fuyoient
comme des diables. Messieurs, vn certain Duc de
Beaufort les a galopés iusque à Saint Germain ; toute
cette Compagnie que vous venez de receuoir sont
ceux qui estoient les plus mal montez, & qui apres
plusieurs coups receus ont enfin payé le tribut à la
nature par la perte de leur vie. L’equipage où vous
nous voyez, est vn indice tres-certain & vn truchement
muet de nostre perte, nous auons tous esté occis
par Monsieur d’Elbeuf ou ses enfans ; nos suruiuans
ne doiuent esperer d’auoir meilleur marché de ses
Princes qui font merueilles. Le Ciel, la Terre, l’air &
l’eau semblent combattre pour eux, & leur bras fait
encore plus, que l’eau, le Ciel, l’air & la Terre. Comme
il eut dit cela, plusieurs de nous s’aduancerent
pour luy demander son nom, mais le grand bruit qui
se leua pour la grande presse qui arriuoit encore, fut
cause que personne de nous ne le peut sçauoir.

 

Pluton voyant que cette multitude ne cessoit point
apres mesmes vn grand espace de temps, tout estonné
d’où pouuoient venir tant d’ames, me deputa en
ce monde deuers vous pour sçauoir ce qui s’y passoit.
C’est pourquoy, Messieurs, ie viens sçauoir de vous
l’estat de nos affaires, si vous auez occupé toutes les
aduenuës de Paris, si vos trouppes sont aussi meschantes
qu’elles ont tousiours esté, si Monsieur le
Cardinal continuë dans son dessein d’affamer Paris,
& par eschange ie vous aduertis de tout ce qui se passe
aux Enfers où est mon rendez-vous. Car de Purgatoire,

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il y en a moins que de Paradis pour ceux qui
vous suiuent. Si vous voulez, pourtant estre sages
aux despens d’autruy, ie vous aduertis de ne pas faire
comme moy. Ie me repens d’auoir quitté le seruice
du Roy de Francel, auquel celuy de Pologne m’auoit
enuoyé, pour prendre le party d’vn Estranger qui
nous abuse, ie ne serois pas en la peine où ie suis, mais
quoy ?serò sapiunt phriges : c’en est fait & ie puis dire
auec les Patriarches, freres de Ioseph, quemeritò hæc
patimur ; ie vous exhorte de la part de tous vos Compagnons
qui sont tourmentez là bas, que par nostre
misere, vous preniez gerde à vous, puisquefœliciter
sapit qui alieno periculo sapit ; ah que s’il m’estoit permis
de retourner en cette vie, le Roy n’auroit pas de plus
fidelles seruiteurs que moy, & le Parlement de plus
zellez à son seruice. Vous autres qui pouuez encore
estre receus à misericorde reconnoissez-vous, ne m’imitez
pas en vous perdant auec moy,non minus ardebit
qui cùm multis quàm qui solus ardebit : & bien que
consolatiò miserorum sit habere pares, neantmoins pour
l’ancienne amitié que ie vons ay portée, ie vous prie
par vostre propre salut de considerer sans passion l’injustice
de vostre cause, si vous faites bien, ce sera
pour vous seuls, il ne m’en reuiendra rien, au contraire
si vous vous perdez, mes supplices deuiendront
plus grands pour les mauuais exemples que ie puis
vous auoir donnez & que ie deteste : c’est pourquoy
ie desire vostre amendement, comme iadis le mauuais
Riche souhaitta celuy de ses freres ; Retenez-donc,
Messieurs, ces aduertissemens derniers qui

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finiront mon ambassade :apprehendite disciplinam nequando
irascatur rex & pereates in via ista : mais i’ay beau
vous parler Latin, ie crois que vous entendez mieux
l’Italien que ce langage : quoy qu’il en soit, tenez
vous bien, car vous auez affaire à des parties aduerses
qui vous feront voir du païs, & peut-estre celuy
où ie m’en retourne.

 

FIN.

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