Anonyme [1652 [?]], L’AVEVGLEMENT DV CONSEIL D’ESTAT DV ROY, AVEC LES RAISONS POVRQVOY L’ON DOIT refuser leur loy d’Amnistie. , françaisRéférence RIM : M0_468. Cote locale : B_2_23.
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L’AVEVGLEMENT DV
Conseil d’Estat du Roy,
Auec les raisons purquoy l’on doit refuser
leur loy d’Amnistie.

Qvoy que le Roy soit declaré Maieur
à l’âge de quatorze ans, tout le monde
sçait bien que pour cela il n’est pas
plus capable de gouuerner les affaires de sa
Couronne. Si la science Royale ou la prudence
Politique, qu’on appelle raison d’Estat, &
qui consiste en vne vigoureuse force d’esprit, &
en vne experience consommée au maniment
des affaires publiques, luy pouuoit estre infusée
en le declarant Maieur, on pourroit dire
que c’est luy qui preside dans tout ce qui se fait
à son nom, & qu’il ordonne de toutes les resolutions
qu’on prend pour la conduite de ses affaires.
Mais il est impossible qu’vn Prince si
ieune, & que l’on esloigne tant qu’on peut de
ce qu’il deuroit sçauoir, afin de se conseruer
plus long-temps dans l’Authorité Royale qu’ils
luy ont vsurpée puisse estre l’autheur de tant de
Lettres, de tant d’Ordonnances, & de tant de
Declarations, qu’on enuoye de toutes parts,

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pour ruiner tous les Estats & pour perdre tous
ses peuples. Et quand ce seroit le Roy, ce qui
n’est pourtant pas, de peur de luy donner trop
tost vne veritable connoissance de ses affaires,
tous ceux qui sont aupres de sa Maiesté ne laisseroient
pas d’estre grãdement criminels de les
luy laisser conduire de la sorte. Ils ne sont là que
pour les conseiller selon Dieu, & selon l’interest
public, ou pour en respondre de leur teste.
Mais ceux qui tiennent le timon de l’Estat, aleschez
par la douceur du gouuernement qu’ils
ont eu pendant la minorité du Roy, n’ont garde
le souffrir de crainte de choir du faiste de
leur pernicieuse authorité, au centre d’vne
erernelle disgrace.

 

C’est pour cela qu’ils ont pris grand soin d’establir
vn Conseil aupres de sa Maiesté à leur
poste : non pas pour les conseiller, puis qu’ils
veulent que tout aille comme il leur plaist :
mais pour authoriser ce qu’ils font & tout ce
qu’ils veulent faire. Ainsi ce veritable Conseil
d’Estat ne fait rien que suiuant la passion de
ceux qui leur commandent. Mais dans quelque
aueuglement qu’ils puissent estre, si faut
il pourtant qu’ils sçachent qu’il y va de leur
bien, de leur vie, de leur honneur, & de leur
salut, & que puis qu’ils sont appellez à cette
dignité, qu’ils sont responsables de tout ce

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qui se fait, par consequent criminels & dignes
d’vne punition exemplaire. Et s’ils sont esclaues
des passions d’autruy & qu’ils ne puissent
pas mieux faire, il faut qu’ils abandonnent
leur party, ou qu’ils souffrent qu’on leur fasse
leur procez comme à des fauteurs de la tyrannie
regnante. Les Conseils n’ont esté establies
que pour Conseiller aux Roys le bien de leurs
Estats, & le bien de leurs peuples, & non pas
pour suiure les sentimens de ceux qui ne se seruent
du nom du Roy, que pour abuser comme
il leur plaist de l’Authorité Royale.

 

Il est vray que le Conseil du Roy ne fait plus
rien qui ne parte ou d’vn pernicieux aueuglement,
ou d’vne malice tres criminelle, & s’ils
continuent ie ne croy pas qu’il ne leur faille
faire leur procez comme à des criminels de leze
Maiesté, & qu’il ne faille confisquer leurs
biens au profit des pauures peuples qu’ils font
souffrir auec des cruautez qu’il n’en fut iamais
de pareilles. Ils ont bien fait voir iusques ou
pouuoit aller ou leur pernicieux aueuglement,
ou leur criminelle malice, en l’Amnistie generale
qu’ils ont enuoyée aux peuples de Paris,
& sans forme & sans foy, & contre l’ordre
qu’on doit obseruer dans des procedeures de
cette importance.

Vne Amnistie generale pour estre en bonne

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forme, doit estre faite en faueur de toute
sorte de personnes : c’est à dire que pour estre
generale, elle doit comprendre les grands &
les petits, les Princes, les Magistrats, les Nobles
& les Roturiers, les gens d’Eglise, & les
gens de Iustice, le Parlement & le Bourgeois,
l’Artisan & le pauure Peuple, puis que la cause
est vne cause commune qui ne regarde pas
moins les vns que les autres. Ils enuoyent vne
Amnistie generale à tous les peuples & à tous
les Bourgeois de Paris, sans y comprendre ny
le Parlement ny les Princes, & le tout pour trois
raisons : la premiere est de faire sousleuer tous
les Peuples, contre le Parlement & contre les
Princes, les croyant aueuglez iusqu’au point, de
vouloir cette Amnistie à quel prix que ce soit,
sans en considerer ny les suittes ny les consequences,
les croyez vous aussi aueuglez dans
leur malheur, que vous l’estes dans le vostre.
Messieurs les Ministres ne sçauent ils pas bien
que s’ils abandonnoient les Princes & le Parlement,
qu’ils abandonneroient leurs protecteurs
& leurs patrons, sans lesquels ils ne sçauroient
asseurer ny leurs biens ny leurs vies ? Ne
sçauent-ils pas bien apres cela qu’ils seroient
des peuples sans apuy, des gens sans suport, des
hommes sans vertu, & des aueugles sans conduitte ?
Ne sçauent-ils pas bien que leur force

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ne consiste qu’en cela ; & qu’ils ne seroient plus
que ces Samsons sans aucune espece de cheuelure ?

 

La seconde raison pour laquelle ils n’ont pas
voulu comprendre ny les Princes ny le Parlement
dans leur Amnistie generale est à dessein
de se deffaire par ce moyen là & des vns & des
autres ; s’imaginant qu’à mesme instant que les
peuples entendroient parler de cette Amnistie
generale, aiudes de la faire valoir à quel prix
que ce fut, sans considerer ny l’interest des
Princes ny l’interest du Parlement, non plus
que les graces qu’ils en auoient receuë, ennuyez
de tant de guerres, & passionnement desireux
de la paix, qu’ils prendroient inconsiderement
les armes contre les Princes & contre
le Parlement, pour se deffaire des vns & des autres.
Mais ie trouue qu’ils se sont fort mescontez
en leur calcul, & qu’il faudroit estre aussi
pernicieux que ces Ministres qui ont conseillé
au Roy de faire cette Amnistie mal intentionnée
pour tous ses sujets, pour n’en pas decouurir
la malice. C’estoit vne boëste pleine de
toute sorte de calamitez & semblable à celle
que Iupiter auoit donnée à Pandore, pour punir
les hommes des faueurs qu’ils auoient receuës
de leur Promethée. Aussi cette Amnistie
n’estoit conceuë que pour nous punir tost ou

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tard des graces que nous auons receuës du Parlement
& des Princes.

 

La troisiéme & derniere raison pour laquelle
ils n’ont pas voulu comprendre ces Messieurs
dans leur Amnistie generale, est pour se rendre
par ce moyen là absolument maistres des peuples
& afin que les peuples se trouuant sans
chefs, sans appuy, & sans conduite, il leur fust
tres facile de faire pendre les vns, & de charger
les autres d’vn nombre infiny d’imposts & de
subsides, iusques à deserter Paris, ou iusques à
le reduire en cendre. Ils ont témoigné trop d’aigreur
contre cette grande ville, pour ne nous
pas obliger soigneusement à prendre garde à
nous, & pour ne pas viure dans vne extreme
deffiance

La loy d’Amnistie ou autrement la loy d’oubliance
de tous les desordres, est vne loy que
Thrasibule tres Noble Capitaine Athenien, &
tres affectionné à sa patrie, introduit apres auoir
banny les trente tyrans de la Republique d’Athenes,
& apres auoir rappellé les fugitifs & les
exilez, & les auoir remis dans leur liberté premiere.
Et par ce moyen là il remit l’Estat dans
son ancienne splendeur & dans son premier
lustre. Ainsi à l’imitation de ce glorieux liberateur,
pour redonner vne veritable paix à tous
les Estats de France : ainsi à l’imitation de ce

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Capitaine, pour nous sauuer de la tyrannie tant
estrangere que domestique : Ainsi à l’imitation
de cét vnique Pere de la Patrie, pour asseurer
la Couronne à son veritable Seigneur ; il faut
que sa Maiesté nous donne cette Loy d’Amnistie,
auec toute la plenitude des graces que le
Prince est obligé de la donner à tous ses sujets,
s’il veut que Dieu la luy donne de mesme, lors
qu’il se presentera deuant le tribunal de son
adorable Iustice. Qui ne pardonnera pas à
ceux qui l’ont offensé, toute l’iniure qu’il en
a receuë, ne sera iamais pardonné luy-mesme
de celuy qui doit pardonner à tous les
hommes. Ie veux bien qu’il y en ait quelques-vns
qui se sont portez auec plus de liberté qu’ils
ne deuoient pas à dire des paroles vn peu licentieuses :
ou bien à faire des choses qui ne pensoient
pas beaucoup à ceux qui gouuernent les
affaires : Mais Dieu de qui ils se disent estre les
viuantes images, pardonne bien à toute vne
Ville, à cause de bien peu de Iustes. La Loy de
cét adorable Legislateur veut que l’on pardonne
autant de fois que le pecheur le requiert
de la personne offensée : & les maximes
des hommes ne veulent pas que l’on iette le
manche apres la coignée, si l’on ne veut tout
perdre.

 

Le Roy ne peut estre Roy qu’en conseruant

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ses sujets : point de peuples, point de Royauté ;
& ce qui le fait estre ce qu’il est, luy doit estre
plus cher que personne du monde. Thrasybule
ne fut chery des Atheniens, auec vne extréme
passion, que pour auoir chassé les Tyrans de
l’Estat ; que pour auoir remis les peuples dans
leur ancienne liberté : & que pour auoir absolument
pardonné tous les crimes à toute sorte
de personnes On ne void rien de si ordinaire
dans toutes les Histoires, que des Roys chassez
de leurs Estats, pour auoir voulu indignement
traitter leurs peuples. Ce n’est pas vne authorité
Royale que de faire perir tant de peuples
innocens, que de ne promettre que des gibets,
& que de n’auoir que l’esprit porté qu’à nous
accabler d’vne estrange seruitude. L’Authorité
Royale ne sçauroit estre heureuse, qu’entre les
mains d’vn Souuerain, qui fait vanité d’estre
tousiours enuironné de clemence. C’est la seule
vertu qui fait que leurs thrônes sont soustenus
par l’amour des peuples.

 

Il n’est que les bons Roys qui puissent faire
prosperer les Royaumes : & c’est ce qui a porté
autrefois les hommes à les placer sur le faiste
des honneurs où ils sont assis, en les choisissant
pour cela parmy tout le reste des creatures.
Dieu promit à Loth de pardonner aux habitans
de Sodome & de Gomorre, quoy qu’ils fussent

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coupables des plus horribles pechez que l’on
puisse faire, s’il se trouuoit seulement parmy
eux dix Iustes : & ceux qui pretendent estre offensez
contre nous, de ce qu’on ne s’est pas
voulu soûmettre aux loix d’vn joug insupportable,
ne veulent pas pardonner à des peuples
innocens, & qui n’ont iamais fait que des
actions de iustice.

 

Ne sçait-on pas bien que les sujets ne sont
obligez d’obeïr mesmes à leurs Souuerains,
que lors que leurs commandemens se trouuent
conformes aux loix fondamentales de
leur Monarchie. L’Empereur Trajan, qu’on
peut prendre pour le veritable modelle d’vn
sage Prince, commandoit à ses sujets de prendre
les armes contre luy, lors qu’il voudroit des
choses iniustes. Il y a tant d’exemples de cette
nature, que cela seroit trop ennuyeux de les
vouloir rapporter dans ce petit libelle.

Les Roys quoy qu’ils se qualifient Souuerains
independans, n’ont aucun droict de faire
quoy que ce soit, si leur volonté n’est appuyée
d’vne veritable Iustice : & s’ils veulent regner
heureusement, il faut qu’ils mettent des bornes
à leur puissance, & qu’ils obligent leur
Conseil d’Estat à ne rien faire à l’estourdy, ny
contre leur honneur, ny contre nostre bien,
ny contre leur gloire. Ce sont des flateurs &

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des mercenaires aueuglez qui eslargissent leur
conscience, & qui leur veulent persuader qu’ils
peuuent disposer de leurs sujets, ainsi qu’vn
Tyran peut disposer de ses esclaues : mais il faut
qu’ils sçachent que plus le Roy differe à donner
cette Amnistie generale en bonne forme,
& plus il trauaille à la ruine de ses Estats, & au
renuersement de sa Couronne. Les Espagnols
ont des Villes d’ostage en France : les armées
estrangeres sont parfaitement bien receuës au
cœur de l’Estat : les ennemis ont desia repris
toutes les Places que nous auions conquises sur
eux : L’Anglois fait des desseins & des descentes
sur nos ports : Les peuples commencent à
se lasser d’vn regne si accablé de guerres ciuilles :
Toute l’Europe ne tend les mains qu’à
nostre malheur, & tous les peuples ne semblent
qu’à conspirer à nostre perte ; & si auec tout cela
ils aiment mieux porter le Roy à perdre sa
Royauté, qu’à le porter à faire vne action de
clemence, qu’il est necessairement obligé de
faire, & pour son bien, & pour son honneur, &
pour son salut, & pour sa gloire.

 

Les campagnes sont ruinées, les Villes souffrent
des necessitez incroyables, le commerce
a cessé, les peuples ne sçauroient plus payer ny
les imposts ny les subsides, & tout le monde
commence à mespriser ce qu’il doit aux Puissances

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souueraines, & neantmoins ce Conseil
d’Estat ne laisse pas d’estre si aueuglé en son deuoir,
qu’il aime mieux voir l’Estat tout perdu,
que d’inspirer vne bonne pensée à ceux qui causent
tous nos desordres. Ne voyent-ils pas bien
que toutes leurs façons de faire, nourrissent
toutes les esperãces des ennemis de cette Couronne :
les armes sont iournalieres, & les succés
en sont incertains ; c’est pourquoy ils ne deuroient
pas souffrir que le Roy hazardast son
Royaume pour vne petite complaisance. C’est
vn seruice que vous deuez à Dieu, au Roy, & à
vostre Patrie : Vous le deuez à Dieu, au nom de
qui vous estes obligez de faire tout le bien qu’il
vous est possible : Vous le deuez au Roy, de qui
vous ne pouuez hazarder l’Estat, sans estre criminels
de leze Maiesté : & vous le deuez à vostre
Patrie, en faueur de qui vous estes obligez de
vous immoler vous-mesmes.

 

C’est vn seruice que vous deuez à la raison,
qui dit qu’il faut preferer l’interest public à l’interest
particulier : C’est vn seruice que vous deuez
à vostre conscience, qui vous defend de
perdre vn Royaume pour conseruer vne mauuaise
opinion : & c’est vn seruice que vous deuez
à tout l’Estat, si vous ne voulez estre traitez
comme vne partie cangreneuse.

La Reyne ne sçauroit dissiper les orages qui

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vont fondre sur l’Estat pour le perdre, qu’en
faisant cette Amnistie generale en tres bonne
forme, & qu’en ramenant le Roy dans Paris où
il est souhaité auec des passions extraordinaires.
Que si sa Maiesté continuë à suiure le mauuais
conseil de ses Ministres, elle expose le Roy &
son Royaume dans vn peril trop manifeste. La
Reyne Marie de Medicis luy doit fournir d’vn
tres puissant exemple pour cela, cette leçon
luy doit estre vtile, & luy apprendre que le Roy
venant à dessiller les yeux à tout ce qu’elle a
fait, luy pourra demander compte de sa mauuaise
conduite.

 

La Fortune est vne Deïté tellement inconstante,
qu’il n’y a point de puissance sur la terre
dont elle ne se iouë, quand bon luy semble.
La Reyne deuroit faire instruire le Roy à viure
auec quelque espece de mansuetude, plustost
que de luy former l’esprit à la haine de ses peuples.
C’est vne tres-mauuaise éducation pour
vn ieune Prince. On deuroit commencer à luy
donner vne parfaite connoissance de l’estat de
ses affaires, puis qu’il est Majeur, afin de le rendre
digne de la charge qu’il exerce. La science
Royale est si difficile, que la vie de l’homme
est trop courte pour la bien apprendre, c’est
pourquoy il me semble qu’on n’y procede pas
bien de ne luy en pas donner desia quelque

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teinture. Mais il faut que cette prudence politique
soit conforme aux loix diuines & aux
loix humaines, si l’on ne veut pas qu’elle luy
soit pernicieuse. Le Souuerain comme Mediateur
entre Dieu & les hommes, doit trauailler
pour la gloire de l’vn, & pour le bien des autres.

 

Mais pour cela, il faut qu’il ait des Ministres
d’Estat qui ne soient pas dans l’aueuglement
où sont ceux qui luy ont conseillé de faire vne
Amnistie qu’ils appellent generale, sans y comprendre
ny le Parlement, ny Messieurs les Princes :
car le bon Conseil c’est l’ame du Souuerain,
sans laquelle il seroit comme vn corps
sans mouuement & sans vie, veu qu’il est impossible
qu’vn seul esprit puisse donner ordre
à tant d’affaires.Nequè Princeps sua scientia cuncta
complecti, nec vnius mens tantæ molis est capax.

Les bons Conseillers portent librement &
courageusement à donner de bons conseils,
sans flaterie, sans ambiguité, & sans accommoder
leur langage à la fortune presente : bien loin
de faire comme ces mignons parfumez, comme
ces courtisans flateurs, & comme ces esclaues
de l’idole Mazarinique, qui pour assouuir
leur demesurée ambition, ne font que conspirer
contre les bonnes destinées de leur patrie,
& déguiser la verité à leur Prince.

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N’est-ce pas vn grand aueuglement à ces
Messieurs du Conseil d’Estat, d’enuoyer vne
Amnistie seulement pour les peuples, adressante
seulement au sieur Preuost Conseiller en la
grand’ Chambre, pour la publier seulement à
quelques peuples ramassez dãs le Palais Royal,
auec quelques Lettres où il y auoit ordre de la
Cour, de se saisir des principales places de la
ville, comme du Palais Royal, de la Bastille,
de l’Arsenac, de la Place Royale, & du Temple.
En suite de cela ils deuoient commander
aux seize Colonels de Paris de faire prendre les
armes aux Bourgeois, de se saisir de toutes les
portes de la ville, & faire main basse à tous ceux
qui se presenteroient pour les Princes. Et non
contens de toute cette belle procedure, ils firent
poser des affiches par tous les Carrefours
de la Ville où sa Maiesté enioignoit tres expressement
à tous les Bourgeois, & à tous les Habitans
de sa bonne Ville de Paris de prendre les
armes, de s’assembler, d’occuper les lieux & les
postes qu’ils iugeroient à propos, de combatre
ceux qui se voudroient opposer à leurs desseins,
d’arrester les Chefs, de se saisir des Factieux par
toutes sortes de voyes, & generalement faire
tout ce qu’ils verroient estre necessaire, selon
le pouuoir que sa Maiesté leur en donnoit par
cette Declaration qu’elle auoit signée de sa

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main, & fait apposer le cachet de ses Armes
voulant qu’elle serue de descharge & de commandement
à tous ceux qui agiront en quelque
maniere que ce soit pour l’execution d’icelle.

 

Examinons vn peu de grace l’aueuglement
de ces Messieurs du Conseil sur vne Amnistie si
bien construite, & si bien conceuë ; apres en
auoir examiné les consequences. Quand on enuoye
vne Amnistie generale, ne la doit on pas
enuoyer pour toute sorte de personnes ? Peut-elle
estre generale, puis qu’elle ne s’adresse
qu’aux seuls Bourgeois de Paris ? Messieurs les
Princes ne doiuent ils pas estre du nõbre ? Que
deuiendront donc ces Ducs, ces Comtes, ces
Marquis, ces Barons, ces Generaux d’Armées,
ces Gouuerneurs des Places & des Prouinces,
ces Capitaines d’Infanterie & de Caualerie, ces
Lieutenans, ces Enseignes, ces Soldats, & ce
nombre infiny d’autres Officiers qui les ont assistez
dans toutes ces guerres ? Faut-il que les
vns & les autres soient sans remission, pour auoir
chassé vn Estranger du gouuernement de l’Estat,
& de l’Authorité Royale qu’il auoit vsurpée,
& pour auoir deliuré le Roy & le peuple de
la prodigieuse tyrannie que ce funeste Ministre
exerçoit & sur l’vn & sur l’autre ? Que deuiendront
ces Conseillers & ces Presidens, ou pour

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mieux dire ces dignes Peres de la patrie, puis
qu’on ne fait non plus mẽtion d’eux dans cette
Amnistie generale que s’ils n’auoient iamais
esté au monde ? où se refugieront ces genereux
Achiles François qui de leur propre mouuement
& de leur franche volonté, se sont mille
fois exposez à la mort pour le salut de leur patrie ?
Et finalement que deuiendront tant de
femmes vefues & tant d’orfelins qu’on fera, si
l’on punit tous ceux que nous venons de dire ?
s’il n’y a point d’Amnistie generale pour tous
ceux qui ont choqué sa Maiesté Mazarinique ;
il faut se resoudre à faire perir non seulement
toute la France, mais encore vne partie de ceux
qui suiuent la Cour ; & ainsi deserter tout cét
Estat, & le faire habiter apres cela par des
estrangers, puis qu’ils se sçauent si amoureusement
vnir pour nostre perte.

 

Est cé là l’ordre qu’il faut tenir, Messieurs les
les ignorans, ou Messieurs les ennemis mortels
de vostre patrie, d’enuoyer vne Amnistie
generale à vn particulier nomme Preuost, pour
la faire receuoir dans la mauuaise forme où elle
est à des peuples qu’on veut perdre, apres
qu’ils auront perdu ceux qui ne se sont exposez
que pour leur salut, s’ils sont si sots de le
faire. Vne Amnistie generale doit-elle estre
particuliere & enuoyée à vn seul particulier ?

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ne doit-elle pas estre enuoyée à Messieurs du
Parlement pour voir si elle est de bonne foy &
en l’estat qu’il faut qu’elle soit : pour la faire verifier
& enregistrer, & pour la faire publier &
receuoir aux peuples ? n’est-ce pas là malicieusement
vouloir reuestir vn seul homme d’vn
honneur qui n’est deub qu’à toute cette celebre
Compagnie ? n’est-ce pas là ignorer ce que
vous deuezà cét Auguste Parlement ? ne sçauez-vous
pas que vous ne sçauriez destruire
l’ordre qu’on a estably de tout temps dans le
Royaume, sans faire vne iniustice & sans mettre
vn desordre public dans tout cét Empire ?
Nulla enim necessitas quantacunque sit, obtendi potest,
vult Imperator sub hoc prætextu leges Imperij, præsertim
fondamentales, subuertere illi liberum sit. Ne
sçauez-vous pas bien que le Roy ne peut equitablement
contracter auec son peuple que par
le ministere de son Parlement, & que c’est là
où tout ce qu’il veut faire auec eux se doit examiner
auec vne grande liberté de suffrages ?
Et finalement ne sçauez-vous pas bien que
c’est-là son lit de Iustice ? & ne sçauez vous pas
bien que, quod fl[1 lettre ill.]gitium est in principe, imperandi
imperitum esse ; sic in quouis Senatore ?

 

Est-ce là comme il faut faire pour donner la
paix à tous les sujets du Roy ? & n’est-ce pas là
les inciter à se couper la gorge les vns & les autres ?

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Que pouuoit-on esperer de mieux d’vne
sedition si criminelle, si les peuples eussent
prins les armes à la main comme vous le leur
commandiez, pour executer vos ordres ? vous
imaginez vous que tant de personnes interessées
pour la liberté publique eussent lasché le
pied sans coup ferir, & sans faire main basse de
tous ceux qui se seroient declarez pour l’execution
d’vne si funeste procedure ? faloit-il, pour
faire valoir vostre illustre Declaration employer
des gens ramassez, & des gens issus de la
lie du peuple ? sont-ce des personnes dignes
des emplois de cette importance ? sont-ce là des
personnes d’authorité & capables de la faire
considerer selon qu’vne Amnistie generale
doit estre considerée ? n’est-ce pas là faire administrer
les affaires plus importantes du souuerain,
par la plus ignorante & la plus irraisonnable
partie des trois Estats de ce Royaume ?

 

Est-ce là sçauoir mettre en pratique vne charge
qu’on ne sçauroit iamais exercer auec assez
de prudence ? est-ce en se saisissant du Palais
Royal, de la Bastille, de l’Arsenac, de la Place
Royale, du Temple, en faisant prendre les armes
aux Bourgeois, en se rendant maistre des
portes de la ville, en occupant les postes qu’on
iugeroit le mieux a propos, en tuant & massacrant
tous ceux qui se presenteroient, en arrestant

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les chefs & en se saisissant des factieux, en
mettant des affiches pour esmouuoir tous les
peuples à vne estrange sedition, & en voulant
consacrer tout Paris à vn deluge de sang & de
flamme, qu’on donne des Amnisties generales.
Et finalement est ce bien employer le nom &
le seing du Roy, que de s’en seruir pour vouloir
perdre tous ses peuples ? De grace où est ce
sens commun que vous deuez auoir pour vous
empescher de tomber dans des semblables
precipices ? & puis qu’elles suffisantes cautions
est-ce que le peuple reçoit de vous, pour s’asseurer
de n’estre pas attaché par son chien de
col, quand il se sera défait luy-mesme de ceux
de qui vous voulez vous deffaire à dautres, ie
vous prie, si la corde s’adresse à ceux qui la meritent,
nous vous conseillons de prendre garde
à vostre vaisselle.

 

Il faut que ces Messieurs les Ministres d’Estat
sçachent, nonobstant la perte de leur sens commun,
& nonobstant leur equiuoque d’Amnistie,
que les Princes sont des Ministres de Dieu,
en faueur de qui ils sont obligez de prier, & desquels
la mesme Sagesse leur defend de mal parler
en façon quelconque. Que la plus grande
foiblesse de ces Princes est de deferer vn peu
trop à ces valets reuoltez, non pas ny par lascheté
ny par ignorance ; mais seulement pour rendre

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la presomption de ces impudens Salmonées,
qui veulent aller du pair auec ces petits
Dieux terrestres, vn peu plus ridicules.

 

Il faut que ces Messieurs les Ministres sçachent
que les Princes ne sont faits que pour
humilier ceux qui s’éleuent vn peu plus qu’il
ne faudroit pas, comme vous faites, contre les
enfans de la maison ; & que pour rogner les ailes
à ceux qui se voudroient rendre redoutables
dans l’Estat à leur preiudice. Que s’ils ont
esté forcez d’en venir là par la voye des armes,
ce n’a esté que dans les mesmes deplaisirs qu’vn
Pere peut auoir lors qu’il est contraint de faire
coupper vn bras tout cangrené à son fils pour
luy sauuer la vie.

La Noblesse de France qui n’a pris les armes
sous l’estendart de Messieurs les Princes que
pour le salut de la Patrie, ne sçauroit souffrir
que les peuples fissent vne lascheté si grande,
que de les abandonner & les vns & les autres à
la mercy de leurs ennemis, sous les appas d’vne
fausse Amnistie, sans se vanger de cette perfidie.

Il faut que Messieurs du Conseil d’Estat sçachent,
nonobstant leur petite suffisance, que
Messieurs du Parlement de Paris ont vne Authorité
legitime & politique dans la connoissance
& dans l’administration des affaires des

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Roys & des peuples, & que l’Authorité Royale
se doit communiquer à eux plustost qu’à qui
que ce puisse estre. Il faut que Messieurs du
Conseil d’En haut, & Messieurs du Conseil
d’en-bas sçachent qu’ils ne peuuent rien establir,
ny rien ordonner dans la police generale
& fondamentale de l’Estat, qui ne soit verifié
du Parlement, pour estre valable. Il est bien iuste
& bien raisonnable, puis qu’il fait le corps
le plus important & le plus considerable de
l’Estat, qu’il se mesle & qu’il prenne connoissance
des affaires qu’il gouuerne, & duquel il
est responsable par la qualité de ses fonctions,
& par l’origine de son establissement, puisque
Senatus immortalis est, princeps vero mortalis. Et apres
cela Messieurs les malheureux Politiques, vous
serez si imprudens d’enuoyer des Amnisties imparfaites
& sans forme à la lie du peuple, au
mespris des Princes & du Parlement, sans y
comprendre ny les vns ny les autres. Il faut aduoüer
que l’ignorance, l’aueuglement, l’infidelité
& la trahison sont d’estranges imperfections
en la personne d’vn Ministre d’Estat, qui
soit quos assumat in partem curarum, qui sont les
vrais tresors de l’Estat, & les illustres Athlas du
Prince. C’est vne chose diuine que de bien deliberer,
parce que pour y bien reüssir, il faut
auoir quelque esprit de prophetie : Tout le

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monde n’est pas capable de cette dignité ; & ie
m’estonne qu’on vueille confier les affaires &
les secrets de l’Estat à des enfans enfarinez, qui
ne font que sortir de la censure scholastique,
Les ieunes gens sont ordinairement amoureux,
& tout amoureux est capable d’estre infidele
à son Prince, si l’objet qui le possede l’y oblige ;
c’est ce qui fait qu’ils ne sçauroient estre gens
de bien que par miracle. Par la mesme raison
ils manquent d’experience, qui est vne qualité
tres-necessaire pour bien administrer les affaires :
leur prudence & leur sagesse ne s’est que
trop manifestée par leur Declaration & par
leur Amnistie generale ; leur aueuglement, leur
flaterie, leur ambiguité, leur déguisement, leur
malice & leur perfidie n’ont que trop paru dans
toutes leurs procedures. Enfin ils ont fait voir
qu’ils estoient ignorans en leur profession, traistres
à leur pays, & tres-esclaues de la fortune
presente. Nec cum fortuna potius principis loquantur
quàm cum ipso. Mais pour bien faire il les faut recompenser
comme ils seruent, & les tenir pour
tels qu’ils sont. Nam singuli decipere & decipi possunt,
nemo omnes ; nominem omnes se fellerunt, de peur
qu’ils ne trahissent aussi bien le Roy que les
peuples, le Parlement, & les Princes.

 

FIN.

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Anonyme [1652 [?]], L’AVEVGLEMENT DV CONSEIL D’ESTAT DV ROY, AVEC LES RAISONS POVRQVOY L’ON DOIT refuser leur loy d’Amnistie. , françaisRéférence RIM : M0_468. Cote locale : B_2_23.