Anonyme [1649], L’ENFER, LE PVRGATOIRE, ET LE PARADIS temporel de la France. , françaisRéférence RIM : M0_1217. Cote locale : A_3_40.
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L’ENFER,
LE
PVRGATOIRE,
ET
LE PARADIS
temporel de la France.

A PARIS,
Chez FRANÇOIS PREVVERAY, grande
ruë de la Bretonnerie, proche la porte
Saint Iacques.

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

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L’ENFER, LE PVRGATOIRE, ET LE
Paradis temporel de la France.

C’Est vne façon de parler assez ordinaire que de
dire, parlant d’vne belle Maison, ou d’vne vie
heureuse, c’est vn Paradis terrestre, c’est vn petit
Paradis : on se sert aussi du mot d’Enfer pour exprimer
vne grande affliction, ou vn vacarme ; & lors qu’on souffre
patiemment quelque malheur ou incommodité, on
dit volontiers, ie fais mon Purgatoire en ce monde. La
difference qu’il y a dans la similitude que ie fais, est que
dans l’Enfer effectif, il n’y a point de redemption, & que
de celuy que i’ay dessein de vous representer, l’on sort,
pour entrer dans le Purgatoire, & de là dans le Paradis.

Comme il n’y a pas beaucoup de contentement à s’arrester
en Enfer, ie n’y demeureray que fort peu ; veu aussi
que personne n’ignore, & que tout le monde a ressenty
les Calamitez, qui ont affligé la France depuis trente ou
quarante ans en çà : Iamais l’image de l’Enfer n’a esté si
bien representée, que par les guerres, les concussions,
les meurtres, les emprisonnements & les bannissements,
que l’auarice & l’ambition ont fait souffrir à la France,
Representez-vous des Reynes Meres & des Princes du
Sang bannis, la Iustice enchaisnée, des Presidents bannis,
emprisonnez & empoisonnez ; des bourreaux respandre
le sang de la plus belle Noblesse, les Eglises pillées,
les Religieuses violées, & la Croix seruant de trophée
aux Heretiques du Nort, par la politique impie de

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ces ambitieux Ministres : Representez-vous le Vice triomphant
de la Vertu, & dans la possession des Charges & des
hautes fortunes ; des gens de neant viure en Princes, & les
Princes contraints de leur faire la cour. Mettez-vous deuant
les yeux le carnage de tant de sieges & de tant de batailles,
les Villes desertes, les familles priuées d’heritiers,
les campagnes rauagées, & des villages entiers ramassans
les mietes de ces mauuais Riches. Imaginez-vous voir vn
Intendant de Iustice entrer dans vne Prouince, accompagné
d’vne legion de satellites, qui mettent l’horreur & le
desespoir dans le cœur des pauures villageois, l’vn prend
la fuite, l’autre est battu, & l’autre emprisonné ; les femmes
& les enfans remplissent l’air de cris, on leur enleue
iusques à la chemise, & la seule mort est capable de remedier
à leurs maux ; representez-vous des Regiments des
Gardes, & des fourmilieres d’autres filous, qu’on ne paye
pas exprés, afin que le Bourgeois soit matté, & viue dans
vne crainte perpetuelle ; N’en auez vous iamais eu vne
demy-douzaine sur vous, le poignard sur la gorge, vous
oster la bourse & le manteau ? auez-vous veu quelque
nuict se passer sans deux ou trois hommes tuez ? & le plein
midy mesme tesmoin de ces meurtres & de ces brigandages.
Il suffisoit auoir la liurée de Monsieur tel, pour sauuer
vn homme du gibet, en despit de la Iustice, pour ruer
impunément vn honneste homme de coups de bastons,
pour en tuer vn autre, & pour jetter des meubles sur le
carreau ? Et pour tout dire en vn mot, a-t’on iamais veu
vne Nation si laborieuse pauure en vn tel poinct ? vn peuple
si obeïssant, tellement gourmandé ? vn peuple si vaillant,
tellement opprimé ? vn peuple si franc & si bon,

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tellement abusé & trompé ? & vne terre si fertile, si remplie
de peuples, qui mourroient de faim ? Ie n’aurois
iamais fait si ie voulois depeindre toutes les miseres de
la France ; l’encre n’y est pas propre, il faudroit vn
crayon de sang. C’est pourquoy passons au Purgatoire,
& y demeurons le moins que nous pourrons.

 

Ie ne diray pas que Paris s’est purgé, & se doit purger
de beaucoup de meschantes gens. Nostre Purgatoire
n’est pas pour eux, il est bien juste, puis qu’ils ont basty
l’enfer, qu’il leur demeure en partage ; Ie parle des bons
François, & de la misere qu’il souffrent, pour se rendre
dignes d’vne meilleure fortune. Ie comprends dans ce
nombre là, tous les Marchands des autres Villes qui
trafiquoient auec Paris, mais particulierement la ville
de Paris, & les lieux circonuoisins, qui ont esté, & qui
sont encore rauagez des gens de guerre, qui perdent
beaucoup & ne gagnent rien. Pour la misere de Paris
chascun la ressent & la cognoist. On souffre la faim, on
va à la garde, on despence beaucoup, & les gains sont
fort petits.

Mais quelqu’vn me dira pourquoy faites vous distinction
de vostre Enfer auec vostre Purgatoire ? ou
plustost pourquoy ne faites vous pas de vostre Purgatoire,
vostre Enfer ? puisque la faim est le plus horrible
de tous les maux, & que Paris n’a jamais esté en si piteux
estat. Ie vous ay desia dit, que nos ennemis ont
l’Enfer pour partage, ce n’est pas qu’on ne souffre
beaucoup dans Paris. Mais la difference qu’il y a entre
l’Enfer & le Purgatoire, est que dans l’Enfer on blaspheme,
on maugree, on se desespere, & dans le Purgatoire
on benit Dieu, on ayme les souffrances, & on

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espere ; Mais me repliquera-t’on encore, surquoy fondée
cette esperance ; sur la bonté de Dieu qui n’abandonne
jamais les innocens, sur la Iustice de la cause,
& sur les prieres de tant de bonnes ames, qui sont capables,
si nous croyons en la sainte Eglise, de deliurer
les ames du Purgatoire, & enfin sur l’Eglise mesme qui
s’est declarée, & qui a joint l’espée de saint Paul à la
clef de saint Pierre pour nous faciliter la sortie de ce
Purgatoire. Mais puis qu’il est permis lors qu’on est en
Purgatoire de penser aux ioyes de Paradis, & de les anticiper
par vne forte esperance, taschons de nous en
former vn idée, selon que la Iustice de Messieurs des
Parlements, & la generosité de nos Chefs nous la promettent.
Et parce qu’il est tres-mauuais de passer soudainement
d’vne extremité à l’autre, c’est à dire de la
disette à l’abondance, sortons comme insensiblement
du Purgatoire, & entrons de la mesme sorte dans le plus
bas degré de la felicité de nostre Paradis.

 

Si la Conference de Ruël reüssit, nous voila dans le
Paradis, car encore toute peine merite-t’elle salaire, &
tout crime punition : Mais si la conscience des perturbateurs
ne leur permet pas, d’en venir à vn accommodement,
& les oblige de jetter le manche apres la coignée,
il faudra qu’ils quittent bien-tost les postes d’alentour
de Paris, parce que tout le plat païs y est ruiné,
qu’ils n’y ont pas de forte place, & que le sang des Parisiens
commence à sentir le Printemps ; il faudra donc
qu’ils aillent brouter en vn autre pasturage. La terreur
qu’ils mettront dans la campagne, obligera les plus riches
de se refugier à Paris, qui s’est monstrée imprenable ;
les Marchandises qui sont arrestées de tous costez,

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y aborderont auec la mesme abondance, qu’vn fleuue
arresté par quelque digue, le pousse vers la mer lors
qu’elle vient à se rompre, & ie vous laisse à penser comment
chascun se refera le nez, & comment les pistoles
des champs rempliront les places de celles qui
sont sorties de nos bourses, si jamais la desroute est
dans les Allemands & les Polonois, iugez quelles despoüilles
emporteront nos soldats & nos païsans, &
que plaisir ils prendront de venir se remplumer à Paris,
& tout cela au profit du marchand & de l’artisan.

 

L’esclat de nos victoires & de nostre prosperité desillera
ensuitte les yeux de la Reyne & des Princes de son
party, qui prieront leurs mauuais Ministres de se retirer,
ou plustost regnoissant par les effects la malignité
de leurs conseils, deschargeront tout leur despit sur
eux, & pour rentrer dans l’esprit des peuples, & dans
la bonne estime de la Iustice, luy liureront ces boutefeux,
afin qu’ils soient chastiez selon leurs demerites.
Ie vous laisse à iuger de la ioye que chascun receura de
cette reünion du Chef auec les membres, du Roy auec
ses sujets, ie ne vous diray rien aussi des acclamations
publiques de la pompe de l’entrée du Roy, tout cela
sera beau, mais ce n’est pas encore là le bon de nostre
Paradis.

Comme il n’y a point de guerre en Paradis, aussi la
felicité du nostre sera t’elle fondée sur vne paix generale
par toute la Chrestienté. Pour payer les debtes publiques
que le Parlement aura faites pour la guerre,
on confisquera les biens de ceux qui l’auront merité,
& que le Roy accusera & detestera luy mesme, & leurs
charges seront données en recompense à ceux qui auront

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preferé le bien public, à la faueur & à leur fortune
particuliere. Pour le soulagement du peuple, ie vous
laisse à penser si Monsieur de Broussel aura moins de
lumieres pour en trouuer les moyens, que les partisans
n’en ont eu pour l’opprimer. Au lieu que les imposts se
sont mis cy-deuant sur les denrées les plus necessaires
à la vie, comme le sel, le cuir, le vin & autres semblables,
il ne s’en mettra d’oresnauant que sur les choses
superfluës, & celles qui seruent au luxe. Le Roy ne sera
plus craint de ses suiets, mais il en sera aymé, & n’aura
des gardes que pour maintenir l’esclat de sa dignité
Royale ; & non pour enleuer les membres du Parlement,
& les forcer dans leurs resolutions. Les principaux
Officiers de la Couronne ne pourront abuser de
la bonté & puissance des Roys, & seront suiets à la censure
de la Iustice, comme le reste des sujets, bref l’équité
sera le piuot sur lequel rouleront toutes les machines
de l’Estat, ce sera le Soleil où s’adiusteront tous
les horologes, & le miroir où se iugera de la beauté ou
difformité de toutes les actions. Quant aux particularitez
du repos & de la felicité des peuples, pour ne point
vser de vaines repetitions, les choses seront toute au
contraire, que ie les ay depeintes dans l’Enfer, &
Messieurs du Parlement prendront à tasche chasque
iour quelqu’vne de ces mauuaises maximes & habitudes
pour les desraciner, & les malheurs passez seruiront
comme de regle à nostre presente felicité, de mesme
que le Soleil imprime sa chaleur & sa lumiere sur
les traces de la froidure & de l’obscurité de la nuict.

 

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