Anonyme [1652], L’ENTRETIEN DES MVSES A MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDÉ. SVR SES VICTOIRES, ET SON Retour à Paris. , françaisRéférence RIM : M0_1239. Cote locale : B_6_43.
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L’ENTRETIEN
DES MVSES
A MONSEIGNEVR
LE PRINCE
DE CONDÉ.

Sur ses Victoires, & son Retour à Paris.

 


Dans la viue chaleur du beau feu qui m’enflamme,
Plein d’vn puissant Demon qui possede mon ame,
I’entre dans les Conseils, i’ouure les cabinets
Des plus Hauts Souuerains i’éclaire les secrets.

 

 


C’est à toy, Grand CONDÉ, que ma muse s’adresse
Prince victorieux, c’est toy qu’elle carresse.
Si tu veux l’honorer d’vn regard de tes yeux,
Baisses le haut sourcil de ce front glorieux :
L’ombre que les Lauriers y font de leur Couronne

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Ne sert qu’à redoubler l’éclat qui l’enuironne,
Et marquer à nos yeux mille brillans exploits
Dont tu vainquis l’Espagne & le cœur des Gaulois.
C’est ce front où ie vois, cõme dans vn grand Liure,
Monument bien plus beau que le marbre & le cuivre,
Norlinguen & Rocroy, Dunkerque & Philisbourg,
Le Triomphe de Lens, & celuy de Fribourg,
Tant de fleuues domptez, tant de Ville gaignées,
Tant d’assauts furieux, tant de rudes seignées
Dont les peuples Flamens tant de fois affoiblis
S’en alloient expirer sur les riues du Lis,
Dont les fiers Nourriçons que produit l’Allemagne,
Tant de fois affoiblis, aussibien que l’Espagne,
Sous l’effort de ton bras, sous le pieds de ton fer
Sur les riues du Rhein s’en alloient expirer.
Quand d’iniustes liens jaloux de nostre gloire
Arrestans auec loy le cours de la victoire,
Tirerent ces vaincus des bords du monument
Lors qu’ils estoient reduits à leur dernier moment,
A ce moment fatal qui par ton cimeterre
Auroit veu terminer leur Empire & la guerre.
Mais enfin ta vertu qui n’a point d’horizon
Triomphant en tous lieux triomphe en la prison :
Et comme le Soleil prisonnier de la nuë
Redouble, quand il sort, sa clarté retenuë,
Et bien que pour vn temps il soit enuironné
De ces subtiles eaux qui l’ont emprisonné,

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C’est pour les dissiper que son œil les regarde,
Autant de coups mortels sont les rayons qu’il darde,
Elles ne laissent rien aprés vn vain effort
Que des vents ou des pleurs qui regrettent leur sort.
Grand Prince, ta prison a redoublé ta gloire,
Et la posterité lira dans ton Histoire
Qu’vn mesme iour a peu te sauuer & vanger,
Et te rendre à la France, & chasser l’estranger.
En vain il se prosterne aux pieds de ton Altesse,
Chacun de tes regards est vn trait qui le blesse,
Il fuit & cherche en vain le sein d’vn Protecteur,
Pour y jetter des cris & répandre son cœur.

 

 


Aprés tant de succez, aprés tant de conquestes
Es-tu pas à l’abry des plus noires tempestes,
Ou si tu crains la foudre il n’est point de Guerriers
Qui ne doiuent trembler à l’ombre des Lauriers.
Le Mazarin banni, ce Tyran dont la rage
Donnoit à ses cheuaux nostre sang en breuuage,
Au Lyon dépoüillé, celuy dont la grandeur
Au Lyon Neme en iadis auroit fait peur,
L’Aigle plus fier oyseau que tous ceux de Stymphale
Qui vid cheoir à tes pieds sa plume Imperiale,
Enfin l’Enfer vaincu, les Gerions chassez,
Sous la grande Iunon tant de trauaux passez
Ne laissent rien à craindre, Hercule, à ton courage,
Vn seul de tes regards peut dissiper l’orage,

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Et contre les efforts d’vn second attentat.
Il n’est point de François qui ne soit ton soldat.
Ton sang qui fume encor en mille & mille plaines,
Ce beau sangnant de fois répandu de tes veines,
Appelle à ton secours tous les hommes de cœur
Qui n’apprehendent point de répandre le leur ;
Ces orgueilleux témoins de ces grandes batailles,
Qui parmy les Cyprés de mille funerailles
Marchans dessus tes pas ont courus les sentiers
Qui meinent la valeur dans le champ des lauriers :
Par tant de beaux exploits en moins de six années
Ils sçauent que ton nom regle nos destinées,
Que nos Lys en tes mains ne peuuent se flestrir
Arrossez d’vn bonheur qui ne sçauroit [2 lettres ill.]rir.
Et le peuple affranchi par ta haute constance
Du joug de ses Tirans & de leur esperance,
Sçachant que ton danger est son propre hazard,
Te fera de son cœur vn fidelle rampart.

 

 


Ainsi d’vn beau lien sans crainte de diuorce,
L’amour des Citoyens s’vnissant a la force,
Le peuple & le soldat ennoollez sous tes loix,
Pour marcher où tu veux n’attendent que ta voix.
Mais en quelque pays que ton chemin s’adresse,
Il n’est point de Cité qui te fasse caresse,
Qui ne cede à l’honneur dont t’accueille Paris,
En amour, en respect il emporte le prix.

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Et i’ose t’asseurer que de tout ce grand nombre,
Il n’est point d’ennemy qui ne craigne ton ombre,
Il n’est point de François qui n’ayme tes vertus,
Condé retournes donc & ne differes plus.

 

 


Ma muse ainsi chantoit sur le bord de la Seine,
Ie ne sçais si l’Echo de cette humide plaine
Fit retentir ma voix aux riues d’alentour,
Mais ie sçay qu’à Paris le Prince est de retour.

 

FIN.

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Anonyme [1652], L’ENTRETIEN DES MVSES A MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDÉ. SVR SES VICTOIRES, ET SON Retour à Paris. , françaisRéférence RIM : M0_1239. Cote locale : B_6_43.