Anonyme [1652], ADVERTISSEMENT DONNÉ A MONSIEVR LE PRINCE PAR VN BON FRANÇOIS, sur la trahison découuerte du Mareschal de Turenne contre la ville de Paris. , françaisRéférence RIM : M2_33. Cote locale : B_7_35.
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ADVERTISSEMENT
à Monsieur le Prince.

AV plus doux temps de la tranquilité Romaine, &
lors que la porte estoit ouuerte, à la liberté de toutes
sortes d’accusations, Bien que ce peuple fust
regy por les feules loix du Prince d’iniquité en la
pure adoration des Idoles, sans aucune reconnoissance du
vray Dieu. Le nom d’accusateur estoit si odieux entre les
bons & graues personnages, que Ciceron (le pere d’Eloquence
ayant entre pris sa premiere accusation) s’excuse auec
crainte (comme d’vn crime) de ce qu’ayant auparauant deffendu
vn si grand nombre de personnes, il entroit en vne
poursuitte criminelle, encore que ce fust pour le bien de
l’Estat & interest de la chose publique. Donc à bien plus
forte raison, ceux qui habitent la France, & principalement
Paris : (le plus doux accueil de la Religion Catholique) où
les Citoyens d’vn feruent zele, se rendent les Religieux domestiques,
où se font eux-mesmes Hermites & Religieux
viuans la pluspart en vne apparence de regle si estroitement
religieuse, qu’ils se font estimer plustost pencher du costé
de la superstition que d’vne libertine incredulité. A plus
forte raison (dis ie) doit-on trouuer rude & estrange, qu’en
cette saison) si pleine d’apparence de deuotions & charitez
Chrestiennes) on voye sortir de cette ville (tant celebre en
toute Pieté & Iustice) vn si grand flux, non seulement d’accusations ;
mais plustost de condamnations, contre celuy
que chacun deuroit exclure & chasser. La Pieté dort d’vn
profond sommeil, la Charité se refroidit, l’Humilité deuient

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[37 lignes ill.]

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contre vn barbare Sicilien & impitoyable esclaue
de nos Roys. Estimant faire vn aussi digne seruice au Roy &
à la France que Dauid fit à Saül & à tout le peuple de Dieu,
quand il entreprit le combat contre Golliat. Ie suis François,
& de la bonne marque de ceux qui n’ont iamais participé
à aucune faction ou ligue contraire à l’obeïssance deuë
par les subjets ; naturellement ennemy de toutes reuoltes : il
ne me peut estre mal seant de deffendre nos Princes en leur
absence, & l’honneur de la France qui est en leurs personnes
(par la participation naturelle qu’ils ont de celle du
Roy.) Or pour entrer en lice & oster la terreur que ce barbare
pourroit apporter aux plus simples François, il m’a
semblé à propos de leur découurir qui il est & de quelles armes
il se sert.

 

Il est, dit il, vn vieux Sicilien : il faut donc qu’il soit issu
de ces Siciliens qui passez en Grece du temps de Pirrus, furent
vaincus & reduits en seruitude. Ou de ceux par l’escorte
desquels, Brennus alla donner la premiere gloire aux armes
Romaines. Ou de ces Cimbres qui sous la conduite des
Teutobocus, furent mis en telle route & desordre, par Marius)
que la plus grande partie s’estrangla, ou noya par desespoir
aux torrents des Alpes. Ou bien de ceux qui restez
aux Gaulles furent le sujet de la renommée du Iules Cesar,
premier Monarque de ce grand Empire. Or soit que ce Sicilien
descende des serfs, des vaincus, ou des chassez : l’humeur
en est tousiours tres-redoutable & la reputation fort
abaissée par tous ceux qui en ont escrit. Plutarque le plus renommé
des Historiens de son temps ; dit, que ces premiers
esclaues de Grece furent reconnus si meschans, que la Nation
en fust estimée la mere de toute barbarie, trahison &
cruauté. Et que les gens de Silla (l’vn des plus cruels de son
âge) ne pouuans trouuer entre les plus inhumains de leurs
trouppes, vn qui voulust entreprendre (pour quelque prix
que ce fust) le meurtre de son ennemy Marius : ils s’adresserent
à vn Sicilien qui leur ayant promis de le faire, fut si
épouuanté de la Majesté de sa face, qu’il ne l’osa executer.
Et n’y a vn seul Autheur, de quelque estime qu’il soit, qui

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en donne à ces vieux Sicilien, le renom de cruels & barbares.
Cesar mesmes sous la puissance duquel fut aboly l’Empire
(non des vieux, mais des derniers Sicilien) les baptize
de cette epitette, il dit toutefois, qu’entre ceux de cette nation,
il y auoit les Druydes, habitateurs de forests, lesquels
auoient le cult de la Religion, le soin de l’instruction de la
jeunesse Gaulloise ; & qui rendoient soigneusement la Iustice,
sur les differends de leurs hommes.

 

Pour découurir donc desquels est cestuy-cy, il se peut juger
par le commencement de son discours, où il declare tout
appertement, Monsieur le Prince & les autres Seigneurs
joincts à luy, des-obeïssans & rebelles au Roy, perturbateurs
du repos public, & causes de la ruïne de la France. Qui
est vne forme de iugement de tout inusitée, dans les Nations
policées ; & fort contraire à la pratique des Druydes, qui par
vne influence celeste du grand Dieu (qui vouloit descendre
& voir auant que iuger) examinoient soigneusement le
droict des parties, & estoient plus penchans à la iustification,
que seuere à la condemnation des accusez. Nostre
Sicilien n’estant point buriné des marques de la Iustice de
ces Druydes, il est facile à colliger, qu’il est certainement de
l’ancienne tige barbare. Et cette nature reconneuë, la consequence
conclud necessairement, qu’estant des vieux il en
est d’autant plus à craindre par les François. Les Philosophes
naturalistes disent, que les inclinations naturelles de
tous les animaux, leur vont tousiours en augmentant :
C’est pourquoy les anciens ont fait tourner leur prouerbe
qu’il n’est chasse que de vieux chiens, ny malice que de vieux
singes. Ainsi peut-on dire qu’il n’y a cruauté & infidelité que
de vieux Sicilien.

C’est doncques aux François (peut estre aseneantis dedans
l’asseurance d’vne possession tranquille de tant de centaines
d’années, aduertis de ce nouuel aduenement ou plustost
soulement Sicilien) à se tenir sur leurs gardes. Mais il
est d’autant plus aisé à s’en laisser surprendre, qu’il ne paroist
point en armes découuertes : mais au contraire il porte Oliuier
en sa main & le poignart en sa pochette. C’est vn loup

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reuestu de la peau d’vn agneau : Et Satan qui paroist sous vn
visage. Car son langage est écrit d’vne plume succrée, & ses
paroles plus douces que le miel : Et au surplus entierement
remply de sophismes & captions, pour attraper en ses rets les
plus foibles creances des peuples. Les larmes des crocodiles
d’Egypte, les melodieux chants des Sirenes, les doux allechemens
de Circe, les accordans accords de la Syre d’Amphion,
ny les rauissans attraicts de la Harpe d’Orphée, n’estoient
point plus dangereux que la trompeuse main de ce
Sicilien. Il n’y a rien de si humain que sa voix, ny de si cruel
que le sens de ses paroles. Bref, il est éclos de quelque vieil
œuf Sicilien couué dedans les chaleurs des plaines Pyrenées.
Aussi les Gaullois vaincus par nos anciens François y
firent ils leurs retraites, auparauant sous le nom de Gots &
Vizegots, & sous celuy d’Ostrogots. Tant est que toutes les
puantes nuées & pestilentieux orages qui ont enuenimé la
France, sont venus de la race de ces gens là & de ce mesme
costé. Des Gretseres, des Hildebrands, Garnets, Sa, Moline,
des Guignards, Belarmins, Marianes, & autres plumes
enchanteresses graines & seminaires de toutes rebellions,
abominations & meurtres : dont les ames Gaulloises,
plus ardemment excitées au retour de leurs anciennes natures,
de trahisons, & cruautez, se sont souleuées parricides
de nos Roys. Des Clemens, des Barriers, des Chastels &
des Rauaillacs inhumains, engendrez de cette semence de
barbare.

 

C’est pourquoy, ô François ! Il ne vous faut pas croire
toutes flateuses paroles, ny adjouster foy aux douces apparences :
Le meilleur est de se tenir entre la crainte d’estre surpris,
& la resolution de se defendre : La deffiance est mere
de seureté ; Les bien a luisez regardent les effets, auant que
de croire aux paroles : Les brebis reconnoissent le loup à son
haleine puante. Saint Paul dit que Satan se transforme souuent
en Ange de lumiere : Les sages pelerins fuyent le crocodille
à ses larmes : Les prudens Nautonniers esquiuent
les chants des Syrenes : Et les Vlysses se deuelopent aisément
des allechemens de Circe. Les hommes n’ont point esté

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attirez par la musique d’Amphion ny d’Orphée : Il n’y a eu
que des pierres & des bestes sauuages qui s’y soient amusées.
Vous sçauez donc le nom de ce Champion, le naturel vous
en est donné à entendre, ses charmes vous sont enseignez :
Ce n’est qu’vn Patrocle sous les armes d’Achilles, duquel ie
deueloperay les intrigues, non point par solutions captieuses,
mais par les secrets de la pure verité.

 

Et pour n’entrer en cette dispute auec auantage, ie demeureray
d’accord, ô Gaullois, de toutes vos maximes : Que
les guerres sont l’entiere ruïne des peuples, ceux qui se soûleuent
contre leur Roy, par factions, seditions & leuées de
gens de guerre, rebelles : Que le contentement d’vn Roy
est de donner & mesurer ses dons, est l’empescher d’estre
Roy : Que l’on s’est tousiours plein de ceux qui ont esté employez
au gouuernement : Qu’il y a eu plusieurs alliances
estrangeres, & Officiers de la Couronne Escossois, Flamands,
Italiens & Corces, qui n’ont point donné d’entrée aux factions
ou entreprises estrangeres, pour enuahir la France :
Que les alliances se font pour auoir la paix : Et que l’Espagnol
nous fait la guerre ; par pratiques intestines & cachées
(comme vous dites.) Ie ne veux point contredire
toutes ces maximes : Mais quant aux mineures (comme
captieuses & sophistiques) i’en distingueray aucunes & les
autres. ensemble toutes les consequences, ie les denieray
absolument, comme erronées, dangereuses, & pernicieuses
pour l’Estat : Et tout ainsi que vostre discours, composé
de ruses Gaulloises, entierement orné des plus belles fleurs
de la langue Françoise, & vostre demeure vous obligent à la
creance d’vne mesme soy, & d’vne mesme loy que la mienne,
i’entends aussi de demesler vos artifices, par toutes raisons
politiques, & lumieres de la verité Chrestienne.

Et respondant à vostre premiere mineure d’accusation,
par laquelle vous supposez les actions de ce Prince rebelles ;
sa retraite, vne des-obeïssance ; la leuée de ses gens de guerre,
vne impieté pour détruire son païs : Que tous ses desseins
aboutissent à faire acheter de nouueaux ses mécontentemens,
& que son ambition le porte au de sir d’auoir les plus

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grands Offices du Royaume, de commander dedans les
Prouinces, & des Villes de couurir les armes de couronnes
formées : E a quelque prix que ce soit, d’acquerir par le sac
vniuersel & totale ruine de la France, vne puissance égale
à celle de son Prince. Ie dy (comme cy-deuant) que de
condamner vn homme sans l’ouïr, sans luy faire son procés ;
c’est interuertir toutes les formes de justice diuine &
humaine & reuenir à vn vsage barbare, qu’il faut que vous
sçachiez n’auoir plus de lieu en France il y a bien mil ans.
Nous viuons souz les loix d’vn Prince Chrestien, que rend
la iustice à ses Subjets, tout d’vne autre façon que ceux sous
lesquels vos ancestres auoient fait leur retraitte : Vn seul
témoin n’est pas suffisant pour la conuiction des hommes,
nostre Sauueur Iesus. Christ le nous apprend, & qu’il n’est
permis de iuger de la conscience d’autruy, Et bien que la
premiere loy du Talion, qui nous est enseignée par la Genese,
l’Exode, le Leuitique, le d’Euteronome, & par Saint
Mathieu en son Euagile, que les Romains auoient anciennement
tirée des douze tables, ne soit entierement pratiquée
en nostre France : Si est-ce que le crime de calomnie
où vous tombez le meriteroit grandement, pour son enormité,
& le respect de la personne que vous calomniez en
telle sorte, sans égard de vostre lignage, puis que vous succez
comme nous le doux laict de la liberté Françoise souz
les Ordonnances de nos Rois, du sang desquels il est le plus
proche, & de necessaire conseruation pour le salut de l’Estat,
& de tous les bons François.

 

C’est à mon aduis, l’occasion qui vous en fait si furieusement
persuader la ruine. Et (déplaisant de la paix nouuellement
faite auec luy) en émouuoir nouueau pretexte
de guerre, comme vous faisiez és années 1584. 85. 86. 87.
1588. pour bastir vostre Ligue cõtre le Roy Henry III. (qui
n’estoit second à personne, en Pieté, Iustice & Religion.)
Toute la difference que l’on y peut apporter est, que lors,
n’estant en la grace de ce Prince, vous ne parliez que de desobeyssance,
de souleuemens, d’affranchissemens, de seditions
& rebellions cõtre le Roy. Vos Predicateurs offroient

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en sacrifices à leurs Holocaustes pour l’abolition des crimes
des pauures gens, de plus legere & simple croyance. Il
vous faisoient adorer comme Dieux pour vôtre argent. Et
auiourd’huy que vos dissimulations Françoises ont tyranniquement
occupé la bonté de la Reine, beniste entre les
femmes de nostre temps, & mere de toute benediction)
vous ne preschez plus que l’humilité & l’obeissance. Mais à
qui ? à vous Monsieur le Mazarin. La mesme cause premiere
(qui vous fait aujourd’huy appeller ce Prince rebelle, &
si ardamment crier cette obeïssance & seruice du Roy) est
vôtre profit particulier qui vous faisoit prescher la sedition,
la reuolte, le sang & le meurtre des bons Frãçois, que vous
appelliez politique : Et enfin vous fit commettre le damnable
parricide de ce bon Roy tres-Catholique, par la main
d’vn Moine Iacobin, que vous iugiez luy estre de plus facile
accez, estant vestu de l’habit d’vn Religieux.

 

De ce mesme artifice est couuert le pretexte bazanné
dont vous tirez vostre excuse, pour dire que Monsieur le
Prince s’est retiré : a leué des gens de guerre qui ont mécontenté
les Champenois, & ruine ceux de Soissons : Il a
eu cy-deuant des presens de la Reine apres des mécontentemens.
Et par consequent il est rebelle & ambitieux, non
seulement des premiers Offices du Royaume, de commander
aux Prouinces & aux Villes, mais d’acquerir au prix du
sang des subjets du Roy, & ruine de la France, vne puissance
egale à la sienne, comme firent les Ducs de Bourgogne
& de Bretagne. Voila pas vne belle conclusion & consequence
bien necessaire ? Comme si chacun ne sçauoit pas
bien que Monsieur le Prince n’auoit pas vingt hõmes auec
luy, quand il passa de Chasteau roux en Champagne. Que
Messieurs du Mayne & de Longueville n’auoient pas trois
hommes, outre leurs trains ordinaires, plus deux mois
apres qu’ils furent à Soissons, Messieurs de Neuers & de
Boüillon estoient quasi seuls en Champagne, quand vous
monsieur le Mazarin, & autres Rois de l’Escritoire, regnãs
paisiblement en France sur la bourse du Roy, & celle de ses
Subjets (aigrissans la douce humeur & prudente volonté

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de cette bonne Princesse) l’a voulustes porter aux extremes
rigueurs de toutes sortes d’injustice.

 

Vous confessez par vostre escrit que les plaintes de Monsieur
le Prince sont bonnes, mais qu’il les deuoit faire de
bouche : Pour ce que son éloignement leur fait changer de
face, & recognoistre qu’il ne les aduance, que pour seruir
de pretexte à son mauuais dessein. A quoy ie dy, que puis
que vous auez l’asseurance de calomnier vn tel Prince de
tant de crimes capitaux, vous auriez bien encore l’audace
de dénier absolument ses plaintes, s’il y en auoit aucune
non veritable Vous me pouuez nier puisque vostre écrit
le porte, que vous auiez tellement preoccupé l’esprit de
la Reine, d’vne opinion de puisãce absoluë, pareille a celle
du defunct Roy : & qu’il n’estoit besoin ny à propos de donner
aucune participation ou connoissance des affaires aux
Princes du Sang, (de peur qu’ils n’en prissent trop grand
aduãtage) ains au contraire qu’il les en falloit reculer. Que
si elle n’eust esté plus iuste enuers les Princes, & charitable
enuers les François, que vos Conseillers ne luy estoient fidelles,
elle n’eust pas (incontinent apres le deceds du feu
Roy) enuoyé querir Monsieur le Comte de Soissons, pour
luy bailler le Gouuernement des affaires, souz l’authorité
de sa Regence ; n’y depuis encore fait le semblable à Monsieur
le Prince de puis son retour.

Mais ayant en cela lezé vos fallaces intentions Mazarines,
vous ne tardastes gueres, que persuadant les mesmes
choses que vous discourez, de n’estre expedient à la Reine
de communiquer aux Princes le secret de ses conceptions,
non plus que faisoit le defunct Roy pour les en exclure du
tout & regnant seul faire mieux vos affaires) vous le mistes
en telles deffiances l’vn de l’autre, que des mines aux plaintes,
& des plaintes on vint aux esloignemens. Et depuis
(pendant le diuertissement de vos particulieres affaires, &
apres la mort de Monsieur le Comte) cette bonne Dame
ayãt esté de nouueau plus instruite par la bouche des François,
que la meilleure & plus iuste cõduite de l’Estat, estoit
de rassembler toutes les forces de la Maison Royale prés de

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leur cœur, qui est le Roy, en ce faisant se lier Monsieur le
Prince, comme le seul Prince du Sang, d’vn lien si estroit
d’amitié que (se confiant à luy des plus importantes affaires)
son interest commun auec celuy de leurs Majestez, l’obligeast
à supporter vne partie des trauaux du gouuernement.
Vous fistes joüer les ressorts de vos ruses accoustumées
pour gagner les deuans. Si que dans peu de iours
apres, vous recõmençastes à resoudre de toutes choses. Et
(pour bannir du cœur de ce Prince, toute esperance d’auoir
plus à l’aduenir aucune participation à ce qui estoit
deub à sa naissance) on rapportoit en sa presence les resolutions
faites à part, des plus importantes choses de l’Estat,
dont il n’osoit se formaliser, ny en rien contredire, que la
bouche ne luy fust fermée, d’vn desadueu ou si rude repartie,
que bien souuent pour euiter telles iniures, il estoit
contraint de s’absenter de sa fonction necessaire hors de
cette Ville, hors du Conseil, & hors de la presence de leurs
Majestez : En esperance que ces petits signes de mécontentemens
luy feroient rendre ce qui luy estoit injustement
osté : Et luy a esté faite vne telle ruse, que combien qu’il
n’eust & ne voulut prendre au Conseil des finances autre
puissance que celle d’vn particulier. On fit accroire à la
Reine, qu’il y vsoit de force si grande qu’on n’y pouuoit
plus resister : Et pour cela on l’y fit trouuer en personne
pour faire authoriser par sa presence, les bons coups qui ont
esté faits à son desceu.

 

Il n’y a rien de plus naturel que de se deffendre, Dieu ayãt
des le commencement armé le courage de tout gente d’animaux,
d’vne naturelle volonté de deffendre son corps &
sa vie. Dieu n’est point encore descendu pour voir, & le
Parlement, seul Iuge des actions des Princes du Sang, n’a
point donné d’Arrest contre luy. Toutesfois on a fait marcher
les Suisses & autres gens de guerre, de pied & de cheual
pour l’accabler : Il n’est donc point la cause des ruines
aduenuës en Champagne & païs Soissonnois : Mais vous
seul par vos armes Mazarines dressées contre la maison de
Bourbon, qui est aujourd’huy celle de France, que vous

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cherchez a exterminer, depuis tant & tant d’années consecutiues.
Il n’y a pas vne seule secte de Religion, ny vne nation
entre les peuples, ou les aggresseurs ne soient tenus les
plus coulpables, ie vous en ay cy-deuant remarqué les lieux
de l’Escriture, vous ne deuez donc accuser ceux que vous
auiez excitez aux armes pour la naturelle deffense de leurs
vies, ou à tout le moins de leur liberté : Tous les maux sont
donc venus de vous.

 

La trompette & le tambour animent les courages, &
font courir aux armes, au lieu que les verges & les haches
de la iustice, remettent les Subjets en leur deuoir, comme
en vserent les Scithes. Mais ie sçay bien que le Roy n’entend
que le bruit de vos sourdes menées, & ne les approuue
aucunement. Sa prudence aduance de si loing son aage,
que si les loix du Royaume luy permettoient d’en faire iugement,
il romproit d’vn seul mot les efforts de vos rudes
bourrasques : Et cependant la Reine par vne singuliere
amour de la paix, nouuellement témoignée au salut de
cette Monarchie & commun desir des François, dissipe
entierement les nuages, dont vous auez iusques icy, couuert
vos factions & mauuais desseins. Il y a du crime à la
prise des armes, ie le confesse, mais à vous qu’il doit estre
triplement imputé. Pour le conseil que vous en auez donné,
en sur prenant par vos violentes persuasions la bonté de
la Reine qui se refoit en vous, pour auoir souz le nom supposé
du Roy souleué des troupes, & mis le feu par tous les
coins de son Royaume, & pour exterminer la maison
Royale.

Le Roy ne sçait bien les differences d’entre les Regens
& les Rois, elle à l’ame trop bien placée, pour se couurir de
l’authorité du Roy, les haines des particuliers, & n’ignore
point que ce qui seroit crime en vne sorte, est excusable en
l’autre. Aussi ce que la necessité du temps fait tolerer de
vous, le fera punir en vn autre. Vous n’en perdez que l’attente,
vos desseins sont découuerts. Salomon jugea la vraye
mere celle qui choisit plustost la perte que le dénombremẽt
de [1 mot ill.]Et on tua le veau gras au retour de l’enfant prodigue :

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mais quand on veut noyer son chien on luy arrache
la rage.

 

Vous dites que Monsieur le Prince s’attaque aux Gouuerneurs
pour regner : cette raison seule, sans les ressentimens
communs de vos injustices, fait euidemment reconnoistre
le plaisir que vous auez de regner : Et que vos si furieuses
émeutes ne procedent, que de la crainte de sortir de
ce gouuernement si absolut, qui vous fait persecuter les
Princes : par la force duquel, plus que par l’authorité de la
Reine, vous auez tellement ruiné le fond des finances,
qu’en ayant totalement épuisé le dernier quartier de l’année
passée, vous fustes prest par le diuertïssement des deniers
du peuple, d’émouuoir vne sedition par toute la Ville,
qui eust esté suiuie du reste de la France. Et si telles
plaintes n’en sont venuë du temps du deffunt Roy : C’est
que la cause n’en estant née, elle n’en pouuoit produire
d’effet ny de sujet.

Ce grand Roy estoit vrayement François, & qui trauerse
par tant d’années des ruses Siciliennes, en auoit découuert
& tellement rompu les desseins, qu’a peine en auoit-on
la memoire. Il auoit par les rudes assauts de sa diuerse
fortune, si parfaitement acquis la connoissance de ses affaires,
qu’il n’en a iamais eu autre Gouuerneur que luy-mesme.
Mais comme vn bon Musicien qui sçait de differentes
voix, composer les accords d’vne douce armonie, & comme
vn jardinier expert, cueillir les roses sur les espines. Il
sçauoit prendre vne bonne resolution des differents conseils,
& tirer vn bon sens des mauuaises opinions. Tous les
mouuemens de cette Monarchie auoient bien d’autres contrepoids
qu’ils n’ont aujourd’huy. La Reine ne tient pas
comme vous dites cette place, elle est trop prudente pour
le presumer : Elle n’est pas ignorante de cette loy Salicque
qui interdit les femmes de la Royauté. Elle a bien entre ses
mains le principal Gouuernement de l’Estat, que vous luy
auez persuadé absolut, tant qu’il a tourné à vostre profit.
Mais Dieu qui iuge de ses droites intẽtions, a bien fait recõnoistre
que si de son tẽps toutes choses n’ont esté si vtilemẽt

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administrées que sa tutelle Regence le desitẽt pour bien public,
contentemẽs des grãds, seureté & repos des subjets.

 

Elle n’en est la cause : mais vous qui faisant sonner si haut
le rabais du sel par vostre entremise, en prenez dix fois autant.
On remet d’vne main au peuple plusieurs imposts, &
d’vne autre main on les leue à vostre profit, souz le nom du
Roy par des Commissions secrettes & particulieres. Vous
amusez les simples, par vos glorieuses vanteries d’auoir fort
bien gouuerné l’Estat : Mais y a il iamais eu de Regne, ou la
Iustice ait plus esté opprimée, par toutes sortes d’euocatiõs &
interdictions. On esleue la Iurisdiction du Preuost de l’Hostel
à la diminution des autres, pour estouffer tous genres de
crimes, au scandale de la France. Vous mesmes dites que les
Officiers font des rapines, mais où sont ceux que vous auez
faict punir ; A-il este veu aux temps passez des pensionnaires
du Clergé des associez des partisans tenir des premieres
charges ; A il esté prins des hardiesse d’establir des imposts
sur le seau & contraindre les subiects du Roy a prendre des
Officiers imaginaires, pour en tirer vn million de liures ? A-il
esté du temps du feu Roy verifié en la Chambre des Comptes,
des dons de cent soixante, & de trente mil liures, quasi
tous les ans pour les Gouuerneurs d’Estat. Mais ces remarques
& autres plus pregnantes encore, que l’on pourroit
apporter, vous sont dire que c’est borner la puissance des
Roys que de controler leurs liberalitez, & d’y vouloir mettre
des bornes, c’est les priuer d’estre Rois. Ce crime de leze
Majesté n’a point esté commis en vostre temps, le Roy a eu
trop peu de pouuoir sur ses finances, pour en faire liberalité.
C’est aussi vne ruse trop peu artificielle de parler de luy, puis
qu’il n’y a pas iusques aux petits artisans, qui ne sçachent que
le Roy n’a le pouuoir d’employer vn escu en aumosnes des
pauures. Vous luy monstrez bien qu’il n’est pas en aage d’ordonner
de ses finances : C’est vous qui en disposez comme
il vous plaist, à vostre profit & des vostres, soubs l’authorité
de nostre bonne Reine. Et toutes fois apres tant de bienfaits,
vous l’accusez vous mesmes, en disant que ce n’est pas
Monsieur le Prince, qui la peut accuser d’auoir espuisé les finances

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du Roy, & d’estre venuë a vne necessité d’en exiger
d’autres sur le peuple, & en se faisant faire tort à beaucoup
pour en obliger bien peu.

 

C’est faire griefuement sentir les traicts de vostre ingratitude,
& monstrer fort appertement que vous n’en voulez
pas seulement à Monsieur le Prince, mais à toute la maison :
Puis qu’ayant voulu blesser la renommée du deffunct Roy,
par le reproche du Duc de Bourbon, vous attaquez encore
la Reine par cette accusation de mauuais mesnage. Chacun
sçait bien que les finances du Roy n’appartiennent point à la
Reine, & qu’elle est de trop bonne conscience pour mal-
vser du bien d’autruy. Elle a le bien du Roy en main, pour en
vser tres bien comme elle faict. Et sa particuliere œconomie,
pour en faire ce qu’il luy plaist, sans subjection d’en
rendre compte à personne. Ce n’est pas aussi d’elle que la
plainte est faicte : mais de vous, qui causez la necessité. On
ne s’ad dresse point au Roy ny à la Reine, comme vous
dittes, dont l’vn n’a l’aage de disposer, ny l’autre la volonté
d’abuser. Mais à vous, Mazarin, qui trop licentieusement
ordonnez de toutes choses soubs leurs noms. En telle occurrence
de desordres on ne s’est point au temps passé addressé
aux Rois, qui ne veulent iamais que le iuste, mais aux
Gouuerneurs, qui déguisans la verité de toutes sortes de
masques, surprennent la pieuse creance & volonté de leurs
maistres. Ainsi que le témoignent les Ordonnances de ce
Royaume, qui enjoignent si expressément aux Iuges de n’auoir
aucun égard a plusieurs Lettres & Edicts, comme obtenus
par importunitez & surprises. Et les Histoires qui racontent
les punitions d’vn Remy, d’vn Pierre de la Bresche,
Enguerrand de Marigny, Landais, Montagu, Samblancey,
& autres Gouuerneurs des affaires d’Estat.

FIN.

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Anonyme [1652], ADVERTISSEMENT DONNÉ A MONSIEVR LE PRINCE PAR VN BON FRANÇOIS, sur la trahison découuerte du Mareschal de Turenne contre la ville de Paris. , françaisRéférence RIM : M2_33. Cote locale : B_7_35.