Anonyme [1649], L’ESCHELLE DES PARTISANS. EN VERS BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_1177. Cote locale : C_4_10.
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L’ESCHELLE
DES
PARTISANS.
EN VERS
BVRLESQVES.

M. DC. XLIX.

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L’ESCHELLE
DES
PARTISANS.
EN VERS
BVRLESQVES.

 


Qve la richesse a de plaisir !
Qu’elle contente le desir !
Puis que l’on ne void point que l’homme
Ait iamais d’assez grosse somme,
Et que tant plus il a d’argent
Tant plus il se croit indigent.
Cela vient que tout nous abonde
Quand nous auons dedans le monde
Ce metal doux & sauoureux
Qui tout seul nous peut rendre heureux.
Toutes choses nous sont vtiles,
Nous pouuons frequenter les villes,

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Nous allons sans estre esbahis
Voyager en diuers pays,
Nous faisons par tout nostre affaire,
La terre est nostre tributaire,
L’air nous fournit dequoy manger,
L’onde nous permet de nager
Pour aller dans vne autre terre
Querir le thresor qu’elle enserre ;
Enfin il ne se trouue rien
Qui ne conspire à nostre bien.
N’est-ce pas vne grande force ?
Et si quelqu’vn par cette amorce
Se laisse porter aisement
Dans vn si grand contentement,
Qui pourroit auoir droit d’escrire
Contre cét homme vne Satyre ?
Pour moy ie ne le blasme pas
De se plaire dans ses appas,
Ny de posseder vn Empire
Si son ame n’en deuient pire,
Et s’il ne prend à toute main
La richesse de son prochain.
I’en connois beaucoup dans la France
Qui remplis de trop d’asseurance
Prennent à tort & à trauers
Sur le bon & sur le peruers,
Sans espargner ny Roy, ny Prince,
Ny ville, ny grande Prouince,
Pauure, riche, Noble, artisan,
Le Bourgeois, ny le Paysan,
Faisant là par tout maison nette,
Car tout est bon dans leur pochette.
Ces gens là ie les dirois bien,
Mais pourtant ie n’en feray rien ;

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Car S. Iean, ie crains que leur rage
Ne me fist quelque iour outrage,
Tant ils sont enragez de voir
Qu’on est fasché de leur pouuoir,
Et ce leur est vn grand supplice
Quand on descouure leur malice.
Toutes fois maintenant ie veux,
(Se mouche qui sera morueux)
A cause qu’ils ont fait ma perte,
Auoir tousiours la bouche ouuerte,
Sans pourtant les vouloir nommer
Pour les reprendre & les blasmer.
Au mal qui n’a plus de reprise
La voix nous est tousiours permise ;
Et l’on se plaint tres-iustement
Quand on souffre quelque tourment.
Ce seroit vne tyrannie
Lors qu’on nous veut oster la vie
De nous arracher à la foix
Le plaisir auec que la voix.
Ces meschans donc, & ces infames
Ces vilains corps qui n’ont point d’ames
Paroissent dedans les Estats
Comme de graue Potentats,
Bien qu’ils soient sortis de la lie
D’vne famille enseuelie
Dans la plus grande pauureté
Où Irus ait iamais esté.
Vn la quais, vn valet d’estable,
Deuient vn Commis detestable,
Puis apres auoir bien volé,
Bien rauy tout, bien recelé,
Bien acquis l’or & la cheuance,
On le place dans la Finance,

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Où à peine il a fait vn pas
Qu’il deuient Monsieur gros & gras,
On le traisne dans vn carrosse,
Il fait sa maison belle & grosse,
Car toutes sortes d’Officiers
Se trouuent chez les Financiers ;
Il choisit vne belle femme,
Qui porte le titre de Dame,
Car Damoiselle c’est trop peu
Pour ce sot qui se picque au jeu.
Sous la faueur de cette fille
Bien riche & de bonne famille
Le Galand monté dans les Cieux
Deuient fier & ambitieux,
Il se met dans la fantaisie
D’acheter vne Baronie,
De se faire Comte ou Marquis
Par les amis qu’il s’est acquis,
Et pour que rien ne l’interresse
Il prend vn titre de Noblesse,
Faisant voir par son Escusson
Qu’il sort des Comtes d’Alençon.
Ces qualitez luy sont données,
Sous des titres de mille années
Qu’il cherche dans des vieux cahiers
Les parchemins & les papiers.
Sont rendus vieux par artifice,
On les enfume & on les plice,
On les casse bien proprement
Pour en faire vn beau monument
De vieillerie & d’antiquaille,
Et pourtant ce n’est rien qui vaille.
Dans ce point ne faut plus penser
Que ce Monsieur vueille passer

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Pour quelqu’vn de la populace,
Il porte plus haut son audace,
Sa hantise est dedans la Cour
On l’y voit de nuict & de iour,
Les plus grands sont ses camarades,
Qui luy font mille saluades ;
Mais le tout sçauez-vous pourquoy ?
Parce que Monsieur a de quoy.
Parmy tant de belles fortunes,
Qui pourtant ne sont pas communes,
Son cœur est plus haut esleué
Qu’vn chien fientant sur vn paué :
Il tranche de l’excellent homme,
Il ne parle plus que de Rome,
De Venise, & des autres lieux
Plus riche & pecunieux
Desquels tous les mois on ne manque
De luy faire tenir la Banque :
Le voila dans le grand credit,
On ne voit ny grand ny petit
Qui bien-tost ne se diligente
D’y porter son argent à rente.
Il preste mesmement au Roy.
Voicy meschant, voicy pourquoy
Tu commences d’estre coupable ;
Car dis moy, qui t’a fait capable
De prester à qui tu dois tout ?
Ie ne vois ny riue ny bout
A la raison que tu peux dire.
Et la ie cesserois d’escrire
Si ie n’auois dessein d’aller
Au point qui te fait reculer,
Mais auparauant que i’y vienne,
Il est besoin que ie t’apprenne,

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Si tu ne le veux pas sçauoir
Autrement, quel est ton deuoir,
Et que ie despeigne ta vie
Telle quelle est, & sans enuie.
Premierement dans vn Estat
Tu te soüilles de peculat
Peste du Royaume, & le vice
Capable du plus grand supplice ;
Tu manges les grands & petits,
Four assouuir tes appetits,
Et par mille tours de soupplesse
Tu voles auec hardiesse,
Car qu’est-ce qu’vn Monopoleur
Sinon vn brigand, vn voleur
Qui derobe auec asseurance
Les plus beaux thresors de la France :
Qu’est-ce qu’vn meurtrier asseuré ?
Qu’vn homme plus denaturé
Qu’vn lyon ou bien qu’vne louue,
Qui deschire tout ce qu’il trouue ?
I’en dirois encore bien plus,
Mais mon ame en fait le refus,
Ne mettant pas sa complaisance
A former vne medisance,
Car tout ce que ma plume escrit
N’arreste point dans mon esprit,
Et passant ainsi qu’vne nuë
En vn instant se diminuë,
Tant ce crime me fait d’horreur,
Mais pour te donner la terreur,
Et pour changer la conscience
Ie monstre par experience,
Qu’vn Monopoleur ne vaut rien,
Et qu’il n’est qu’vn pilleur de bien,

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Qu’il n’est qu’vne mer & qu’vn gouffre
Où tout se perd & tout s’engouffre,
Qu’il est criminel de tout point,
Vn meschant qui ne change point,
Vn endurcy dans sa malice,
Vne sentine de tout vice,
Plus puant & plus infecté
Qu’vne charongne en plein Esté.
Aussi lit-on dans nostre Histoire,
Autrement on ne peut le croire,
Qu’autrefois on les a perdus,
Qu’on les a bruslez & pendus,
Afin qu’ils seruissent d’exemple
A tout homme qui les contemple,
Tesmoins en sont iusques icy
Erouët & de Beaune aussi,
Qui menez dans vne charette
Finirent leur derniere traite
A Mont-Faucon hors de Paris,
Où le peuple auecque des cris
Les pour suiuant parmy les ruës
Se mocquoit de ces pauures gruës
Qui se trouuoient bien esperdus
De se voir ainsi confondus.
Vn Louys fit cette Iustice,
Vn Louys rechercha ce vice,
Vn autre Louys quelque iour
Fera tout de mesme à son tour,
Quand il verra la decadence
Qu’ils ont faite parmy la France,
Et que ses peuples ruinez
Pour cela se sont mutinez ;
Plusieurs Princes & grands Monarques
Nous ont laissé de belles marques

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Qui nous peuuent faire prudens
A ne porter ces impudens,
Dont les ames plus effrontées
Que des Nerons & des Athées
Voudroient nous auoir mis à bas.
En effet ne voyons nous pas
Que Philippes a fait la guerre
A cette vermine de terre,
Et les a tous exterminez
Comme des matins acharnez
A deuorer nostre substance,
Sans que pourtant la penitence
Ait peu iamais aucunement
A doucir leur entendement.
Ce grand Prince qui fut à Rome
Estimé le plus prudent homme,
Et pour le Prince le meilleur,
Ne fut-il pas leur assailleur ?
Reprenant toute leur rapine,
Dont ils auroient fait sa ruine,
S’il n’eut pas eu tousiours le soin
De les preuenir de bien loin,
Leur faisant souuent rendre compte
A leur regret, & à leur honte.
L’Espagne mesmement a veu
Son Estat enfin despourueu
Par la main de ces miserables
Dont les playes sont incurables,
Et le Roy mesme n’auoir pas
Chez luy dequoy faire vn repas.
Et d’autant que l’Histoire est belle
Ie vous la veux rapporter telle
Que ie l’ay leu premierement
Sans changer vn mot seulement.

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Henry troisiesme de Castille,
Prouince bien riche & fertile,
Reuenant vn iour de chasser
Affin de se mieux delasser
Voulut aller droit à la table
Quand son cheual fut à l’estable,
Mais ayant dit sa volonté
Il ne trouua rien d’appresté ;
Entrant donc en colere, il mande
Son Maistre d’hostel, & demande
Pour quel suiet on n’auoit pas :
Pour lors appresté son repas
Le Maistre d’hostel luy dit, Sire,
Vraiment ie ne vous l’osois dire,
Mais pour vous parler franchement
Ie ne sçache pas seulement
Vn Marauedis dans ma poche,
Et ce qui vous est vn reproche
Ie n’ay pas, pour vous heberger,
De quoy seulement engager.
Le Roy surpris de ce langage
Changea tout à coup de visage,
Et par vn acte tout nouueau
Bailla luy-mesme son manteau,
Pour auoir de la chair de Chevre
Qu’on luy seruit auec vn lieure
Qu’il auoit luy-mesme apporté
Dont son disner fut appresté.
Pendant cette espace il s’enqueste
D’où luy venoit cette disette,
Et le comme il en fut aduerty
Par vn homme de son party,
Il reconneut les pilleries,
Les larcins & les volleries,

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Que ses Financiers exerçoient,
Et que tous ils s’enrichissoient.
Il se resout donc dés cette heure
D’aller luy-mesme en leur demeure,
Se desguisant dans vn tel point
Que pas vn ne le conneust point.
Si tost que la nuict fut venuë ;
Comme enueloppé d’vne nuë
(De mesme qu’vn iour le Troyen
Trompa Didon par ce moyen)
Il se coula parmy la presse,
Pour descouurir ce qui l’oppresse.
Comme il fut glissé parmy eux,
Il vit vn festin somptueux
Qu’on apprestoit dans vne sale,
Il regarde comme on estale,
L’or & l’argent de tous costez,
Que de beaux mets sont apportez,
Que tout va d’ordre, & qu’on ordonne
Ce qui duiroit à sa personne ;
Tous les galands de ce festin
Estans Saouls ne parloient Latin,
Mais dans leur langage ordinaire
Il discouroient de leur affaire,
Et faisoient comme vn resultat
De ce qu’ils tiroient de l’Estat,
Ils parloient de leurs heritages,
De leurs champs, de leurs mariages,
De leurs Offices, & comment
Ils auoient du bien amplemen
Le Roy cependant qui desire
De bien profiter de leur dire
Se retira le iour venu
Sans auoir esté reconnu,

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Et meditant en sa pensée
Comme la chose estoit passée,
Il fit cacher secretement
Des soldats dans l’appartement
Le plus proche de sa demeure ;
Et fit courir à la mesme heure
Vn bruit qu’il s’en alloit mourir
D’vn mal qui ne pouuoit guerir,
Et qu’à l’instant il vouloit faire
Son testament, & satisfaire
A ses dernieres volontez.
Il enuoya des deputez
Vers les Banqueteurs dans la ville,
Leur dire qu’il estoit vtile
Qu’ils vinssent trouuer vistement
Ce Prince en son dernier moment.
Ils accoururent tous bien viste,
Et quand ils furent dans le giste
Où l’on desiroit les tenir,
Ils virent aussi tost venir
Vne brigade de gendarmes
Qui se tenoient tous sous les armes.
Cela les estonna bien fort,
Mais pourtant ignorans leur tort
Ils restoient tousiours dans l’attente
De voir l’effet qui se presente.
Le Roy paroist à l’impourueu,
Et à peine l’auoient ils veu
Dans vne effroyable posture,
Il estoit couuert d’vne armeure,
Et tenoit vne espece en main,
Et sous vn regard inhumain,
Ayant le despit sur la langue
Il commença cette harangue.

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Messieurs, ie voudrois bien sçauoir
Combien de Roys il doit auoir,
Dans le Royaume de Castille,
Pour commander en cette ville,
Et sur le reste du pays ?
Mes drolles lors bien esbahis,
Ne respondoient point à leur Sire,
Toutesfois vn d’entre eux va dire
Comme estant le plus resolu,
Qu’vn seul Roy doit estre absolu.
Le Roy, comme en voulant s’esbattre,
Luy dit qu’il en auoit veu quatre,
Et leur faisant recit de tout
Ce qu’il sçauoit, depuis vn bout
Iusqu’à l’autre, il rendit leur ame
Toute confuse de ce blâme,
Si bien qu’ils ne sçauoient comment
Pallier cet euenement.
Alors le Roy sans plus attendre
L’vn apres l’autre les fit prendre,
Et faisant venir le bourreau
Pour les ietter sur le carreau
Ces Messieurs perdirent l’enuie
De mener plus si bonne vie,
Et chacun se trouuant vaincu
Ils auoient tout bien peur au cu
Si bien que se iettans par terre
Malgré celuy qui les atterre,
Ils prierent si fort le Roy
Qu’il les remit tous hors d’effroy,
Se contentant de la menace,
Et leur donnant à tous la grace.
Il les tint pourtant en prison
Pour les reduire à la raison,

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Et les contraindre de luy rendre
Ce qu’ils auoient bien sceu luy prendre.
Vous qui prenez quelque interest
A cela, iugez si l’arrest
De ce Prince estoit de iustice
Pour punir vn tel malefice,
Ou s’il fut moins iuste que doux
A ses hommes pareils à vous.
C’est assez, car ie ne m’engage
A vous en dire dauantage,
Le reste vous l’entendez bien
Si vous estes des gens de bien.
Gardez bien que des cas semblables
Ne vous fassent plus miserables
Que vous n’auez iamais esté
Auant dans la prosperité,
Car l’auarice est vn abyme
Qui meine dans vn autre crime,
Et sur tout quand on a pouuoir
De tousiours prendre & receuoir,
Enfin tout d’vn coup il arriue
Que la fortune nous en priue,
Et nous fait de beaux eschelons
Pour trespasser à reculons.
Ne blasmez donc point ie vous prie
Ma plume, & ce qu’elle vous crie,
Car au moins nous est il permis
De reprendre nos bons amis,
Tousiours la remonstrance est bonne
Quand elle ne taxe personne.

 

FIN.

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