Anonyme [1652], L’ESLECTION DV COMTE-D’HARCOVRT, AV GOVVERNEMENT DE l’Alsace & de la ville & forteresse de Brissac & Philisbourg, par les garnisons. , françaisRéférence RIM : M0_1273. Cote locale : B_14_47.
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L’ESLECTION DV COMTE-D’HARCOURT,
au Gouuernement de l’Alsace,
& de la ville & forteresse de Brissac
& Philisbourg, par les garnisons.

LES Places fortes & dont l’importance
est grande demandent aussi de grands
Capitaines pour leur conseruation &
gouuernement, principalement lors
qu’elles sont conquises sur les ennemis, & font
que le Conquerant se repose sur la fidelité & experience
de celuy auquel il en confie la garde &
soit asseuré qu’il ne se laissera point corrompre
par qui que ce soit, ce qui est vn grand advantage
pour le Prince, pour lequel telles forteresses
ont esté gaignées par le droit de la guerre & par
la voye des armes.

C’est pour venir à ce qui s’est passé en la ville
de Brissac & en la forteresse de Philisbourg, toutes
deux en Allemagne & au delà la riuiere du
Rhin.

La premiere, sçauoir Brissac fut assiegée &
prise l’année 1639. par les armes du Roy, commandées

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par le Duc Bernard de Vveymar, assisté
du Comte de Guebriant, & depuis Mareschal
de France, lequel en ayant prins possession
pretendoit en auoir le gouuernement Souuerain :
ce qui ne luy appartenoit puis que le Roy
auoit fait la dépense du siege & y auoit employé
quantité d’argent, de chefs & de vaillans soldats,
sans lesquels il eust esté impossible au Duc
de Vveymar de la prendre.

 

Mais il n’en ioüit pas deux ans, car estant
mort de peste à Nieubourg au dessus de Brissac,
le Roy en donna le Gouuernement au Colonel
Erlach, Suisse de nation, tres-vaillant Capitaine,
dont il en a ioüy iusques en l’année 1650. qu’il
mourut, & apres sa mort le Roy y enuoya le
sieur de Tilladet, ancien Capitaine au Regiment
des Gardes, fort intelligent au fait de la
guerre ; mais à peine en eust il esté dix-huict ou
vingt mois Gouuerneur, que le Cardinal Mazarin
desirant auoir ceste place à sa deuotion, en
osta par vn stratragesme estrange ledit sieur de
Tilladet, & y enuoya le sieur de Charlevoye
sa creature pour la luy garder.

Et comme la garnison Françoise qui y estoit,
fort mécontente de n’auoir plus ledit sieur de

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Tilladet pour Gouuerneur, ne fut iamais de
bonne intelligence auec ce nouueau Chef, soit
qu’il la traitast mal, ou qu’elle ne le iugeast pas
capable d’vn tel commandement.

 

Ce qui fut cause qu’ayant appris la valeur de
Messire Henry de Lorraine, Comte d’Harcourt,
Prince de grand courage, & estimé pour les
hauts faits d’armes par luy faits, ietterent leur
pensée sur luy & enuoyerent exprés en Guyenne,
où il commandoit l’armée du Roy, le prier
de vouloir accepter le gouuernement de Brissac,
qui emporte auec soy celuy de l’Alsace, & qu’il
y seroit tres-bien venu & obëy.

Ce Prince trouuant cette occasion fauorable
pour continuer l’exercice de sa valeur, & iugeant
de la consequence de cette place, où il y
auoit beaucoup d’honneur & de gloire, se resolut
d’acquiesser à leur desir & de si rendre.

Pour cét effet il se prepara à ce voyage, laisse
l’armée du Roy en Guyenne sous d’autres Capitaines,
& choisit quinze cens ou deux mille cheuaux
pour l’escorter à Brissac, à l’exclusion dudit
sieur de Charlevoye, que la garnison à contraint
de sortir.

Et de plus la garnison de Philisbourg, forteresse

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reprise par M. le Prince de Condé sur les Imperiaux,
voulurent suiure l’exemple de ceux de
Brissac & resolurent d’auoir le mesme Gouuerneur,
asseurez que sous le gouuernement d’vn
Prince de si grand cœur, ils n’auroient rien à
craindre de leurs ennemis : Ioint qu’il luy est facile
de tenir ces deux forteresses qui sont proches
l’vne de l’autre, & toutes deux scizes sur la riuiere
du Rhein, qui est vn moyen d’auoir aysément
correspondance de l’vne à l’autre, & de les
pourueoir de tout ce qu’elles auroient besoin en
cas de necessité, par les soins de ce Prince.

 

Ioinct qu’ayant aussi le Gouuernement de
l’Alsace, il luy sera facile d’y faire conduire par
eauë & par terre tout ce qu’il iugera à propos,
n’ayant aucune place entre les deux qui luy puisse
nuire ny empescher ses desseins : Notamment
les Allemands qui seront tres-ayse d’auoir vn
Prince de la maison de Lorraine pour Gouuerneur,
ce qui fera qu’ils entretiendront vne sincere
amitié, correspondance & intelligence auec
les François qui seront sous ses commandemens
en ce païs là & en ces deux places.

Voyla comme la necessité des temps change
les affaires, & les mœurs & volontez des hommes

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qui se mennent selon qu’ils voyent leurs advantages,
ce qui causent d’estranges changemens
lors principalement que les gens de guerre
se voyent commandez par des Gouuerneurs &
des Capitaines qui n’ont l’experience ny l’adresse
pour se bien acquitter de leurs charges, &
comme ils en ont eu de vaillants & d’intelligens
au fait de la guerre, & qu’ils recognoissent que
par enuie & ialousie on les changent & on en
met d’autres qui ne sçauent pas commmander, &
veulent neantmoins estre obeïs degré ou de force :
il ne se faut estonner s’ils cherchent tous les
moyens de s’en défaire & de ietter leurs desseins
sur quelqu’autres qui est en reputation, & dont
l’experience en la guerre leur à acquis la renommée
de vaillans Capitaines : c’est pourquoy ils
eslisent ce Prince, afin que sous vn tel commandant
ils continués leur fidelité à bien seruir &
obeïr, ce qu’estant bien obserué, les places ainsi
gouuernées sont hors de crainte de trahison du
costé de leurs garnisons, & viuent en repos sans
mediter autres moyens que de s’entretenir en la
faueur & bonne amitié du chef qui leur commande,
au lieu que lors qu’ils en ont vn qui ne
sçait commander ny se faire obeïr, les garnisons

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le méprisent, n’executent ses ordres que par vn
compromis, sans amour ny volonté de luy
obeïr, ne cherchans que les occasions de changer
de Maistre, ce qui causent bien souuent la
perte des meilleures places & qui va au grand
prejudice du Prince auquel elles appartiennent,
à raison des changemens qui s’y font & du grand
temps qu’il faut pour accoustumer les soldats à
l’obëissance ponctuelle qu’ils doiuent aux chefs
qui sont establis sur eux.

 

Et telle chose est ainsi arriuée à Brissac & à
Philisbourg, ce qui a fait naistre la mauuaise intelligence
qui si est formée par le changement
des Gouuerneurs, & sont aujourd’huy les garnisons
en estat d’auoir tout sujet de contentement
du gouuernement du Comte-d’Harcourt,
qui sçait parfaitement la maniere de bien traitter
& contenter les soldats, partie la plus honorable
& recommendable d’vn grand Capitaine.

FIN.

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