Anonyme [1649], L’ESPAGNE AFFLIGÉE ET EN TROVBLE, DE VOIR LA FRANCE paisible, & exempte du naufrage, où elle pensoit que nos derniers troubles la deuoit faire abimer. , françaisRéférence RIM : M0_1274. Cote locale : A_3_55.
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L’ESPAGNE AFFLIGÉE
& en trouble,

DE VOIR LA FRANCE PAISIBLE,
& exempte du naufrage, où elle pensoit que nos
derniers troubles la deuoient
faire abimer.

CE discours fait voir comme de tout
temps cette Monarchie Espagnolle
a eu l’ambition de suppediter la
nostre, de quels artifices & stratagemes,
elle a vsé pour faire reussir
ses desseins, & comme inutillement & en vain,
elle c’est efforcée à la surmonter.

Qve les Roys, & les Monarques agissent
fort prudemment, quand pour conduire
sous leur sacrée autorité, le man mẽt des affaires
de guerre, & de Paix, de leur Estat, ils choisissent
pour leurs Lieutenans & Generaux d’Armées, &
pour leurs Ministres, & Conseillers des hommes
Illustres de naissance, vaillans & experimentés,
soit au fait des armes, soit en la Politique,
ou soit en la Morale ; iamais les Empires
que ces grands hommes protegent, ne se ruinent,
leur noble extraction les ayans faits deuenir

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plus honnetes gens, & experimentez que les
autres hommes, il ne faut pas apprehender,
qu’ils se rẽdẽt iamais coupables, ny de trahison,
ny de perfidie ; puis qu’aimant beaucoup mieux
leur honneur que leur propre vie, ils n’ont d’autre
plus glorieuse occupation tous les iours, sinon
à rechercher de nouuelles occasions pour
signaler leur haute vertu, & tesmoigner en toutes
sortes d’occurences à leurs Princes, qu’ils
sont les ennemis coniurez du vice.

 

Comme leur haute origine les deffend des attaques
des infirmitez naturelles, dont les personnes
de basse extraction, ont beaucoup de peine
à se conseruer, leur insigne valeur, leur prudence,
leur doctrine, que l’exemple des beaux fais de
leurs predecesseurs leur rend comme naturelle,
leur apprennes à si bien menager le temps & les
occasions de seruir leurs maistres, qu’il ne s’en
passe guere, où ils ne trouuent matiere d’acquerir
de la gloire ; soit, ou pour leurs exploits militaires,
ou soit pour leur prudence, & conseils iudicieux,
qui sçauent tous les detours des affaires
les plus épineuses. La grãde Pratique iointe à la
Theorie, que ces chefs d’armées, ou grãds Conseillers,
& Ministres d’Estat ont en l’administration
des affaires du Royaume, iointe à ces deux
autres eminentes qualitez, de la valeur, & de la
doctrine, qui toutes trois ensemble rendent les
Princes des Dieux, & les Gentilhommes des
Roys, font esperer de si grandes merueilles aux

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Heros qui sont doüez de ces trois excellentes
vertus, qu’en quelques sortes de negotiations
d’Estat, de combats, de rencontres, de batailles,
de sieges de villes, où ils se trouuent les
moindres coups des mains des vns, & les moindres
traits de l’Esprit des autres, sera prié par
leurs ennemis, qui les épreuuent pour des prodiges,
tant il est vray que les actions qui sont
faites par des personnes d’extraction noble, de
valeur, & de science, paroissent accompagnées
de force, de magnanimité : de prudence, & de
conduite.

 

Ce sont les beaux choix, & les iudicieuses
elections que nos Rois ont tousiours fait de ces
grands hommes dont ie viens de parler, & desquels
ils n’ont pas aymé le changement, qui
ont empesché que Charles-Quint, qui a ietté
les premiers fondemens de la puissance de la
Maison d’Autriche, à qui autrefois la Chrestienté
n’en voyoit point d’égal que la nostre,
n’a iamais pû rien entreprendre contre nous,
quoy que son ambition ne fut pas moindre,
que d’aspirer à la conqueste de tout le monde.

Ces demy-Dieux qui sont les rampars des
Empires, assistans la valeur de nos Rois, & de
leurs courages & de leurs conseils, ont incessamment
seruy de barrieres aux ambitieux desseins
de ce Conquerant, & iamais, ny luy, ny
les siens, (quelques ennemis iurez qu’ils se

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soient tousiours montrez de la France,) n’ont
pû par la viue force, emporter aucun auantage
sur cette Monarchie, la premiere du monde,
qui aye empesché qu’elle n’ait tousiours esté
estimée de tout l’Vniuers pour la plus grande,
pour la plus ancienne, & pour plus florissante
que la leur Qu’est ce que de tout temps l’Espagne
n’a point fait pour surmonter ce Royaume
elle a incessamment remué le Ciel & la terre
pour agrandir son Estat de la ruine du nostre,
sans qu’elle en soit pû venir à bout, quoy
qu’elle y ait employé la viue force, & toutes autres
sortes d’inuentions & de ruses ? Elle assista
la Ligue de toute sa puissance contre Henry
III. & IV. mais quand apres la mort de ce premier
Roy, elle ont éprouué à son dommage en
plusieurs occasions la valeur de cet autre Prince
qui succeda legitimement à la Couronne,
elle resolut pour mieux reüssir qu’elle n’auoit
fait de luy faire la guerre en Renard, & non
plus en Lyon. Quoy que la Paix eut fait vn siecle
d’or du Royaume ; cette orgueilleuse Maison
d’Autriche ne laissa pas de trauailler puissamment
à y semer le diuorce, & elle n’agist
pas si mal pour son dessein, qu’au moyen de l’or
du Perou, elle n’infectast les consciences des
plus grands hommes du Royaume, dont quelques
vns attains & conuaincus d’vne pernicieuse
conspiration, contre le Roy, & sa Maison

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Royale, furent executez à mort.

 

Dupuis ce temps là, elle a eu l’addresse par
la profusion de ses pistolles, d’entretenir en ce
Royaume des pensionnaires parmy les huguenots,
qui l’instruisoient à chaque moment, de
tout ce qui se passoit de plus important en l’Estat,
& au Conseil. La deffaite de ces nouueaux
reformez fut la ruine de ses desseins, & de ses
pretensions ; car l’administration de l’Estat,
ayant esté donné par le Roy au Cardinal de Richelieu ;
cette Eminence sceut si bien prendre
garde à ses trames, & à ses sourdes menées,
qu’elle n’en a depuis ce temps là, pû ourdir
qu’vne seule, qui ne luy a pourtant pas mieux
reüssi que les autres.

Quand l’Espagne se vid battuë, & surmontée
deuant Laucate, par le Duc de Schombert, qui
faussa les retranchemens du fameux Capitaine
Serbellon, & le deffit à plate-couture, &
qu’en reuanche de ce siege, le Roy porta ses
armes dans l’Estat de son Ennemy, il fallut que
les Espagnols s’aigrassent à de nouuelles ruses,
pour destruire le Ministre, qui trauailloit si
fidellement pour le bien & la gloire de son
Maistre, & qui par sa prudence, & ses conseils
ne faisoit point trouuer de places imprenables.
La Renommée a assez publie le demelé de cette
Histoire tragique, & la punition qui s’en est
ensuiuie est encore assez notoire, sans qu’il

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soit besoin que i’en parle icy dauantage.

 

Enfin, cette ville, la maistresse de toutes les
autres soit en forteresse, soit en munitions, soit
en garnison, & qui estoit la place d’armes, &
l’Arsenal de toute l’Espagne fut assiegée, & prise,
& Perpignan, malgré toutes les forces Espagnoles,
fut mise en l’obeïssance du Roy, auec
Salse, & les autres places du Roussillon.

Charles-Quint, dont i’ay cy-deuant parlé,
qui faisoit trois nerfs de la guerre, les finances,
les viures & les soldats, a tousiours experimenté,
que pour le premier nous en manquons
moins que luy. Ses successeurs mesmes ont esté
contraints d’auoüer qu’encore qu’ils ayent en
des Indes quinze cens trente millions d’or, selon
la supputation qu’ils ont autrefois faire, &
semble qu’il y a tousiours eu beaucoup plus
chez nous que chez eux, à qui neantmoins il en
faut bien dauantage qu’à nous, tant à cause de
la grande estendue de leurs terres, que leur separation
rend presque toutes frontieres, que
pour la diuerse liaison de leurs entreprises, qui
les obligent à des frais dautant plus grands,
qu’ils font presque toutes choses auec plus d’or
que de fer.

Pour le second j’ignore qu’excepté certains
endroits en petit nombre, le reste de l’Espagne,
principalement du costé du Nort, est tellement
infertile, qu’il ne faut que simplement leur

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deffendre l’entrée de nos Havres, pour leur faire
confesser sans autre gesne, que la Nature a
pourueu beaucoup plus soigneusement à nos
commoditez qu’aux leurs.

 

Pour le troisiesme, nous auons generalement
de meilleurs hommes qu’eux ; c’est ce
que ceux là ne feront pas difficulté d’auoüer,
qui sçauent que la pluspart de leurs soldats ne
s’embarquent pour aller à la guerre hors de
leur païs qu’à coups de bâton, au lieu que les
nostres se derobent pour l’aller chercher aux
quatre bouts du monde, quand elle leur manque
auprés d’eux.

Quoy que les Espagnols ayent autrefois remué
toute l’Europe contre nous, & qu’ils nous
aye iette tout à la fois les forces de vingt cinq
Royaumes sur les bras, ils n’õt pourtãt pas guere
accourcy nos limites. S’ils ont eu la vanité iadis
de s’estre vantez de nous auoir battus à Pavie,
& à Sainct Laurens, ne leur auons nous pas
clos la bouche, quand nous leur auons reproché
de les auoir deffaits à Rauennes, & à Cerisolles.
S’ils ne peuuent dénier qu’ils n’ont iadis
rien pû gagner sur nous, tant que nous en sommes
venus aux prises, nous ne pouuons pas nier
aussi, qu’en tous les traittez que nous auons
faits ensemble, il n’y soit demeuré plus du nôtre
que du leur.

Ce n’est donc pas la force ouuerte de leurs
armes que nous auons deu craindre, & que

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nous deuons encore apprehender ; car tout ce
qu’ils ont pris, & qu’ils prendront cette voye,
ils ne s’en retourneront qu’auec perte. Qu’est-ce
qu’il faut donc redouter de leur part ? la trame
secrette de leurs menées. C’est par là qu’ils
ont durant quelque temps gagné les deuants
sur nous. Il leur faut rendre en cecy le tesmoignage
que la verité leur doit. Leurs desseins
sont ordinairement plus couuerts, & mieux
suiuis que les nostres. Ils les conduisent auec
vne parfaite patience, par de longs destours,
iusqu’au but qu’ils se sont proposez ; & si l’on ne
leur coupe le chemin de bonne heure, tost ou
tard, ils y viennent. Deux choses leur donnent
principalement cela, l’vne que la direction de
leurs affaires importantes passe par moins de
teste ; & l’autre, qu’elle ne change pas si souuent
de mains que parmy nous. Que l’on voye
leurs Histoires depuis cent ou six vingts ans en
ça ; à peine se trouuera-t’il durant tout ce tẽpslà
plus de Ministres que de Rois. Il ne faut pas
s’estonner de ce que François I. disoit autrefois
de la multitude de ses Medecins, plusieurs autres
Princes le pourroient dire de la multitude
de leurs Conseillers, que c’est ce qui les a perdus.
Les raisons en sont euidentes. S’il est malaisé,
comme il l’est certainement, de trouuer
en vn homme seul toutes les qualitez necessaires
au gouuernement d’vn Estat, il l’est bien
encore dauantage d’en trouuer plusieurs en vn

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siecle, où les gens de bien sont beaucoup rares.
Et le mal est, que comme l’indisposition d’vn membre
infecté altere quelque fois la bonne constitution
de tout le reste du corps ; aussi ne faut-il que
l’ignorance, ou la malice de l’vn, pour gaster tout
ce que les autres ont de bon. Ils ne pensent la pluspart
du temps qu’à fortifier leur credit, & deliberans
plus auec leur interest, qu’auec le seruice de
leur Maistre, se contrebuttent auec tant d’animostié,
que pour éuiter les inconueniens qui prouiennent
de cette ialousie, on est contraint par fois de
prendre l’auis de chacun d’eux à part, comme faisoit,
il n’y a pas guere plus de cent ans vn Souuerain
d’Italie. Ioinct que ce secret, qu’on peut appeller
auec raison l’ame des entreprises importantes,
qui perdent, comme les mines, tout leur effet
depuis qu’elles sont éuentées, ne se conserue qu’auec
beaucoup de peine, entre tant de gens, dont
quelqu’vn parle tousiours plus qu’il ne seroit besoin.
Que si le grand nombre de Ministre est preiudiciable
à ceux qui les employent, leur frequens
changemens ne l’est pas moins à ceux que leur foiblesse
y porte. Ceux qui viennent tous frais aux affaires,
ne sçachans pas les motifs, où se faschans de
marcher sur les pas de ceux qui les ont precedez,
prennent d’autres routes, au bout desquelles ils
trouuent quelquefois des precipices qu’ils n’ont
point preueus. Ils ne songent pas tant à faire quelque
chose de bon, qu’à faire quelque chose de nouueau.
Et puis manquans de cette esperance, qui

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sert de guide à la raison en beaucoup de lieux, ils
font des fautes, qu’il est tousiours plus aisé d’excuser,
que de reparer. Cette capacité necessaire au
maniement des grandes choses ne s’acquiert pas,
comme la possession d’vn heritage, par an & par
iour. Il faut que sans parler du reste, celuy qui tient
le gouuernail public, ou vne entiere & parfaite cõnoissance
non seulement des interests & des merites
de tous ceux qui peuuent nuire ou seruir dans
les Prouinces, comme auoit Charles Quint, par
vne liste qu’il s’en faisoit donner : mais des forces,
des reuenus, & des liaisons de tout l’Estat, comme
auoit n’aguere vn des Ottomans par le moyen d’vn
registre qu’il en auoit à l’imitation d’Auguste, tousiours
deuant les yeux, & ce qui plus est des inclinations,
des alliances, & des correspondances de tous
les voisins, afin de s’en pouuoir ou deffendre, ou
preualoir selon les occasions. Auoüons donc franchement
que les Espagnols durant quelque temps
ont esté plus aduisez que nous, que pour remedier
aux malheurs qu’apporte la confusion, & la mutation
des Ministres, ils n’en employoient que fort
peu, & qu’ils ne les changeoient iamais sans vne
tres euidente necessité.

 

Mais depuis que le Roy Louys XIII. s’est resolu à
faire de mesme qu’eux, & à se seruir d’vn seul Ministre,
qu’il choisit pour le plus digne de tous les autres ;
l’Espagne s’est veuë par les armes de ce Roy
Iuste entamée de toutes parts. Qui vid iamais de
plus beaux exploits que ceux que fit ce Monarque,

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lors que les principaux Princes d’Italie ses alliez
attaquez par toute la Maison d’Autriche, à l’ayde
de son grand Ministre, le Cardinal de Richelieu,
il entreprit de les secourir ? A la verité cét Auguste
Prince ne manquoit pas d’hommes : mais la fatigue
d’vn siege de plus d’vn an, la longueur d’vn voyage
de prés de deux cens lieuës, & l’incommodité
d’vn temps de pluyes, & de neiges, les auoient tellement
combattus, que s’ils n’eussent esté puissamment
animez par la presence de sa Maiesté, il
ne falloit que les Alpes pour les arrester. L’Espargne
de ce Roy inuincible, estoit d’ailleurs tellement
épuisée par les excessiues & prodigieuses despenses
qu’il venoit tout fraischement de faire en
ces grands trauaux de terre, & de mer, qu’vn chacun
sçait, que sans la preuoyance merueilleuse, &
l’ordre excellẽt de celuy qui manioit pour lors les
finances, son armée fust demeurée cõme vn corps
destitué de l’vsage de ses nerfs sans aucun mouuement.
Et parmy tous ces mãquemens, ne laisser pas
des aller opposer tout seul comme il fit aux force
d’vn Empereur, & d’vn Roy d’Espagne, conjoints
par l’interest naturel de leur famille, assistez d’vn
Duc de Sauoye, fauorisez d’vn passage occupé sur
les Grisons, enflez de leurs nouuelles conquestes
d’Allemagne, & tout cela qui plus est, dans vn paїs,
dõt ils tenoient, & tiennent depuis long-temps les
deux bouts & le milieu ; c’est pour n’en mẽtir point
ce qu’on pouuoit condamner pour vne inconsideration
precipitée, si l’on n’eut bien iugé que Dieu

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trauailloit incessamment en faueur du fils aisné de
son Eglise, contre tous ses ennemis, & qu’en cette
fameuse entreprise, il ne l’abandonneroit pas non
plus qu’aux autres.

 

Tant y a, que depuis que les Espagnols n’ont
plus eu le moyen de corrompre la fidelité des François,
nos armes ont tousiours heureusement prosperé
de quelque costé qu’on les ait portée, l’Allemagne,
la Catalogne, l’Italie, & la Flandre en sont
tesmoins. Les prises de Spire, ville Imperiale, de
Mayence, de Treues, de Landau, de Vorm, de Philisbourg,
de Thionuille, d’Arras, de Bapaume, de
Bethune, de la Bassée, de Mardic, de Furnes, de
Bergue, de Dunkerque, d’Ypre, de Balaguier, de
Fragues, & du dernier temps Piombino, & Portolongone,
sans compter sept ou huict fameuses batailles
gagnées sur eux, témoignent assez que nous
allons bien plus viste en besogne que non pas eux,
& que quand il s’agist de les attaquer à force ouuerte
nous trouuons tousiours les moyens de les
vaincre.

L’experience qu’il en tire à leur dommage, reduit
cette nation presque au desespoir, & c’est ce
qui a fait que depuis quelque temps ce peuple ambitieux,
ennuyé de se voir surmonter de tous costez,
a plusieurs fois voulu, en beaucoup d’endroits,
& de Prouinces, secouër le ioug de l’obeïssance
du Roy d’Espagne, pour se mettre sous la
puissance d’vn autre Monarque, qui les pût mieux
conseruer & les deffendre. La Politique d’Espagne

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a sceu iudicieusement remedier à ce desordre, &
maintenant cette race ambitieuse n’espere plus les
auantages que de nostre des-vnion.

 

La mes-intelligence nouuellement arriuée à ce
Royaume, luy a fait conceuoir de si hautes esperances
de son bon heur, que toute en ioye & en réjouïssance,
elle a creu que le mal ne seroit pas
moindre que celuy qu’elle a senty de la reuolte de
Naples, qu’elle a encore bien de la peine à reduire,
& à remettre en son premier Estat. Il n’y a point
d’Espagnol qui n’ait fait vn feu de réjoüissance en
son ame de nostre diuision, dont tout leur Estat,
par vne suite qu’ils forgeoient à sa mode, & selon
son caprice, esperoit tirer vn notable auantage. La
subuersion de nostre Estat, dont l’Espagne ne doutoit
point, à le iuger par l’apparence, luy faisoit déja
naistre la vanité d’esperer de pouuoir reprendre
en Flandres & ailleurs, toutes les places que nous
luy auions prises, & non seulement d’en venir là :
mais de passer bien plus outre, & d’entamer nos
frontieres, aussi bien que nous auions entamé les
siennes. Cette haute esperance a effacé quelque
chose du déplaisir qu’elle a n’aguere receu de la
Paix d’Allemagne, que sans elle, l’Empereur a faite
auec le Roy Tres-Chrestien, la Couronne de
Suede, & les Princes & Potentats de l’Empire ; mais
au mesme tẽps qu’elle attẽdoit à voir nostre ruine,
qu’elle a esté affligée, quand elle a veu que le Ciel
disposant de nos dissentions autrement qu’elle ne
s’imaginoit pas, à changé nos maux en biens, &

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l’orage qui s’estoit esleué en vne bonace tranquille
& perdurable. Elle a pensé desesperer en voyant
les François plus soûmis à l’obeïssance de leur Roy
que iamais, & leur Prince les aymer auec autant de
tendresse qu’au passé. Toutes les choses remises en
leur premier estat, n’ont seruy qu’à rengreger la
douleur de l’Espagne, qui n’a depuis cessé que de
pleurer, & de se plaindre de ce que nos prosperitez
augmentent ses disgraces : Mais qu’elle enrage,
qu’elle se desespere, & qu’elle creue si elle veut, si
mal-gré ses plaintes & ses larmes, la France ne
laissera t’elle pas de se réjouyr de se voir comblée
de tant de benedictions que le Ciel luy enuoye.

 

FIN.

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Anonyme [1649], L’ESPAGNE AFFLIGÉE ET EN TROVBLE, DE VOIR LA FRANCE paisible, & exempte du naufrage, où elle pensoit que nos derniers troubles la deuoit faire abimer. , françaisRéférence RIM : M0_1274. Cote locale : A_3_55.